Tiennot Grumbach

name of activist

Tiennot Grumbach

date of birth of activist

19 May 1939

gender of activist

M

nationality of activist

French

date and place of interview

Paris, 18 May 2008

name of interviewer

Robert Gildea

name of transcriber

Nora Khayi​

 

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PART I
 
RG : Alors je vais commencer s'il vous plait, Monsieur, par vous demander votre nom et puis votre lieu et date de naissance  
 
TG: Alors je suis né le 19 mai 1939, à Paris dans le 17ème
 
RG : Le 17ème. Et est-ce que vous pouvez me dire quelque chose sur votre famille, social, politique, religieux
 
TG: Ma famille…eh  est une famille issue de deux branches disons, enfin paternelle et maternelle. La branche paternelle était des juifs de Belfort qui n’ont pas voulu devenir Allemands au moment de la guerre en 1870
 
RG : Oui
 
TG: et donc ils sont partis au Brésil. Mon grand-père était président de la communauté française du Brésil
 
RG : Ah oui d'accord
 
TG : Et il avait monté une affaire d’importation au Brésil de produits d’origine françaises, principalement verrerie, porcelaine, objet de la maison, parfum
 
RG : Oui
 
TG : et qui s’appelait la Casa Grumbach a São Paulo. Donc mon père a fait toutes ses études primaires et secondaires au Brésil
 
RG : Oui
 
TG : et il est venu en France pour faire son service militaire comme tous les Français, mon grand-père était très patriote, et
 
RG : C’était vers quelle année qui a fait son service militaire
 
TG : Boh je ne sais plus
 
RG : Non mais avant...
 
TG : Oui avant la guerre bien sûr, avant la guerre mondiale. Mais ensuite il a rencontré ma mère et donc il est resté en France et il a fait aussi l’armée pendant la guerre de 39. Enfin il était mobilisé pendant la guerre de 39 oui, et voilà
 
RG : D'accord, il a été fait prisonnier ou ?
 
TG : Non, non, non il a été démobilisé et puis il a retrouvé sa famille et puis les événements étant ce qu’ils sont, il s’est découvert juif - parce que lui, c’était une famille tout a fait laïque
 
RG : Oui
 
TG : qui n’avait aucune racine religieuse, en tout cas pas depuis le Brésil. Il était d’abord Français et exclusivement Français sans aucune attache religieuse. Du côté de ma mère, c’est une famille d’origine moitié Bordeaux, juifs de Bordeaux. Par conséquent issue de la communauté portugaise, juive portugaise de Bordeaux, qui elle-même venait du Portugal, et puis au moment de l’Inquisition. Donc ça c’est la famille Mendes-France
 
RG : Oui
 
TG : et ma grand-mère donc maternelle est de Strasbourg, et donc voilà, et donc ma mère est donc la sœur de Pierre Mendes-France comme vous le savez probablement
 
RG : Oui
 
TG : Et voilà
 
RG : D'accord. Mais votre famille a eu des ennuis sous l’occupation ?
 
TG : Et ben comme toutes les familles juives, ils étaient dans la clandestinité bien sûr, et ils ont survécu avec des faux papiers  pendant toute la guerre, en allant ici et là et, avec des faux papiers, en nous confiant mon frère et moi à la garde de personnes qui nous ont cachés pendant toute la guerre
 
RG : Donc vous personnellement vous  étiez caché en, dans quelle région ?
 
TG : dans les Pyrénées Orientales, à Font  Romeu, dans un home d’enfants tenu par deux femmes tout a fait exceptionnelles, avec lesquelles j’ai conservé des contacts jusqu'à ce qu’elles meurent quoi
 
RG : D'accord. Et vous aviez eu d’autres personnes dans votre famille qui ont été déportés ou …
 
TG : Ah oui, oui, une partie des, une partie de la famille a été déportée et morts dans les camps bien sûr comme toute famille de cette origine, tant du côté de mon père que du coté de ma mère
 
RG : D'accord, mais vous avez plutôt un bon sentiment des Français qui ont aidé les juifs a ce moment-la ?
 
TG : Un bon sentiment ?
 
RG : Oui
 
TG : (rire) Ben ça va de soi…je veux dire…
 
RG : Oui, mais non il y a eu aussi des dénonciations, des
 
TG : Ben oui, ma mère a été dénoncée, elle a pu effectivement s’en sortir par la grande chance. Je ne peux pas vous raconter tout ça, parce que tout ca d’abord est connu et puis bon c’est, c’est la vie de mes parents, ce n’est pas la mienne, donc oui, oui ils ont été…
 
RG : Non mais c’est aussi votre histoire
 
TG : Oui, c’est mon histoire mais enfin je…
 
RG : Ou votre mémoire
 
TG : Oui mais bon
 
RG : D'accord, alors pour les études, comment ça c’est passé ?
 
TG : Bon les études, j’ai fait, j’étais très mauvais élève, jusqu'à la première. Ensuite j’ai passé mon bac, je suis devenu étudiant j’ai étudié le russe, à Langues Orientales, et puis l’économie a Paris I, Paris I qui ne s’appelait pas Paris I à l’époque, l’ économie à la faculté de droit de Paris. Mais dès le lycée je suis entré en, dans l’activité politique contre la guerre d’Algérie
 
RG : Mais juste un moment sur l’enseignement, vous étiez au lycée de ?
 
TG : Au lycée Janson de Sailly dans le 16eme, là il y avait un comité antifasciste que j’ai rejoint très tôt, donc j’étais un des animateurs
 
RG : Oui
 
TG : avec, je ne sais pas si vous avez interrogé quelqu'un comme ça, avec des de Senik
 
RG : Oui, oui André Senik
 
TG : Donc un des animateurs de ce comité c’était André Senik, il y avait dans le lycée Régis Debray, il y avait, enfin toutes sortes d’autres qui ensuite ont été plus ou moins des militants du mouvement, du mouvement de façon générale, soit en tant que communiste, soit en tant que autre chose. Jean-Paul Ribes aussi
 
RG : Oui
 
TG : et d’autres, enfin qui…
 
RG : C’était vers
 
TG : était au lycée à ce moment-la
 
RG : D'accord, c’était vers les années…
 
TG : C’était le comité antifasciste qui a été le creuset de, en plus on était dans un lycée d’extrême-droite enfin, très, très
 
RG : C’était dans le 16ème
 
TG : le 16ème, avec une préparation à Saint-Cyr, une préparation Polytechnique, une préparation à l’Ecole Navale, très préparations à des écoles militaires à l’époque, et ben c’est vrai que la guerre d’Algérie créait au lycée des tensions très fortes 
 
RG : Oui
 
TG : Et donc bon là, le début de la culture politique s’est faite là, dans le comité antifasciste, qui était une bonne, j’allais dire, un bon creuset d’éducation parce que là, il n’y avait pas sectarisme chrétien. Ça, les Chrétiens progressistes ou communistes, les Chrétiens progressistes c’est une formulation d’aujourd'hui mais à l’époque, des Chrétiens, des jeunes de la JEC ou les étudiants, des lycéens catholiques dont l’engagement venait souvent par le fait qu’ils avaient un frère, quelqu'un qui s’était intéressé par la guerre d’Algérie d’une façon existentielle, par la présence d’un frère, d’un cousin, d’un ami dans l’armée, que ils savaient quelque part un peu ce qui se passait en Algérie. Donc ils étaient sensibilisés comme nous l’étions par la torture, par la recherche de la paix, par la reconnaissance de l’identité algérienne quelque part. Il y avait aussi des Algériens au lycée donc
 
RG : Ah bon ?
 
TG : Oui naturellement
 
RG : Oui, oui
 
TG : L’Algérie était française donc…
 
RG : Oui d'accord, d'accord
 
TG : Mais la bourgeoisie algérienne musulmane envoyait plus facilement ses enfants au lycée en France que…
 
RG : Mais les Algériens qui étaient contre la guerre ou qui étaient pour l’Algérie française ou…
 
TG : Ah ben non, non il y avait forcément des Algériens pour l’Algérie française, ils étaient majoritaire au lycée, pas les Algériens musulmans
 
RG : D'accord
 
TG : Ceux qui étaient, qui naturellement avec lesquels ont a été en contact
 
RG : Il y avait aussi la question du service militaire
 
TG : Un peu plus tard, pour les plus âgé mais, ça a commencé  très tôt pour la lutte, je pense que  le comité antifasciste il a du commencé en 56 ou quelque chose comme ça donc, très tôt, j’étais très, très jeune…
 
RG : Mais en général, les gens qui faisaient des études avaient le droit au sursis
 
TG : Bien sûr
 
RG : Ils ne faisaient pas leur service à 20 ans
 
TG : Ça c’est moins au lycée qu’à la fac
 
RG : D'accord
 
TG : donc oui il y en avait surement parmi, moi je n’ai pas été dans les classes préparatoires donc ça m’a moins touché, ça m’a touché à la fac, des qu’on était effectivement supposé pour tous,  des qu’on avait l’âge de partir à l’armée
 
RG : D'accord
 
TG : ‘Est-ce que je vais à l’armée, suis-je sursitaire, dans quelle conditions, et puis si j’y vais est-ce que je pars, est-ce que je ne pars pas, désertion, insoumission ?’. Toutes ces questions se posaient à nous comme elles se posaient à l’immense majorité des jeunes de cette époque. Puisque le gros problème des jeunes de cette époque qui est difficile à comprendre pour les jeunes d’aujourd’hui c’était la guerre d’Algérie –‘je pars, je ne pars pas, qu’est-ce que je fais ?
 
RG : Oui, oui
 
TG : Combien de temps ?’ Bon c’est qui explique d’ailleurs la mobilisation de masse contre la guerre d’Algérie, c’est que la jeunesse était majoritairement contre. Pas forcément pour des questions politiques, pour aussi des questions existentielles, la durée du service militaire, 27 mois, les dangers, bon etc, et puis l’un dans l’autre. Ceci pouvait entrainer une prise de conscience politique, que d’autres avaient - la famille, les familles des gens qui avaient vécus la guerre, que ce soit des jeunes communistes par leur parents, ou l’idéologie communiste, ou que ce soit des jeunes juives, ou des jeunes gaullistes fils de résistants, étaient naturellement portés politique  sur la torture, c’était
 
RG : Oui
 
TG : C’est la torture qui a été le grand révélateur politique  de l’unité de cette jeunesse, pour ceux qui était, qui se sont politisé au travers l’iconographie de la lutte contre le Nazisme et de ce qu’il représentait. Même si on parlait moins des camps évidemment à cette époque, et de la Shoah, on parlait beaucoup de la Résistance, de la lutte des résistants, des tortures, du nazisme, de la bestialité nazi etc.. Et d’apprendre que quelque part des militants Français pouvaient utiliser des moyens que nos parents avaient soit subis soit dénoncés, etc., était intolérable pour ces jeunes
 
RG : Oui
 
TG : que le côté existentiel évidemment de cette période qui a été très longue, qui explique que les jeunes...Moi je dis souvent nous avons eu la chance d’avoir une longue guerre d’Algérie qui nous a éduquée politiquement, c’est une horreur de dire ça…
 
RG : quelle chance, oui…
 
TG : Nous avons eu sept ans de révolte, de compréhension, d’études, de lectures, d’indignation, de manifestation, d’apprentissage de la pratique militante et...et puis de l’unité, de la capacité de s’unir avec des gens qui ne pensaient pas de la même façon, pour un objectif qui était celui de la paix du peuple algérien
 
RG : Et vous avez eu le sentiment donc que la France avait renié son passé résistant ?
 
TG : Non parce que cette jeunesse était patriote. Moi j’ai toujours été patriote, je n’ai jamais, non…
 
RG : Il y avait un article ce moment-la sur ‘Votre Gestapo d’Algérie’ par Claude Bourdet
 
TG : Oui mais ça c’était des gens qui étaient beaucoup plus âgé que nous
 
RG : Oui
 
TG : J’ai bien connu Bourdet après puisqu’on a été dans PSU ensemble mais…Non pas, vous me posez, ça c’est des visions qui ne passent pas par notre existence propre - que Bourdet ait écrit ca c’est possible - mais et qu’ensuite même nous-mêmes, mais la révolte elle ne partait pas de là, elle partait, au contraire a mon avis d’une réaction patriotique, la France n’a pas a faire ça
 
RG : d'accord
 
TG : l’armée française ne peut pas faire ça, la… les gens, il n’y avait pas quelque part dans la mobilisation, dans la conscience des gens une vision anti France, anti France entre guillemets bien entendu, c’était presque l’inverse, c’était nous qui portions les valeurs, et quand on nous disait qu’on était anti France on ne comprenait pas
 
RG : D'accord
 
TG : Pas du tout, alors après évidemment, quand on commençait à militer…
 
RG : Mais vous…
 
TG : à 14 ans, puis bon avait tout…
 
RG : Vous étiez pour une certaine idée de la France, une France des droits de l’homme ou…
 
TG : Même pas, là c’est des mots d’après
 
RG : D'accord
 
TG : C’est des mots bien d’après
 
RG : D'accord
 
TG : Parce que même les droits de l’homme, on ne savait pas ce que c’était, enfin qui, enfin dans, René Cassin personne ne le connaissait. Je veux dire, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, enfin on était des minots. Quand je vois aujourd'hui comment sont les jeunes de 14 ans, moi j’ai commencé à militer a 14 ans
 
RG : D'accord
 
TG : et ça n’a jamais milité, et ça n’a jamais, mais j’étais quand même un gosse
 
RG : Oui
 
TG : Mais les gosses qui avaient lu des illustrés. Faut quand même se dire qu’en 1954 c’est dix ans seulement après 44, c’est comme si vous interrogez un jeune de 78 sur 68, qu’est-ce qu’il y a de la guerre ? des illustrés
 
RG : Oui
 
TG : qu’il lit
 
RG : Oui
 
TG : dans lequel les résistants sont torturés par des nazis en costume de SS. On lit cette bande dessinée extraordinaire qui s’appelait La Bête est Morte
 
RG : Oui
 
TG : Je ne sais pas si vous voyez. Bon on était tous là-dedans, on est dans un...rappelez-vous dans La Bête est Morte, les résistants c’est des petits lapins, et puis voilà, on a cette idée de la débrouillardise du résistant, de l’horreur de la torture, etc., et bon droits de l’homme et tout ça c’est, ce n’est pas pour des gosses de 14 ans
 
RG : Non d'accord 
 
TG : Moi je vous dis j’ai commencé à militer a 14 ans, et sûrement ce qui a mobilisé mon imaginaire, c’est d’une part que j’avais un oncle qui faisait de la politique  et qui était le frère de ma mère, ça joue
 
RG : Oui, oui
 
TG : Evidemment, et qui luttait pour la paix
 
RG : Oui bien sûr
 
TG : et à la fois qui avait été important dans la lutte pour la paix au Vietnam et puis, et après dans un regard de libération des peuples de l’Afrique du Nord. A l’époque dans une vision d’association d’Afrique du Nord avec le peuple français et pas dans un...bon c’est compliqué la manière dont les choses se sont faites, mais ce n’est pas lui qui m’a influencé directement je veux dire
 
RG : Lon
 
TG : La position, non forcément ca m’a influencé, c’est ce que je voulais dire. Mais après quand j’étais au lycée et, je pouvais savoir de ce qu’il disait et ce qu’il y avait au lycée et ce qu’on discutait entre nous. Faudrait croiser mon témoignage éventuellement avec ce des, de Senik mais c’était comme ça. On était, on ne supportait plus, alors Senik lui c’était beaucoup plus construit parce que d’abord il était un tout petit peu plus vieux que moi, il est élu en préparation a khâgne, il faisait de la philo déjà
 
RG : Oui
 
TG : et, mais dans le lycée ce n’était pas de ce qu’on discutait, on discutait parce qu’on se faisait casser la gueule par les fascistes dès qu’on disait paix en Algérie.. enfin les fascistes, les, les jeunes qui préparaient Saint-Cyr, etc. On discutait, en même temps les jeunes catholiques, ‘est-ce que tu viens avec moi ?’, puisque moi j’étais catho, très catho dans cette période, enfin j’étais catholique
 
RG : Ah d'accord  
 
TG : ‘Est-ce qu’on va au pèlerinage de Chartres, est-ce qu’on va à Chartres ?’ Mais en parlant de la guerre d’Algérie, et ‘où est-ce qu’on va à Chartres comme ça uniquement sur une base religieuse ?’ Quel est, enfin toutes sortes de discussions de cet âge-là, en même temps on parlait des filles, on allait jouer au baby-foot, ce n’est pas, 14 ans
 
RG : Oui d'accord
 
TG : On était des petits, petits, mais en même temps on cherchait, on allait dans les manifs, tout ça ce n’est pas, c’est la rationalité qui vient d’après, n’est pas les conditions dans lesquelles on a vécu. Parce que comme je vous dis ça commence en 54, je ne me rappelle plus, parce que la vraie, vraie, vraie mobilisation qui commence à faire politique, c’est Sakiet Sidi Youssef, c'est-à-dire le moment où. Ça doit être en 57 si je me rappelle bien mais je ne suis pas sûr. Enfin je sais que pour moi c’est l’événement…
 
RG : Quel événement je n’ai pas saisi ?
 
TG : Sakiet Sidi Youssef. C’est le bombardement par l’aviation française d’un camp du FLN en Tunisie qui a fait des morts assez nombreux dans la population civile…dans ma mémoire c’est ma première manifestation où l’on sort du lycée, tous
 
RG : Oui
 
TG : Et on va rejoindre une manifestation étudiante au Quartier Latin
 
RG : D'accord
 
TG : Et ça, ça se passe au travers je pense des étudiants communistes et du début de liaison d’un réseau qui va se constituer, puisque vous parlez réseau, ou il y aura Jean-Jacques Porches, Jean-Paul Ribes, moi, Milène Dubois, quelques autres très, très jeunes qui sont pas des étudiants communistes, et qui sont des étudiants ou des lycéens très mobilisés sur l’Algérie
 
RG : Ce réseau avait un nom ?
 
TG : Non, non, c’est des réseaux lycéens, ça, ben il y a ceux du lycée Janson, il y a ceux du, je crois qu’il y avait Buffon,  enfin bon
 
RG : Oui
 
TG : pourquoi ça se fait. Alors là il y a l’histoire des jeunesses radicales de l’époque, des jeunes qui étaient mendésistes, donc qui, qui, mais qui étaient mendésistes déjà beaucoup plus radicaux que le parti du PMF parce que il y avait...donc les jeunes qui rentrent dans, qui soutiennent le PMF a l’époque
 
RG : Oui
 
TG : Le crois les jeunesses radicales, ou les étudiants radicaux, il y a une association qui s’appelle LAPERS, L’Association Parisienne des Etudiants Radicaux Socialistes, et…Donc là on commence à se connaître entre lycéens et jeunes étudiants qui ne sont pas communistes. Tous feront a peu près le même itinéraire, de LAPERS au Parti Socialiste Autonome, du PSA au PSU, et du PSU à plein d’autres choses. Mais il y a un petit, un petit, si vous parlez réseau c’est sûrement comme ça et ces jeunes très, très vite sont souvent plus radicaux au sens de la radicalité américaine
 
RG : Oui
 
TG : et pas de la radicalité française. Parce que la confrontation avec lequel la guerre d’Algérie les obligent                                    
 
RG : D'accord
 
TG : Ils sont plus à gauche quelque part que les étudiants communistes et les lycéens communistes. Ils sont plus révoltés quelque part parce que le fond éthique est puissant
 
RG : Oui
 
TG : et que ils n’ont pas au-dessus d’eux la chape du Parti Communiste qui à l’époque est ‘paix à eux’. Quand on va aux manifs nous on gueule ‘paix avec l’Algérie’. C’est un peu plus tard, pour vous donner la différence, on se fait souvent casser la gueule parce que ils gueulent ‘paix en Algérie’, ce qui n’est pas tout à fait la même chose
 
RG : Oui d'accord
 
TG : Donc le parti communiste considère que quand on dit ‘paix avec l’Algérie’, on n’est pas dans la ligne
 
RG : D'accord
 
TG : et ça veut dire qu’on est déjà beaucoup plus radicaux et ça ne leur plaît pas
 
RG : D’accord, d'accord
 
TG : Et puis se constitue ce réseau des comités de jeunes pour la paix en Algérie dans les lycées et dans les quartiers qui va devenir alors la base de l’extrême gauche anti-communiste, extrême gauche, extrême gauche anti-communiste, je le dis bien. L’extrême gauche qui à la fois se rend compte que le Parti Communiste a l’époque est moue du genoux, ne fait pas tout le travail anti impérialiste qu’on attendait, laisse tomber les dirigeants de la Jeunesse Communiste qui ont refusé de partir à l’armée puisque ce c’est quand même ca qui s’est passé - puisque les dirigeants de la Jeunesse Communiste qui ont refusé d’aller en...dont Alban Liechti et d’autres, ils ont été emprisonnés, partis en prison et le Parti Communiste ne les a pas vraiment défendus
 
RG : Ah oui d'accord
 
TG : Donc il y a une sorte de prise de conscience de ces jeunes, je crois c’est massif, qui va toucher des centaines de jeunes étudiants et lycéens, et qui va expliquer ensuite - on avec bien voir qu’en mai 68 ça va, ça va pousser, c'est- à -dire que des la guerre d’Algérie, dans les lycées, dans les facs, pour les plus jeunes des facs et dans certains quartiers ouvriers, dans les associations de jeunesses, on va trouver des jeunes qui estiment que le Parti Communiste ne fait pas tout ce qu’il devrait faire pour la paix avec l’Algérie, et pour la solidarité avec le peuple d’Algérie
 
RG : D'accord
 
TG : et ça, tous ces jeunes-là, ben on trouvera des explications. Puisque dans les lycées, ben la on retrouvera l’éducation de Krivine, puisque ça vient aussi de la, les comités antifascistes dans les lycées. Bon il y a tout un magma d’élus dans lequel personne ne sait qui est trotskiste, on ne parle pas de trotskistes, on ne parle pas de maoïstes, on ne parle pas de rien
 
RG : D'accord
 
TG : On parle de la lutte pour la paix et des moyens, des moyens qu’il faut mettre en œuvre pour lutter contre la guerre d’Algérie. Alors certains trouvent ça ira, évidemment après il y a des gens qui s’engageront dans la radicalité d’aide  au FLN, d’autres qui s’occuperont, qui seront plus orientés vers l’aide aux militaires, d’autres enfin qui partent, enfin après il y a toute une immense palette
 
RG : Oui
 
TG : dont vous avez probablement vu qu’elle va se, comment dire…se concentrer vers ce qu’on a appelé la réunion de la rue du Havre, qui doit être en 1960. Moi je ne sais pas ou vous en êtes dans votre étude, si je vous dis des choses qui sont…
 
RG : Non mais je peux toujours les vérifier…
 
TG : Mais vous êtes au courant de ça
 
RG : non, la réunion de la rue du..
 
TG : Havre, qui se tient dans un, dans un temple protestant, rue du Havre, où seront là pour la première fois, je crois que c’est en 60, réunis l’ensemble des mouvements de la jeunesse qui luttent contre la guerre d’Algérie
 
RG : Oui
 
TG : Il  y a la Jeunesse Communiste, il y a des jeunesses chrétiennes, enfin il y a la JEC, il y a tout le monde, tout le monde, toutes les associations, on doit se retrouver a 80 personnes je pense à peu près
 
RG : Oui
 
TG : toutes les organisations sont là, enfin toutes celles qui comptent, et c’est la première réunion en France, qui se tient sur le sol français avec une délégation de la jeunesse du FLN et du FLN
 
RG: D'accord
 
TG : et donc ça, ça fait un énorme scandale puisque à la suite de cette réunion quand même. Les Renseignements Généraux ont fini par le savoir,  et trois d’entre nous ont été arrêtés - donc des copains le plus proches de moi, de l’époque, Jean-Jacques Porches, Milène Dubois, et Jean-Paul Ribes. Donc toute la presse de l’époque a parlée de cette réunion, France Soir, etc. C’était la trahison, la réunion de la trahison. Mais en même temps il y avait l’UNEF bien sûr, faut voir l’importance de cette réunion, l’UNF, plusieurs AG de l’UNEF, la Jeunesse Communiste, enfin bon tout le monde, mais c’est une réunion qui démontre, parce que je crois que c’est en 60, que la capacité organisationnelle de cette jeunesse. C’est pour ça que je vous dis qu’on a eu de la chance…d’avoir une si longue éducation, c’est de là il y aura des arrêtés mais il n’y en aura que trois
 
RG : Oui
 
TG : Donc très peu, quatre, quatre j’ai oublié le nom du quatrième, c’est le, le...Il y en a un qui a donné le nom des trois autres - alors lui j’ai oublié son nom, peu importe, l’histoire ne le retiendra pas parce que euh je ne vais pas dire que c’était un salaud…
 
RG : Oui, oui
 
TG : Je ne dis pas ça, m’enfin j’ai oublié, à l’ instant j’oublie son nom, et puis ce n’était pas un de mes propres amis proches. Disons que ça explique aussi pourquoi, c’est que les trois autres, c’était vraiment mes potes complets
 
RG : Oui
 
TG : de l’époque, d’ailleurs ils sont tous les trois, ils viendront en Algérie, aussi bien Milène que Jean-Paul, Jean-Jacques il viendra aussi pas mal. Donc pour nous notre vie c’est l’Algérie et cette réunion si vous voulez elle est importante dans le sens de la démonstration justement - si vous qui travaillez sur les réseaux, de comment se sont constitué ces réseaux
 
RG : Oui
 
TG : pendant la guerre d’Algérie, de façon complètement indépendante du Parti Communiste
 
RG : Oui
 
RG : Ce n’est pas le Parti Communiste qui organise cette réunion, le grand organi, vous l’avez rencontré Jean-Jacques Porches ou pas ?
 
RG : Non, pas encore, non
 
TG : Bon, je crois que, je ne vais pas lui dire, ça je ne vous dis pas
 
RG : D'accord
 
TG : Je ne sais pas ce qu’il fait de son passé là aujourd'hui –enfin là on est entre nous - il est l’organisateur de cette réunion, ça se fait sûrement en dehors du Parti Communiste, ça se fait alors avec l’aide de réseaux alors qu’ils sont plus anciens que les nôtres, dont je ne vous parlerais pas parce que ça, ça ne m’intéresse pas
 
RG : Oui
 
TG : mais qui puisent leur histoire beaucoup plus loin dans l’histoire du mouvement communiste internationale, ou dans l’histoire du mouvement anti-impérialiste. Donc c’est vrai qu’il y a du soutien, il y a des choses qui se passent. Mais c’est vraiment une organisation qui vient quand même des jeunes, et l’idée a été, je ne sais pas qui l’a eue, enfin je sais mais….c’est que on rentre dans cette réunion avec des brassards de coureurs cyclistes
 
RG : Oui
 
TG : et donc même quand on se connaît on ne s’appelle pas par nos noms, on s’appelle par nos numéros
 
RG : D'accord
 
TG : et pourtant il y en a beaucoup qui se connaisse les uns les autres puisqu’ils militent ensemble, dans la rue etc.
 
RG : D'accord
 
TG : Ce qui fait que quand les mecs, le type qui a craqué, il donne les numéros, mais il donne les noms de trois personnes qu’il connaît, a la fois les numéros et le nom
 
RG : Oui 
 
TG : Donc le quatrième qui a donné les numéros et les noms
 
RG : D'accord
 
TG : Mais les trois autres n’ont donné personne 
 
RG : D'accord
 
TG : Ce qui fait que finalement il n’y en a eu que trois d’arrêtés. Vous verrez dans la presse de l’époque si vous trouver, quel scandale ça été, moi je donne ça simplement par rapport au fait que dès ce moment, cette capacité organisationnelle du mouvement de la jeunesse est très puissante, qu’elle va arriver à l’UNEF parce qu’il y a aussi l’UNEF, il y a les deux facteurs, il y a la capacité organisationnelle de ceux qui sont  vraiment contre la guerre d’Algérie et qui, et puis il y a l’UNEF en tant qu’organisation de masse de la jeunesse étudiante de l’époque     
 
RG : Oui
 
TG : qui est aussi contre la guerre d’Algérie, qui nous donne une capacité organisationnelle encore plus large
 
RG : D'accord
 
TG : Jean-Jacques était Secrétaire General de la Fédération des Etudiants en Sciences. La Fac de Lettres, la Fédération, la FGEL, Fédération Générale des Etudiants de lettres a donné un nombre de cadres incroyable au mouvement de mai 68 : Péninou, Kravetz, euh comment il s’appelle, un nombre et puis de femmes extraordinaires, Dominique, je ne sais plus, enfin bon
 
RG : Oui
 
TG : La FGEL a été un incroyable berceau de cadres du mouvement intellectuel et du mouvement politique que ce soit en 68 ou après. Tout ça, ce sont des gens qui ont appris, qui ont été les cadres de mai 68, évidemment Krivine et bien d’autres, de son, de sa sensibilité. Donc voilà , cette, cette éducation à la fois du lycée, de la fac quand on est étudiant, de la guerre d’Algérie etc., fait de nous des intellectuels radicaux
 
RG : Oui
 
TG : des ‘jeunes intellectuels radicaux’, ‘intellectuels’, je mets beaucoup de guillemets parce que la militance fait de nous des intellectuels assez atypiques, parce que pff, très peu dans les livres
 
RG : Oui
 
TG : Très peu dans les livres, beaucoup dans l’action
 
RG : D'accord
 
TG : des activistes, de, des, très peu dans la réflexion théorique et beaucoup dans…
 
RG : Vous n’étiez pas sartrien à l’époque ?
 
TG : Non, non, si je lisais Sartre comme tout le monde mais, enfin les romans. Bon, je n’étais rien du tout pour vous dire la vérité
 
RG : Oui
 
TG : J’étais comme beaucoup d’autres, j’étais un militant de la jeunesse, très vite le ciel a fait, je dis le ciel parce que, il vient de mourir ..que j’ai rencontré un camarade qui s’appelait Charlot Dusnasionxxxx, voyez comme le lycée va amener des hasards
 
RG : Oui
 
TG : avec Senik. Il y avait les comités de jeunesse pour la paix en Algérie, au lycée donc ça je peux bien dater puisque c’est 1957 puisque c’est proche de Saddiq Sidi Youssef, je suppose, je suis activiste au lycée, je fais plein de chose avec les autres, avec mes copains lycéens, du lycée, et je pense que c’est Senik qui a du me proposer pour que je fasse parti de la délégation du lycée au festival mondial de la jeunesse a Moscou en 1957, qui est la grande organisation para-communiste de l’Internationale
 
RG : oui
 
TG : bon, et donc je vais, je pars en 1957, mon père et ma mère étant complètement apeurés de ça, m’enfin j’ai déjà un peu d’autonomie que je conquière vis-à-vis de la famille, et je pars en Russie en 1957 au festival mondial de la jeunesse et la je rencontre Charlot Dusnasion qui est un militant ouvrier, un jeune militant ouvrier de la CGT… qui vient de mourir il y a…
 
RG : Oui
 
TG : Je pars là, tout à l’heure voir sa femme a Nantes. Donc on est resté amis jusqu'à, dernier jour de sa vie, et qui sera pour moi celui qui m’a tout appris, et qui me fait rentrer très vite, donc dès 57 dans, 58 puisqu’à partir de 58 on militera ensemble jusque, 58 jusqu'à sa mort d’il y a quelques semaines, enfin décembre dernier. Et là il y a un réseau considérable qui est le réseau dans lequel j’ai construit ma vie politique  et militante, qui s’appelle les CLAJ, les Clubs de Loisirs et d’Actions de la Jeunesse, je ne sais pas si vous avez entendu parler de ça   
 
RG : Oui
 
TG : Enfin a l’époque ca s’appelle Jeunesse Camping, et qui va être le creuset de ma vie militante, intellectuelle auprès du mouvement ouvrier. C’est bon voilà, si je n’avais pas rencontré Charlot je ne sais pas ce que je serais devenu 
 
RG : est-ce vous...comment s’écrit son nom de famille ?
 
TG : Dusnasion, DUSNASIO
 
RG : D'accord
 
TG : Ce qui fait que dans toute ma vie politique, j’ai était considéré comme un ouvriériste par certains. Ce me fait aujourd'hui beaucoup rire mais enfin, à l’époque et dans toute ma vie beaucoup moins. Puisque j’ai toujours milité avec - bien que intellectuel - j’ai toujours milité avec des jeunes ouvriers d’abord, et pis avec des ouvriers quand il grandissait comme moi. Et je suis resté très, très proche de ce noyau d’équipe qui est une histoire très, très passionnante de militants d’extrême gauche. Et c’est une histoire qui se puise dans la Résistance qui est l’histoire du, des, des cathos qui sont entrés dans les FTP, des prêtres ouvriers, de…
 
RG : Ah oui d'accord
 
TG : de l’extrême gauche, de l’Action Catholique Ouvrière, les CLAJ étant issus de cette trame, mais laïque, après s’étant laïcisés largement
 
RG : Catholique, c’est un peu comme le CFDT ou ?
 
TG : Non, non, non beaucoup plus à gauche
 
RG : Beaucoup plus à gauche, d'accord    
 
TG : Oui, oui beaucoup plus, enfin beaucoup plus à gauche, y compris sur le plan théologique. C’est, c’est  les prêtres ouvriers, c’est…la théologie de la libération disons en France, mais ce sont des militants qui étaient inscrits, enfin qui étaient des militants ouvriers dans, dans les entreprises, et donc...Mais ça c’est une autre histoire, enfin c’est a la fois mon histoire mais
 
RG : Non, non parce que j’essaie de vous repérez un peu parce que, vous n’êtes pas passé par l’Union des Etudiants Communistes ?
 
TG : Si, si après, après, après mon retour, en revenant d’Algérie, mais c’est beaucoup plus tard pour moi. Je suis déjà formé autrement, je me suis formé autrement qu’à l’UEC, comme d’autres
 
RG : Oui d'accord
 
TG : Ceux qui ont été formés par la guerre d’Algérie, ils ont pu aller à l’UEC mais ils y étaient au départ, dans un deuxième temps. Mais dans un premier temps leur formation, même si Krivine était aux  Jeunesses Communistes, ce n’est pas dans les  Jeunesses Communistes qu’il a appris à mon avis, qu’il est devenu un leader de masse, c’est dans la lutte lycéenne, puis la création du Front Universitaire Antifasciste, puis, enfin ça c’est son histoire c’est pas la mienne
 
RG : Oui
 
TG : Mais enfin il y a eu pas mal d’entre nous de cette époque qui ne se sont pas formé à l’action politique  de masse ou à l’action politique ben, dans les, dans la trame, j’allais dire, de la direction du Parti sur les masses, ben à l’inverse dans la mobilisation d’un certain de nombre de jeunes à la base
 
RG : Oui, oui
 
TG : du bas vers le haut et pas du haut vers le bas, pour aller vite 
 
RG : D'accord, il y a des gens comme Senik qui était dans l’UEC qui raconte qu’ils étaient contre l’appareil du Parti
 
TG : bien sûr
 
RG : étaient contre le Parti etc.
 
TG : Mais lui…
 
RG : tout  en étant communiste
 
TG : Bien sûr parce qu’eux, eux ils étaient déjà dans l’Union
 
RG : Oui
 
TG : Oui, pour ceux qui n’y étaient pas soit les jeunes chrétiens, soit les jeunes comme moi et bien d’autres, ce n’est pas dans l’appareil du Parti, c’est dans la... parce que, ceux qui ont été formés dans ce qu’on a appelé les réseaux, après les réseaux porteurs de valises, j’en ai pas été, le, toute une, je ne sais pas comment vous dire, tout un réseau de différentes méthodes de travail pour la paix en Algérie
 
RG : Oui
 
TG : Ça a été le cas dans les CLAJ bien entendu, les CLAJ ont été très, très, très engagés dans la lutte et la solidarité au peuple Algériens. Il y avait des camarades à la CGT pareils, il y avait des camarades a la CFTC pareil, qui avaient, la CFTC de l’époque, qui n’attendaient pas du Parti Communiste la moindre consigne pour s’engager dans les luttes
 
RG : D'accord, d'accord
 
TG : C’est comme si vous me disiez, alors on n’a pas attendu les FTP pour certains, et enfin ou le Parti Communiste pour que certains rentrent dans la Résistance, il y a eu, d’ailleurs le mouvement clandestin, je ne sais pas si vous avez eu Hurst, Jean-Louis Hurst, vous ne l’avez pas rencontré ?  
 
RG : Non
 
TG : Enfin le grand mouvement de la jeunesse clandestine c’est, c’est, s’appelle Jeune Résistance
 
RG : Oui
 
TG : et Jeune  Résistance, euh, et, évidemment ca ne rassemble pas des dizaines de milliers de gens, bien loin de là
 
RG : non
 
TG : quelques petites centaines, encore que j’en sache rien parce que moi je n’ai jamais été dans Jeune Résistance, en tout cas. Enfin j’ai été très, très ami en Algérie avec Jean-Louis Hurst et d’autres - il y en a maintenant qui sont morts donc c’est plus difficile de les retrouver – mais enfin ca été mes camarades pendant suffisamment longtemps, et ces jeunes n’ont jamais attendu le Parti Communiste pour s’organiser
 
RG : D'accord
 
TG : et pour apprendre, apprendre et…
 
RG : D'accord
 
TG : et quand après on a rejoint plus ou moins le Parti Communiste à tel ou tel moment. Moi je suis rentré d’Algérie en 65, début 65, et je suis rentré non pas directement a l’UEC. Mais aussi bon il y a toute l’histoire de notre présence en Algérie…
 
RG : Ou’est-ce que vous avez fait en Algérie ?
 
TG : Comme les autres pieds rouges, on appelait ça les pieds rouges, on est parti, la aussi, une petite, petite cohorte de quelques centaines, quelques centaines - quand je dis c’est cent, deux cents, trois cents, je ne sais pas, j’ai du mal, il y a, les bouquins, il n’y a pas de bouquins sur les pieds rouges, je ne crois pas, il n’y a pas de, mais enfin c’est la suite logique. Moi c’est un peu le hasard puisque je suis parti pour trois jours en Algérie a porter des médicaments et puis finalement je suis resté trois ans à peu près, enfin deux ans et demi, trois ans, euh comme d’autres, et là aussi il y a eu de l’éducation politique. C’est là qu’on a rencontré, moi j’ai eu de la chance de rencontrer Che Guevara. Je suis parti à Cuba avec Che, qui nous ramène. Enfin bon, il y a toute histoire, la, l’autogestion industrielle, l’autogestion agricole, la prise de responsabilité dans le début de la guerre de l’indépendance algérienne qui fait que nous sommes des jeunes instruits, des jeunes enthousiastes. On est venu là dans le cadre de, de, et on a pleins de copains Algériens qui, qui
 
RG : Oui
 
TG : Donc on vit dans un enthousiasme, il y a Cuba, il y a l’Algérie, c’est, on est passé, on a pensé en tout cas, moi je remercie le ciel pour ça, j’ai eu trois ou quatre ans ou je, y compris une partie de 68, ou on a pensé  qu’on pouvait faire la révolution, et donc on a été très heureux. Moi j’ai, j’ai vécu…
 
RG : Parce qu’a ce moment-la la révolution devait partir de l’Algérie ?
 
TG : Non, non là c’est…
 
RG : l’Algérie devait faire une révolution …
 
TG : Non, non, non je ne vous parle pas...je ne fait pas de la rationalisation, vous me demandez je vous dis, mais les sentiments, je vous dis, nous avons vécu le bonheur
 
RG : Oui
 
TG : le bonheur incroyable, comme peut-être certains des militants en 1945 à la Libération, comme les Algériens qui ont vécu juillet en 62. On a vécu, on a eu la chance quelques uns, quelques centaines de privilégiés, jeunes qui avions milité pour la paix en Algérie, un : de voir qu’il y avait eu la paix en Algérie
 
RG : Oui
 
TG : qu’il y avait une révolution qui se disait socialiste, laïque au départ, qui accueillait tous les révolutionnaires du monde entier, l’Afrique du Sud, Cuba, tout, qui était la fraternité. J’ai organisé les camps, des camps internationaux de la jeunesse ou tout ces jeunes de 68 se sont retrouvés, le camp de Sidi xxx comme on en parlait à l’époque, donc c’est moi qui en avait pris la, l’initiative et la responsabilité, et là on retrouvera tout les jeunes qui on fait 68, enfin tous les cadres
 
RG : D'accord
 
TG : ils y sont passés, les Italiens, les Allemands, les, euh les, puisque c’était un camp international, ceux qu’on retrouvera dans l’Lotta Continua, ceux qu’on retrouvera dans les étudiants allemands…
 
RG : Ah bon d'accord
 
TG : il y a un lieu comme ça l’Algérie dans lequel à un moment donné, c’est plus proche que Cuba, et on espère que de là, la fraternité entre les peuples se fera. Mais il n’y a pas dans, dans...pourquoi c’était tellement heureux et que ça parait tellement lointain, c’est que, on ne dit pas ‘t’es musulman’, on ne dit pas ‘t’es catho’, on ne dit pas ‘t’es juif’. Il y a des jeunes Israéliens qui peuvent rencontrer de partout, il y a à l’époque un militant Algérien qui est le petit fils de l’émirat Abdel Kader, qui était, qui est dans le FLN, et qui est pro-Sioniste
 
RG : D'accord
 
TG : c’est un mouvement universel, magnifique, fraternel et tout dans lequel on est heureux, les hommes, les femmes, le bonheur, l’amour tout ça, ça existe, un grand, grand, grand moment, et où tout le monde est là. Après, après le coup d’Etat de Boumedienne, les choses changent, et bon, moi je suis rentré avant le coup d’Etat de Boumedienne ben pour des raisons à la fois personnelles mais aussi parce qu’il y a un peu de politique, les Algériens commencent a se méfier de nous, non pas...enfin moi par exemple mes camarades me demandent de prendre la nationalité algérienne et je ne veux pas
 
RG : Oui d'accord
 
TG : je dis je ne suis pas algérien je suis...Il y a un début de, de, d’islamisation, un début de, de condition dans lequel la religion commence à prendre un pas sur l’internationalisme, le nationalisme. Ben il y a les cadres algériens, enfin….
 
RG : qui commence en mystique qui finit en politique c’est ça ?
 
TG : oui c'est-à-dire qu’il y a un moment de l’internationalisme et de la fraternité qui va jouer y compris avec les Cubains, et puis il y a un moment dans lequel le nationalisme arabe devient le nationalisme islamique en montant, enfin ça ne se fait pas du jour au lendemain, c’est
 
RG : d'accord
 
TG : a l’époque, Alger, les gens, les militants ils vont dans les cafés, ils boivent, il y a des artistes extraordinaires, Isi Aquem, Senak, enfin bon il y a, c’est une grande, grande ville, c’est magnifique, Alger 62-63-64 c’est sublime. Et puis voilà, il y a plein de gens qui s’y rencontrent comme on devait se rencontrer quelque part, pas de la même façon, à Moscou dans les années 20
 
RG : Oui
 
TG : c’est plus les mêmes, c’est des jeunes, etc. Et puis il y a l’Afrique du Sud, on commence la solidarité a l’Afrique du Sud. Il y a la solidarité au peuple de l’Angola etc., il y a tout un, l’Angola, il y a tout ça, il y a...Et puis, et puis c’est, les jeunes qui viennent en Algérie de toute l’Europe se sentent pas, ne regardent pas dernière leur dos pour voir qu’il y a un barbu, il n’y a pas de barbu 
 
RG : D'accord
 
TG : C’est, c’est, ce sont des camarades les Algériens
 
RG : D'accord
 
TG : et…
 
RG : Et donc là vous êtes rentré en France, vous avez…
 
TG : et là, après, enfin après différentes petites choses et heurts avec le PC, je rentre a l’UEC. Donc je rentre déjà dans l’opposition, je rentre dans l’opposition, quand je rentre a l’UEC je suis déjà oppositionnel au Parti Communiste, c'est-a-dire je rejoins le Parti Communiste en étant déjà oppositionnel, en gros
 
RG : Oui
 
TG : parce que porteur des valeurs...Mais alors la le Parti Communiste  est un petit peu dans l’hésitation, il est plus dans l’hésitation que….on doit, normalement il doit y avoir le festival de la jeunesse en Algérie, c’est prévu
 
RG : Oui
 
TG : ça a été prévu avant le coup d’Etat de Boudienne, et quand je rentre, les jeunes du FLN avec lesquels j’ai beaucoup travaillé, la jeunesse FLN qui est largement noyauté  par le Parti Communiste Algérien - enfin bon noyauté, je n’aime pas le terme
 
RG : Non
 
TG : parce que ce n’est pas le cas, non ça pourrait l’être
 
RG : Oui
 
TG : mais c’est pas ça, ça ne s’est pas passé comme ça. Il y a beaucoup de jeunes du FLN, de la jeunesse FLN qui ont rejoint le Parti Communiste Algérien. C’est pas tout a fait la même chose, ce n’est pas le Parti Communiste  Français, le Parti Communiste Algérien à l’époque. Et donc des jeunes cadres qui avaient fait la guerre, FLN et tout ça, et qui n’avaient pas de formation communiste, et d’autres jeunes communistes qui avait été emprisonnés - je pense a Bouelem Makouf et d’autres - ben font une sorte de fusion la et puis, puis la jeunesse algérienne, la JFLN est très influencée par le Parti Communiste Algérien
 
RG : D'accord 
 
TG : et moi je travaille avec eux, voilà, avec cette jeunesse radicale. Et donc quand je rentre en France, je suis chargé par eux d’être l’organisateur, technique tout ça. Puisque c’est d’ailleurs mon premier métier puisque j’avais travaillé dans le tourisme populaire, et en Algérie je m’étais un peu occupé du tourisme populaire. J’étais secrétaire général du, de, j’ai fondé, enfin quelque part, l’ONAT, l’Office National Algérien du Tourisme
 
RG : Oui
 
TG : et donc, ils me demandent de les aider en France, à être un peu l’organisateur, avec la jeunesse communiste, enfin un organisme technique de la Jeunesse Communiste de France, qui s’appelle - puisque ça n’existe plus - qui s’appelait comment, Loisirs et Vacances de la Jeunesse, LVJ, et d’organiser, d’organiser matériellement, les déplacements, la logistique pour amener tous les gens du monde entier qui vont se retrouver en Algérie. Et le festival sera annulé du fait que coup d’Etat
 
RG : Ah oui d'accord
 
TG : mais normalement ca devait être en aout 65, et ben il n’y aura pas de festival de la jeunesse du fait du coup d’Etat
 
RG : D'accord
 
TG : et l’arrestation des communistes en Algérie est de, du début de l’oppression qui va se mettre en place contre les partis politiques d’extrême gauche dont évidemment le Parti Communiste Algérien, interdiction d’Alger Républicain, enfin tout ça, faisait partie de l’histoire, donc moi simplement ce que je veux vous dire, ca c’est antérieure pour moi à mon travail à l’UEC 
 
RG : d'accord
 
TG : et quand j’arrive a l’UEC, je suis déjà porteur d’une image dans mon secteur de Guevariste, c’est nous qui traduisons les textes, alors ça, ça pose beaucoup de problèmes avec le Parti, on fait la traduction des textes du discours d’Alger de Guevara, donc c’est un discours de rupture avec le Parti Communiste, avec les Soviétiques plutôt, et ça fera...Si vous voulez quand on parle du UJC(ml), le UJC(ml), a été la fusion entre un collectif Guevaro/anti-impérialiste machin, et ce qu’on a appeler le cercle d’Ulm - mais enfin bon, certains disent les Ulmards, mais on dit ça aujourd'hui, on ne disait pas tout a fait ça à l’époque, et le cercle de l’UEC, enfin les althussériens comme on disait - et l’UJC(ml) s’est créé comme ça , c'est-a-dire d’une part un collectif issu de disons de la pratique théorique althussérienne
 
RG : Oui
 
TG : et un collectif plutôt issu de la pratique militante puisqu’on est huit au départ, sept ou huit je ne sais plus, pour fonder l’UJC (ml), qu’on appelle pas d’abord l’UJC(ml) mais le Centre, son premier mot, son premier terme, ca sera le Centre. Et  le Centre au début ne travaille qu’avec l’UEC pour essayer de constituer un collectif plus large, deviendra dans un deuxième temps l’UJC(ml)
 
RG : Donc est-ce qu’il y avait une tension entre les gens comme vous qui avait une pratique militante en Algérie et ailleurs, et les intellectuels de la rue d’Ulm
 
TG : Bien sûr, bien sûr, mais une tension positive pas une tension négative
 
RG : D'accord
 
TG : tension, la tension il faut voir comment ce qu’on appelle tension, une tension tout à fait créative, pff, de nous qui manquions cruellement de formation, moi en particulier
 
RG : marxiste ?
 
TG : Je dirais de formation, même pas marxiste, de formation intellectuelle
 
RG : Ah bon                                                                                        
 
TG : Bon je veux dire, ce n’est pas parce qu’on a lu Franz Fanon que...nos lectures étaient des lectures très, comment dire, on...- je ne sais pas comment vous dire - nos lectures de l’époque était liées a notre engagement politique
 
RG : Oui
 
TG : de façon, mais avec une vision très instrumentale de ces lectures, très instrumentale, pas, ma rencontre avec Robert Linhart par exemple qui est très importante puisqu’elle s’est faite en Algérie
 
RG : Ah oui
 
TG : puisqu’ils ont tous été, ils sont tous venus en Algérie
 
RG : Alors ça je ne savais pas
 
TG : ah si, Feruge, Lerouscan en particulier, Krivine, Weber  tout ça. Tout ce monde là est venu, les Italiens qui ont fait ensuite d’autres choses, ce qui m’a...J’ai rencontré Robert en Algérie, ce qui m’a tout de suite passionné. Alors moi je travaillais effectivement non seulement dans la jeunesse comme militant mais mon boulot était plutôt la formation des responsables de, de la gestion des entreprises industrielles autogérées
 
RG : Oui
 
TG : avec d’autres, pas moi qui faisais ça, j’étais un jeune, avec d’autres, enfin on était dans un institut…les conditions dans lesquelles, je ne sais plus ce que je vous disais j’ai un trou…
 
RG : Votre rencontre avec Linhart
 
TG : Ah oui avec Linhart, quand on a décidé...Alors ça c’était dans ma pratique militante de dire, ‘bon on va faire ce camp’, ce camp de la JFLN, avec cet objectif un peu de si on est capable de ça. On pourra faire le festival mondial de la jeunesse, une sorte de préparation d’un camp international
 
RG : Oui
 
TG : de la jeunesse européenne, ou sont venus des jeunes d’Egypte, de Syrie, des jeunes d’Amérique Latine, des jeunes de partout, enfin bon, des jeunes d’Afrique du Sud, mais qui était plus petit. C’est un truc ou l’on a pris une installation, qui est à dire une installation de l’armée française et on en a, un camp de parachutistes, qu’on a transformé en camp de jeunes, avec la logistique qui était la nôtre, qui était d’ailleurs assez faible à l’époque. Et on a réussit ce camp, tous ceux qui y ont été ont trouvé que ca avait été un truc très bien. Et Robert lui quand il est venu pour ce truc-là, au lieu de rester la, il a été dans les campagnes et il a commencé un travail d’étude. Donc on trouve la déjà ce qu’on retrouvera dans notre maoïsme commun, à lui et à moi et à quelques autres, qui était la phrase de Marx ‘analyse concrète de la situation concrète’
 
RG : Oui
 
TG : C'est-à-dire le marxisme c’est à la fois, le marxisme - le nôtre en tout cas et puis ça n’a pas changé pour ce qui me concerne, encore que je ne sache plus, je ne sais pas si je suis marxiste mais, c’est qu’on ne fait pas de, on ne fait pas de la politique  comme ça, on va sur le terrain, on étudie, on fait des enquêtes, puis on malaxe tout ça, ‘prendre les idées aux masses, les systématiser et les retourner aux masses’, dira Mao C’est un peu ça qui avait dans Marx, ‘analyse concrète de la situation concrète’, pas raconter n’importe quoi, aller sur le terrain, faire l’enquête de façon scientifique, qu’est-ce que ca veut dire, quelle est la méthode de l’enquête, l’analyse objective des faits, pas l’analyse idéologique, la situation réelle
 
RG : D'accord
 
TG : et c’est ce que fera Robert Linhart, et c’est là-dessus qu’on est devenu, alors il a habité chez moi, on est devenu camarades
 
RG : D'accord
 
TG : plus que ça, camarades et amis. Mais, et c’est le seul de tous ces jeunes, et c’est pour ça probablement qu’on est devenu des frères à ce moment-là, que j’ai retrouvé dans cette volonté de, de travailler sur le terrain. Et simplement ils avaient eux les Ulmards - puisqu’on parle de ça, des tensions - ils avaient une pratique théorique, c'est-à-dire un travail sur les textes de Marx autour d’Althusser, de la réflexion philosophique. Mais ils n’avaient pas, pour la plupart sauf Robert, cette capacité d’aller sur le terrain, bon, et donc la tension c’est ça
 
RG : D'accord
 
TG : C’est… nous, enfin nous, moi, je parle pour moi -  d’autres étaient peut-être  plus cultivés, moi qui étais vraiment  nul - enfin qui avait une formation économique, enfin, en tout cas une vision certainement de la lecture et  de l’étude très insuffisante, quand on parle de ça oui il y avait ceux qui voulaient être vraiment dans la pratique militante, l’action, que l’action c’est tout à fait important, qu’on ne peut pas rester simplement à étudier, qu’il faut sortir de l’université, qu’il faut aller voir les gens
 
RG : Oui
 
TG : en rapport avec les CLAJ, avec les études des CLAJ, avec le travail que nous avons fait, avec les jeunes ouvriers, avec ceci avec cela, enfin bon, toutes sortes de capacité de sortir. Donc une tension positive que je pense a donné tout son crédit à l’UJC(ml)  qui à partir du moment ou nous, ce collectif et eux se sont fusionnés, eux sont devenu beaucoup plus militants
 
RG : Oui
 
TG : ils ont commencé à mettre la main à la patte, et nous on a commencé à se dire. ‘mais attend on est nul, faut aller sur le terrain, faire des enquêtes etc.’. D’où le travail d’enquête de l’UJC(ml), ‘qui n’a pas fait l’enquête n’a pas le droit à la parole’, aller dans les usines, travailler sur l’immigration, enfin tout ce travail sociologique considérable qui n’existait pas a l’époque
 
RG : Oui
 
TG : sur l’immigration, le rôle de l’immigration, la jeunesse, les couches des catégories sociales nouvelles, qu’est-ce qui se passait vraiment dans la réalité. Mais tout ca vue d’une façon plus, au départ plus...en tout cas pas les lectures idéologiques que j’avais eu auparavant, c'est-a-dire tiens il y a un bouquin de, de, je prends Fanon parce que ca été très important dans notre vie, Fanon ben voila c’est utile pour la lutte
 
RG : Oui
 
TG : et je n’avais pas été vérifier moi-même ou faire participer à ce qu’après on a appelé les enquêtes d’actions, c'est-a-dire a la fois faire l’enquête, voir les gens, essayer en même temps qu’on fait l’enquête de les organiser, de se poser avec eux les problèmes, de vivre avec eux, de partager leur vie, enfin toute sorte de choses qui ont fait que l’UJC(ml) est devenu, a eu une autre image que les Ulmards
 
RG : Oui
 
TG : l’UJC(ml) si ça a marché, c’est que elle était aussi les mains dans le cambouis, ce n’est pas que les cahiers marxiste-léniniste
 
RG : d'accord                                               
 
TG : c’est les manifs de solidarité, hein c’est tout ce qu’on a fait, le 21 février, l’UJCML est à la source de cette restitution du 21 février, la journée internationale que le Parti Communiste  avait abandonné, qui était la journée anti-impérialiste, et l’anniversaire de la mort de Manouchian. Donc on retrouve notre patriotisme
 
RG : Ah oui
 
TG : à la fois Manouchian, la lutte des immigrés en France pour leur libération, et la libération de la France, pas rien comme image, donc le, là on retrouvera Pierre Goldman, on retrouvera bien d’autres, à savoir bon les immigrés en France. Ce n’est pas simplement des gens qu’on cache, c’est des gens qui ont été à la pointe de la lutte patriotique et des FTP, donc eux, ça joue un rôle - les journées anti-impérialistes, les comités Vietnam de base, le comité de soutien au lutte du peuple. Non l’UJC(ml) ce n’est pas ce qu’on, l’image qu’on veut en donner aujourd'hui, d’une vision purement théorique, des gens qui sont des althussériens. Sinon la jeunesse ne nous aurait jamais suivit et l’influence de l’UJC(ml) n’aurait pas été aussi puissante
 
RG : D'accord
 
TG : que ce qu’elle a été
 
RG : Quand vous dites ‘nous’, les gens qui sont venus avec vous, qui n’étaient pas rue d’Ulm, vous pensez à qui ?
 
TG : Je pense, il y en a mais, je pense à Gérard Dahan et à sa femme, Annie Dahan. Gérard est malheureusement mort, qui était la Faculté de Science, euh un garçon absolument extraordinaire, et Annie qui est elle toujours vivante des scientifiques. Il y avait - mais là je n’ai plus de - un jeune qui s’appelait, il y avait Emane, il y avait, enfin bon, je n’ai pas trop envie parce que, de vous donner des noms la parce que, attendez je vous dis ça à vous
 
RG : Non c’est plutôt pour la transcription
 
TG : Ne donnez pas ces noms parce que, il y a pleins de gens, je vais vous dire ce qui m’interpelle beaucoup c’est que, il y en a plein qui ont fait des choses
 
RG : Oui
 
TG : très importantes, très généreuses, très etc., dont on n’entend plus parler
 
RG : Oui
 
TG : il y en a que je rencontre dans la vie militante toujours
 
RG : Oui
 
TG : Donc là ils parlent pour eux-mêmes, mais il y en a qui ont fait des carrières particulières, intellectuelles parfois, extraordinaires pour certains, mais qui ne revendique plus du tout leur passé, ça leur appartient, ça ne m’appartient pas 
 
RG : D’accord, d'accord
 
TG : c’est, ce qu’on peur dire c’est qu’au sein de l’UEC progressivement, différents secteurs de l’UEC se sont agrégés parce que quelque part, d’abord le secteur droit, c’est celui ou j’étais, d’abord le secteur droit puisque c’est les premiers qui ont fait l’UJC(ml) c’était secteur droit, là il y en avait trois dont moi
 
RG : Oui
 
TG : trois ou quatre je ne sais plus, trois ou quatre, quatre si je me rappelle bien, je ne me rappelle plus s’ils y étaient au tout début. C’est pour ça que je ne sais pas si on était sept ou huit, enfin quatre du secteur droit, quatre d’Ulm, dont sur les trois d’Ulm, trois sont morts désormais, enfin morts, deux sont morts, un est intellectuellement mort c’est Robert Linhart
 
RG : Oui
 
TG : vraiment malheureusement, intellectuellement puisqu’il est toujours vivant. Deux autres donc, deux  autres sont morts. Il y en a qu’un qui survit et je ne sais pas ce qu’il est devenu pour vous dire la vérité, et puis ça ne m’intéresse pas tellement…donc bon ces gens, quand on dit après. Oui pour ça il suffit  de regarder les journaux pour le voir, oui progressivement le secteur science, les beaux-arts, des groupes de lycéens importants qui étaient des khagneux, enfin des gens de l’hypokhâgne ou en khâgne, donc des étudiants en lettres, étudiants en histoire aussi, face à Krivine. Donc le... il y a eu un développement qui a fait qu’entendions que après je me retrouve avec tous ces gens-la, et certains entreront à la direction de l’UJC(ml)
 
RG : D'accord, d'accord
 
TG : et deviendront à la fois, bon la après il faut voir l’empreinte très, très, très forte qu’avait Robert Linhart sur tout le monde
 
RG : Oui
 
TG : un peu, avec un peu une différence entre nous deux, c’est que moi je l’avais connu avant, donc on était un peu dans des rapports de fraternité un peu différents
 
RG : Vous l’avez rencontré en quelle année en Algérie ?
 
TG : Robert, bien avant que ce créer l’UJC(ml) puisqu’il
 
RG : Oui
 
TG : est venu en Algérie en 64 le camp de Sidi c’est en 64, je ne sais plus si c’est 64 ou 63, je ne me rappelle plus, non c’est sûrement 64, je ne sais plus, je ne sais plus si c’est 63 ou 64 l’année, j’ai du mal à me repérer
 
RG : Bon c’est par là …et puis est-ce qu’on peut revenir à  68, parce que ça s’est un peu mal passé pour l’UJC(ml) c’est ca ?
 
TG : Ben…
 
RG : C’est ce qu’on dit  
 
TG : C’est ce qu’on dit oui
 
RG : Vous êtes d'accord ?
 
TG : Je ne sais plus, non je ne sais plus parce que, parce que….non je ne sais plus si je suis d'accord, je l’ai été, j’ai pensé que ça c’était mal passé mais, on fait toujours l’histoire a partir du présent, l’histoire du présent des années 69, 70 n’est pas celle que je préfère aujourd'hui donc comme d’autres j’ai pensé qu’on s’était planté en 68, je ne suis plus tellement sure qu’on se soit planté
 
RG: Ah, planté comment?
 
TG : Ben c’est compliqué, c’est compliqué, au sens, si on regard les résultats, l’histoire par ces résultats….Le mouvement étudiant de 68 n’a pas laissé…de cadres politiques  susceptibles d’éclairer la route… Le seul qui surnage puisque Robert ne malheureusement - qui aurait sûrement pu donner un immense dirigeant, proche des gens par cette pratique là de, d’aller voir, d’aller mettre le nez là ou il faut, d’écouter - le seul qui surnage c’est Daniel Cohn-Bendit, dont je ne partage pas les objectifs mais qui conserve cette fraîcheur, cette capacité d’analyse, du présent
 
RG : Oui
 
TG : et de tracer des, des...Après on n’est pas d'accord, enfin, mais j’ai un immense respect pour lui à cause de ça. D’abord parce qu’il a dit des choses après 68 qui restent essentielles et qu’on ne dit pas. Il dit qu’il est le seul d’ailleurs à peu près à dire publiquement et que quand, on ne peut pas comparer, on ne peux pas regarder ce qui est difficile pour l’historien du coup, mais il dit avec juste titre, il a écrit qu’ entre les écrits donc du 22 mars, les nôtres encore pire, du l’UJC(ml) et nos pratiques, il y a une béance incroyable…C'est-a-dire que nos écrits sont staliniens, néo-staliniens, léninistes, imbitables aujourd'hui. On ne peux pas, imaginer la langue de bois qu’on a utilisé, donc ça, j’en ai pas honte mais bon, quand je vois comment on a écrit les choses, la pauvreté de notre langage, la sémantique, l’absence de poésie, le calque des partis communistes, une horreur
 
RG : Vous étiez des sérieux, des gens sérieux
 
TG : Non, non…
 
RG : Vous n’étiez pas impliqué dans la libération sexuelle ?
 
TG : Attendez, ça c’est vous qui dites ca
 
RG : Non mais c’est une question, c’est tout est question, non mais…
 
TG : La question n’est pas, parce que ça c’est, c’est recaler, je vous dis simplement, je reprends ce que dit Cohn-Bendit
 
RG : Oui
 
TG : Je le prends à mon compte aussi, entre cette pauvreté et la richesse des rapports qui existaient entre nous
 
RG : Oui
 
TG : il y a une béance incroyable, et nos initiatives, et l’enthousiasme et la manière dont on a mené un certain nombre de choses incroyables. Alors en sachant que 68 pour nous ça commence en 66, et pour nous ça va jusqu’en 75, ce n’est pas
 
RG : Oui
 
TG : Mai 68 c’est, ça ne veut rien dire
 
RG : non, je suis d'accord
 
TG : donc ça commence bien avant et ça se poursuit assez longtemps, au plus tard 75, plus probablement 73. Mais enfin il y a encore des marques, toute l’histoire des Lip et bien d’autres choses qui se sont passés après mettent en évidence le fait que le mouvement n’était pas mort. Mais enfin à partir d’un certain moment c’est mort et enterré
 
RG : Mais est-ce que pour vous…
 
TG : mais la richesse ça c’est...Alors après quand on dit, je prends par exemple, je sais la certitude, je suis, je mets ma tête à couper quand on a constitué l’UJC(ml), nous étions antistaliniens
 
RG : oui
 
TG : complément, les huit, les huit là qui était là étaient contre Staline, on était bon, après on a revêtu, euh par opportunisme, alors c’est là ou, pour avoir la, comment dire, pour avoir l’onction du Parti Communiste  Chinois….
 
RG : Mais le Parti Communiste  Chinois n’était pas stalinien, non ?
 
TG : Mais il avait la photo de Staline
 
RG : Oui
 
TG : C’est, c’est tout compliqué dans le...Nous, nous avions vécu la Révolution Culturelle comme une révolution antistalinien
 
RG : Oui
 
TG : et on a cru ce que dit les...on a cru ce que disait les Chinois, c'est- à-dire que, entre ce qu’on nous dit, c’est pour ça que le langage de nos publications par rapport à  notre vécu n’a rien à voir hein ? Quand on faisait nos formations, on reprenait les textes de, de la Révolution Culturelle en disant la Révolution Culturelle elle est héritière de la Commune de Paris
 
RG : Oui
 
TG : à l’assaut du ciel. C’était le romantisme le plus total, ‘feu contre le quartier général’, ‘feu contre l’appareil du Parti’, on a tout utilisé contre le Parti Communiste  Français comme structure de pression
 
RG : Oui
 
TG : Bon ça c’est le début, mais ensuite il y a les Albanais, les Chinois eux-mêmes ils ont une politique opportuniste - enfin opportuniste ils ont leur politique - et puis on découvrira ensuite que c’est une politique interne, une clique du Parti contre une autre clique du Parti, mais ça on était incapable de la voir au début de la Révolution Culturelle
 
RG : Bien sûr  
 
TG : Moi j’avais été en Chine avant la Révolution Culturelle
 
RG : Ah bon
 
TG : j’étais en soixante...en quelle année j’étais en Chine ? je ne sais plus…dans un collectif un peu compliqué, organisé y compris avec Porchez, tout ça, parce que bon oui, si on regard tous les réseaux qu’on a constitués à cette époque, c’est très compliqué a démêler. Mais moi mon boulot c’était, avant que je parte en Algérie, je travaillais dans une agence de voyage qui s’appelait Voir et Connaître, et Voir et Connaître était une agence de voyage qui finançait en réalité le PSU et qui avait financé notre travail pendant la guerre d’Algérie aussi    
 
RG : D'accord
 
TG : ou il y avait plein d’anciens résistants du FTP et du, même des gaullistes, du BCRA, des anciens du BCRA, donc des services secrets gaullistes. C’est un truc, les gaullistes de gauche qui étaient un peu dans l’extrême gauche à Londres, qui étaient au BCRA avaient un réseau qui fonctionnait très bien
 
RG : Oui 
 
TG : ça je peux dire
 
RG : D'accord
 
TG : très, très bien, qu’ils avaient conservé, donc ils ont pris des jeunes comme nous qu’ils trouvaient bien, et ils nous ont formés dans une technique qui était le tourisme, très utile 
 
RG : Ah d'accord
 
TG : comme le communisme avait fait la même chose pendant bon...Donc vous voyez bien avec le tourisme ce qu’on peut faire, donc moi je suis rentré dans cette agence comme salarié…j’y est rien fait alors de révolutionnaire, rien du tout
 
RG : Oui
 
TG : mais on aurait pu, faut que je, on s’en servait pour des tas d’autres choses bon, peu importe. Et quand je suis parti en Algérie et que je suis resté en Algérie, c’est Jean Jacques Porchez qui a pris ma place
 
RG : D'accord
 
TG : quand je suis revenu d’Algérie, c’est lui qui a organisé techniquement notre voyage en Chine où sont venus plein de militants communistes oppositionnels sans passer par le Parti, pour rencontrer le Parti Communiste Chinois
 
RG : D'accord
 
TG : et nous avons rencontré le Parti Communiste Chinois, mais là à l’époque on n’était pas du tout maoïste, on était anti-impérialiste, enfin moi j’étais anti-impérialiste
 
RG : Oui
 
TG : ceux qui m’accompagnaient aussi, c’était guevariste etc., on voudrait comprendre qu’est-ce que c’est la rupture entre les Chinois et ...on voulait  rencontrer les Chinois au haut niveau et on les a rencontrés d’ailleurs pour qu’ils nous expliquent la rupture sino-soviétique, on ne comprenait pas en France, on n’avait pas les éléments, on ne savait pas bon, donc on était….
 
RG : Et vous étiez impressionnés ?
 
TG : Oui bien sûr, bien sûr impressionnés. On a visité des tas de choses, ils nous ont très bien accueillis, mais nous étions des jeunes communistes français - pas que des jeunes il y avait aussi des vieux - qui étions très, très, ils n’ont pas apprécié du tout les Chinois notre manière de faire, puisque ce groupe était composé de gens qui étaient  déjà critiques de l’appareil du PC. Donc ils posaient des questions y compris emmerdantes avec les Chinois                   
 
RG : D'accord
 
TG : Donc quand on s’est quitté, on ne s’est pas très bien quitté. On a eu, enfin moi j’étais responsable du collectif avec, notre dernière rencontre, mais ça c’était avant la Révolution Culturelle, ça m’a au contraire conforté dans l’idée puisqu’on s’est mal quitté, ils ne répondaient pas bien à nos questions, il y avait la même langue de bois qu’avec le PC. Il y avait des trucs très, très bien qu’ils nous disaient mais il y avait des choses qui nous plaisaient pas, on sentait que bon etc., et le collectif n’est pas parti prochinois du tout
 
RG : D'accord
 
TG : Il était en questionnement et bien critique, il était très en questionnement vis-à-vis des Russes, très en questionnement vis-à-vis des Chinois, et il était pas du tout prochinois, il est rentré enrichi
 
RG : Oui
 
TG : hein enrichi puisqu’ils nous avaient dit des choses mais pas du tout prochinois, et quand moi on a vu la, alors évidemment, ça, ça, par rapport a l’UJC(ml) bon, ça n’a pas changé grand-chose. Enfin ce qui venait puisque bon on restait un peu dans cette anti-impérialisme dans lequel le Chinois, les Chinois jouaient un rôle important et que la rupture sino-soviétique faisait sens
 
RG : Oui
 
TG : dans ce que vous dites, c'est-à-dire dans cette vision anti-impérialiste dans lequel, assez proche du stalinisme que de, du fait que viendrait des peuples du monde et de leur révolte une architecture nouvelle des rapports entre…
 
RG : oui
 
TG : bon, ça c’est vrai qu’à ce moment-là ça a joué dans notre vision des affaires, mais ensuite quand est venue la Révolution Culturelle c’était l’enthousiasme puisque justement c’était la lutte contre l’appareil 
 
RG : D’accord
 
TG : c’était la lutte pour régénérer un Parti qui s’est bureaucratisé comme le Parti soviétique, donc on y a cru
 
RG : Oui
 
TG : On y a cru beaucoup
 
TG : et surtout que, rappelez-vous que leurs premiers textes c’était vraiment en référence avec le Commune de Paris. On retrouvait pour moi tout ce qui avait de romantique dans la Commune de Paris, de patriotique, de porteur du fait que la France n’était pas un petit pays mais, au sens hein, moi j’ai toujours…
 
RG : la tradition révolutionnaire   
 
TG : tradition révolutionnaire, mais mondiale, humaniste, transversale, fraternelle, et pour xxx des Français, vraiment je veux dire, bon tout ceux qui veulent, est Français qui veut, c’était notre idée de la Commune de Paris, est Français qui veut. Dès lors que vous portez les valeurs universelles de la fraternité  et de la lutte contre l’oppression vous êtes Français, c’était ça qu’on voyait, et les Chinois nous disaient ça, la Commune de Paris ahh ça évidemment (rire de RG et TG) on était fier, il y avait de quoi, donc voila
 
RG : mais pour revenir a 68, est-ce que dans votre vision anti-impérialiste un peu ouvriériste, le mouvement d’étudiants n’était pas pour grand-chose, c’est ça que vous vouliez dire ?                
 
TG : après a l’intérieur de l’UJC(ml) il y a eu plusieurs mouvements de critique, je ne vais pas revenir sur l’histoire de l’UJC(ml), elle est dans plein de bouquins
 
RG : oui
 
TG : vous la connaissez comme moi et, mais on a fait plusieurs mouvements de critique successifs, qui ont abouti a ce qu’on a appelé la campagne d’établissement, et premier mouvement c’était qui n’a pas fait l’enquête n’a pas le droit a la parole, c'est-a-dire le fait qu’il fallait qu’on sorte de l’idéologie et que nous ne pourrions pénétrer, puisque quand même déjà l’UJC(ml) se voyait comme le Parti Communiste  nouveau
 
RG : Oui
 
TG : On était complément débile, non mais, on a pensé vraiment qu’on allait faire un nouveau Parti Communiste, pas seul, ça après aucun d’entre nous n’a pensé ça, pas assez fou que ça, m’enfin on a pensé que les petits collectifs de départ, avec ses capacités intellectuelles et très vite son influence de masse
 
RG : Oui
 
TG : Ça été quand très, très vite pour l’UJC(ml) 
 
RG : Oui
 
TG : Personne n’imagine aujourd'hui puisque tout le monde ne parle que des Trotskistes. Mais alors nous on était incroyable, les journalistes du monde qui nous tournaient autour, tout le monde voulait nous parler, tout le monde voulait nous rencontrer, tout le monde voulait nous voir. Et on était assez quand même clando, on faisait très attention, pas sortir trop et tout ça, donc on a pensé qu’avec d’autres on serait en capacité de reconstruire un nouveau Parti Communiste, révolutionnaire, d’extrême gauche bon
 
RG : oui
 
TG : Ça je pense qu’on y a cru, ça franchement on y a cru, moi en tout cas j’y ai cru, on avait en plus des cadres. Robert était un cadre exceptionnel, exceptionnel, bon je n’ai rarement rencontré de ce niveau de ma vie, de générosité, de, de, pff de fraternité, d’écoute…aussi avec beaucoup de défauts…bien entendu, mais un vrai cadre
 
RG : Oui
 
TG : un vrai cadre dirigeant…sachant unir. Donc quand on a fait tous ces mouvements, enfin je ne vais pas reparler de Robert mais, quand on a fait tous ces mouvements les uns après les autres, il y a d’abord cette volonté d’aller à l’enquête, puis il y a eu l’établissement
 
RG : Oui
 
TG : donc quel était l’objectif de l’UJC(ml), ce n’est pas l’objectif du mouvement étudiants du tout
 
RG : Non
 
TG : Vous me posez la question, l’objectif de construire un Parti Communiste  avec les ouvriers, et avec un peu une vision gramscienne qui était, alors que bon personne ne parlait de Gramsci à  l’époque, en tout cas pas dans nos rangs - c’était que, qui était complètement contre la culture du Parti Communiste français, de l’alliance des intellectuels et des ouvriers, de trouver des ouvriers philosophes. Moi j’avais le mien, Charlot Dusnasio, donc moi j’avis le mien depuis toujours donc, qui est devenu mao, enfin, alors là aussi il y a une histoire un peu compliquée, c’est que les CLAJ avaient été en Chine en 55, après la, la…
 
RG : oui d'accord
 
TG : et donc le, le mouvement, on se retrouvait aussi sur, mais avec une autre vision de, de… l’anti-impérialisme avec la guerre d’Algérie nous avait en plus rassemblé très fort avec, enfin moi avec les CLAGS et d’autres, d’autres copains qui avaient fait ça avec moi, on s’est retrouvé quand il y a eu la révolution culturelle, eux d’une certaine façon, pas la même que la notre, mais nous notre idée c’était que il fallait des ouvriers philosophes et des intellectuels ouvriers, et que donc la fusion ne pouvait passer que par l’immersion, l’immersion de nos cadres dans la classe ouvrière, d’où l’établissement
 
RG : oui
 
TG : et l à je pense que plus que l’influence des Chinois, c’était l’influence vietnamienne, le Parti Communiste  vietnamien qui avait fait des textes là-dessus sur, incroyable d’ailleurs, si on les relit
 
RG : ah oui d'accord
 
TG : dans lesquels beaucoup de cadres du Parti, du Front de Libération National, du FNL, du Front National de Libération Vietnamien et du Parti Communiste  Vietnamien
 
RG : C’était la ligne de masse, ça s’appelait 
 
TG : la ligne de masse mais c’était... déjà eux ils avaient une politique d’établissement qui était, ils envoyaient des cadres dans les campagnes, enfin là ou il y avait pas de...et on racontait, alors nous on trouvait ça génial, euh aujourd'hui je, on peut xxx la honte mais enfin, je ne sais plus un cadre qui s’était fait scier les dents pour être...puisqu’il y avait je ne sais plus chez les Maos ou je ne sais plus quelle tribu, travailler avec les Américains, bon, il y en a un qui s’était fait scier, partager la vie. Moi j’ai gardé toujours une citation du président Mao que je continue à aimer beaucoup, et que je dis toujours d’ailleurs, partout, c’est, ‘Il y a ceux qui traversent le champ et ne voit pas les roses, et il y a ceux qui arrêtent le cheval pour regarder les roses,et il y a ceux qui descendent du cheval pour sentir l’odeur des roses’
 
RG : Ah d'accord
 
TG : et nous, c’était ça notre idée, c’était sentir l’odeur des roses
 
RG : Oui
 
TG : c’était être toujours avec, et les roses pour nous c’était les travailleurs
 
RG : D'accord
 
TG : c’était la classe ouvrière, c’était le peuple, donc vivre au milieu du peuple, travailler au milieu du peuple, c’était l’essentiel
 
RG : Oui
 
TG : Donc d’où l’établissement, l’établissement dans les usines, donc pour nous, l’UJC(ml) de l’époque
 
RG : Oui
 
TG : ce qui nous intéressait c’était de construire ce qu’on appelait la CGT de lutte de classes, hein donc vous avez lu, vous verrez ça dans...vous l’avez vu, et d’où, aujourd'hui on peut le dire, notre travail dans certaines usines, l’usine numéro 1, c’est assez rigolo étant l’usine Perrier de Vergèze dans…
 
RG : Dans le Gard
 
TG : donc faisait comme les Chinois là, là ou on avait l’immolation dans une cellule communiste parmi les ouvriers, tac c’était l’usine numéro 1, l’usine numéro 2, bon avec des luttes ouvrières etc., reconstitué a partir de 1966, il y a des luttes ouvrières radicales en France donc bien avant 68, a Chausson, a Cléon, enfin dans certaines usines et dans lesquelles notre intervention n’est pas complètement vaine
 
RG : D'accord
 
TG : Nous rencontrons une adhésion de la jeunesse ouvrière qui ne se reconnait pas dans la vieille CGT
 
RG : D’accord
 
TG : et qui est déjà elle dans la révolte, une autre révolte que celle du mouvement étudiants mais une révolte de la jeunesse ouvrière
 
RG : Oui
 
TG : Et donc quand se développe mai 68, tout ce qu’on a appelé l’idéologie du complot, développé par Robert mais qui était là lui en phase de développement de la maladie Donc moi par aussi nos responsabilités vis-à-vis de lui, c'est-a-dire qu’ à part moi, il y avait très peu de gens qui s’engueulaient avec lui, moi parce que j’avais eu la chance, pas parce que j’étais plus courageux que les autres, de le connaître avant parce que ça a joué un rôle
 
RG : oui
 
TG : et puis j’étais plus âgé aussi - il y avait une question d’âge - beaucoup plus âgé, et puis, ils respectaient mon expérience quelque part. Mais enfin bon on avait des rapports un peu différents, mais vous voyez cet ..euh, merde je n’ai pas été changé mon, il faut que j’aille mettre des pièces
 
RG : Vous voulez pauser un peu ?
 
TG : Je finis ça et puis on va mettre des sous dans ma voiture  
 
RG : Oui
 
TG : Donc nous notre, au moment, à ce moment-là, cette idéologie du complot c’est, il l’incorpore dans une vision mégalomaniaque
 
RG : Oui
 
TG : mégalomaniaque, mais il l’incorpore dans l’idée, dans son idée qu’il va retrouver  une certaine audience chez nous   
 
RG : Oui
 
TG : que le mouvement est fait pour nous écarter de cette construction du parti, que c’est le petit bourgeois qui...et que nous qu’on est dans les usines, nous qu’on est le parti en construction, nous qu’on est dans ce développement du mouvement de soutien  du peuple. Faut voir ce que aussi il y avait le MNCP et La Cause du Peuple nait la, le journal La Cause du Peuple
 
RG : Oui
 
TG : ce n’est pas le journal de l’UJC(ml), c’est le journal de, du mouvement de soutien aux luttes du peuple qui fait, reprend l’acquis est Comités Vietnam de base
 
RG : D'accord
 
TG : mais le transforme dans la lutte en France. C’est les même méthodes d’organisation de masse,  le même travail etc., mais au lieu un peu, on le retrouvera dans un très bel article, le dernier je crois qu’a fait Robert Linhart dans le monde, qui s’appelle ‘Une péniche pour’, ou ‘Un bateau pour, un bateau pour’…ah l’anguille je crois, ‘Une péniche pour l’anguille par rapport à un bateau pour le Vietnam’, c’est au moment de, de j’ai oublié le titre de cet article qui était très bien, après mai 68
 
RG : Oui
 
TG : qui disait, ben attendez, il n’y a pas besoin de faire un bateau pour le Vietnam, il faut aller à la défense des sidérurgistes de l’Est
 
RG : Oui
 
TG : du bassin de la France Bon, ça doit être un bateau pour l’anguille ou un truc comme ca, une péniche pour, je ne sais plus…alors bon voilà, et ça, ça recouvrait une réalité chez nous qui était que l’ensemble des forces qui étaient en mouvement ne pouvaient pas être distraits du front que nous considérions comme essentiel, qui était l’établissement et la construction. Alors premièrement c’était une connerie quand j’ai dit mégalomaniaque, moi j’ai assisté à la dernière séance et je suis le seul à  m’être engueulé avec Robert. Il me l’a dit, il m’avait envoyé une lettre après quand il allait bien, pour me remercier de ma fraternité à son égard
 
RG : Oui
 
TG : mais parce que il y avait déjà le culte de la personnalité, comment le centralisme démocratique et sa perversité incroyable roule du bureau politique, du logis, on se croyait. Mais enfin franchement, moi j’avais été ramené à la base pour des tas de raisons, je ne vais pas rentrer dans toute l’histoire de tout ça, mais j’étais plus au bureau politique à ce moment-l à, et donc je n’étais pas encore établi, si j’étais établi, j’étais déjà établi pardon
 
RG : Oui
 
TG : j’étais établi, mais je n’étais plus au bureau politique, mais j’étais dans un rapport direct avec eux puisque pour La Cause du Peuple. Et puis j’étais un ancien dirigeant et tout le monde me pensait comme dirigeant, et moi aussi, je me pensais moi-même comme dirigeant  quelque part…Alors cette, comment dire, cette orientation liée a la mégalomanie pendant tout un temps s’est pas vu, sauf quand on voyait qu’il ne disait que des conneries. Enfin je, il y avait un coté de, d’une parole…incapable de se, de s’autocensurer, de s’autocritiquer, on avait perdu toute cette idée ‘Qui n’a pas fait l’enquête n’a pas le droit a la parole’
 
RG : Oui
 
TG : On ne réfléchissait plus au fait que c’était les jeunes ouvriers qui venaient au Quartier latin etc. Toutefois vous me dites maintenant, comment on pense, j’ai le souvenir d’immense choses qu’on a fait en mai 68, pendant mai 68, et en particulier les seules manifs de masse qu’il y a eu dans la banlieue, c’est nous qui les avons organisées 
 
RG : Oui
 
TG : J’ai le souvenir d’une manif formidable à St Denis ou l’UJC(ml) à entrainer des milliers et des milliers de gens à St Denis
 
RG : Oui
 
TG : avec drapeaux rouges et tout, avec les, dans, alors vous savez pourquoi parce que hein l’histoire du Parti Communiste français, Doriot, Renaud le social fasciste, enfin et tout ce qu’on veut. Mais des centaines et des centaines d’ouvriers qui sortaient des usines qui voyaient ces drapeaux rouges, qui voyaient etc. C’était d’une beauté, en plus on avait un rapport a l’esthétique qui était quand même pas mal, qu’on a toujours eu, qu’on retrouvera dans Vive la Révolution. Ça c’est l’apport des copains des Beaux-Arts, c’est Castro, c’est tout ça, donc un rapport au beau, qui a toujours été très fort dans l’UJ et puis ensuite dans, à Vive la Révolution, on a fait vraiment des choses que personne, aucun, aucune autre organisation n’a faite
 
RG : D'accord
 
TG : Donc vous me demandez aujourd'hui qu’est-ce qui reste, il ne reste pas beaucoup de cadres, euh pff…quand même quelque soit les, le respect profond que j’ai pour Krivine, c’est un échec, la Ligue Communiste Révolutionnaire, d’ailleurs c’est Besancenot qui la représente, je veux dire, c’est autre chose Besancenot, c’est une autre, bon
 
RG : Oui
 
TG : Alors je ne sais pas si c’est un échec Besancenot mais enfin ce n’est pas, quand on voit ce qu’ils ont pris la avec les élections présidentielles, même s’ils sont plus nombreux, c’est un petit parti de merde…Bon Castro, Vive la Révolution, il aurait aussi pu être un grand dirigeant, il en avait toutes les capacités, l’imagination etc., mais…il ne l’a pas été. Je parle des gens connus, Weber c’est vraiment qui est dans le Parti Communiste…aucun…il n’y a pas de dirigeant issu, enfin de dirigeant au sens…c’est pas le goût du dirigeant, c’est le dirigeant qui n’est pas dans le cadre du centralisme démocratique
 
RG : Oui
 
TG : des dirigeants qui sont issus du combat
 
RG : Oui d'accord
 
TG : je n’en dis pas les dirigeants formés par l’appareil
 
RG : Oui
 
TG : Pourquoi est-ce que en réalité Danny a toujours cette influence, c’est que il n’est porté par aucun appareil, il est porté par l’histoire de mai 68, même s’il a quitté cette histoire, comme son ton de critique, sa liberté de parole, sa liberté de ton
 
RG : Oui
 
TG : sa capacité de critique est, en tout cas moi ce que je pense, est restée intact
 
RG : Oui
 
TG : Il est immensément sympathique
 
RG : Oui
 
TG : par rapport à tous les appareils
 
RG : Oui d'accord
 
TG : mais qui sont les dirigeants ? Il y en a pas, actuellement en France. Il y a une seule personne qui est issue des luttes, c’est Thibaut à la CGT, personne d’autre
 
RG : Oui
 
TG : On ne peut trouver aucun des gens issus des luttes, et le mouvement de mai 68 n’a laissé aucun dirigeant issu des luttes qui ait de l’autorité sur, une autorité morale, politique  comme a pu, bon même si elle a été écrasé par le Parti Communiste, je pense à Tillon, bon qui ont... Tillon, il suffisait qu’il aille dans un coin de la France, ( ??) et faire ce qu’il voulait, il y avait tout de suite des centaines de mecs qui étaient prêts à l’accueillir, parce que l’historie des FTP est une immense histoire
 
RG : Oui, oui    
 
TG : Bon, mais ce n’est pas l’appareil qui a fait Tillon
 
RG : Non
 
TG : c’est l’action, c’est la manière dont, etc...Je parle de notre génération, mais notre génération de mai 68 n’a pas réussie à créer des cadres dirigeants capables d’être issu comme l’ont été effectivement certain nombre de dirigeants du PCF après la guerre parce qu’ils avaient, et qui n’étaient pas ceux de l’appareil justement
 
RG : Hm
 
TG : Pourquoi ils ont tous été éliminés, Tillon, Casanova, tous ceux-là, tous ceux qui finalement ont été soit dans la Guerre d’Espagne soit à la direction du FTP ont été liquidés les uns après les autres comme dirigeants naturels
 
RG : Oui
 
TG : porteurs d’une action, même, enfin bon, Lecœur. Enfin bon tous ceux qui avaient fait des choses, qui avaient été reconnus pour ce qu’ils faisaient et pas, pas pour n’importe quoi. Bon, ils ont tous été liquidés par leur appareil. Mai 68 n’a apporté finalement aucun de ces cadres qui sont capable d’être reconnus pour ce qu’ils ont fait plus que pour ce qu’ils disent
 
RG : D'accord 
 
TG : sauf quelque part je trouve Danny Cohn-Bendit, alors que ce n’est pas mes perspectives à moi, donc ca nous ramène quand vous me dites est-ce que aujourd'hui l’UJC(ml)ML elle s’est trompée, je dis oui, du fait de la mégalomanie. Mais je dis quand même qui est resté parmi les travailleurs  que nous avons contactés à l’époque, parmi leur enfants probablement. Enfin quand je dis enfants ça peut être soit des enfants biologiques, soit des enfants qui ont suivi une trace libertaire comme ça…trace libertaire puissante, qui a mon avis existe encore dans le mouvement de masse, on l’a vu un peu avec la Confédération Paysanne, avec Bové
 
RG : Oui
 
TG : pas tellement Bové comme Bové mais la Confédération Paysanne
 
RG : Oui
 
TG : comment elle a réussie à être une organisation de masse, on le voit dans certaines organisations, je pense que ben le syndicat auquel j’ai attaché ma vie après, le syndicat des avocats de France a porté et porte encore des traces libertaires, le syndicat de la magistrature sûrement, des aspects dans la médecine d’urgence. Enfin il reste des traces, il y a pas de dirigeants, mais il reste des traces organisationnelles et d’idées libertaires
 
RG : Oui
 
TG : de l’extrême gauche libertaire mais pas d’une extrême gauche stalinienne ou d’une extrême gauche organisationnelle. Mais j’allais dire il y a des endroits, il y a plein d’endroits dans lesquels les idées de mai 68 restent très présentes, bien que ça ne soit pas des leaders de 68 et des dirigeants de 68
 
RG : Oui
 
TG : C’est ça qui est con
 
RG : Oui
 
TG : Donc maintenant est-ce qu’on a bien fait d’aller vers ça ? Je dis oui, puisque c’est ça qui reste, alors dans VLR quand on a dit, puisqu’au moment de la dissolution de Vive la Révolution le mot d’ordre qu’avait proposé Castro mais je pense qu’il l’a pas lui même poussé, c’était ‘s’établir dans la ville, s’établir dans la vie’. Bon ben il y a eu beaucoup de copains qui ont fait ça
 
RG : Oui
 
TG : Je pense être et d’autres encore, beaucoup d’autres, et la manière dont ils se sont établis dans la vie fait qu’il y a des traces beaucoup plus fortes qu’on le dit
 
RG : d'accord
 
TG : et que ceux qui prétendent aujourd'hui parler parce qu’ils ont été dans les medias pendant des années et des années comme les anciens combattants de mai 68, ben c’est plus des combattants de mai 2008
 
RG : d'accord
 
TG : je pense qu’il y a encore quelques milliers de combattants de mai 2008 ou de leur enfant direct, leur enfant idéologique
 
RG : oui
 
TG : ou leur enfant politique  ou organisationnel, et j’en vois partout
 
RG : d'accord
 
TG : donc oui on s’est trompé surement, du fait même de cette mégalomanie organisationnelle dont on peut parfaitement expliquer l’histoire y compris le calage du bureau politique de l’UJC(ml) sur le Parti, les partis de tradition de centralisme démocratique. Mais, mais pour le reste je pense que quand je parle avec des jeunes de quarante ans aujourd'hui que, que j’ai connu comme ça, enfin les, je trouve qu’ayant, on a de bons héritiers
 
RG : Oui. Je peux vous posez une question sur VLR ?
 
TG : Oui mais on va aller, alors je voudrais bien peut-être  pas avoir de …
 
RG : On pause ?
 
TG : Oui on fait une pause si vous voulez         
 
RG : Oui
 
 
PART II                                    
                                                 
RG : Bon, vous avez utilisé le mot libertaire, a un certain moment et je me demande si la naissance de VLR a été quelque chose de, de beaucoup plus libertaire que
 
TG : l’UJC(ml)
 
RG : que l’UJC(ml)
 
TG : Oui forcement, je pense très vite on..Pour certains d’entre nous on s’est dit communiste libertaire oui, de toute manière toute l’expérience précédente était, avant  l’UJC(ml), de certains d’entre nous, en tout cas de moi, était une expérience militante qui s’était faite en dehors des structures
 
RG : Oui
 
TG : et dans cette capacité d’organiser par la base, que c’était pendant la guerre d’Algérie, que c’était en Algérie même d’ailleurs, autour, au début de l‘UJC(ml)
certainement, bon après la période elle est finalement assez courte dans ma vie, la période d’UJC(ml)
 
RG : Oui
 
TG : C’est PCF-UJC(ml)j’allais dire, parce que j’ai quand même adhéré au Parti aussi pendant cette période, un Pari d’ailleurs qui a l’époque bougeait, bougeait plus qu’il a fait après sous la férule de Waldeck-Rousseau, de Marchais
 
RG : Oui
 
TG : Il y avait encore des dirigeants avec lesquels on parlait. On arrivait à discuter avec Roland Leroy, d’égale à égale, pour l’UEC j’entends. Mais même dans ma cellule et dans ma section on débattait. Enfin, puis il y avait des gens, il n’y avait pas que moi m’enfin, c’est vrai quand il y a des gens qui ont un peu d’expérience politique,  ça débat, ça ne veut pas dire que c’était facile mais bon, moi ma section, ma cellule ne m’a jamais exclu malgré les demandes d’expulsions qui ont été faites après. Non  je suis parti sans être exclu, euh, non c’est oui il est clair que très, très vite...Alors après c’était mao-libertaire, c’était mao-spontex, c’était communiste libertaire, ça dépendait un peu de nos zones d’interventions parce que la manière dont Vive la Révolution est née, mais ça d’autres l’ont raconté déjà c’est dans plein de bouquins     
 
RG : Oui
 
TG : c’est les petits groupes qui... n’ont pas acceptés, au moment de la dissolution de l’UJCml, la manière dont Benny Lévy a pris la direction de, d’une partie de l’UJ qui était finalement la partie minoritaire mais il s’est appuyé sur ‘l’appareil militaire’ entre guillemets. Mais bon il y a beaucoup de guillemets, l’appareil de lutte antifasciste, anti-impérialiste, de militants qui étaient plus armés sur le plan du sport de combat disons. Ça s’est fait quand même de façon très violente cette prise de, avec beaucoup d’injures
 
RG : Prise de pouvoir  même ?
 
TG : Oui, oui tout s’est fait violemment, enfin très violemment. Aujourd'hui ça me fait rigoler quand je vois les, comment il s’appelle…le grand philosophe là qui va voir monsieur Sarkozy, comment il s’appelle, Glucksmann
 
RG : Glucksmann, oui
 
 
TG : tous ces types-la, même après ceux qui avaient pris, dans le 22 mars, Serge July et tout ça…eux ils n’étaient pas de l’histoire d’UJC(ml). Enfin tous ceux de l’UJC(ml) qui sont passé sous la férule j’allais dire de, de Benny Lévy…était violent enfin, ca été dur, douloureux, plein d’injure, plein de violence, plein de menace…menace avec des gens qu’on avait, pour certains beaucoup aimé, comme des camarades, avec lesquels ont avait milité pendant pas mal de temps, pas énorme, m’enfin   
 
RG : mais c’était une question de personnalité ou de stratégie ou d’idéologie ou de quoi ? 
 
TG : pff je ne sais pas, je n’ai, j’ai jamais eu beaucoup de sympathie pour Béni-Levy donc ca m’ait, beaucoup de sympathie c’est compliqué, c’était un très, très particulier, je vous dis ça parce que pour moi ça, le seul moment dans ma vie ou j’ai eu envie de me suicider, c’est à la suite d’une intervention de Benny Lévy    
 
RG : Ah bon
 
TG : au bureau politique  de l’UJC(ml), on a eu des engueulades très fortes sur en particulier, sur mes tendances ouvriéristes et mes rapports avec les CLAJ qui étaient considérés comme populistes….opportunistes….Et il a eu cette phrase qui m’a, qui m’a vraiment à la fois bouleversé et puis…bouleversé oui, et puis qui m’a, qui m’a fait m’interroger -ça c’est avant 68 - et qui m’a mis en, en tout cas, sur le coté ensuite et puis je me demandais ce que je faisais. Donc je me suis au contraire, comment dire, assommé par le travail militant après pour, pendant une période qui me, m’a fait que je n’étais pas vraiment dans la réflexion, c’est une phrase terrible qui dit, ‘nous autres communistes nous sommes les fonctionnaires de la pensée correcte’. Et cette phrase pour moi alors, prononcée, c’était un moment où il, Robert était présent, non il était malade, c’était le moment du passage de, Robert était rentré de, de, d’une période de maladie où il avait été - déjà avant 68 - écarté de la direction parce qu’il était malade, mais on ne savait pas ce qu’il avait vraiment. Au moment ou il est revenu Benny Lévy  l’avait remplacé sans que ça soit, c’était un remplacement provisoire et sans que les choses apparaissent comme, devant être lui le, le dirigeant. Il avait changé de pseudo je crois déjà, il s’appelait déjà Victor, Pierre Victor….et…et, donc il a eu cette phrase, c’est pas tellement ça qui m’avait terrifié, c’est le silence des autres, enfin si c’était déjà ca, la phrase pour moi elle était, la négation complète de ce que je croyais que nous étions, surement pas des ‘fonctionnaires de la pensée correcte’…et le silence des autres, parmi ceux qui sont restés ensuite, mes amis pour certains qui….qui sont venus à VLR aussi, euh, pas tous, au contraire la direction s’est cassée, et pff  ça était un coup terrible
 
RG : Oui
 
TG : Donc c’est vrai que je j’étais en réticence, bon après en mai 68, je l’ai pas mal, quand il était dans la clandestinité, je l’ai pas mal baladé, dans la clandestinité, transporté, trouvé des planques et tout, mais…bon, je ne sais pas, c’est un personnage…je n’ai jamais cru…qu’il aimait les roses…
 
RG : Ah bon
 
TG : Oui
 
RG : D'accord
 
TG : J’ai jamais pensé que sa vision, comment dire…Robert comme moi avait une passion sur l’histoire de France  
 
RG : Oui 
 
TG : sur l’histoire de notre peuple, on avait un certain nombre de, tout ça, ça nous peut-être, ça nous tenait aussi avec Pierre Goldman, on avait pour le FTP un, une admiration très, très forte, pour un certain, en tout cas pour toute l’épique de la MOI sûrement, mais pour d’autre aussi…de l’histoire de, de…bon je ne vais pas rentrer dans pleins de détails parce que c’est…
 
RG : Mais il n’avait, il n’avait pas la nationalité française donc, on m’a dit qu’il ne pouvait pas sortir dans la rue, c’est ca, donc c’est un intellectuel chez lui, c’est ça, c’est une partie du problème
 
TG : Est-ce que ca a empêché Manouchian  de mener la lutte, non mais ça c’est…
 
RG : Mais c’est un choix                              
 
TG : C’est un choix mais
 
RG : Il a fait un choix de rester chez lui, c’est ça ?
 
TG : Non mais bon, moi je ne veux pas parler, il est mort en plus
 
RG : Voilà
 
TG : la seule que je dirais c’est cette phrase, parce que cette phrase m’a...Il est mort, je voulais, moi je m’étais dit la...vous m’embarrassez,  je m’étais interdit d’écrire avant 60 ans, j’ai bientôt 70, quand je me suis établi a Mantes-la-Jolie, on en avait parlé avec, ce qu’on appelait les copains de mon unité, et puis avec Françoise [Picq], avec d’autres, je n’écrirais pas avant 60 ans, rien, sur le passé
 
RG : Oui
 
TG : Pourquoi ? parce que ce passé était très fort et que je ne crois pas qu’on puisse être…être juge de son propre passé comme ça. Bon, probablement d’ailleurs je vois mieux aujourd'hui les choses, mais encore que j’en parle très rarement, la vous sortez tout le truc mais… et puis après la j’ai eu de la chance de rencontré Gorz, c’est lui qui m’a, c’est une immense chance dans ma vie, il y a deux hommes qui m’ont formé sûrement, c’est Charlot Dusnasio et Gorz, les deux, la j’ai rencontré un grand frère, un vrai intellectuel  
 
RG : Oui
 
TG : un intellectuel sublimissime…anar comme nous, enfin communiste libertaire je pense, enfin anar je ne veux pas dire anar
 
RG : Comment s’écrit son nom ?
 
TG : Gorz, vous ne connaissez pas, André Gorz ?
 
RG : Non je ne, c’est la première fois que je rencontre son nom 
 
TG : ben c’est un grand théo, il vient de mourir la aussi
 
RG : G.O.R.C
 
TG : Z
 
RG : Ah
 
TG : Mais il avait plusieurs noms, Michel Bousquier, parfois connu sous le nom de Michel Bousquier, et il ne s’appelle pas plus André Gorz que moi puisque son vrai nom était encore un troisième nom
 
RG : Ah d'accord
 
TG : Mais c’est un grand théoricien français, c’est le, même tout le monde est en train de le relire, on est en train de rééditer des trucs, bon c’est un des plus grands intellectuels de ce pays, immense intellectuel, qui laisse une trace aux Etats-Unis, en France, en Allemagne, partout enfin. Bon, c’est un, ça été pour nous, pour nous tous, en tout cas pour la bande, dite de la FGEL, je pense Kravetz, Peninou, Bouguereau,  je cherchais le nom de Bouguereau, euh Marie-Noel Thibaut enfin et pleins d’autres. Vraiment Gorze c’était l’autre grande voix intellectuelle, sartrienne, mais en même temps Sartre impliqué dans les luttes ouvrières, dans, dans, dans la société, enfin bon c’est un immense théoricien, je suis étonné que vous ne le connaissez pas
 
RG : Non
 
TG : Bon il est là, il faut, il faut, et je vous recommande son dernier livre qui est d’une beauté absolument, il vient, il vient de se suicider, vous n’avez pas entendu ça,
 
RG : Non
 
TG : avec sa femme
 
RG : Ah oui ça me dit quelque chose
 
TG : L’Étre à Deux, son dernier livre
 
RG : Oui, oui, d'accord
 
TG : au moment où il se suicide, c’est un testament magnifique
 
RG : Voilà bon ça me dit quelque chose maintenant
 
TG : bon enfin c’est un immense, immense bonhomme, immense dans sa générosité, immense dans  son
 
RG : et vous l’avez rencontré a ce moment-la ?
 
TG : je l’ai rencontré quand j’étais à VLR, oui il est venu nous rejoindre a, parce que on faisait comme les Italiens de l’Lotta Continua, on faisait ce qu’on appelait le travail de porte à VLR, enfin dans mon, mon travail à VLR c’était ça, c’était l’automobile,
 
RG : Oui
 
TG : les ouvriers de l’automobile, et il est venu nous voir à, parce qu’il voyait bien qu’il se passait quelque chose et on a fait des choses tout à fait aussi exceptionnelles et formidables à ce moment-là à VLR, dans ce segment-là. Castro en a fait d’autres, on a fait ce qu’on a fait, qui était, dont je suis toujours aussi fier et pas...Je n’ai rien à rougir de tout ce qu’on a fait à ce moment-la, au contraire… euh, et il est venu nous voir, il est venu nous voir parce que, donc au lieu de faire un truc de journaliste, il est venu un peu comme Robert, sentir l’odeur des roses, rencontrer les ouvriers avec lesquels on travaillait, discuter avec nous de notre travail, politique, auprès des ouvriers, en dehors de la CGT, et de notre influence de masse qui était importante à ce moment-là chez les ouvriers de l’automobile, enfin au bassin de la, à Flins en tout cas Et donc il est venu et puis, il est venu et puis - c’est pareil on ne s’est pas quitté de la vie - enfin je veux dire c’est quelqu'un, si on s’est quitté à partir d’un moment mais on s’est retrouvé après…Donc j’ai eu cette chance là de rencontrer, de rencontrer ce bonhomme exceptionnel qui m’a - lui alors - amené plus à l’étude de qu’est-ce que c’est qu’un intellectuel ouvrier, qu’est-ce que c’est qu’un intellectuel qui consacre sa vie, enfin en tout cas l’essentiel de sa vie à, au intérêt de la défense ouvrière, populaire, des salariés, qu’est-ce que c’est, enfin bon, donc qui m’a probablement aidé à être, à sortir d’un gauchisme de parole, et plus d’être auprès des gens mais pas simplement, enfin bon il m’a contraint en tout cas à l’écriture
 
RG : Oui
 
TG : Jusqu'à cette période je pense, jusqu'à ce que je rencontre Gorz, je n’ai signé pratiquement aucun des articles que j’ai écrit, que ce soit dans VLR ou que ce soit la... que ce soit dans la revue VLR, Vive la Révolution, que ce soit dans les journaux, aucun. Je n’ai aucun papier signé de ma main, je sais ce que j’ai écrit mais on était dans une époque a l’UJ comme a VLR on ne signait pas
 
RG : Oui
 
TG : et quand j’ai, la rencontre est suffisante puissante pour que je signe, et donc j’ai fait deux articles dans Les Temps Modernes, donc je peux dire que s’il n’avait pas été la, déjà je ne les aurais jamais écrit, c'est-a-dire que, l’idée de la responsabilité de l’intellectuel, elle me vient de Gorz, c'est-à-dire que le fait que on n’a pas le droit de ne pas signer ses textes
 
RG : D'accord
 
TG : On n’a pas le droit de ne pas être responsable de son écriture, et que le seul moyen démocratique d’être contrôlé par les gens avec lesquels on milite c’est de signer, d’être identifié à ce qu’on écrit, pour justement. Alors si on prend, ce qui est très difficile dans l’histoire de l’UJ et l’histoire de VLR du début, c’est justement les textes ne sont pas signés
 
RG : D'accord
 
TG : et que c’est facile aujourd'hui ou difficile de dire, enfin c’est facile pour certains de dire, ‘ce n’est pas moi qui ai écrit ça’, quelle qu’est été les critiques qu’on peut faire a Serge July, a Glucksmann et tout ça. Bon au début ils ont signé, quand même signé leur texte, ce qui fait que on a la capacité assez facile de les critiquer. Roland Castro à mon avis au début non plus ne signait pas et puis il s’est mis à signer, en tout cas moi c’est la rencontre avec Gorz qui me, aboutit à cette révolution intellectuelle en tout cas  pour moi, qui est à partir de ce moment là. Sauf les textes qu’on écrit alors vraiment collectivement, où il y a une vraie écriture collective, euh alors là qui impose d’ailleurs beaucoup plus de travail, beaucoup plus de temps, beaucoup plus de difficultés, qui est autre chose. Je le sais puisque j’ai écrit avec une autre…intellectuelle je vais dire, beaucoup en ce moment écrire à deux c’est, déjà difficile d’être a un mais alors a deux, quand c’est une vraie écrire a deux c’est un travail considérable
 
RG : Oui   
 
TG : dans tout les cas alors, en tout cas ma rencontre avec Gorze, elle a beaucoup changé mon rapport à , au fait de m’accepter comme intellectuel, je pense que jusqu’avant je ne m’acceptais pas comme un intellectuel, je me voyais que comme un militant, je n’ose pas dire un révolutionnaire. Enfin à l’époque je devais penser ça, euh pf je ne sais pas même pas, oui enfin
 
RG : j’ai retrouvé certains de vos textes à  la BDIC
 
TG : hmhm
 
RG : Il y a aussi, je n’ai pas vérifié dans Les Temps Modernes, il y a un autre texte qui devait être publié chez l’Lotta Continua c’est ça, que j’ai trouvé a la BDIC  
 
TG : je ne sais pas
 
RG : c’est marqué pour, je ne sais pas, mais ça me ramène un peu, est-ce que ?
 
TG : Mes archives, nos archives, à Françoise et à moi, l’essentiel on les a donné à Hamon et Rotman et à la BDIC
 
RG : Oui
 
TG : Donc à Hamon et Rotman, ils nous ont jamais rendu mes archives. Donc il y a toute une partie qui, je ne sais pas où elles sont
 
RG : Oui
 
TG : les archives algériennes, je les ai données à un copain qui devait faire un bouquin, qui est malheureusement mort, donc je n’ai pas mes archives algériennes, ce qui est bien dommage…Et, alors je ne sais pas ce texte il est, pendant un moment bon j’en ai écrit beaucoup c’est sûr, mais le fait qu’il ne soit pas signé fait que je ne sais même plus ce que. Enfin je sais, il y a des textes que j’ai écrit dans Vive la Révolution qui ne sont pas signés je sais bien qu’ils sont de moi. D’ailleurs ça se trouve parce qu’il y a un style qui n’est pas terrible, pas très bien écrit…mais bon je pense au travail qu’il m’a forcé à faire, parce que vraiment, m’a forcé - j’entends au niveau de la fraternité
 
RG : Oui
 
TG : On ne sortira pas ça, ce n’est pas bon, tu le réécris, une fois, deux fois, trois fois, quatre fois
 
RG : Oui
 
TG : Bon il m’a forcé a cette confrontation à l’écriture, qui était ‘attend, ce que tu dis, c’est de la bouillie, on parle, ce que tu dis est intéressant, mais l’écrit c’est complément nul, réécris’. Donc il a joué ce rôle de cette confrontation à l’écriture qui est quand même un truc pas simple, et qui est une nécessité démocratique, c'est- à -dire on ne peut pas être un responsable si on n’écrit pas
 
RG : Oui
 
TG : et si on ne transmet pas, donc la socialisation des connaissances se passe quand même par l’écriture. Aujourd'hui avec l’informatique ca pose des tas de problèmes je dois dire, d’une autre nature que ceux que nous avions connus à cette époque, dans le mouvement populaire en tout cas, aujourd'hui l’informatique joue un rôle difficile a cerner, mais en tout cas voilà, moi je peux vous, de tout c’est difficile pour moi parce que j’en ai pas eu la responsabilité, je pense que c’est vraiment les, les, les copains autour de Roland Castro qui peuvent en parler bien, je peux simplement dire que notre unité, c'est-à-dire la base ouvrière, de Flins
 
RG : Oui
 
TG : Bon était un peu dans VLR la branche ouvriériste, beaucoup me considérait, Roland probablement encore aujourd'hui vous le dirait, des dérives pour eux qui était encore des dérives du communisme de papa
 
RG : Castro et les autres, c’était plutôt du coté de, de la révolution sexuelle tout ça
 
TG : Non, non je, de Roland je ne dirais pas ça, pas au début, surement pas, non de l’analyse, plutôt de la rencontre avec l’analyse, de la rencontre avec Freud, enfin d’une façon générale, avec Lacan
 
RG : Oui
 
TG : avec, oui par ce biais là, mais, Roland n’était pas le phare, il y avait d’autres qui étaient
 
RG : Non bien sûr
 
TG : qui étaient, bon Hocquenghem et tout ça, bon c’est que, mais bon l’histoire de VLR est très compliquée, parce que aujourd'hui il y a beaucoup de gens qui se prétendent  de VLR alors que je pense qu’on a jamais été plus de 50, enfin ce qu’on appelait l’assemblée. Françoise disait 40 moi je disait 50, je ne sais pas – l’assemblée qui faisait  VLR, qui était le collectif d’impulsion de Vive la Révolution c’est tout petit, petit, c’est 50 personnes je pense maximum. Mais chacun était responsable d’une action, donc les gens peuvent dire qu’ils étaient à VLR mais ils n’avaient pas d’influence sur la direction  politique de VLR, la direction politique  a été très collective
 
RG : Oui
 
TG : dans cette Assemblée la de 40 ou 50, de gens qui se connaissaient de façon générale de l’UJ, de l’UJC(ml), qui avaient tous été a l’UJC(ml) ou presque tous. Mais qui avaient pour des raisons diverses été en contradiction et avec l’UJ au moment xxxxmené, donc chacun avec son expérience, la manière dont lui était...Moi je m’occupais de l’imprimerie, de la sortie de notre canard, de Servir le peuple, de Garde rouge, de tout ça enfin, moi j’avais une fonction plutôt, très, très matérielle de, de sortir les tracts, de sortir les journaux tous les jours, nuit et jour quand il le fallait
 
RG : Oui
 
TG : donc moi j’étais un peu, j’allais dire, à un moment donné dans ma folie de l’époque, j’avais un peu la même fonction que Staline, au sens - pas Staline de, le Staline de…d’après - mais de sortir les matérielles de propagande de l’organisation, que ce soit La Cause du peuple, que ce soit autre chose. Et bon je le faisais et puis dans la, quand j’avais fini ce boulot, j’allais dans les manifs, je faisais etc. Et j’avais la chance de travailler une imprimerie anarcho-syndicaliste ou tous les ouvriers n’étaient pas en grève, qui était l’imprimerie
 
RG : c’était à Mantes
 
TG : non, non, non la c’était à Paris, en mai 68 c’était a Paris, moi je suis arrivé a Mantes en 69
 
RG : D'accord
 
TG : et qui était, donc la libraire, l’imprimerie qui était dans le 20ème. J’ai un trou de mémoire la pour le nom du copain qui était un ancien de La Voie Communiste, donc Voie Communiste c’est les communistes en rupture avec le PC pendant la guerre d’Algérie
 
RG : Oui
 
TG : Je ne sais pas si vous connaissez l’histoire de La Voie C, de La Voie Communiste, et…et donc il y avait ce copain qui était un imprimeur et qui était déjà très utile pendant la guerre d’Algérie, qui avait cette imprimerie qui était dans le 20ème – faudrait que je retrouve son nom - enfin donc qui était un camarade difficile mais courageux et généreux, exceptionnel. Et donc son imprimerie a fonctionné en mai 68, on ne s’est pas mis en grève. Moi j’étais ouvrier à ce moment-là, et j’étais ouvrier pourquoi, pour avoir un vrai certificat de travail me permettant de m’établir a Citroën ou a Renault, enfin à l’époque je ne savais pas si on allait. Donc j’ai travaillé à peu près huit mois dans cette imprimerie, je ne me rappelle plus très bien le temps
 
RG : Oui
 
TG : six ou huit mois, pour avoir un vrai certificat de travail, des vrais bulletins de paie, pour pouvoir ensuite aller dans une des usines où on s’établissait
 
RG : parce que en 68 vous étiez
 
TG : Ensuite j’étais à Citroën 15ème
 
RG : Oui
 
TG : à Javel, où j’ai été licencié bon... évidemment, mais euh, qu’est-ce que je disais, oui donc en mai 68 voila c’est ça, après dans notre unité vous avez ce qui ressort de, de cette position de, de la base ouvrière de Flins, on avait, d’abord il y avait plusieurs bases ouvrières
 
RG : Oui
 
TG : On avait commencé à la base ouvrière 15ème. Quand j’ai été licencié on est parti à deux sur Flins, un copain ouvrier, qui était un ouvrier, qui a toujours été un ouvrier, qui était, à l’époque on faisait les binômes, un intellectuel, un ouvrier
 
RG : D'accord
 
TG : donc Jean-Marie Consic, qui était ouvrier et qui a été licencié. On est parti tous les deux à Flins, lui s’est fait embaucher chez, pour être ouvrier, il l’a été, il était vraiment établi dans le sens que c’était vraiment un ouvrier professionnel et il a accepté de se, de s’établir comme ouvrier spécialisé pour faire le travail
 
RG : D'accord
 
TG : militant donc
 
RG : Oui
 
TG : et, et puis moi pour faire le travail de porte, comme on disait. Mais ça c’est exactement la même chose que Lotta Continua avec toute l’histoire de VLR sur ce travail de porte qui a été très, très important et bien, de haute qualité. On militait avec plein de gens enfin, large, démocratique, de masse. Un peu ce que je vous disais sur l’anarcho-syndicaliste avec une influence auprès de centaine de jeunes
 
RG : Oui
 
TG : et qui a fait que Gorz est venu comme ça nous voir pour savoir ce qu’on faisait. Et il y a une, d’ailleurs, j’ai retrouvé, il y a quelqu'un qui m’a donné une affiche, une première page de Témoignage chrétien qui est vraiment incroyable, du 1er mai, de quelle année, 72 ou 73 ? Je ne sais plus, je l’ai sur mon ordinateur cette photo,  où l’on voit les deux 1er mai, enfin le 1er mai de la CGT et le 1er mai de l’extrême gauche
 
RG : Oui
 
TG : et la photo du 1er mai de l’extrême gauche est de Base Ouvrière de Flins, la BO comme on disait à l’époque, avec tous les copains ouvriers qui étaient là à l’époque, évidemment avec...J’y suis, et avec d’autres copains, et donc c’est vrai que c’était un truc important, donc dans VLR ce que, dans Tout!, je veux dire le, par rapport à tout la seule chose qu’on a eu c’était effectivement, c’est le numéro 13 hein Françoise
 
Françoise : quoi ?
 
TG : le truc sur la libération sexuelle du FHAR, 12, c’est la discussion dans, à l’intérieur de, de notre collectif, de la Base Ouvrière, euh comment on diffusait ce numéro de Tout! qui parlait de  l’homosexualité
 
RG : Oui
 
TG : et donc, parce que on les vendait à la sortie de l’usine, Tout !
 
RG : Oui
 
TG : les autres ils ne faisaient pas ça, les autres eux ils vendaient enfin, nous on vendait tous les numéros de Tout! à la Base Ouvrière
 
RG : D'accord
 
TG : à l’intérieur, on a eu une discussion mais bon, moi évidemment j’étais le plus pudique, j’étais assez contre qu’on le diffuse. C’est plutôt les copains ouvriers qui étaient d'accord pour qu’on le diffuse, et on l’a diffusé, euh on l’a diffusé. Alors moi j’étais contre, si, si on l’a diffusé. Et on a rencontré des jeunes intellectuels, des jeunes ouvriers homosexuels ( Françoise dit quelque chose a l’arrière plan). Si, si on l’a diffusé, mais on ne l’a pas diffusé à la sortie. On l’a diffusé de la main à la main à l’usine, on ne l’a pas diffusé, oui tu as raison, on ne l’a pas diffusé a la sortie, mais il a été diffusé à l’intérieur. Et on a eu la surprise de rencontrer des jeunes ouvriers homosexuels…Ça ce numéro-là il a été, c’est le seul qui nous a...tout le reste on les diffusait très bien, d’autres, les jeunes les trouvaient très bien, on en vendait pas mal, voilà. Ce que peut-être, ce qui a apporté la Base Ouvrière de Flins à Tout!, c’est,  maintenant je ne sais même plus si dans Tout ! ça existe, c’est la, l’affaire Dupont, on a rendu compte, on en a rendu compte ou pas ? Enfin là, si vous voulez il y a deux choses qu’ont amené la fin de Tout !,  la fin de la Base Ouvrière, c’est d’une part une grève qu’on a initiée, une grève de masse, donc sans le PC, sans la CGT, sans personne, où il y a eu, je pense qu’il y a eu, on a dit 3000 mais enfin. Bon je pense qu’il y a eu plusieurs milliers de salariés qui sont sortis. Donc un groupe gauchiste qui arrive à organiser une grève de masse dans une usine comme ça ça n’avait jamais été fait donc
 
RG : Oui  
 
TG : et là, ça nous a conduit à l’autodissolution
 
 RG : Parce que la grève... ?
 
TG : Parce que le succès nous a dépassé, et on était sur le même mot d’ordre que Lotta Continua, nous sommes tous des délégués, donc complètement anarcho-syndicalistes. Et donc cette grève on l’a organisée, très bien, je crois que nos copains à l’intérieur de l’usine on fait le boulot, nous aussi. Enfin ça s’est bien fait, ça, c’est la même chose que Lotta Continua, c’est du travail de porte, classique, enfin classique, ca n’existe plus mais que faisait aussi Lutte Ouvrière mais on le faisait beaucoup mieux, parmi les trotskistes c'est-a-dire être en contact avec les travailleurs. On avait une ligne qu’on appelait  « Bonjour Monsieur, Bonjours Madame », on ne diffusait pas nos tracts comme ça, on disait bonjour, on voyait les gens, on allait les voir dans les cafés, dans les, enfin bon on connaissait, on avait une ronéo à main, on voyait les gens a 6h du matin. On allait dans les bois, on tirait nos tracts, on les ressortait quand ils sortaient, enfin bon, on racontait leur histoire, on faisait de la poésie, c’était des tracts très, très différents évidemment de toutes les autres organisations                      
                      
RG : Oui
 
TG : qui diffusaient. Ils étaient beaux, il y avait des histoires, il y avait des poèmes, il y avait toutes sortes de choses, enfin bon, pas mal. Ils étaient très populaires, très, très populaires, et  nous avons fait, on a fait une enquête, donc vous voyez tout le travail d’enquête, sur en gros ce qu’on a appelé le scandale de l’embauche à Flins, qui avait, qui permettait de, de vérifier qu’il y avait une bande de salopards dans l’usine qui vendait alors les papiers quoi aux immigrés, et les certificats enfin les capacités d’avoir un permis de travail. Et ils vendaient ça l’équivalent de 1000 francs de l’époque, qui était quand même une somme énorme. Et donc ce scandale de l’embauche on l’a finalement, par nos contacts avec les travailleurs et par les travailleurs immigrés en particulier, on a fini par le cerner. On a fait une très, très grosse enquête, et on a commencé a donner les noms de tous les mecs qui travaillaient et qui étaient dans la hiérarchie de Renault qui étaient mouillés dans ce scandale
 
RG : Ah oui d'accord   
 
TG : et donc comme tout le monde savait que c’était vrai dans l’usine, enfin les immigrés le savait aussi bien les Africains que les Magrébins
 
RG : C’est l’affaire de Meulan
 
TG : C’est l’affaire de Meulan
 
RG : Oui
 
TG : Voilà, et donc ça c’est les deux événements qui nous ont, qui ont abouti quelque part à ce qu’on arrête. L’un, net succès je veux dire cette grève - on a été complètement pris de court par le fait que les ouvriers nous ont demandé de les diriger, enfin moi j’étais connu comme le loup blanc et d’autres, pas que moi, enfin des copains à l’intérieur de l’usine et moi beaucoup de l’extérieur, et donc ils nous ont, quand ils sont sortis, « ben maintenant qu’est-ce qu’on fait ? »
 
RG : Bui 
 
TG : « ben c’est vous les délégués, qu’est-ce qu’on fait, c’est vous qui le savez ». Et eux c’est à ce moment-là où ils ont dit « non »  parce que la base ouvrière, la BO - parce que tout le monde disait la BO à l’usine - la BO c’est le troisième syndicat, il y a la CGT, il y a la CFDT et la BO. « Alors qu’est-ce qu’on fait maintenant, ou l’on va ? » Et bon, on n’avait pas prévu ça, donc dans cette histoire de « nous sommes tous des délégués » quand  on a vu a quel point eux avaient une demande d’organisation ouvrière, officielle, licite et que tout notre travail il était compris par une masse de jeunes ouvriers français
 
RG : Oui d'accord
 
TG : alors c’était ça, jeunes ouvriers français, et ouvrières, et puis les jeunes immigrés de l’usine, y compris nos copains à l’intérieur - on avait un copain anarcho-syndicaliste qui était un type absolument incroyable, enfin bon on avait des copains quand même dedans qui étaient des vrais agitateurs, et des bons -  on s’est retrouvé complément décompensé c'est-à-dire incapable de réagir à cette demande pressante des travailleurs qui était là, là devant nous
 
RG : D'accord
 
TG : et avec « Tiennot qu’est-ce qu’on fait ?» parce que bon, j’étais connu a l’époque, « Ou l’on va, qu’est-ce qu’on... ». Et heureusement on est tombé sur un formidable militant de la CFDT, qui est un chrétien, Paul Rousselin, qui nous a sorti de, de la merde, parce que évidemment les mecs de la CGT nous tapaient dessus plutôt a l’époque, et ce Paul Rousselin a réussi a reprendre la parole derrière nous, sans se couper de nous
 
RG : D'accord
 
TG : Donc, et a su organiser une délégation, aller voir la direction pour poser les revendications, dans un syndicalisme de masse, mais bon, et Paul Rousselin est toujours vivant, je le vois d’ailleurs encore, bien sûr, et donc, et à partir de là, nos copains sont entrés dans la CFDT , ce qui a fait que la CFDT de Flins est resté très proche de l’extrême-gauche pendant 20 ans
 
RG : Ah d'accord
 
TG : Enfin d’une extrême-gauche libertaire pas, d’une extrême-gauche pas du tout liée aux trotskistes ou tout ça. Enfin bon aujourd’hui ils ont perdu beaucoup d’influence, mais la CFDT de Flins a joué un rôle très important, pas que de notre fait, mais aussi du fait qu’il y avait un autre établi, dont vous avait peut-être  entendu parler, qui s’appelle Daniel Richter, qui est, était un ancien de la direction de l’UNEF
 
RG : Oui
 
TG : qui s’était, qui était ingénieur à Flins. et qui a joué un rôle formidable dans l’histoire de la CFDT de Flins. Donc cette conjonction entre ce Daniel Richter a fait que il y a eu poursuite - lui il était issu du PSU - et nos potes sont rentrés, les jeunes immigrés qui ont travaillé avec nous comme les quelques jeunes français qui sont restés, sont rentrés a la CFDT et nous avons arrêté notre travail sur Flins. Et puis le deuxième aspect c’était la répression suivant l’affaire de Meulan
 
 
RG : Oui
 
TG : C'est-a-dire les deux questions se sont conjugués puisque à partir de là évidemment, la situation était plus délicate, trois d’entre nous qui étaient en taule, du collectif
 
RG : Vous aussi ?
 
TG : Hein ?
 
RG : Vous y compris ?
 
TG : Non, non pas moi, pas moi, non, non, Nadja Ringart
 
RG : Oui
 
TG : Marc Hatzfeld, et le troisième j’ai un trou de mémoire, et, voilà c'est-à-dire comme ça que je suis devenu avocat. C’était pour essayer d’aller les voir à la prison pour pouvoir parler avec eux
 
RG : ah oui, c’est la question que j’allais vous demander, c’est pour ça que vous avez ...
 
TG : Oui, c’est ce que j’avais raconté parce qu’il avait une dame qui me l’a demandé pour un article, « en quoi mai 68 a changé la profession d’avocat ? ». Moi vraiment c’est, si je n’avais pas été en taule je pense que jamais je n’aurai été avocat
 
RG : Vous étiez en taule à quel moment ? 
 
TG : Moi pas, c’est  ces trois-là
 
RG : Ces trois-là, donc c’était pour les aider
 
TG : Les aider non, les voir
 
RG : Les voir, ah bon
 
TG : Les toucher, les, les, aller leur parler
 
RG : Parce que ce vous aviez un doctorat en droit ou en, qu’est-ce que vous avez comme
 
TG : J’avais un troisième cycle oui en, en droit oui enfin bon, plus ou moins, j’ai dû, je ne connaissais pas le droit  
 
 RG : Il faut combien de temps pour...?
 
TG : Non j’avais une équivalence avec l’économie, j’avais l’équivalence de la licence en droit qui me permettait de passer l’examen pour rentrer comme avocat. Et le hasard a fait que cette année-la c’était l’année 72, il y avait la reforme de la profession d’avocat. Ce qui fait que tous les étudiants moi compris - mais moi ca m’a duré deux jours - ont bachoté  sur la reforme de la profession d’avocat et on a eu un sujet de philosophie du droit. J’ai eu 16, mais qui n’avait rien à voir avec le droit, qui était de la philosophie, je suis rentré je suis devenu avocat comme ça de façon vraiment inattendu. Et très vite évidemment, les liaisons que j’avais, puisque c’est comme ca que je me suis inscrit comme avocat dans les Yvelines, puisque c’est là qu’il y avait Flins
 
RG : Oui
 
TG : Et, ben très vite toutes les liaisons que j’avais avec le, les jeunes ouvriers de la région ont fait que, ben le cabinet a démarré tout de suite, très fort. Mais dans le droit pénal, que j’ai arrêté très vite pour faire du droit du travail pour les raisons issues de cette vision, qu’il faut rester proche des travailleurs. Et donc bon c’est devenu un cabinet du droit du travail, pour d’autres raisons qui, ce serait un peu de vous expliquer ici, sur ces bandes de jeunes, comment ça fonctionne, les structures et tout  ça, enfin bon, mais ça j’ai plus ou moins raconté ça dans Les Temps Modernes, il y a longtemps, je ne sais pas quand c’est, en soixante…
 
RG : En quelle année ?
 
TG : Pff je ne sais pas, Françoise qui est une mémoire de, je ne sais pas 76-77, c’est, enfin c’est des articles
 
RG : Je peux retrouver ça
 
TG : Oui, oui, oui
 
RG : A la BN
 
TG : J’en ai fait deux de suite qui doit s’appeler...l’un qui raconte l’histoire de la Base Ouvrière, une sorte de bilan de la Base Ouvrière, et l’autre un peu sur l’établissement dans ma vie, et sur comment on voyait les choses à l’époque. Je ne les ai pas relus, je ne sais même pas ce qu’il y a dedans, il faudrait peut-être que je les relisent pour savoir si c’est qui est complément débile, ce qui est probable
 
RG : Et vous avez aussi, vous avez défendu Pierre Goldman
 
TG : Oui mais ça c’est pareil. Je suis devenu avocat, le hasard a fait que Pierre, sachant que j’étais devenu avocat, parce que Pierre a été... La première arrestation de Pierre, la première fois que la police l’a arrêté dans sa vie de militant, c’est a la suite d’une bagarre où on était contre les fascistes ensemble, avec Alain Krivine, lui et moi, tous les trois, devant le local de l’Union des Étudiants Communistes. Et il y a une bande de fascistes d’Ordre Nouveau qui sont venus attaquer le local et les gens qui étaient dedans, les étudiants et le permanent qui étaient dedans. Ils ont eu peur, et ils ont fermé le rideau de fer
 
RG : D'accord
 
TG : de leur...Et nous on est resté tous les trois devant, bloqués. Eux étaient a l’intérieur, ils avaient peur ils nous ont pas ouvert, ils nous ont envoyés. Heureusement on avait des bouteilles de bières qu’on avait sortis, des caisses de bières de, de Kronenbourg vides. Et donc on jetait ça tous les deux, enfin tous les trois puisqu’il y avait Alain Krivine aussi. Et puis, et puis on avait de moins en moins de bouteilles, parce que les autres ils nous envoyaient une par une dans un petit trou comme ça. Mais ils avaient peur de...je en sais pas ce qui s’est passé dans leur tête. Et finalement la police est arrivée, et au lieu d’écorcer les fascistes ils nous ont tombé  dessus, et moi j’étais arrêté là. Et Pierre qui était un type vaillant, très, très courageux physiquement est venu me sortir des mains de la police. Donc j’ai réussi à m’extraire, enfin il y avait une équipe qui me tirait, la police qui me tirait d’un coté et Pierre et Alain qui me tiraient  de l’autre, et du coup, le pauvre, ils lui sont tombés dessus à lui parce que lui il tapait en même temps. Enfin il connaissait quand même bien les sports de combat 
 
RG : Oui
 
TG : il en faisait tous les jours. Donc au bout d’un moment il était plus efficace que moi et Krivine réunis à lui tout seul, donc ils lui sont tombés dessus et il a été arrêté. C’est sa première et seule arrestation. Quand je suis devenu avocat, il a su par une copine qui était avocate aussi, qui était  une de nos veilles copines de...pendant la guerre d’Algérie, qui est une fille sublimement belle en plus. Et il l’avait pris comme avocate pour parler, enfin comme il a fait pour moi, et elle lui a dit que j’étais avocat. Donc il m’a, il m’a pris comme avocat mais c’était, comme moi je voulais faire avec les copains, c’était pour parler
 
RG : Oui
 
TG : pour parler politique, pour discuter, pour lui raconter ce qui se passait dehors, pour, plus beaucoup plus que comme avocat professionnel. Bon après évidemment, elle comme moi on a étudié le dossier, mais ce...c’est une autre histoire. Mais son choix n’était pas lié au fait que il me pensait un avocat professionnellement valable, il m’avait choisi comme camarade et ami
 
RG : D'accord
 
TG : et pas comme, pas comme porteur de capacité de défense
 
RG : Et, enfin une dernière question sur votre trajectoire. Donc vous êtes resté avocat professionnellement depuis ce moment-là ?
 
TG : Avec cette caractéristique qui vous...ne comprend pas...c’est que j’ai défendu que des salariés dans ma vie, je n’ai jamais défendu un patron   
 
RG : D'accord
 
TG : jamais défendu un maquereau. Je ne vois pas pourquoi si on ne défend pas les patrons, on devrait défendre les macs. Et que notre cabinet était un cabinet, et il est resté jusqu'à ce que je m’en aille à la retraite, que j’ai pris donc le 31 décembre 74, et je fais, euh 2004, et je fais aujourd'hui la même. C'est-a-dire je continue à faire le même boulot mais sans me faire payer, donc là je suis dans le, dans un rapport à la
 
RG : et est-ce que en dehors de ce travail, vous vous êtes impliqué dans d’autres combats, d’autres ... ?
 
TG : Oui, mais là dans l’établissement,dans ma vie, c'est-à-dire il y a un, on a Mantes-la-Jolie toute une série de copains qui sont restés. Ils sont aujourd'hui regroupés dans un autre collectif  avec plein de jeunes, qui a une influence politique  très importante sur la région de Mantes, qui continue, qui participe à la vie. J’étais élu de l’extrême-gauche libertaire, enfin de l’extrême-gauche critique de l’Union de la gauche au conseil municipal avec d’autres, de Mantes-la-Jolie, j’étais dans le conseil municipal d’une municipalité de gauche comme critique de gauche
 
RG : Ah oui
 
TG : mais ça suit notre itinéraire sur la région de Mantes et le fait que...Donc moi je n’y suis plus beaucoup parce que le boulot d’avocat m’avait pris, m’a bouffé la vie pendant longtemps. Mais d’autres de notre collectif de l’époque se sont consacrés à la vie municipale et ils continuent à avoir une influence tout à fait importante à Mantes, même à Mantes-la-Ville. Ils sont entrés au conseil municipal, l’un d’entre nous, enfin l’un de nos amis a été candidat aux dernières élections cantonales. Enfin bon il y a des copains dans la liste municipale. Il reste une trace libertaire, alors la pour la plupart ils sont Verts ou, enfin ils ont un collectif qui dépasse les Verts d’ailleurs, enfin Vert de gauche quoi, dans la tendance gauche des Verts, et, non il y une influence qui s’est maintenu d’un,  de copains qui se sont pas, et de copines, enfin d’hommes et de femmes, et y compris avec maintenant des jeunes qui nous ont remplacés, enfin qui, qui
 
RG : Ah d'accord
 
TG : qui sont très bien, et qui font plein de choses dans la ville. Donc la trace de, de, puisqu’il y a eu plusieurs sédimentations d’équipes aujourd'hui, il y a eu des gens qui sont venus de différents groupes, et aujourd'hui ceux qui étaient plus ou moins trotskistes on s’en fout, ceux qui étaient plus ou moins. Et il y a eu le groupe Révolution, enfin il y a plein de choses qui sont venus. Ça, 68 c’est loin, depuis on a fait du chemin
 
RG : On a presque terminé
 
TG : qui est de mon syndicat, après il y a eu le syndicat, il y a eu le syndicat des avocats où on a plusieurs
 
RG : Je pense qu’on peut terminer là
 
TG : Oui, oui
 
RG : On a très bien travaillé, merci énormément Tiennot  Grumbach
 
TG : Très bien.