Paul Blanquart

name of activist

Paul Blanquart

date of birth of activist

19 June 1934

gender of activist

M

nationality of activist

French

date and place of interview

Paris, 15 May 2007

name of interviewer

Robert Gildea

name of transcriber

Nora Khayi

 

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RG : Bon, je crois que ça va. Alors je vais commencer s’il vous plaît, Monsieur, par vous demander votre nom et puis votre date et lieu de naissance
 
PB : Alors Paul Blanquart, né le 19 juin 1934
 
RG : Et où s’il vous plaît ?
 
PB : Dans le Nord de la France, dans la banlieue de Lille
 
RG : Ah oui d'accord, quelle banlieue parce que  je connais un peu Lille
 
PB : Templemars, au sud de Lille
 
RG : Oui, d'accord, et votre famille d’origine ?
 
PB : Ben, ma famille est de, du Nord, mon père était né à Hellemmes, et ma mère à Lille
 
RG : Oui
 
PB : Alors, il y a beaucoup de choses que je ne sais pas mais ce que je sais c’est que leurs pères à l’un et à l’autre ayant plus ou moins abandonné leur famille
 
RG : Oui
 
PB : Ils ont dû travailler très jeunes
 
RG : Oui
 
PB : Mais ça tenait aussi aux origines. Mon père travaillait à douze ans mais il avait son certificat d’études, parce qu’il était intelligent
 
RG : Oui
 
PB : et ma mère à onze ans
 
RG : Oui
 
PB : comme cousette chez une couturière mais elle avait aussi son certificat d’études
 
RG : Et qu’est-ce qu’il faisait votre père ?
 
PB : Mon père devait être livreur chez un marchand de vin
 
RG : Oui
 
PB : je crois, avant qu’il ne devienne petit employé et il a fini représentant de commerce. Mais entre temps il avait participé à la fondation du premier syndicat d’employés à la CFTC
 
RG : Ah oui d'accord
 
PB : Et du reste, il figure dans le Maitron, mon père
 
RG : Ah oui d'accord
 
PB : comme ma sœur aîné aussi si vous voulez sur le Maitron
 
RG : Ben je vais le chercher
 
PB : Voilà il y a pas grand-chose sur mon père…
 
RG : Donc il était syndicaliste…
 
PB : C’est une période assez ancienne, oui syndicaliste
 
RG : Oui
 
PB : Et alors il y avait une sorte... donc mes parents, mon père surtout, a été formé par le milieu des abbés démocrates qui était assez fort dans le Nord. Il a subi l’influence d’un des premiers prêtres au travail qui s’appelait, euhh Paul, ahhh comment il s’appelle ? Il a un neveu qui a écrit sur Thérèse de Lisieux, ohh c’est absurde que j’oublie ce, ce…
 
RG : Attention parce que ça va…
 
PB : Ce nom-là…ben oui, ben oui ben coupez, attendez
 
RG : Je pause
 
PB : Jean-François Six qui est un des premiers prêtres  au travail, et qui avait beaucoup influencé mon père c’est pour ça que j’ai été baptisé Paul du reste. Alors dans ma famille du côté de ma mère il y avait des gens qui avaient été assez marqués par le marxisme
 
RG : Ah bon
 
PB : J’ai eu une grande tante qui a épousé un des compagnons de Lénine en exil, qui travaillait dans les caves de l’hôpital Saint-Sauveur à Lille. Puis après la Révolution de 17 évidemment il est reparti là-bas
 
RG : Oui
 
PB : et cette grande tante l’a rejoint donc j’ai des cousins soviétiques mais…
 
RG : Mais les…
 
PB : Mais je crois que tout ça c’est assez caractéristique…
 
RG : Oui
 
PB : du Nord et du milieu populaire et ouvrier du Nord où il y a une sorte de, d’imbrication, d’un certain, d’un catholicisme sociale qui n’est pas le catholicisme social patronal 
 
RG : Non, non
 
PB : Le catholicisme social ouvrier et une certaine tradition socialiste marxiste assez, assez guesdiste dans le Nord
 
RG : Oui bien sûr, bien sûr
 
PB : Bon, voilà, je suis issu de cet humus-là et je m’aperçois que j’ai relativement peu innové par rapport à cet humus 
 
RG : Oui, et c’était une famille... ?
 
PB : quand on m’a catégorisé chrétien marxiste oui
 
RG : C’ était une famille pratiquante ?
 
PB : Du côté de mes parents oui, leurs frères et sœurs c’était autre chose
 
RG : Oui
 
PB : Alors ma mère plus, plus catholique que mon père, beaucoup plus pratiquante mais enfin, pratiquante évangélique
 
RG : Oui, oui
 
PB : Je me souviens que lors des réunions de famille, il chantait les trois  paroles du Christ en croix, alors le Christ etc., puis le dernier mot du premier couplet c’était je vous...la liberté, le deuxième couplet l’égalité, la fraternité, les trois paroles du Christ en croix c’était la devise de la République
 
RG : Ah oui d'accord
 
PB : Ça c’est des chansons de 1848, où le mouvement ouvrier français était chrétien
 
RG : Oui
 
PB : Au moment de la Commune ça avait presque disparu
 
RG : Oui
 
PB : parce que  l’Église s’était réaffirmée contre-révolutionnaire
 
RG : Oui
 
PB : Mais il y a toute un humus socialiste chrétien un peu, vous historien déjà étudier
 
RG : oui, oui tout à fait        
 
PB : Buchez  
 
RG : jusqu’à Lamennais quoi
 
PB : Euh ben alors, oui Lamennais, plus que Lacordaire que
 
RG : oui et puis Ozanam
 
PB : Voilà, voilà, et, et alors c’est très curieux parce que  quand je suis rentré chez les Dominicains plus tard, puisque vous...on s’aperçoit que les premiers jeunes étudiants qui ont rejoint Lacordaire pour relancer l’ordre dominicain en France, ils venaient de chez Buchez
 
RG : Ah oui d'accord
 
PB : Donc il y a, en souterrain il y a, trajectoires et réseaux hein ?  ça travaille
 
RG : Ah oui
 
PB : Alors il fut un temps plus tard où les Dominicains français ont été complètement dominés par l’Action Française
 
RG : Oui
 
PB : Hein ? Au début du, du 20ème siècle, heureusement ils ont su s’en, s’en débarrasser et ils s’en sont débarrassés quand je suis rentré chez eux beaucoup plus tard
 
RG : Oui. Pour revenir un peu
 
PB : Voilà oui
 
RG : Qu’est-ce que vous avez fait comme études ?
 
PB : Ben j’étais au lycée Faidherbe à Lille et puis comme j’avais un prix de philo au concours général je suis rentré en hypokhagne à Louis-le-Grand où j’ai préparé la rue d’Ulm et puis Normal Sup de Saint Cloud. Et je suis rentré chez les Dominicains alors que j’étais en préparation voilà
 
RG : Mais avant le lycée vous étiez chez les frères ou ?
 
PB : Non j’étais à la communale, alors pendant la guerre je suis passé dans une école confessionnelle mais, pendant la guerre on était réfugié près de Lyon
 
RG : Ah oui d'accord
 
PB : Donc il y avait une école qui n’était pas loin et qui était une bonne école du reste, dont le directeur était dans la Résistance. On a su ça au moment de la Libération, bon c’était pas, c’était pas n’importe quoi
 
RG : Vous avez passé la guerre à Lyon ?
 
PB : Pendant cinq ans oui, dans la banlieue lyonnaise
 
RG : Et votre père a travaillé…
 
PB : Ben parce que mon père avait fait la guerre de 14-18, avait été blessé plusieurs fois, il avait cinq enfants en 40, il ne voulait plus voir les Allemands
 
RG : Oui
 
PB : Il était déjà représentant de commerce. Donc l’épouse et les cinq enfants dans la tradition avant Citroën haussent chevaux, ont franchi la Somme. Les Allemands ne sont pas arrêtés à la Somme bien sûr. Ils arrivent, donc on franchi la Seine, eh ben là on est tranquille - ils ne vont pas venir. Ils arrivent, on franchit la Loire. Enfin on s’est retrouvé entre Lyon et Marseille
 
RG : Oui
 
PB : le, le, au moment de l’armistice et j’avais six ans le 19 juin 40. Et comme mon père était représentant dans le Nord pour une entreprise qui était à Lyon, on est remonté à Lyon
 
RG : Oui d'accord, c’était facile
 
PB : On est resté dans ce coin-là pendant cinq ans 
 
RG : D'accord
 
PB : J’ai eu un frère aîné qui tombé très malade de sous-alimentation et tout le reste. Ce qui a bloqué beaucoup la vie de mon père parce qu’il fallait qu’il gagne de l’argent pour soigner ce, ce fils, bon
 
RG : Donc vous avez repris le Lycée à Lyon, à Lille ?
 
PB : A Lille en rentrant
 
RG : Et puis vous êtes allé comme vous dites à Louis-le-Grand
 
PB : Puis Henri IV
 
RG : Et Henri IV 
 
PB : Oui
 
RG : C’est dans quelle année que vous êtes allé à Paris ?
 
PB : 53    
 
RG : 53 et donc vous avez, vous avez complété une licence, l’agrégation, qu’est-ce que ?
 
PB : Non, une licence simplement
 
RG : Licence de ?
 
PB : Histoire-géographie
 
RG : D'accord, et puis vous avez dit vous êtes rentré chez les
 
PB : Chez les Dominicains en 56
 
RG : Et pour quelle raison, si je peux poser la question ? 
 
PB : Alors fondamentalement j’étais très tôt intéressé par la politique et même militant politique, je crois qu’à l’âge de seize ans ou peut-être dix-sept ans j’étais abonné à Quinzaine
 
RG : Oui
 
PB : A dix-sept ans je m’étais abonné à Esprit
 
RG : Oui
 
PB : Mounier était, venait de mourir, oui puisqu’il est mort en 50
 
RG : Oui
 
PB : Enfin sa pensée m’a marquée beaucoup parce que  quand je suis rentré chez les Dominicains, de Paul, je suis devenu Paul-Emmanuel    
 
RG : Ah oui d'accord
 
PB : en, en souvenir de Mounier, et à Paris ben j’étais très militant donc dans les milieux chrétiens, chrétiens de gauche, donc la rue de Babylone je connais
 
RG : Oui
 
PB : J’ai participé à la fondation politique alors de ce qu’on appelait la Nouvelle Gauche
 
RG : Oui
 
PB : parce que j’étais un des dirigeants d’un truc qui s’appelait le Rassemblement de la Gauche Etudiante  
 
RG : Oui
 
PB : qui était une des composantes fondatrices de la Nouvelle Gauche. Alors c’est comme ça que j’ai pu fréquenter des gens comme Martinet, Bourdet, la Jeune République enfin toute cette nébuleuse de groupe qui venait de la Résistance et qui petit à petit sont, ont abouti au PSU quoi
 
RG : D'accord, d'accord
 
PB : Mais c’est la seule, c’est la seule organisation politique à laquelle j’ai été adhérent c’est la Nouvelle Gauche parce qu’après je n’ai jamais pris ma carte
 
RG : Oui
 
PB : Mais j’étais évidemment délégué UNEF
 
RG : Oui
 
PB : Bon et peut-être des épisodes cocasses mais ridicule, ridicule
 
RG : Comment ça ?
 
PB : Oh j’ai, c’est là, mais on découvre des choses quand on est jeune comme ça...Le, le budget éducation national venait d’être rejeté pour énième fois par l’Assemblée Nationale - c’était la 4ème  République - donc nous descendons le boulevard Saint Michel, grosse manifestation. Le ministre de l’éducation nationale s’appelait Marie, André Marie, maire de Barentin près de Rouen, et je lance comme ça «  Au bain Marie, au bain Marie »  (rire de RG) et toute la manifestation «  Au bain Marie, au bain Marie ». J’ai dis « voilà  tiens voilà c’est comme ça que je sauve »…(rire de RG), ridicule…bon
 
RG : Et qu’est-ce que vous faisiez au jour le jour chez les Dominicains ?
 
PB : Alors pourquoi je suis rentré chez les Dominicains ?
 
RG : Oui
 
PB : Et bien, j’étais militant politique…mais ça ne me paraissait pas assez fondamental. C’était quelque chose de nécessaire, je pourrais représenter ça philosophiquement. Il y avait donc tout un aspect Marx chez moi mais il y avait aussi tout un aspect Kierkegaard
 
RG : Oui
 
PB : On est dans le contexte, et Kierkegaard c’était l’intériorité
 
RG : Oui
 
PB : Et je me disais ce qui manque à l’action sociale collective c’est l’intériorité de l’individu. Donc j’ai été voir du côté de l’intériorité
 
RG : Mais pour quoi changer ?
 
PB : Donc j’ai été d’une certaine façon descendant déjà
 
RG : Oui
 
PB : Mais ça c’est formulé à ce moment-là comme ça : l’action c’est bien mais il faut l’approfondissement personnel
 
RG : Mais ça…
 
PB : et la combinaison des deux
 
RG : C’était pour vous cette vocation ou c’était dans une certaine une manière de christianiser ou spiritualiser le mouvement, les mouvements de gauche ou de protestation ?
 
PB : Non, je, non, non, non c’était pas pour christianiser les mouvements
 
RG : Non
 
PB : C’était que l’action, l’action requiérait …
 
RG : Oui
 
PB : de l’approfondissement personnel
 
RG : D'accord. Mais pourquoi, pourquoi les, pourquoi chez els Dominicains, pourquoi pas ?
 
PB : Pour plusieurs raisons, la raison que je me disais à moi
 
RG : Oui
 
PB : Ils viennent d’être condamnés par Rome
 
RG : Oui
 
PB : Donc ils ne peuvent pas être mauvais
 
RG : Ils étaient condamnés pourquoi ?
 
PB : Ah ben les prêtres-ouvriers
 
RG : Oui
 
PB : Les grands théologiens dominicains interdits d’enseignement, Congar, Chenu, Feret, etc . C’est et, c’est difficile de dissocier dans le cas des dominicains  français prêtres-ouvriers et théologien. Vous connaissez le bouquin de François Leprieur ?
 
RG : Je ne pense pas
 
PB : Ohh mon cher, il vous manque des sources ! Bon ben je ne peux pas hein si, si
 
RG : Allez y, allez y
 
PB : Je peux, je peux encore [cherche livre]
 
RG : Allez y c’est bon…ah oui d'accord…
 
PB : Donc ça été très important ça, que la condamnation des prêtres-ouvriers en 54 et puis les mesures romaines contre les Dominicains français, parisiens. Il a été question de supprimer le couvent d’études des Dominicains ça s’appelait le « Saulchoir ». Bon, alors, c’est la raison essentielle. Et puis ils étaient en blanc et pas en noir, j’avais horreur, j’étais assez anticlérical
 
RG : Oui
 
PB : Oui
 
RG : Mais le travail de chaque jour était l’enseignement, était le, le travail à l’extérieur, qu’est-ce que c’était ?
 
PB : Le travail de chaque jour quand ?
 
RG : Chez les Dominicains
 
PB : Ah une fois que j’y suis rentré ?
 
RG : Oui
 
PB : De ce qu’ils font d’une façon générale, une fois que j’étais rentré ?
 
RG : Oui
 
PB : Ben je suis rentré dans la longue période des études
 
RG : Oui
 
PB : Interrompue par la guerre d’Algérie
 
RG : Oui
 
PB : A laquelle je ne voulais pas y aller
 
RG : D'accord
 
PB : Je voulais m’insoumettre mais mon supérieur m’a dit « oui mais si tu t’insoumets tu risques d’être refusé à la confession solennelle par des esprits obéissants ». Alors j’y etais et puis refusais d’être officier, sous-officier. Enfin j’ai eu un certain nombre d’ennuis mais j‘ai gardé  l’honneur
 
RG : Oui
 
PB : Et finalement en usant mes supérieurs, j’ai été détaché dans un, bande de bled où j’ai fondé une école, où j’ai introduit le biberon pour les gosses qui mourraient de faim, etc., etc., bref et…
 
RG : Et la guerre d’Algérie ?
 
PB : Je suis entré ensuite pour finir mes études
 
RG : Oui
 
PB : Bon j’ai fait une thèse de fin d’études, un doctorat comme on dit
 
RG : Oui
 
PB : Comme chez vous là. Mais ça n’a pas très plu au plus classique du jury donc le but était pas question que j’enseigne
 
RG : C’est quelle année ça ?
 
PB : 64
 
RG : Oui
 
PB : 66, 66…64 c’est mon ordination. Donc j’étais ordonné prêtre mais j’étais pas tellement pour, quand on m’a dit, « bon ben écoute ça va avec quoi, l’ordination ça sert de tas, ça va avec ». Ben bon, moi j’étais pas, j’étais pas très ce côté-là, j’étais pas, j’étais pas côté sacerdoce
 
RG : Non
 
PB : Si je prends la formule des Dominicains via evangelicus in medio ecclesiae,  le via evangelicus pas de problème c’est ça que je voulais mais in medio ecclesiae , j’étais hmhm, est-ce que c’est pas un peu contradictoire
 
RG : Oui d'accord
 
PB : Il y avait cette tension-là quoi, tout le temps, donc j’ai pas changé
 
RG : Et quel était, quel était votre, je ne dirais pas ambition mais votre vision à ce moment, ayant complété vos études ?
 
PB : Eh ben moi je pensais que j’aurais un travail de, de théologien, et bien que je sois plus philosophe. Bon de toute façon je n’ai pas été retenu pour le couvent d’études. Pendant un an on m’a rien donné à faire, et puis je me suis retrouvé en position de curé, allant prêcher dans les églises et je me suis dis là il s’est passé quelque chose
 
RG : Oui
 
PB : Je ne suis pas rentré pour l’approfondissement intérieur mais pour servir le mouvement social d’émancipation. Et ces Dominicains m’ont apparu tout à fait a ça. Et puis les études historiques que j’avais pu faire, le développement des couvents dominicains aux 13ème siècle a accompagnait le développement du mouvement communal
 
RG : Oui
 
PB : contre la féodalité. Vous pouvez mettre en surimpression exacte les cartes d’implantation dominicaine et le développement du mouvement communal. Donc j’étais à l’aise     
 
RG : D'accord
 
PB : Alors là pendant un an, comme on ne me demandait rien, au bout de six mois j’ai dis « bon ben je m’en vais
 
RG : Oui
 
PB : il y a une erreur quelque  part, je vais, je vais partir pendant cinq ans, je ne sais pas, pour devenir facteur dans les PTT je ne sais pas quoi, je trouverai bien, mais pas de rapport avec le milieu catholique pendant cinq ans ». Alors à ce moment-là mes supérieurs, ceux qui m’aimaient bien, « quoi qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce qui se passe ?». Enfin ils vont d’urgence
 
RG : Oui
 
PB : Et alors ils m’ont dit « bon allez cinquante-cinquante, on a trop investi sur toi. 50% de ton temps tu es libre pour tes activités mais 50 % quand même au service de l’Église. Donc c’est comme ça que je suis rentré à l’Institut Catholique de Paris
 
RG : Oui d'accord 
 
PB : par le Père Dubarle en faculté de philosophie et, et les 50% ben j’ai retrouvé des compagnonnages d’avant et puis ouverture à l’Amérique Latine. Et je suis devenu un peu théologien rouge quoi, hein ? C’était avant la théologie de la libération nous sommes en 66-67
 
RG : Et qu’est-ce que, bon qu’est-ce qui vous a ?
 
PB : J’ai pas été sans influence auprès de certains depuis la libération, du reste
 
RG : Oui, oui
 
PB : comme Gustavo Gutiérrez , on se connaissait, il m’a beaucoup cité dans son livre Théologie de la libération
 
RG : Vous parlez beaucoup de Camilo Torres
 
PB : Ah bah j’avais été marqué. Je ne connaissais pas Camilo Torres mais j’avais été marqué
 
RG : Oui
 
PB : par sa mort quoi, dans le maquis. Je m’étais un peu renseigné sur lui, oui
 
RG : Et la lecture de Marx ?
 
PB : Oh ben j’avais déjà beaucoup lu, je connaissais  Marx, et je prenais aussi une bonne part de sa critique de la religion
 
RG : Oui
 
PB : les formes historiques de la religion y compris dans le christianisme
 
RG : Oui
 
PB :  Mais, mais mon rapport au marxisme de ce point de vue-là, critique de la religion - parce que  j’ai été quand même en gros d’accord avec la conceptualité exploitation, lutte de classes. Maintenant quand on entre dans le détail, ben j’avais des divergences, parce que  les temps avaient changé, la baisse tendencielle du taux du profit tout ça. J’étais pas du tout aligné sur les position du Parti Communiste qui répétait la vulgate, j’étais marxiste à l’esprit indépendant
 
RG : Oui, oui
 
PB : Bon, alors en ce qui concerne la religion, moi je vivais plutôt ça comme un apport critique, nécessaire pour.. pour dégager l’expérience de foi elle-même
 
RG : Oui
 
PB : Donc c’est, c’était une co-habitation bien équipée quoi, et en même temps je, je sentais trop les insuffisances du marxisme théorique pour animer un mouvement social de libération
 
RG : Oui
 
PB : Ça requiert beaucoup plus que ça du côté de la subjectivité
 
RG : t vous avez, vous avez vu ce mouvement de libération venir d’où ? de l’Amérique Latine d’abord ou de ?
 
PB : Ben venir de, de rien (rire) de si, de là, mais il n’y avait nulle part d’incarnation
 
RG : Non
 
PB : Je ne suis pas messianique
 
RG : Non 
 
PB : Ceci dit j’ai eu un rapport assez particulier avec Cuba
 
RG : Oui
 
PB : D’abord parce que  j’ai été invité au Congrès des Intellectuels du début 68, janvier 68 oui
 
RG : Oui
 
PB : où j’enseignais à l’Institut Catholique à ce moment-là. J’avais écrit déjà un certain nombre de choses, et puis il se trouve que j’ai rencontré trois prêtres latino-américains là-bas, et qui avaient l’intention de faire une déclaration. Et il se trouve que finalement c’est, c’est le texte que j’ai rédigé qu’ils ont signé quoi. Et se texte a été repris dans son discours de clôture par Fidel Castro
 
RG : Ah bon ?
 
PB : Et qui a fait un usage du reste assez, assez soufflant
 
RG : Qu’est-ce qui racontait ce texte ?
 
PB : Ah ben faudrait que je prenne des archives là
 
RG : Grosso modo ?                       
 
PB : Ben ce texte disait que nous étions avec le congrès qui était là réuni, le, la contribution d’intellectuels au mouvement des Trois Continents, et que nous apportions un soutien à Cuba dans sa situation difficile de blocus et que nous pensions que le marxisme était, faisait parti du, de la théorie de ce mouvement-là. Mais que la foi chrétienne avait aussi quelque chose à apporter, nous nous réclamions de l’exemple de Camilo Torres. Alors Castro a repris ça et je crois que ça été son discours, la partie où il reprenait ça et où il commentait ça a été comment dire, le moment le plus anti-soviétique de sa pensée et de ses écrits
 
RG : Hmm
 
PB : Mais peu de temps après il était bouffé par l’Union Soviétique
 
RG : Ah d'accord
 
PB : C’était déjà en grande bagarre à l’intérieur du Parti Communiste Cubain. Mais dans tout les cas la longue, le long développement fait à partir de ce texte, euh en gros le thème c’était « allons-nous accepter de voir des marxismes devenir, le marxisme devenir une pensée sclérosée, des marxistes devenir des, des bureaucrates je ne sais pas quoi, c’est pas le mot, alors que nous aurions des prêtres devenir des révolutionnaires »
 
RG : Oui  
 
PB : Donc, la signification historique…bon et, et qui en même temps disait quelque chose d’une certaine alliance de stratégie qui existait en Amérique Latine entre des éléments marxistes et des éléments chrétiens
 
RG : Oui
 
PB : Je l’ai là ce texte
 
RG : Oui ?
 
PB : Je crois que c’est un des plus beaux textes de Castro hein, alors après on a pu me mettre l’étiquette castriste ( téléphone sonne)
 
RG : Je vais pauser
 
PB : Donc mon nom et celui des trois autres prêtres - l’un qui était uruguayen qui avait dirigé la marche des coupeurs de cannes à l’Uruguay, un autre colombien qui était le successeur de Camilo Torres au Frente Unido, un autre qui était dominicain de, professeur de, de philosophie des sciences à l’université de Mexico. Bon ben nos noms étaient sur la place publique. Alors quand je rentre en France, on m’avait dit surtout tu te fais pas remarquer
 
RG : « On », c’est qui ? 
 
PB : tout de suite Rome a demandé…
 
RG : Vos supérieurs ?
 
PB : Oui bien sûr, je passe sur les détails
 
RG : Oui
 
PB : Alors Rome qu’est-ce que ? Et heureusement le nonce apostolique avec lequel je m’étais bien entendu, Zacci, a écrit une lettre à mon prieur en disant à quel point il avait été content de, de nos conversation avec moi à La Havane et, et que les cubains se demandaient s’il ne serait pas intéressant de me faire venir pour murmurer une sorte de chair de l’histoire du christianisme
 
RG : Oui
 
PB : Alors copie tout de suite cette lettre à Rome, et donc lettre du général en disant « ah les propos, les propos tenus par le nonce apostolique à la Havane nous font nous interroger sur la justesse des propos attribués au père Blanquart » ( rire de PB et RG). Voilà bon
 
RG : Et puis à Rome ?
 
PB : C'est-à-dire on a voulu y faire des choses mais bon hein
 
RG : Oui, oui
 
PB : Voilà
 
RG : Ça c’est en janvier 68 alors…
 
PB : Oui, oui nous sommes en janvier 68
 
RG : Et arrive mai 68 et comment ça s’est passé pour vous ?
 
PB : Ben avant mai 68 il y avait eu un certain nombre de choses
 
RG : Oui
 
PB : D’abord pour ma part j’étais assez sollicité et la continuation du Congrès des Intellectuels et, bon conférence ici ou là
 
RG : Il y avait un colloque au mois de mars 
 
PB : Et il y a eu le colloque « Christianisme et Révolution » 
 
RG : Oui
 
PB : Donc vous vous, vous avez le petit bouquin
 
RG : Oui, oui je l’ai
 
PB : Où j’ai parlé - il y avait De Certeau, il y avait - bon donc, moi j’ai pas été surpris pendant, je sentais qu’il y avait, qu’il fallait que des choses arrivent, fallait de l’événement
 
RG : Oui
 
PB : Et il y a eu de l’événement
 
RG : Oui…et vous, vous…
 
PB : ce qui est, ce qui est fondamental
 
RG : Oui d'accord
 
PB : pour l’histoire au profit de l’événement
 
RG : Oui
 
PB : Un événement ça fait toujours une irruption plus ou moins imprévue, enfin ça pousse jamais comme on pensait que ce pourrait l’être. Ça, ça disloque un peu les théories, mais il y eut de l’événement, il y a eut de l’événement et donc de la parole
 
RG : Et vous étiez de l’avis que les Chrétiens devaient s’engager dans le mouvement ?
 
PB : Ah ben oui, j’ai écrit du reste assez vite, un appel aux étudiants ou je ne sais plus, comment faut que...Je demandais aux étudiants chrétiens rejoignent, prennent toute leur part au mouvement pour effacer, pour effacer notre horrible 19eme siècle quoi
 
RG : Ah bon c’était pour ça
 
PB : Hein ?
 
RG : C’était plutôt pour ça…effacer le passé réactionnaire
 
PB : Non, enfin oui pour, pour, je ne sais plus les expressions, ce que j’avais dans la tête c’est que il fallait, il fallait en finir avec ce fossé entre le christianisme et la classe ouvrière, oui il fallait revenir sur…Il fallait revenir sur du potentiel qui existait au début du 19eme siècle et qui avait été, qui avait été détruit. Alors je connaissais vaguement son nom comme ça parce que  j’avais quand même fait des études d’histoire mais c’est sure que par la suite j’ai eu une certaine rencontre avec Henri Grégoire
 
RG : Oui
 
PB : Bien sûr, bien sûr
 
RG : Mais vous saviez que tout, tout mouvement catholique ou chrétien révolutionnaire a été brisé finalement par l’Église
 
PB : Oui bon et alors, je le sais (rire de RG), je le sais
 
RG : Oui
 
PB : Pour ça toutes les difficultés fondamentales viennent de via evangelicus in medio ecclesiae
 
RG : Oui
 
PB : Je, je le sais, j’ai toujours eu comment interpréter l’Église ? Est-ce que c’est l’institution qui est au service de l’instituant évangélique ou est-ce que c’est une admirable machine qui a été inventée pour désamorcer ? Pour moi la question demeure posée
 
RG : Oui
 
PB : C’est la bagarre entre les deux
 
RG : Oui
 
PB : Est-ce que c’est un institué au service de l’instituant ou est-ce que c’est un institué qui a pour but de neutraliser l’instituant ?
 
RG : Oui
 
PB : Alors dans la mesure ou j’en suis, c’est pour faire, c’est pour contribuer à ce que, parce que  il ne peut ne pas y avoir d’institution, faut être, faut ignorer ce qu’est l’histoire, ce qu’est l’action, voir qu’il n’y a pas d’institution, on peut se passer d’institution
 
RG : Oui
 
PB : Faut de l’institution mais dans l’institution il y a toujours la possibilité que l’institution se serve pour elle-même de ce qu’elle doit servir. Bon ça aurait été le problème de ma vie mais comment dire, je n’ai jamais été en crise
 
RG : Non ?
 
PB : A ce propos-là, c’est tellement évident
 
RG : Donc en, en termes de, de milieu révolutionnaire vous étiez où ? vous étiez au centre Saint-Yves ou ?
 
PB : Je n’étais pas au centre, enfin je parlais au centre Saint-Yves 
 
RG : Oui  
 
PB : Je crois qu’à un moment donné ils me faisaient parler une demi-heure tous les jours pour faire le point sur le mouvement
 
RG : Oui
 
PB : Il y a dû y avoir quelque chose comme ça oui
 
RG : Oui
 
PB : Je ne sais plus, c’était des journées, on s’en rend plus compte
 
RG : Mais autrement il y avait ce comité du treizième arrondissement
 
PB : Ah ben ça c’était le comité d’action
 
RG : comité d’action
 
PB : Je n’y étais pas plus particulièrement, j’étais...j’ai été particulièrement nulle part. Mais il n’y a qu’un seul lieu que j’ai pu fréquenter pendant tout le mois, c’était l’Institut catholique  où j’enseignais ou d’autres…
 
RG : L’enseignement continuait ?
 
PB : …d’autres faisaient le travail comme Stanislas Breton, Dominique Dubarle etc., moi j’étais trop sollicité ailleurs…
 
RG : Mais les étudiants catholiques ?
 
PB : Ah bah, ah ben oui, les, les cathos de gauche avaient pris le comité, le, comment dire, le comité d’action, ça s’appelait comme ça, de la faculté de droit de la rue d’Assas qui était tenu avant par des fachos
 
RG : Oui
 
PB : Là c’est les cathos de gauche qui ont réussit à le prendre, alors c’est certains Jean-Paul Piriou, des gens comme ça, moi j’étais un petit peu, j’étais un petit peu derrière pour les aider à penser quoi
 
RG : Oui
 
PB : Oui j’ai eu un rôle de conseil
 
RG : D'accord
 
PB : Par exemple avec ce, ce comité de grève-là  mais et d’autres…
 
RG : D'accord, mais après un certain moment…
 
PB : Ceci dit j’ai jamais cru que, qu’il y aurait la révolution en France
 
RG : Non
 
PB : Mais ce que je pensais c’est qu’il fallait appuyer sur l’accélérateur, appuyer sur l’accélérateur pour développer les prises de conscience
 
RG : Pour transformer la société ou pour transformer l’Église ?
 
PB : Ah non la société, pas l’Église, ah non, non ceci n’a jamais été en priorité l’Église
 
RG : Non ?
 
PB : Jamais
 
RG : Jamais
 
PB : Je suis un Chrétien dans l’histoire…l’institution est importante
 
RG : Oui
 
PB : parce que  c’est elle qui a la mémoire, et qui a les bibliothèques et tout ça et…
 
RG : Oui
 
PB : J’ai beaucoup profité de mes études  au couvant des Dominicains
 
RG : Oui
 
PB : parce que  j’ai eu accès à la bibliothèque
 
RG : Oui…mais il y avait quand même des formes nouvelles de, de pratiques religieuses comme les communautés de base qui sont sorties du mouvement. Est-ce que ça vous a intéressé ?
 
PB : Ben moi j’étais toujours, j’étais toujours très intéressé, lorsque la foi produit de la forme sociale
 
RG : Oui
 
PB : Et la forme sociale aussi de l’institution
 
RG : Donnez-moi un exemple
 
PB : Les communautés de base en Amérique Latine
 
RG : Oui, ça commence en Amérique Latine ?
 
PB : Eh non, il y avait des choses un peu...Non moi j’avais des souvenirs qu’on m’avait raconté dans mon enfance et mon adolescence qu’il y avait des communautés de travail influencées par le christianisme liées plus ou moins à la Résistance, c’est la communauté de Boimandeau ?) dans le Vercors ou des trucs comme ça hein
 
RG : Oui
 
PB : Et c’est, dans des milieux d’enseignants chrétiens il y avait eu aussi des tentatives de, communautaires
 
RG : Oui
 
PB : Mais ça a pris forme populaire, ça a pris forme populaire en Amérique Latine
 
RG : D'accord
 
PB : Donc si vous me demandez un exemple où la foi produit de la forme sociale, voilà
 
RG : Oui
 
PB : Alors ces formes sociales après entrent plus ou moins en bagarre avec l’institution romaine, centralisée. Bon, alors est-ce que la seconde va se faire influencer par la première ou est-ce la seconde va vouloir supprimer la première euh ?
 
RG : Oui
 
PB : C’est, ça se passe tout le temps comme ça dans, dans l’histoire
 
RG : Oui
 
PB : Mais où en étions-nous ?
 
RG : 68-69…Est-ce que vous étiez…
 
PB : Vous vous en dormez déjà, moi aussi du reste
 
RG : Non, non, est-ce que vous étiez content par ….
 
PB : Je ne, je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait un bouleversement
 
RG : Non
 
PB : du pouvoir et des structures sociales. Ben je l’avait dit, ce doit être écrit quelque  part ou rapporté dans un bouquin, que, que le rapport de force était tel que bon...Mais ceci dit j’attendais que cet événement, enfin je souhaitais que cet événement ait le temps de modifier bien des consciences
 
RG : Oui
 
PB : Ce qui a été le cas
 
RG : Ce qui a été le cas, oui, comme…
 
PB : Beaucoup de gens de 68, ils n’étaient plus comme ils étaient avant
 
RG : Mais plus révolutionnaires, plus chrétiens ou plus quoi ?
 
PB : Ben certains cas à la fois l’un et l’autre
 
RG : Oui…mais pas de gens ont quitté
 
PB : Dans certain cas à la fois l’un et l’autre
 
RG : Est-ce que pas mal de gens ont aussi perdu la foi ?
 
PB : Oh bien entendu, bien entendu mais alors qu’est-ce qu’ils ont perdu ? Ils me disaient « j’ai perdu la foi je ne suis plus chrétien ». Qu’est-ce qu’ils avaient perdu, hein ? Il y a beaucoup de gens qui me disent « ah je ne suis plus chrétien ». Je vois comment ils vivent, comment ils pensent, je dis « oui, bon évidemment tu as du mal à, à t’inscrire dans, dans, dans la forme que le dogme pensé en vrai imposé à la foi, mais tu me parais quand même étonnamment proche de la prédication de Jésus qui par la foi fait lever, fait lever les humains de l’intérieur même de leur souffrance »
 
RG : Oui      
 
PB : J’ai jamais confondu la foi et un discours…donc il y en a qui ont perdu la foi, alors oui j’étais tout triste de voir des gens qui devenaient marxistes mais marxistes orthodoxes, puis entraient au Parti Communiste  comme ça, c’est la peine. Alors à l’Institut catholique je voyais des jeunes que j’avais ouvert à la pensée socialiste et au mouvement ouvrier et donc marxiste et puis qui, qui s’alignaient sur les pays de l’Europe de l’Est. Bon ben c’est, c’est comme ça, et souvent c’était plus facile pour eux du reste de combiner le marxisme, le socialisme de l’Est et l’Église, ça pouvait marcher ensemble comme en Pologne. Je me souviens j’étais invité à un colloque en Pologne, je crois que ça avait été organiser par Pax. Mais enfin bon, j’ai été invité, ça devait être je ne sais plus 69-70…
 
RG : Continuez, continuez, oui
 
PB : Et alors quand viens mon tour de -  et puis c’était un, c’était un Polonais qui m’entendant parlé en 68 rue de Babylone dans un coin comme ça, marxisme et christianisme, bon donc m’invite - bon voilà le discours que j’ai tenu, « je suis ici en Pologne et depuis très longtemps, depuis ma jeunesse je pense beaucoup à la Pologne et je me dis voilà un pays qui est, qui est socialiste et donc qui fait travailler la pensée de Marx et en même temps il se réclame du christianisme, il y a si longtemps que j’essaye de faire travailler l’un sur l’autre donc je suis heureux d’être en Pologne. Malheureusement qu’est-ce que je vois ? Je vois un régime qui n’est de socialiste que de nom et qui a été imposé par le grand voisin soviétique et un catholicisme qui est parmi les plus rigides et donc pour moi ça n’a rien à voir avec les questions que je me pose 
 
RG : Oui
 
PB : Mais j’espère toujours que peut-être qu’un jour la Pologne…
 
RG : C’est en l’année ?
 
PB : Une personne m’attendait au bas de la tribune
 
RG : Oui
 
PB : pour me dire «  vous comprenez monsieur Blanquart qu’on vous ne permet plus, vous ne pouvez plus parler le reste de votre séjour en Pologne »
 
RG : C’était en quelle année ?
 
PB : Je ne sais plus - 69-70
 
RG : Parce que  pour vous, c’est, c’est quoi l’idéal…
 
PB : Alors il y avait des gens qui disaient « ah Blanquart il est prosoviétique », non j’ai jamais été prosoviétique
 
RG : Non
 
PB : On liquide la foi chrétienne, enfin bon
 
RG : Quel est votre modèle d’un société socialiste ?
 
PB : Il n’y a pas de modèle
 
RG : Pas de modèle
 
PB : Pas de modèle par définition. Alors lorsque nous allons passer aux, aux, aux peuples qui n’ont pas été influencés, enfin qui ne sont pas d’origine occidentale
 
RG : Oui
 
PB : Alors là je connais un petit peu l’Afrique, modèle social pour l’Afrique, et les Indiens descendent, nous n’en savons rien. Il n’y a pas de modèle, il n’y a pas de modèle il y a de l’énergie qui est en travail et qui a inventé ses formes
 
RG : Oui
 
PB : au cours de l’histoire dans des circonstances, et c’est pour ça qu’il est très important de ne pas perdre l’intériorité
 
RG : D'accord 
 
PB : qui régule l’énergie au départ
 
RG : Oui
 
PB : Au départ, au départ ce sont des frères, le mot « fraternité » est décisive
 
RG : Oui
 
PB : Si tu es amené à poser des actes qui stérilisent la perspective de fraternité, c’est pas bon. Maintenant comment peut-on être frère (rire de PB) à priori, ben non, inventé
 
RG : Oui
 
PB : Donc stimulation de la recherche théorique en fonction des circonstances historiques, culturelles etc. Mais à l’intérieur la régulation de l’énergie par un certaine profondeur de l’existence. Et c’est là où je suis chrétien incontestablement
 
RG : Oui, oui
 
PB : Bon allez, y’en a marre
 
RG : Deux petites
 
PB : Encore
 
RG : Deux petites questions, oui une petite question juste pour résumer votre trajectoire après 68 en tant que carrière, pensée. Enfin qu’est-ce qui s’est passé ?
 
PB : De carrière, jamais eu de carrière, jamais eu de carrière
 
RG : De vocation, de vocation
 
PB : Ben vocation en quel sens ?
 
RG : Parce que  vous avez dit un certain moment…
 
PB : En quel sens ?
 
RG : que l’Église vous a interdit de parler en public, c’était à quel, à quel moment ?     
 
PB : Ah c’est plus tard ça
 
RG : C’est plus tard
 
PB : Bon alors, à l’Institut catholique, enfin j’ai su bien après que dès - à la fin de ma première année d’enseignement à l’Institut catholique, comme il y avait l’invitation à Cuba, mai 68 et tout ça, qu’il y avait une campagne pour m’éliminer
 
RG : Oui
 
PB : Et le recteur qui s’appelait Hoffmann, bon ben a dit a mon doyen de Faculté, Dominique Dubarle, « bon ben il va falloir qu’on se sépare du père Blanquart ». Alors Dominique Dubarle a donné un rendez-vous au cardinal archevêque de Paris, Marti, d’urgence - et je n’ai su ça que des années après par quelqu’un d’autre - et alors j’ai demandé à Dubarle, j’ai dit « écoute on m’a raconté ça, est-ce que c’est vrai ?». Et il m’a dit «  ben oui mon petit Paul, qu’est-ce que tu veux c’est comme ça ». Donc il entre dans le bureau de, du cardinal, il dit « asseyez vous », je dis « non, non, non mon éminence c’est pas la peine, je viens vous voir à propos du père Blanquart ». « Ah oui en effet des problèmes ».  «  Je viens simplement vous dire ceci, que si on touche en quoique ce soit à la tête du père Blanquart, je démissionne illico facto de toutes mes fonctions dans l’Église de Paris »
 
RG : Ah bon
 
( brouhaha, le micro tombe)
 
RG : Oui
 
PB : Mais c’était des gens qui avez fait la Résistance, qui avez affronté l’histoire des prêtres ouvriers et tout ça, c’était bon. Alors ben voilà je suis resté à l’Institut catholique de Paris, m’enfin on avait aux théologiens de suivre les cours, et puis je m’y ennuyais aussi je dois dire
 
RG : Donc vous avez…
 
PB : Alors j’ai participé à la fondation d’une revue, puis d’un journal politique, puis Politique Hebdo, non j’ai eu très vite la charge du numéro 2
 
RG : C’était à quel moment ça Politique hebdo ?
 
PB : Politique Hebdo ça devait être fondé en 71 si je ne m’abuse, la revue Politique en 69, oui et l’hebdomadaire en 71…bon enfin c’est une période de suractivité
 
RG : Qu’est-ce que vous, qu’est-ce que vous cherchez à, qu’est-ce que vous voulez réussir à ces, avec ces revues ?
 
PB : Bon ben c’était, comment dire, un certain maintien de, de questionnements émergés en 68 et qui pouvaient renouveler la pensée socialiste ou de gauche et pouvait aussi en recomposer le contenu social
 
RG : Oui
 
PB : Et ben, avant Libération, Libération est apparue mais lui sur des positions gauchistes alors que nous n’avions pas des positions gauchistes, nous avions des positions révolutionnaires
 
RG : Oui
 
PB : On aurait pu dire extrême gauche mais ce n’était pas le gauchisme, parce que  c’était trop, c’est un journal du reste qui était beaucoup lu, beaucoup plus lu chez les militants de province
 
RG : Oui
 
PB : que chez les, les intellectuels médiatisés parisiens
 
RG : Et les journalistes là-dedans ?
 
PB : Alors c’est, c’est ce, et ce tissu social là qui faudrait voir hein, réseaux et trajectoires
 
RG : Oui
 
PB : les Chrétiens de gauche, il n’y en avaient, il y en avaient pas mal qui, qui étaient liés entre eux par Politique Hebdo
 
RG : Qui par exemple ?
 
PB : par cet hebdomadaire-là
 
RG : Qui ?
 
PB : Je ne sais pas, des milliers
 
RG : Des milliers, non mais les journalistes, les gens qui travaillaient avec vous
 
PB : ah ben Hervé Hamon était, a commencé à être journaliste là-dedans
 
RG : Oui
 
PB : Mais il y a, il n’y avait peu de Chrétiens dans l’équipe
 
RG : D'accord
 
PB : Il y avait moi mais, de toute façon, mais je sais, ah mais il y avait, il faudrait voir les dirigeants du MRJC, Mouvement Rural de la Jeunesse Chrétienne
 
RG : Oui
 
PB : C’est plus important que le JEC...alors mais oui mais sur 68 il n’y a pas de choses qui ont été écrites parce que  c’était une telle crise. Ah je vous donne quand même une adresse d’une personne qui est venue me voir il y a quinze jours ici, comment il s’appelle ? Mousseau, donc vous notez
 
RG : Mousseau, comme Rousseau 
 
PB : MOUSSEAU oui, avec un M hein
 
RG : Oui
 
PB : Roger et sa femme Arlette
 
RG : Oui
 
PB : Ils ont été dirigeants du MRJC un peu plus tard, vers 73-74, mais il faudrait qu’ils vous introduisent au MRJC de 68, c’est un type sérieux, solide, donc ils sont à Saint-Nazaire
 
RG : Oui
 
PB : Téléphone du domicile, je vous donne ?
 
RG : Oui, oui
 
PB : 02.40.70.39.27, 02.40.70.39.27
 
RG : D'accord, très bien
 
PB : Comme porte d’entrée hein
 
RG : Oui, très bien
 
PB : Bon, dans le monde rural vous avez eu la figure de, de Bernard Lambert
 
RG : Oui, que vous avez connu ?
 
PB : Oui, 68
 
RG : Oui
 
PB : La Commune, la Commune de Nantes
 
RG : Nantes oui
 
PB : Il y avait une composante étudiante, il y avait une composante ouvrière et il y avait une composante paysanne
 
RG : Oui d'accord oui
 
PB : La composante ouvrière était dominée par Gilbert Declerq
 
RG : Oui
 
PB : CFDT, militant chrétien hein
 
RG : Oui
 
PB : de gauche et mon paysan Bernard Lambert 
 
RG : Oui
 
PB : chrétien de gauche aussi
 
RG : Oui
 
PB : Je ne vous adresse pas à sa femme, parce que  sa femme, elle n’est pas chrétienne et elle n’a jamais compris ça de Bernard et elle le nie, cette dimension-là de Bernard
 
RG : Ah bon
 
PB : Donc il en parlait pas avec sa femme, c’était pas la peine. Mais le, le, l’auteur, le gars qui a fait le film sur Lip
 
RG : Oui
 
PB : avait fait auparavant un film sur Bernard Lambert
 
RG : Ah bon
 
PB : que vous pouvez chercher à visionner
 
RG : Oui…ça s’appelle comment ?
 
PB : Et au cours duquel j’interviens plusieurs fois…
 
RG : Ah bon…
 
PB : Du reste de ce film-là
 
RG : Qui s’appelle comment ?
 
PB : Bernard Lambert, le film je ne sais pas il s’appelle, je ne sais plus comment il s’appelle mais...ah ben tiens Christian Rouaud, c’est l’auteur du film sur Lip et du film sur Bernard Lambert, il m’a appelé il n’y a pas longtemps là, donc Christian Rouaud, ROUAUD, lui il n’est pas chrétien hein
 
RG : Non
 
PB : 01.48. 52.98.57, 01.48. 52.98.57 
 
RG : 98.57
 
PB : 57, Bon mais Bernard Lambert vous connaissez
 
RG : Oui
 
PB : Vous avez lu ses petits trucs sur…
 
RG : Oui, mais il est mort
 
PB : sur Chrétiens et marxistes, bien sûr qu’il est mort, ben oui, tout le monde est mort
 
RG : Non, non, il en reste (rire)
 
PB : Pas pour longtemps…
 
RG : On arrête ?
 
PB : Ben oui on arrête.