Patrick Viveret

 

name of activist

Patrick  Viveret

date of birth of activist

16 March 1948

gender of activist

M

nationality of activist

French

date and place of interview

15 May 2008, Paris

name of interviewer

Robert Gildea

name of transcriber

Nora Khayi

 

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RG : Bon je pense qu'on peut y aller, bon, Monsieur je vais commencer s'il vous plaît par vous demander votre nom et votre date et lieu de naissance

 PV: Attendez, faut que je me mette bien

RG: Je vous aide, ou ça y aller?

PV: Ça va y aller là

RG: oui, c'est bon comme ça

PV: Je suis donc Patrick Viveret et je suis né le 16 mars 1948 à Créteil

RG : A Créteil 

PV : Oui, dans le Val d'Oise

RG : Et votre famille est d'origine parisienne ou ?

PV : Non, j'ai une partie de ma famille du coté paternelle qui est de la région parisienne, du coté de ce qui était avant la Seine-et-Marne, qui est maintenant le Val d'Oise, et l'autre partie du coté  maternelle est de Haute-Savoie

RG : Oui d'accord

PV : Alors, on, on ça ne vous dérange pas si on va ?

RG : Oui d'accord on peut

PV : Comme je croyais qu'elle n'était pas ce matin

RG : Ah d'accord, donc du coté de votre mère c'est la Haute-Savoie

PV : C'est la Haute-Savoie et c'est une famille qui a été elle-même immigrée puisqu'elle s'appelle Luchuni, L.U.C.H.U.N.I.

RG : Ah oui, immigrée d'Italie ?

PV : Elle est anciennement d'Italie et puis ensuite elle est passée par la Suisse

RG : D'accord, et donc du point de, qu'est-ce qu'il faisait votre  père professionnellement ?

PV : Il était expert comptable

RG : Oui. Et votre mère travaillait ou était à la maison ?

PV : Elle était à la maison mais elle avait travaillé pendant la guerre comme infirmière dans la Résistance. Et quand elle a pu elle a - notamment quand ils sont partis quelques années en Afrique - elle a exercé comme infirmière ou comme aide-soignante 

RG : Donc elle a rejoint la Résistance à, elle est allée avec qui ? 

PV : En Haute-Savoie, c'était un maquis de Franc-Tireurs et Partisans, mais c'était un maquis qui était dirigé par Maurice Herzog, qui ben l'alpiniste bien connu, qui était aussi ministre des sports sous le General de Gaulle 

RG : Et elle est partie en Afrique, avec ?

PV : Oui quand mon père a été envoyé par les Nations Unies  pour aider la banque du développement du Mali  à Bamako. Elle est partie avec lui pendant cinq ans

RG : Vers  quel moment ça ?

PV : C'était vers 1973  à peu près

RG : Oui d'accord. Et votre père a vécu une guerre plus paisible ?  

PV : Oui, le, il était trop jeune pour être mobilisé, enfin je ne sais plus exactement ce qu'il s'est passé mais en tout cas, il a, il n'a pas eu le même engagement que ma mère

RG : Et puis du point de vue politique et religieux où est-ce qu'ils se situaient ?

PV : Dans la tradition...ils étaient de gauche et dans la tradition du christianisme sociale, et ça a correspondu aussi au moment ou derrière Pierre Mendès France il y a eu un certain nombre de chrétiens qui se sont retrouvés a gauche

RG : Parce que quand on dit christianisme social, ça couvre une multitude de courants non ?   

PV : Oui mais comme son nom l'indique c'est quand même des courants qui se voient dans une perspective de transformation sociale

RG : D'accord, d'accord. Et donc, les deux parents ils pensaient comme ça, enfin ils avaient la même perspective sur ce christianisme sociale après la guerre?

PV : Oui. Oui, oui, ma mère avait été aussi dans la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, et mon père lui ses parents étaient des, des catholiques beaucoup plus traditionnels et conservateurs mais il était en réaction contre ses parents 

RG : D'accord. Alors qu'est-ce que vous avait fait comme études ?  Secondaires et supérieures 

PV : Ben j'ai fait des études au lycée Joliot-Curie à Nanterre, et qui ont ensuite débouché sur une licence et une maîtrise de philosophie, puis un CAPES de philosophie. Et puis l'un autre coté j'étais,  j'ai fait des études et j'ai eu le diplôme de l'Institut des Études Politiques à Paris

RG : Donc vous avez fait à la fois Nanterre et Sciences Po ?

PV : Voilà

RG : Et ça se faisait facilement, il n'y avait pas trop de travail ou ?

PV : C'est-à-dire il y avait une équivalence qui permettait d'être dispensé de l'année préparatoire de Sciences Po après la licence

RG : Ah d'accord, vous avez fait la licence d'abord ?

PV : La licence et puis conjointement avec l'Institut d'Études Politiques de Paris la maîtrise et le CAPES de philosophie

RG : D'accord. Donc vous êtes entré à Nanterre en quelle année ?

PV : Ben Nanterre moi j'y suis depuis l'âge de dix ans et demi puisque je suis rentré au moment de la sixième au

RG : Oui au lycée

PV : Au lycée et à la faculté, ben j'ai dû y rentré en 65 à peu près je pense

RG : Et Sciences Po plus tard ?

PV : Et Sciences Po ben j'y suis rentré en Septembre 68 

RG : Et vous étiez à Nanterre parce que ça vous a tenté comme université nouvelle ou parce que c'était dans votre quartier, parce que c'est  les gens de l'ouest de Paris étaient porté sur Nanterre c'est ça ?

PV : Moi j'habitais Nanterre

RG : Oui

PV : Enfin, à cette époque-la je n'habitais plus Nanterre mais j'étais resté au lycée a Nanterre 

RG : Oui

PV : Donc géographiquement c'était logique que j'y sois  et ça m'intéressait aussi de vivre comme une nouvelle expérience le campus de Nanterre. Et comme par ailleurs j'ai demandé une chambre a la cité universitaire c'était plus commode pour moi 

RG : Et quelles étaient vos impressions de Nanterre à ce moment-la ?

PV : Nanterre était marquée par une situation où spatialement on voyait tous les grands problèmes sociétaux de l'époque, puisqu'il y avait l'immense bidonville qui était  encore présent. La zone de la faculté était une zone  très désertique, qui s'appelait d'ailleurs « Nanterre la folie », la gare qui la desservait s'appelait Nanterre-la-Folie

RG : Oui

PV : Et de l'autre coté de la cité universitaire il y avait d'une part une caserne,  et puis d'autre part ce qu'on appelait la maison des petits vieux  de Nanterre

RG : Oui

PV : Donc avec une grande misère sociale, la question des bidonvilles, la présence militaire, donc il y avait beaucoup de conditions qui étaient réunies pour des prises de conscience individuelles  et collectives à Nanterre 

RG : Est-ce que, donc, est-ce que vous pouvez raconter une peu votre apprentissage politique ? Comment, à quel moment et pourquoi vous avez eu ce, cette ambition de militer ou de vous engager, et dans quoi ?

PV : D'abord moi j'ai eu des engagements sociaux relativement tôt puisque dès la période de mes études secondaires  je suis rentré à la Jeunesse Étudiante Chrétienne ou j'ai été très active

RG : Oui

PV : Je suis devenu assez rapidement responsable du lycée, et puis après j'étais responsable fédéral, puis j'étais responsable régional de la région parisienne, ensuite j'étais à l'équipe nationale de la Jeunesse Étudiante Chrétienne

RG : Oui

PV : Et donc a travers la JEC j'ai eu une sensibilisation a la plupart des grandes questions collectives et y compris sur le plan politique. Donc c'était en quelque sorte assez naturellement que je me suis retrouvé intéressé par le syndicalisme étudiant, actif dans les mouvements qui se sont développés à  Nanterre à cette époque, et puis par ailleurs mes parents ayant été dans la tradition de la gauche nouvelle et du mendésisme. J'étais assez vite intéressé par Michel Rocard et le Parti Socialiste Unifié notamment parce que mes parents avaient déménagé dans les Yvelines

RG : Oui

 

PV : Et Michel Rocard c'était présenté à l'époque dans la quatrième circonscription des Yvelines qui était l'endroit où mes parents habitaient, et donc ça m'avait donné l'occasion d'assister à des réunions, de rencontrer Michel Rocard, de voir des gens du Parti Socialiste Unifié qui était à l'époque le, le seul parti qui était vraiment ouvert sur les questions nouvelles, qui avait été a la fois le parti en pointe dans la lutte contre la guerre d'Algérie et qui a été le parti le plus ouvert aux aspirations nouvelles de mai 68 et de ce qu'on appellera après le courant autogestionnaire

RG : Parce que vous avez rencontre Michel Rocard à quel moment ?  

PV : En 1967 la première fois

RG : Et c'est l'année de son élection aux Yvelines ?

PV : Non son élection aux Yvelines elle intervient deux ans plus tard lors d'une élection partielle en 1969 contre le première ministre de l'époque qui était Maurice Couve de Murville

RG : Ah oui d'accord, qui a gagné ?

PV : Oui, et Rocard à la surprise générale a gagné

RG : Ah oui d'accord

PV : Et ça été le début de sa carrière politique connue quoi. Il était connu dans un certain nombre de cercles militants  mais là il a été beaucoup plus connu

RG : Et donc dans le monde plus large vous avez été marqué par la guerre d'Algérie ou vous ou étiez trop jeune ou

PV : Moi j'étais, j'étais trop jeune par rapport  à la guerre d'Algérie mais je me sentais dans l'affiliation des personnes et des acteurs qui avaient combattues la guerre d'Algérie, et puis par contre j'étais évidemment beaucoup plus sensibilisé en direct par la guerre du Vietnam donc j'étais, j'étais dans le, les réseaux de luttes contre la guerre du Vietnam, mais moi j'étais toujours dans une perspective de lutte non-violente

RG : Oui d'accord

PV : Donc par exemple je n'étais pas partisan de la partie des comités Vietnam qui prônaient la lutte violente ou armée

RG : Parce qu'il y avait des Comités Vietnam et des Comités Vietnam de base ?

PV : Oui mais

RG : Mais manifester, c'est la même chose que la violence ?

PV : Non, il y a, les divisions entre les Comités Vietnam nationales et les Comités Vietnam de base étaient plus des différences liées aux orientations politiques et aux différences, notamment aux différences entre les groupes d'extrême gauche de l'époque

RG : Oui d'accord

PV : Les Vietnam de base étaient plus d'inspiration maoïste comme des Vietnam nationales étaient plus  d'inspiration trotskiste, mais moi je n'étais pas directement dans ces comités

RG : D'accord

PV : Je participais plus au mouvement plus large de la société de l'époque contre la guerre du Vietnam quoi

RG : Mais à Nanterre est-ce que vous avez pu évitez le mouvement du 22 mars ?

PV : Ah ben moi j'y étais dans le mouvement du

RG : Oui

PV : du 22 mars, mais le mouvement du 22 mars c'était un mouvement non-violent

RG : Oui 

PV : C'était un mouvement très pluraliste où toutes les tendances pouvaient s'exprimer et, et c'était un mouvement non-violent et on peut dire c'était un mouvement plutôt festif et  ludique, à l'image d'ailleurs de Daniel Cohn-Bendit

RG : Que vous avez connu à l'époque bien sûr

PV : Oui, oui, oui

RG : Quelles sont vos souvenirs de lui de cette époque ?

PV : Ben, c'est surtout un souvenir de, de quelqu'un qui était un vivant au sens fort du terme quoi

RG : Oui

PV : Et il avait une curiosité une imagination, un désir de vie qui faisait  qu'il était en décalage par rapport à toutes les formes de militantismes traditionnelles d'extrême gauche, y compris des groupes, des groupes anarchistes et - même si à l'époque il était d'extrême gauche et marqué par une tradition anarchiste - on sentait bien qu'il y avait en lui une curiosité, une ouverture plus large que sa propre tradition politique

RG : Oui d'accord parce que, je viens de lire son dernier bouquin Forget 68 et là il raconte que vraiment 68 c'était une révolte mais pas très politique. Il insiste sur le coté comme vous dites ludique, festive, subversive, culturelle de ce moment-là et je me demande si  c'était un peu une lecture depuis maintenant puisque la politique est un peu discréditée. Est-ce qu'on pouvait a l'époque séparer ce qui était politique et ce qui était culturel ?

PV : Euh, moi, la façon dont j'ai vécu cette période-la c'était déjà une nouvelle approche de la politique

RG : Oui

PV : Mais c'était une nouvelle approche de la politique qui était marquée justement par l'importance accordé aux questions culturelles, aux questions sociales, aux questions de changement de mode de vie,  et aussi aux questions internationales étaient pas mal en décalage avec les postures de l'extrême gauche qui pour nous étaient en  fait de la politique tout à fait traditionnelle quoi, dans les modes d'organisation, dans la conception, dans l'obsession d'un pouvoir à prendre. Alors que ce qu'on voulait nous c'était plus du pouvoir a créer que du pouvoir a prendre, et moi je le ressentais déjà a l'époque ce décalage, j'avais beaucoup de copains ou quelque amis qui étaient dans les groupes d'extrême gauche

RG : Oui

PV : Et je leur disais vous êtes en train de passer à coté du meilleur de, de ce mouvement quoi parce que forcement ils étaient tellement pris  par les objectifs  organisationnels, de ce qu'ils estimaient de la préparation par exemple d'un parti révolutionnaire que ils étaient pas dans les lieux de parole, dans les lieux d'imagination créatrice, dans le caractère festif du mouvement, et je trouve que ça été d'ailleurs bien exprimé dans le film de Romain Goupil Mourir à  trente ans  

RG : Oui

PV : où on voit justement Michel Recanati découvrir après coup qu'il était complément passé à coté de la saveur de 68, parce qu'il était trop occupé par les problèmes d'organisation, de service d'ordre, de logique intérieure à la Ligue Communiste de l'époque et, et du coup cette dépression terrible qu'il a connu après et qui a contribué à son, à  son  suicide; ça, ça me paraît assez révélateur

RG : D'accord

PV : de ce qui était déjà à l'époque, enfin quand on le vivait, le sentiment que l'extrême gauche  n'exprimait pas l'inédit de 68

RG : D'accord. Vous l'avez connu Recanati ?

PV : Je ne l'ai pas, je l'ai côtoyé, je ne peux pas dire que je l'ai

RG : Oui

PV : que je l'ai connu. J'ai participé à quelques réunions ou il y était mais je ne l'ai pas connu personnellement

RG : Mais des gens que vous avez connu dans le mouvement du 22 mars  qui pensaient comme vous à part de Cohn-Bendit, c'était qui ?  

PV : Ben, ce n'était pas les leaders

RG : Oui

PV : Parce que les leaders officiels, parce que le mouvement du 22 mars il exprimait lui-même dans sa, son organisation informel ses deux facettes

RG : Oui

PV : Parce que d'un coté il y avait les représentants de tous les groupes politiques de l'extrême gauche, peut-être plus large que l'extrême gauche mais, tous les groupes politiques tenaient à, surtout à l'époque où le mouvement du 22 mars était très dynamique, à être présent

RG : Oui

PV : Donc ça c'était le coté un peu cartel. Et puis il y avait le mouvement du 22 mars plus a la base ou la les gens étaient moins connus, mais où ils étaient aussi beaucoup plus drôles et, et imaginatifs. Mais ce n'est pas des gens, ce n'est pas gens connus quoi, leurs noms vous direz rien quoi, c'est...Les gens qui étaient plus connus comme  Xavier Langlade, comme etc., étaient eux-mêmes dans les organisations politiques d'extrême gauche

RG : Ben par exemple j'ai interviewé Anne Querrien, elle était dans cette base ou ?

PV : Oui elle, elle, elle est à mon avis plus significative de ce, de cette deuxième attitude

RG : Oui. Parce que pour l'inspiration vous avez lu Marx, lu et rejeté Marx, vous étiez plutôt Situationniste, d'où est-ce que vous avez eu vos idées ?

PV : Euh

 RG : C'était peut-être spontané mais j'en sais rien

PV : Non, non mais, notamment à travers la JEC, ça avait été une vraie, une vraie ouverture a des traditions sociales politiques et intellectuelles. Et puis on était aussi très en rapport avec le mouvement de la Jeunesse Communiste qui était important à l'époque là je parle du coté du lycée. Moi j'ai été très vite en rapport avec une pluralité de traditions transformatrices, ma sensibilité personnelle était plutôt  du coté de la tradition libertaire, mais d'une tradition libertaire non- violente et qui intègre en même temps des  éléments de ce que j'avais vu chez André Gorz qui m'avais beaucoup intéressé, ce qu'il appelait le réformisme radical  

RG : Oui d'accord

PV : Et d'ailleurs c'était amusant parce que dans les assemblées du 22 mars,  moi je défendais cette posture de réformisme radical, alors ce qui évidement était culturellement inacceptable pour beaucoup de gens qui trouvaient que c'était trop droitier par rapport à la position révolutionnaire, ce qui était amusant c'est que c'était régulièrement Cohn-Bendit qui me défendais, pas sur le fond      

RG : Oui

PV : mais sur le droit à la parole

RG : D'accord

PV : Alors, et je me suis rendu compte après - parce que cette vision du réformisme radical elle est restée à peu près constance ensuite chez moi - que la plupart des gens que j'avais a l'époque à  ma gauche, je les retrouvais à ma droite parce que…moi une des choses qui m'a assez vite marqué, j'étais très intéressé par l'aspect critique économique et social du marxisme

RG : Oui

PV : Mais j'étais vite frappé - alors au début c'était  une intuition et puis après c'est devenu plutôt l'objet d'un travail plus théorique - par le fait que il y avait une insuffisance anthropologique dans le marxisme   qui était à la racine de son insuffisance sur la question démocratique et sur la théorie politique, et de ce point de vu-la j'étais assez proche de ce que disait Emmanuel Mounier, de la tradition du personnalisme qui était que il y avait, il y avait a la fois la nécessite de dépasser le marxisme dans sa faiblesse anthropologique mais que pour mériter de dépasser le marxisme il fallait l'accompagner le plus loin possible dans les enjeux de critique sociale et de justice sociale. Mais le réformisme radiçal pour moi  exprimait bien cette situation parce que je repérais derrière la posture révolutionnaire beaucoup de postures autoritaires et, et d'une aspiration profonde à un retour à l'ordre, c'est- à -dire la définition physique de la révolution en fait. Vous la retrouvez aussi sur le plan politique, et, comme il y avait une vision réductrice simplificatrice il y avait aussi, dans le, l'espérance de remettre une société sur ses pieds

RG : Oui

PV : quelque chose qui finalement était très conservateur, très

RG : D'accord je comprends 

PV : Enfin d'un retour a l'ordre, et de ce point de vue là pour moi la notion de réformisme radical, il avait l'avantage justement d'aller plus à la racine des questions et notamment de la difficulté des collectivités humaines à , à réussir le vivre ensemble. Que c'était pas simplement lié à des verrous à faire sauter, que ce soit une exploitation, ou que ce soit l'état bourgeois ou que ce soit  plus tard le patriarcale, il y avait une difficulté intrinsèque de l'humanité dans son rapport à elle-même

RG : Oui

PV : qui était déjà présente. Alors  ça c'est les choses que j'ai théorisé dans les années ultérieures mais c'est, je me souviens que c'était déjà présent

RG : D'accord

PV : beaucoup à l'état intuitif, et dans ma résistance à ce que je trouvais simplificateur et réducteur dans les postures d'extrême gauche, par exemple il y avait beaucoup d'éléments de cette nature. Et  par exemple l'un des livres qui m'a le plus marqué, ben il y a deux livres qui m'avaient marqués à l'époque, l'un c'est La Brèche  écrit a la fois par  Morin, Castoriadis et puis, je me souviens plus du troisième. c'est pas Lefort ?

RG : Oui

PV : Non je ne sais pas, et l'autre c'est La Prise de parole de  Michel de Certeau

RG : Ah oui

PV : Et, et où Michel de Certeau évoquait comme hypothèse le fait  il y avait un tel inédit de 68 qui ne correspondait a aucun cas de référence de théorique connue, et que du coup cet inédit avait laissé la place a ce qu'il appelait une récupération par des langages antérieures

RG : Oui

PV : et notamment par les langages politiques intérieures  des visions de révolutions du tiers monde qui évidemment ne collait pas du tout par rapport à l'inédit de ce, de 68, que ce soit le maoïsme ou le trotskisme, l'un figé sur la Révolution chinoise maoïste, et l'autre sur ce qu'aurait été la Révolution russe si elle avait été trotskiste plutôt que stalinienne. Dans les deux cas ça me paraissait complément décalé par  rapport à la réalité, d'une certaine façon et La Brèche  et  La Prise de parole  de Michel de Certeau ont mis des concepts et ont organisé ce qui pour moi était présent a l'état effectif. Au même titre que ce troisième livre très important qui avait été pour moi à l'époque, Le Socialisme difficile d'André Gorz

RG : Ah oui 

PV : et l'hypothèse du réformisme radical 

RG : Et vous avez conne ces gens ou c'est juste les lectures ?

PV : Alors, par la suite j'ai connu Morin, j'ai connu Castoriadis, j'ai connu Lefort. Michel de Certeau je l'ai moins connu, je l'ai écouté, je l'ai vu, j'ai du parlé une ou deux fois avec lui mais je ne peux pas dire que je l'ai vraiment connu, je l'ai rencontré oui

RG : C'est un jésuite ?

PV : Oui lui il était jésuite oui

RG : Oui. Et quand vous dites la faiblesse anthropologique du marxisme, vous voulez dire que c'était pas très bien théorisé sur le plan des rapports humains, c'est ça ?

PV : Oui c'est ça, c'est que la...autant la critique économique et la critique sociale était très forte mais l'idée que, justement une fois que le prolétariat qui n'avait que ses chaînes à perdre   se serait libéré lui-même, l'hypothèse que du coup on pouvait aller vers une forme d'humanité  réconciliée et que c'est pour ça que la destruction de l'état bourgeois ouvrait la voie a son dépérissement et à une démocratie prolétarienne qui serait infiniment plus forte que la démocratie bourgeoise, et que du coup une dictature du prolétariat pendant une faible période de transition n'était pas dangereuse. Tous ces éléments la me paraissait alors la très, très tôt relevé d'un, d'une insuffisance anthropologique  profonde qui débouchait sur le, une insuffisance dans la  prise en compte de la, l'autonomie de la question politique et en particulier de la question démocratique quoi. Alors évidemment c'était plus complexe chez Marx que chez Lénine et  à l'époque la lecture de Marx se faisait aussi beaucoup à travers la lecture de Lénine et de L'État et de la Révolution, mais moi je me souviens d'avoir beaucoup d'ébattu, commenté et critiqué justement le caractère totalement idéaliste de L'État et la Révolution où Lénine expliquant ce que c'était que le communisme et expliquant pourquoi il n'y aurait plus de contradictions sociales dans le communisme et que les  problèmes seraient résolus aussi simplement, aussi facilement disait-il que si des gens s'en prennent a une vieille femme l'assemblée autour va immédiatement empêcher ces gens de nuire. Enfin comme si justement une fois sautés les verrous de l'exploitation, de la domination de l'état bourgeois, les choses allaient être simples, et la probablement parce que le, ma tradition chrétienne d'une part et puis l'ouverture a toute les, les sciences humaines, notamment la psychanalyse,  la psychologie évidemment que j'avais fait dans le certificat de philosophie, m'amenais a considérer que la question humaine était beaucoup plus complexe et que se libérer de ses chaînes. Oui, c'était nécessaire et légitime, mais les mécanismes de servitude volontaire et la difficulté du vivre ensemble, au sens large et radicale du terme la question de l'amour étaient  beaucoup plus complexe que ce que les approches de traditions marxistes croyaient

RG : Alors vous évoquez là les questions de l'amour. C'est- à -dire qu'on parle assez souvent d'un radicalisme de politique, il y a un radicalisme politique et il y a un radicalisme de style de vie dans ces années 60. Est-ce que vous avez eu euh, quelles étaient vos idées sur une sorte de révolution culturelle ou libération sexuelle à l'époque ?

PV : Ben, il y avait d'une part l'importance des enjeux culturels, mode de vie et libération sexuelle, les textes de William Reich, les textes de Marcuse, la, correspondaient a, mettaient des mots sur un bouillonnement de vie dans une société qui était par ailleurs resté très bloqué, en particulier resté très bloquée en matière de mœurs

RG: Oui

PV: et ça je le vivais très, très positivement. Mais en même temps, j'étais assez vite frappé du fait que y compris cette libération sexuelle, elle était au fond relativement superficielle et justement, elle, elle reportait souvent des, des logiques de domination derrière son apparente radicalité. Par exemple moi j'étais très, très frappé  du nombre d'hommes qui utilisaient l'idéologie révolutionnaire pour  convaincre des jeunes femmes d'avoir des rapports sexuelles avec eux au nom du fait que si elle le refusait c'était vraiment le signe de leur idéologie petite bourgeoise, donc ils, ils

RG : Oui

PV : ça, ça me frappait parce que

RG : Oui

PV : Alors en plus dans certains groupes d'extrême gauche, ça prenait carrément des formes caricaturales extrêmes

RG : Oui

PV : Un groupe comme, comme la JS, l'émanation de l'OCI, eux leur double spécialité c'était la défenestration de leurs adversaires politiques et c'était droit de cuissage sur les filles qui rentraient dans les groupes. Donc moi j'étais très sensible à  l'aspect positif de la question des mœurs, y compris l'aspect positif de la libération sexuelle  

RG : Oui

PV : Je trouvais que c'était une chape de plomb très important qui là commençait à sauter, mais très, très vite j'ai eu le sentiment qu'il fallait travailler davantage la complexité de la question amoureuse sous toutes ses formes

RG : Oui bien sûr

PV : Et d'ailleurs moi j'ai été ensuite, j'ai vécu en communauté pendant dix ans, j'étais complètement dans cette filiation là  mais je me souviens une des choses qu'on avait fait avant de vivre en communauté c'était pendant six mois de lire, d'échanger sur toutes les expériences de communauté qu'on connaissait aussi bien en France qu'à l'étranger pour repérer aussi les principales erreurs à ne pas commettre. Et dans ces erreurs à ne pas commettre il y avait les éléments d'idéalismes sur les questions amoureuses et sexuelles ou sur la question des enfants, de  croire que les enfants pouvaient appartenir à la communauté et que les liens de parenté pouvait s'estomper facilement, ou que tout le monde pouvait faire l'amour avec tout le monde et que c'était très sain, ça ne posait aucun problème. Ça c'est des choses qu'on avait identifié comme, comme n'allant pas de soi

RG : Oui d'accord

PV : Alors on n'en tirait pas pour aucun des conclusions conservatrices mais disons qu'on en tirait des, des conclusions en terme d'épaisseur de la difficulté de la question amoureuse et sexuelle qui ne se résumait pas  au fait qu'il suffisait de se libérer des entrailles  d'une société, d'une société bourgeoise. Et j'ai vu beaucoup de, beaucoup de drames personnels, de personnes qui avaient cru  ça, et qui se retrouvaient assez profondément blessés par la découverte que c'était beaucoup plus compliqué

RG : Et quand vous dites « on », vous avez repensé ces questions c'était avec un groupe d'étudiants, un groupe d'amis, un... ?

PV : Oui j'étais dans un groupe d'amis qui se réunissait. Alors j'avais mes engagements sociaux, donc j'ai eu un engagement à la JEC assez, jusque dans les années 70 puisque j'étais encore à l'équipe nationale de la JEC, j'avais des engagements  politiques puisque j'étais rentré au Parti Socialiste Unifié et assez rapidement j'ai pris des responsabilités notamment dans le, le journal du pus de l'époque qui s'appelait le Tribunal  socialiste

RG : Oui

PV : J'avais un pseudonyme qui était Gérard Ferrant à l'époque et qui était justement  le - comme tout le monde avait des pseudonymes à l'époque c'était le grand jeu - ce pseudonyme - au début il était collectif, c'est- à -dire il y avait un ami qui s'appelait Gérard Doiret,  un autre qui s'appelait Alexis Ferrant dans notre groupe d'amis étudiants, et donc indépendamment de ces engagements sociopolitiques, on avait un groupe d'amis d'une dizaine d'amis qui se réunissaient très régulièrement et qui notamment faisait deux choses, d'une part échange général sur la situation, l'actualité etc., d'autre part un échange à partir de fiches de lecture     

RG : Oui

PV : A ce moment-là c'était assez archaïque, on utilisait des feuilles de carbone ce qui faisait que chacun  pouvait faire une fiche de lecture pour l'ensemble du groupe ce qui faisait qu'à la fin de l'année on avait un paquet assez conséquent de fiches de lecture  et ça nous aidait bien parce que par exemple tous les grands débats théoriques de l'époque, le structuralisme, Althusser, Lacan, Foucault etc., indépendamment de nos propres vécus mais  on en discutait beaucoup dans ce groupe. Et c'est aussi beaucoup dans ce groupe que  les éléments de repérage de ce qui nous paraissait à la fois intéressants et en même temps limités ou superficiels dans les traditions dominantes de l'époque et en particulier dans la tradition marxiste ou dans la tradition libertaire aussi

RG : Oui

PV : nous apparaissait

RG : Et c'était juste après 68 tout ça ou  pendant ?

PV : Oui ça c'est, c'est un groupe qui a existé de 68 a, il a duré assez longtemps puisque après quand on était en communauté à partir de 73, c'est un groupe qui a encore duré pendant deux ans a peu près, donc je dirais c'est, il a duré au moins, au moins six ans

RG : D'accord. Juste pour revenir à  la perspective catholique, donc vous étiez au JEC ?

PV : On ne parlait jamais à la JEC de perspective catholique, le

RG : Du christianisme

PV : Pour nous c'était, c'était le christianisme   

RG : D'accord, excusez-moi

PV : L'identification, non je, c'est pas

RG : Oui

PV : pas du tout un reproche que je vous fais, mais c'est une précision parce que je suis très frappé du fait que dans les périodes actuelles qui sont marquées  par des régressions identitaires, c'est très frappant  de voir que il y a une identification catholique qui n'existait pas a l'époque, en tout cas  qui n'existait pas dans les mouvements dit d'Action catholique mais qui se définissaient par le christianisme  et pas par le catholicisme

RG : D'accord, mais JEC, le 'C' c'est pour catholique ou

PV : Chrétien

RG : Chrétien

PV : Chrétien, oui

RG : D'accord

PV : Oui, et on y tenait

RG : Entendu

PV : On y tenait oui

RG : Parce que vous avez, il y avait quand même des crises a l'intérieur de la JEC dans les années, enfin c'était 55, 65

PV : Oui, oui, oui

RG : Vous avez vécu la dernière crise ?

PV : Alors moi

RG : Parce qu'il y avait des gens qui partaient c'est ça

PV : Moi je l'ai vécu indirectement parce qu'à l'époque j'étais encore relativement jeune, même si, c'était le moment ou je passai mon bac, mais je commençais à avoir des responsabilités au niveau fédéral mais pas du tout au niveau national

RG : Oui

PV : Donc je me sentais plutôt en sympathie avec l'équipe nationale dans son conflit avec Monseigneur Veuillot qui était l'archevêque  de Paris de l'époque mais je n'étais pas directement impliqué. Mais par contre assez rapidement, et notamment à partir de la région parisienne on a contesté les orientations  qui étaient celles de la nouvelle équipe nationale mise en place par l'épiscopat. Et dès le conseil national de Limoges on a de nouveau reconstitué une équipe nationale qui était plus en ligne avec  la perspective de l'engagement social qui avait été celui de la JEC

RG : Oui

PV : Exprimé par l'équipe de 6cinq, même si nous on était, on était très ouverte et intéressée par le marxisme mais on n'avait pas l'espèce de  fascination ou de sentiment qu'en dehors du marxisme il n'y avait pas de cadre théorique possible d'une pensée de la société, de ce point de vue la  on était plus

RG : D'accord, et vous avez eu des copains protestants ?

RG : Oui. Oui, oui

RG : Par exemple il y a autour du Semeur, des mouvements comme ça

PV : Oui. Oui, oui, oui

RG : Donc c'était vraiment chrétien, pas catholique

PV : Alors, entendons-nous, la JEC était pour l'essentiel composé de catholiques

RG : Oui

PV : Mais de catholiques qui ne se définissaient pas par rapport à la catholicité

RG : Oui

PV : Ils étaient spontanément  dans une vision ecuménique. Faut se souvenir c'est une période où tous ces mouvements  préparent et sont ensuite nourris par le Concile

RG : Oui

PV : Le rôle du Concile est un rôle très important, la personne de Jean XXIII, Pacem inTerris, Mater et magistra , jouent un très grand rôle dans, dans cette dynamique là.

RG : Et vous avez été influencé, vous avez parlé de Michel de Certeau, il y avait quand même aussi des Dominicains assez radicales

PV : Oui, ben par exemple le père Chenu

RG : Oui

PV : Bon, d'une certaine, l'ensemble des pères du Concile mais certainement le père Chenu c'était un de ceux qui nous a le plus influencé

RG : D'accord

PV : D'ailleurs moi ensuite dans mon mémoire de philo j'ai travaillé sur l'actualité du Thomisme 

RG : Ah oui

PV : Il y avait Maritain aussi qui nous influençait, Gabriel Marcel, la je parle des auteurs chrétiens

RG : Oui

PV : Et puis par ailleurs il y avait évidemment tous les courants liés à la psychanalyse, au freudo-marxisme, Marcuse, Reich

RG : Oui, d'accord. Donc pour arriver aux événements de 68, donc comment ça s'est passé pour vous a Nanterre et a Paris à ce moment ?   

PV : Ben d'abord, étant à la Cité universitaire, j'ai été dans le démarrage du mouvement avant même le 22 mars

RG : Oui d'accord

PV : Puisque ça a démarré d'abord à la Cité universitaire  et parce que, c'est parce qu'il y avait cette ébullition, cette mobilisation du coté de la Cité universitaire  que les conditions ont été aussi réunies

RG : Oui

PV : le 22 mars lorsqu'on a appris l'arrestation de Xavier Langlade, pour que se propage comme une trainé de poudre l'idée d'aller occuper le bâtiment administratif, et donc justement moi j'ai été tout de suite sensible au fait que 68 c'était d'abord des questions portant sur les modes de vie

RG : Oui

PV : Avant même de porter sur les sujets politiques plus direct quoi. Mais j'ai, les deux aspects c'est-à-dire, moi j'étais pas  dans l'extrême gauche et je me sentais pas représenté par  l'extrême gauche pour les raisons que je vous évoquais, mais par contre j'étais très sensible aux questions internationales

RG : Oui

PV : De ce point de vue la, la JEC m'y avait aussi aidé parce qu' à travers la JEC internationale il y avait pas mal de réseaux donc, la question du Vietnam, et donc le, la simultanéité de la question, on dirait aujourd'hui civilisationnelle, de mode de développement et de mode de vie d'une part, et de la question planétaire d'autre part, ça c'est quelque chose que j'ai ressentie à travers ce double moment qui a été d'une part la question d'ouverture des bâtiments des filles parce qu'il y avait cette espèce de cloisonnement absurde qui faisait que les jeunes hommes avaient le droit d'aller chez les jeunes filles, enfin les jeunes filles avaient le doit de venir chez les jeunes hommes mais pas l'inverse

RG : Oui   

PV : Donc cette espèce d'hypocrisie et d'expression d'une société qui était culturellement bloquée ; et puis a travers la question du  Vietnam, mais aussi on était déjà très sensible aux questions d'Europe de l'Est

RG : Oui

PV : Et de la critique du fait totalitaire et du communisme bureaucratique. Donc dans les, ces semaines là

RG : Oui

PV : qui sont les semaines de mars, avant même mai, moi je sais que je suis sensible a ce double, a ce double aspect même si là encore j'en suis plus sensible intuitivement qu'en l'expriment de façon plus théorique comme, comme je le ferais ultérieurement

RG : Et puis, vous êtes venu à Paris   

PV : Ben je suis venu à Paris comme tout le mode. Enfin j'y suis venu après pour mes études de Sciences Po mais à l'époque du mouvement j'y suis venu après parce que la fermeture de la fac de Nanterre nous a propulsés à la Sorbonne comme tous les étudiants de Nanterre qui étaient engagés dans le mouvement quoi

RG : Et il y avait à l'époque des centres - enfin j'évite le mot catholique - mais il y avait des endroits comme le centre Saint-Yves, le Centre Saint-Guillaume

PV : Oui, le Centre Richelieu

RG : Qui était plutôt chrétien- aussi bien que la Sorbonne - vous avez circulé dans quel milieu en mai 68 ?

PV : Ah ben moi j'étais plus souvent dans, dans les milieux large, enfin de type 22 mars que les milieux chrétiens

RG : Oui

PV : Les milieux chrétiens j'y étais plus mais a travers la JEC, parce que là, du coup la JEC a été très présente en 68. Moi j'avais rédigé un texte qui a été ensuite repris par l'équipe nationale, j'ai été dans le groupe de jeunes qui avait été crée par l'Archevêque de Paris de l'époque Monseigneur Marty

RG : Oui

PV : qui voulait essayer de comprendre les mouvements. Mais j'étais en désaccord avec par exemple le Père Lustiger qui était l'aumônier du Centre Richelieu et qui, qu'on sentait très réticent à l'égard de 68 et dans une perspective qui était déjà beaucoup plus traditionnelle. Donc il y avait un désaccord assez fort entre l'approche de mouvement d'Action catholique comme la JEC, mais c'était le cas aussi du coté de la JOC  ou de la, de ce qui deviendra après le Mouvement Rural de la Jeunesse Chrétienne, et puis, le Centre Richelieu sous l'influence du Père Lustiger

RG : Parce que le Centre Richelieu  c'était quoi exactement

PV : C'était le, vraiment le centre des étudiants chrétiens, l'aumônerie des étudiants chrétiens pour les Facultés de Lettres   

RG : Oui

PV : Saint-Guillaume c'était plutôt Sciences-Po, Saint-Yves c'était plutôt du coté du Droit

RG : Oui d'accord. Et vous avez, vous avez

PV : Mais il y avait déjà la personnalité très fort du père Lustiger

RG : Oui d'accord

PV : Qui était un peu la référence quoi

RG : Le texte que vous mentionnez c'est « Nous refusons d'être sages » ?

PV : Oui c'est ça. Oui, oui

RG : Que je n'ai pas lu mais est-ce que vous pourrez, c'est pas mal comme titre mais qu'est-ce qu'il y a là-dedans

PV : Ben c'est

RG : et pourquoi ?

PV : c'était justement de dire que le mouvement qui se passait n'était pas un mouvement superficiel, un mouvement, c'était un mouvement en profondeur et qu'il ne fallait pas attendre de mouvements comme la Jeunesse Étudiante Chrétienne qu'elle se mette en quelque sort en opposition avec le

RG : Oui

PV : ce mouvement en profondeur, et que nous aussi, justement on n'était pas les bons élèves, on n'était pas les gentils élèves, que on faisait aussi parti du mouvement, même si a l'intérieur  du mouvement on exprimait des logiques de transformation en profondeur, de la logique de conflit non-violent, et puis de, des perspectives plus larges que les perspectives des mouvements de type d'extrême gauche quoi, mais en quelque sort de l'intérieur de ces mouvements-là      

RG : Mais c'était un texte, parce que ça a apparu dans Messages, c'est un ?

PV : Oui Messages c'était le journal national de la JEC mais qui était un journal qui devait être hebdomadaire ou mensuel, et la on en avait tiré des,  un numéro spécial très important, qu'on avait largement distribué notamment à la sortie des églises   

RG : D'accord, d'accord

PV : Donc c'était surtout pour une, pour votre audience chrétienne ?

PV : Oui, la c'était vraiment directement tourné vers les milieux chrétiens

RG : Alors, comment Mai- Juin 68, ça a terminé comment pour vous ?

PV : Ben, il y a le, le grand refus politique mais qui, à la fois - mes amis et moi - ne nous touche pas exagérément. Parce que le sentiment que le, la fécondité essentielle de 68  n'était pas sur le plan politique traditionnelle mais plutôt justement sur la question culturelle, civilisationnelle,  internationale, et ça le, ça nous paraissait un élément fondamental qui resterait indépendamment de, du refus politique de 68, même si moi j'ai beaucoup espéré a un moment donné que, que Pierre Mendès France puisse jouer un rôle important, puisque on était aussi critique a l'égard du parti communiste que a l'égard de François Mitterrand et de la Fédération de la gauche, donc il y avait guère que Pierre Mendès France qui, qui nous paraissait pouvoir assumer politiquement les changements. Donc à partir du moment où l'on s'est rendu compte que, que Pierre Mendès France ne pouvait pas, ou en partie ne voulait pas jouer ce rôle, l'échec de la gauche traditionnelle n'était pas pour nous quelque chose de dramatique quoi

RG : D'accord

PV : et par contre, on s'est plus investi les uns et les autres à travers la CFDT et à travers le PSU dans ce qu'on a appelé le courant autogestionnaire. Parce que le courant autogestionnaire il exprimait bien  le lien entre les questions de la société civile, les questions démocratiques et les questions culturelles

RG : Il y avait ce grand rassemblement à Charléty 

PV : Oui

RG : Vous étiez là ? 

PV : Oui

RG : Donc vous aviez espéré un gouvernement Mendès France-Mitterrand qui n'est pas arrivé ?

PV : Ben on a surtout espéré que Mendès France allait prendre une grande initiative et on était assez déçu de, de pas le voir, puisqu'il est resté assez silencieux a Charléty

RG : Oui

PV : Michel Rocard qui en était très proche nous a dit, 'Mendès France ne veut pas y aller', et après qu'on a vu la déclaration de François Mitterrand, on a eu un peu l'impression que les carottes étaient cuites sur le plan strictement politique quoi

RG : D'accord. Donc vous avez commencé à vous investir dans une nouvelle forme de politique, nouvelle forme de syndicalisme. C'est la première chose que vous faites allusion à la CFDT

PV : Oui, oui

RG : C'était aussi votre milieu ?

PV : Oui, oui tout à fait, oui

RG : Par quel biais là, par

PV : Ben d'une part assez rapidement moi j'étais élève-professeur parce que j'ai fait ce qu'on appelait a l'époque l'Institut, IPES, qu'est-ce que c'est, qu'est-ce que ça voulait dire IPES, ben c'était un système d'élèves-professeurs           

RG : Une sorte d'école normale ?

PV : Oui c'est ça mais c'était, oui c'était un peut les UFM avant la lettre quoi, mais pour le professorat du secondaire, pas pour le primaires comme les écoles normales 

RG : D'accord

PV : Et donc naturellement je me suis inscrit a la CFDT et au syndicat d'enseignants de la CFDT qui était le SGEN

RG : Ah oui

PV : Et puis évidemment pour des gens qui avait eu une tradition chrétienne et une tradition chrétienne engagée  du coté de la justice sociale la CFDT était une débouché naturel, et puis c'est la que la jonction avec les traditions qui nous paraissaient les plus intéressantes dans  le mouvement, qui étaient les traditions héritées du socialisme utopique  et du socialisme libertaire, c'était aussi la qu'elles étaient les plus présentes a travers la CFDT, et l'approche autogestionnaire rassemblait en quelque sorte tout ça

RG : Et donc vous êtes devenus élève-professeur en quelle année ? C'était après Sciences-Po ?

PV : C'est après Sciences-Po  donc ça doit être en, je crois que c'est la, en 72 la première fois ou je  suis nommé professeur. C'est-a dire que je vais d'abord un stage à l'École Normale de Garches pendant a peu près un an...Non, non je fais d'abord une année de ce qu'on appelait le CPR qui était les stages pratiques quand on avait passé le CAPES théorique, puis ensuite je suis nommé a l'École Normale de Douai

RG : En tant que ?

PV : En tant que, la c'était, dans les écoles normales c'était pas des professeurs de philosophie strictu sensu, on appelait ça la psycho-pédagogie, c'est- à -dire on devait travailler davantage sur les grands, les grands courants pédagogiques, Freinet, Montessori,  Decroly, etc.

RG : Mais ça m'intéressait beaucoup de faire ça aussi, et puis après je vais faire un stage d'une année à l'École Normale de Garches, et ensuite Michel Rocard me demandant de, de prendre la direction du journal de Tribune Socialiste

RG : oui ?

PV : je vais demander une mise en congé pour convenance personnel de l'Éducation nationale pour être la vraiment plus investi sur le plan  politique a travers le PSU et 

RG : Donc c'est vers quelle année ça la Tribune Socialiste   

PV : C'est de72 à  74

RG : D'accord

PV : Donc je suis directeur du journal pendant deux ans. Et la j'en suis directeur, et là  c'est vraiment une activité a plein temps, y compris  je deviens salarié des éditions Syros qui éditent le journal

RG : Et donc vous commencez à, vous êtes dans une trajectoire, dans un parcours qui explique je crois - je n'ai pas lu votre  dernier écrit, mais vous avez, vous êtes porté sur la question de l'autodestruction de la planète, de l'humanité, sur de nouvelles formes de démocratie, sur nouvelles formes de citoyenneté, toutes ces idées la date de cette époque là ou même 

PV : Oui, oui    

RG : d'avant ?

PV : Oui, oui. Enfin, elles naissaient à travers ce que je fais au lycée, a travers des mouvements comme la JEC et elles s'ouvrent et s'approfondissent  dans la période 68 et post 68 notamment a travers ce courant autogestionnaire qui était très intéressant parce que justement il y avait à  la fois une composante sociale, syndicale ouvrière, très importante à travers la CFDT et une composante politique mais d'un politique renouvelé qui était plus exprimé justement par  la posture du PSU, et puis une composante intellectuelle qui est très, très importante, les sociologues comme Alain Touraine, Castoriadis, Morin, Lefort, enfin tous les intellectuels de ce qu'on a  appelé après la gauche antitotalitaire

RG : Oui

PV : étaient présents. Et donc ce trépied la, mouvement social, mouvement démocratique et mouvement intellectuel ça m'a beaucoup marqué parce que je, j'ai toujours trouvé que c'était dans ces phases là qu'il y avait un dynamisme très grand. Alors que quand il y a un repli de chacun dans sa sphère, ça donne une fécondité beaucoup moins importante

RG : Et c'est pendant que vous étiez à la Tribune Socialiste qu'il y avait la grève à Lip ?   

PV : Euh oui, enfin, oui, oui, la grève de Lip, la marche sur Besançon, oui ça j'étais directement impliqué

RG : C'était un peu, ça a pu confirmer vos idées cette grève et cette occupation ?

PV : Oui, oui, oui, c'est, oui…

RG : Une grève autogestionnaire ?

PV : Une grève autogestionnaire, d'autant que justement il y avait en même temps le lien avec l'approche du réformisme radical, c'est-a-dire que, par exemple le PSU il était doublement engagé du coté des ouvriers de Lip, et de la grève et de la lutte autogestionnaire mais il était aussi directement engagé pour trouver des solutions économiques, c'est par l'intermédiaire du PSU que Claude Neuschwander d'abord

RG : Ah oui d'accord

PV : Et puis José Bidegain ont été, ont été trouvé, enfin, y compris on avait lancé toute une opération parce que la Société Générale avait refusé de financer Lip. Et on avait lancé une campagne intitulé «  La Société Générale refuse son argent à  Lip, refusez votre argent à la Société Générale ». Alors on était conscient que ce n'était pas  avec le journal Tribune Socialiste qu'on allait faire des miracles. Mais on a été contacté un jour - Bernard Langlois et moi - par un cadre supérieur de la Société Générale qui nous a expliqué a quel point la direction de la Société Générale était inquiète de cette campagne et était prête a négocier, parce que eux ils étaient persuadés que derrière le PSU c'était en fait toute la CFDT

RG : Oui

PV : et la CFDT avait ses comptes à la  Société Générale donc

RG : D'accord

PV : Non seulement directement mais évidement indirectement la puissance syndicale de la CFDT sans commune mesure avec le PSU, donc pensant que c'était en fait une campagne téléguidé par la CFDT et ils avaient pris peur et ils étaient prêt a négocier   

RG : Ils ont fait un prêt ?

PV : Oui ils ont, ensuite ils ont participé au tour de table du financement

RG : Ah d'accord. Et il était question un moment que, que Piaget soit candidat à la PSU…

PV : Oui, oui

RG : Qu'est-ce que vous en avez pensé ? 

PV : Moi j'étais très ambivalent, parce que d'un coté j'avais beaucoup d'estime et d'affection pour pierre Pierret, et puis pour Charles Piaget qui était

RG : Oui

PV : quelqu'un de très grande qualité mais en même temps on voyait bien que c'était une candidature de témoignage, et que la question qui se trouvait de plus en plus posée c'était la, le fait d'aller renouveler en profondeur l'ensemble de la gauche socialiste et de ne pas rester simplement dans l'espace du seul PSU sur le plan politique

RG : Oui d'accord

PV : et donc de ce point de vue la j'étais quand même plutôt de l'avis de, de Michel Rocard, de préparer un rassemblement plus large  qui s'est réalisé au moment des assises du socialisme avec le nouveau parti socialiste d'Épinay, plutôt que de, de rester complément dans un  espace sympathique mais marginale

RG : D'accord. Et pour revenir à cette communauté, vous avez vécu en communauté pendant ces années-là ?

PV : Oui 

RG : Est-ce que vous pouvez un peu raconter ça ? Parce que c'était un...bon, on parle aussi à L'Église des communautés de base

PV : Ah oui, non, non la c'était vraiment les communautés de vie telles qu'elles ses sont crées dans l'après 68, c'était pas le mouvement des communautés de base chrétiens. Mais, mais même s'il y avait des correspondances, c'est pas par hasard si le mot communauté était utilisé dans les deux sens, mais là c'était vraiment l'application concrète de changer la vie, et donc de vivre d'autres rapports sociaux qui étaient marqués par  une plus grande égalité, une plus grande ouverture, une plus grande autonomie de chacun à l'intérieur des familles et des couples, une plus grande ouverture sur la société aussi, enfin

RG : Oui

PV : C'est de ne pas être dans une coupure totale  entre espace privé et espace public, mais en même temps comme je vous le disais tout a l'heure, on a passé six mois à échanger, a discuter parce qu'on était frappé du fait que  pas mal de communautés se cassaient la figure au bout de quelques mois

RG : Oui

PV : parce que elles avaient été idéalistes soit en étant ouverte tous azimuts sur l'extérieur alors qu'ils disaient qu'il y avait pratiquement plus de vie  possible parce que il y avait des réunions politiques pratiquement tous les soirs,  ou le fait que si on était ouvert au comité Vietnam national, ça créait un conflit avec le comité Vietnam de base donc il fallait aussi ouvrir la maison au comité Vietnam de base. Il y avait cet espèce d'envahissement  par la sphère extérieure, et puis à l'intérieur il y avait cet idéalisme sur la question des enfants, sur la question amoureuse ou beaucoup - ça c'était une des choses qu'on avait beaucoup repéré - l'idéalisme sur la question des taches domestiques.

Beaucoup de communautés se sont effondrées sur elles-mêmes parce que ayant fait confiance a la spontanéité des uns et des autres, n'ayant pas mis de règles du jeu, bon donc nous on avait tiré des leçons de tout ça et on avait instauré un certain nombre de règles du jeu, qui n'étaient pas très contraignantes mais qui étaient quand même assez précises. Par exemple chaque semaine, on était en charge et des courses et de la cuisine. Bon ça faisait beaucoup rire mes copains du bureau national du PSU, de Tribune Socialiste parce que on avait toujours des tas de réunions qui se terminaient très tard mais ils savaient que la semaine ou j'étais de courses et de cuisine, il fallait pas me mettre de réunion, que c'était sacré, il fallait que je sois parti au plus tard à 19h quoi bon. On avait fait en sorte que chacun ait sa chambre, c'était les, on reconnaissait l'existence des couples ce qui n'était pas le cas des communautés, mais on renforçait l'autonomie de chacun. Par exemple je me souviens notre thèse c'était de dire si on dort ensemble c'est par choix et c'est pas parce qu'il a une seule chambre pour le couple quoi

RG : D'accord

PV : Les, mais du coup le fait d'avoir travaillé un peu sur ces causes d'échecs et travaillé sur un minimum de règles du jeu, ça nous a permit d'abord de rester plus longtemps

RG : Oui

PV : On est resté d'abord cinq ans avec le même groupe, et d'y avoir suffisamment  pris de plaisir pour encore cinq autres années le faire avec d'autres groupes, en tout moi je sui resté pendant une dizaine d'années

RG : A partir de 73 vous avez dit ?

PV : Oui c'est ça donc

RG : Un groupe pendant cinq ans et puis  un autre groupe

PV : Euh oui ça, mais on a du démarrer en 72, donc ça a du être une période de type 72-82 quoi, à peu près, ou 72-81, c'était peut-être neuf ans mais ça a été à  peu près ça quoi 

RG : Et quand sont arrivés les enfants vous avez dû changer les règles ou elles évoluaient ?

PV : Non, quand on a démarré on avait déjà, nous on avait déjà notre fille avec ma femme, dont j'ai été divorcé plus récemment, mais on avait déjà une petite fille à l'époque. Et les amis avec qui on était avaient déjà leur enfants, les enfants ne sont pas nés dans la communauté, ils étaient déjà présents

RG : D'accord

PV : Mais c'était une petite communauté, enfin le, le groupe qui avait réfléchit pendant six mois était un groupe assez large mais le groupe qui a concrétisé était plus restreint justement parce que le, le travail de préparation avait fait aussi apparaître que il n'y avait pas forcement les mêmes attentes pour tout le monde                

RG : Donc vous étiez combien à peu près ?  

PV : Donc le, le groupe lui-même il était, il était de sept

RG : Oui

PV : Donc il y avait, il y avait quatre adultes et trois enfants

RG : D'accord

PV : Mais c'était, c'était une vraie, vraie transformation quoi. Moi je sais qu'on avait vécu avec ma femme, on avait vécu pendant un an sous une forme classique et on s'était vite rendu compte que, qu'on se sentait dans un état d'enfermement, et pour nous la communauté c'était vraiment un bon point d'équilibre

RG : D'accord. Et quand vous dites qutre adultes, c'est deux couples, c'est, c'était ?

PV : C'est,  au départ c'était deux personnes distincts, enfin une femme avec ses deux enfants 

RG : Oui

PV : Et puis une autre personne mais qui sont devenus un couple

RG : Oui d'accord

PV : A cette occasion quoi

RG : D'accord

PV : Mais avec le même principe que chacun avait sa chambre enfin

RG : Oui d'accord

PV : C'est ça. C'est pas comme s'il y avait eu deux familles, d'autant que les, les enfants étaient de Christine et pas de Gilles, il y avait une fluidité

RG : Oui

PV : qui était très, très importante dans ce groupe

RG : D'accord. Alors deux questions, enfin de plus, sur votre trajectoire d'abord, enfin après vous avez travaillé à la Tribune Socialiste jusqu'à 74

PV : Oui, puis après donc il y a eu les Assises du Socialisme            

RG : Oui

PV : Et donc toute une partie du PSU a rejoint le nouveau Parti Socialiste

RG : Oui

PV : Et j'ai eu un temps de chômage a ce moment-la, mais assez rapidement on a crée une revue, qui était la revue Faire, qui était un peu la revue du courant autogestionnaire, et qui était a, qui croissait les inspirations de la CFDT, les approches intellectuelles, les expérimentations sociales, et puis qui représentait la partie la plus autogestionnaire du Parti Socialiste

RG : D'accord

PV : Et la revue Faire elle a existée jusque, alors la revue Faire elle a du être crée en 75 et elle a existé jusque en, en 81, à l'arrivée de la gauche au pouvoir. Elle s'est arrêtée à ce moment là parce que Gilles Martinet entre temps qui était le directeur - moi j'étais le rédacteur en chef - est devenu ambassadeur de France en Italie et elle a repris sous une autre forme et un autre titre qui était la revue Intervention, mais qui était la poursuite. Ça a été tout ce qu'on a appelé la deuxième gauche si vous voulez

RG : Oui. Donc vous avez eu une carrière de journaliste plus ou moins

PV : Oui, mais c'était à la fois du journalisme et en même temps c'était beaucoup de la recherche, du travail théorique parce que c'était des revues qui étaient a la jonction de l'univers citoyen et en même temps de l'univers théorique, c'est justement, moi c'était un aller-retour qui me plaisait bien

RG : Oui

PV : Et que j'ai retrouvé une troisième fois quand j'ai pris une disponibilité de la Cour des Comptes pour être rédacteur en chef en de la revue Transversales Science Culture

RG : D'accord

PV : Donc que ce soit a travers Faire, Intervention ou Transversales Science Culture, dans les trois cas c'était des revues qui étaient à la fois pluriels et pluridisciplinaires

RG : D'accord. Et quand vous êtes entré au, à la Cour des Comptes, ou au Cours des Comptes

PV : A la Cour des Comptes oui

RG : A la Cour des Comptes, à la Cour des Comptes, et puis je ne connais pas cette institution mais je me demande comment vous arrivez à  développer, à faire suivre vos idées assez radicales dans une institution qui de l'extérieur parait assez conservateur, conservatrice

PV : Oui, alors d'abord moi j'y arrive dans des conditions bien particulières parce que, dans le cas de la revue Intervention  et avant qu'elle s'arrête parce qu'il y a eu un moment où on savait qu'elle avait plus les moyens économiques de continuer, on avait lancé une grande enquête sur ce qu'on avait appelé «  qu'est-ce que la gauche a appris de son expérience du pouvoir ? »

RG : Oui    

PV : puisque on était en 85, on se rendait compte que les élections législatives allaient très probablement se terminer par une défaite de la gauche, et notre souci à Intervention c'était de dire ben finalement  il y a eu depuis 81 toute une expérience concrète de la gauche française au prise avec la question de l'État, et euh plutôt que d'être dans une espèce de schizophrénie, l'avant 81 qui avait été fasciné par l'État, sa prise, sa transformation  radicale, et puis l'après 83 qui avait été très gestionnaire et très empirique, et nous ce qui nous intéressait c'était, toujours un peu dans la logique du réformisme radical, de comprendre qu'est-ce qui avait été l'État au concret et qu'est-ce que ça avait été que la réforme concrète  avec la gauche au pouvoir. Et on avait lancé un certain nombre de monographies, un grand colloque qu'on avait intitulé «  le pilotage des sociétés complexes », et a cette occasion on avait fait émerger le thème  de l'évaluation démocratique des politiques publiques 

RG : Oui

PV : et on avait crée, lors de ce colloque qui notamment qu'on co-organise avec Le Nouvel Observateur en 1986, on créait sous forme associative l'Observateur de la Décision Publique pour  lancer cette question de l'évaluation des politiques publiques 

RG : Oui

PV : Et Michel Rocard, avait qui j'étais resté en contact, s'intéresse beaucoup à ces travaux, et lorsqu'il devient premier ministre

RG : Oui

PV : Il souhaite faire de l'évaluation des politiques publiques  un des axes importants de son projet concernant la reforme de l'État et du service publique. Et donc à ce moment-là il me demande de faire une mission institutionnelle pour lancer l'évaluation des politiques publiques  en France puisqu'elle n'excitait pas au niveau des politiques publiques, elle existait, et encore de façon très limitée sur un plan sectoriel par exemple

RG : Oui d'accord

PV : L'instance d'évaluation mais qui était plus du coté classique de l'évaluation dans l'Éducation nationale, il n'y avait pas d'évaluation des politiques publiques, et il n'y en avait pas au niveau interministériel. Et donc Michel Rocard me demande de conduire cette mission et de lancer en même temps la première grande évaluation sur la première grande reforme de son gouvernement qui est la reforme du Revenu Minimum d'Insertion

RG : Oui

PV : et donc je fais tout ça pendant deux ans, et comme un des enjeux pour la, la suite pour développer une culture d'évaluation, c'était de faire bouger les choses aussi dans les corps de contrôle, et singulièrement à la Cour des Comptes

RG : Oui

PV : et qu'il y avait notamment l'enjeu d'une réforme de rapport publique de la Cour des Comptes pour aller dans le sens des critères que j'avais mis à l'évaluation démocratique et notamment d'une plus grande transparence, d'un plus grand pluralisme, d'un plus grande indépendance. Et donc le, il y a une négociation qui se fait à ce moment-là  avec la Cour des Comptes pour qu'à  travers une réforme du rapport public on aille dans cette direction, et notamment que les rapports publics particuliers permettent d'avoir une, un matériau beaucoup plus public, beaucoup plus souci à débat que les  productions antérieures de la Cour des Comptes, où il y avait un rapport public annuel. C'était tout et qui n'était compréhensible que par les initiés, et puis pour le reste toute l'activité  de la Cour des Comptes c'était des référés et des notes qui étaient inconnus du grand public. Et donc comme il n'y avait personne de l'intérieur pour vraiment pousser dans cette direction, Michel Rocard me demande à ce moment-là d'aller a la Cour des Comptes

RG : D'accord

PV : Donc c'est dans cette perspective là - et moi j'y viens, d'abord j'y viens un peu à reculons parce que le sentiment que j'avais est au fond le votre, je me disais mais qu'est-ce que je vais faire dans cette institution  que je trouvais très compassé, conservatrice, mais j'y viens avec ce projet, poussé par Michel Roçard, poussé par des réseaux qui étaient plus  du coté citoyenneté, qui étaient dans l'observatoire de la décision publique, et avec l'idée de faire en permanence un travail intérieur-extérieur quoi, pour pas me laisser aper  par l'intérieur de l'institution, et c'est pour cette raison la aussi une des choses qui m'a, va vite m'intéresser, qui est dans le prolongement de l'évaluation, c'est l'évaluation sur la question de la richesse    

RG : Oui

PV : Parce que je vois a quel point les questions économiques, les questions comptables, les questions monétaires sont déterminantes, et je vois aussi comment le fait de ces questions-la pris uniquement dans leur bulle servent le conservatisme dominant, donc une des choses qui m'intéresse très vite, c'est  le lien entre ce que j'appelle les comptes au sens comptable du terme  mais les comptes au sens CONTES, ce que Ricœur appelait les identités narratives, et comment il y a des choix de sociétés fondamentaux qui sont présents

RG : Oui

PV : Derrière les modes de chiffrages, derrière la comptabilité nationale, derrière les systèmes comptables, et donc une des choses qui va m'intéresser c'est de porter cette question, de re-ouvrir un débat public sur la richesse que je vais préparer et du coté de la Cour des Comptes et du coté de ce que je fais dans mes activités de citoyenneté

RG : Oui

PV : Et que je pourrais ensuite réaliser a partir de deux000 quand, a l'ocçasion de la préparation du centenaire de la loi de 1901 sur les associations  Pierre Joxe qui le premier président de la Cour des Comptes a l'époque me demande si ça m'intéresse de prendre le secrétariat général de cette mission

RG : Oui

PV : Sur le centenaire des associations en me disant je ne vois que toi a la cour qui a la fibre pour, nécessaire, et, et comme on est en plein dans l'histoire du naufrage de l'Eriça, je lui dis ben voila un bon exemple ce que j'appelle le paradoxe de l'Eriça ou on a d'un coté des bénévoles qui, qui   dépolluer gratuitement les plages  et eux n'apparaissent pour rien dans la richesse comptable nationale, et inversement c'est le désastre de l'échouage du pétrolier qui est compté positivement dans les comptes de la nation  parce que toutes les transactions monétaires générées par le naufrage du pétrolier, la dépollution etc., tout ça est compté positivement a l'intérieur du produit intérieur brut, donc je prends cette exemple que j'appelle le paradoxe de l'Eriça pour dire c'est une bonne opportunité pour poser publiquement des questions qui sont connues des seuls socialistes sur l'inadéquation de nos système comptable aux grands enjeux écologiques et sociaux actuels ; et comme c'était pas possible de le réaliser dans le ças de la mission centenaire loi de 1901 qui était quand même très marquée par une logique de commémoration assez classique

RG : Oui

PV : J'ai négocié a ce moment la avec le gouvernement Jospin la possibilité de faire une mission spécifique sur ces questions, d'une nouvelle approche de la richesse, et de le faire dans le çadre du secrétariat d'état a l'économie solidaire qui venait  d'être crée

RG : Et question impossible, en deux mots quelles sont ces nouvelles approches de la richesse

PV : Ben c'est d'une part de dire nos systèmes comptables actuels ont été crées dans un contexte historique bien défini, qui a été le contexte de, de l'après-guerre et de la reconstruction industrielle et on avait choisit un système comptable qui permettait de favoriser de la richesse industrielle mais aussi au détriment des autres formes de richesses, et ce système est devenu complément contre-productif a une période ou a plupart des grandes questions, y compris des grandes questions économiques ne sont plus de l'ordre de la production industrielle mais sont soit du coté des services, soit  du coté des questions écologiques au sens large du terme 

RG : Oui d'accord

PV : Et donc il faut resituer le contexte dans lequel les systèmes comptables ont été construit, dire nous sommes l'un et l'autre d'autre époque historique et nous avons besoin de changer de système comptable, j'ai souvent pris l'exemple de l'histoire d'un marin qui déciderait de changer de çape, qui choisirait par exemple ce qui est convenu  appeler le développement durable, mais si ses instruments de bord restent çaler sur l'ancien çape  d'une croissance purement productiviste et a dominante industrielle, il pourra pas réaliser son changement d'orientation, donc il y a tout le nouveau rapport a la définition même de la richesse et a sa mesûr d'un coté, et aussi, ça c'est encore plus subversif, un nouveau rapport a l'argent et a la monnaie, parce que forcement, quand on tire sur cette pelote, les unités de comptes qu'on retrouve dans les systèmes comptables c'est les unités monétaires

RG : Oui

PV : Et donc j'ai commencé a  me ré-intéresser a cette boite noire de la monnaie, et notamment des conditions dans lesquelles il y avait eu un autre transfert absolument non-démocratique qui c'était  opéré dans les années sept0 ou l'essentiel de la création monétaire avait été transféré vers les banques  commerciales privées, et tout ça sans aucun débat démocratiques et avec des conséquences tout a fait considérables, en particulier le processus d'endettement des états qui vient directement de la ; et donc dans la nouvelle approche de la richesse il y a ces deux, il y a ces deux volets, alors au, quand j' ai fait la mission a l'époque c'était vraiment considéré comme marginale, des travaux de pionniers, mais j'ai pu, grâce au programme des Nations Unies  pour le développement, a avoir tout de suite une base internationale, et quand on a organisé la rencontre « considérons la richesse » en deux00deux, on l'a fait conjointement avec les Nations Unies    

RG : Oui

PV : Et donc du coup et le président de la république et le premier ministre on été obligé de s'y intéresser alors que sinon il y avait juste le secrétariat de l'état a l'économie solidaire, et entre temps cet enjeu est devenu un enjeu fondamental puisque c'est maintenant devenu une des grandes questions publiques internationales débattues, et puis Joseph Stiglitz s'est mis a s'intéresser a cette questions avec son autorité donc, la commission qui a été créé a cet effet  montre bien a quel point cette question est fondamentale

RG : Parce qu'il y avait un grand meeting a Porto Alegre c'est ça ?

PV : Ah ben c'est plus qu'un meeting, c'est le forum social mondial de Porto Alegre

RG : Oui

PV : Oui moi j'ai été parmi les premiers à participer a la création de ce forum social – entrez, entrez.

RG : On a presque terminé

(PV : Ça y est on a presque terminé mais viens)

RG : Dernière question sur vos sentiments d'aujourd'hui sur cette période la, vous avez dit tout a l'heure que a un moment les gens que vous avez trouvé a votre gauche vous les avez trouvé a votre droite, et moi j'ai l'impression en vous écoutant que votre parcours a une certaines unité depuis le début jusqu'à maintenant, est-ce que c'est votre sentiment et est-ce que, quel était le rôle de 68 là-dedans ?

PV : Oui moi j'ai le sentiment de, alors évidemment il y a des tas de, d'évolution, de mutation etc., mais globalement moi je me sens dans la continuité de, sisons de mes rêves d'adolescent, et 68 est pour moi un moment de lumière et j'ai écrit il y a quelques années un texte que je continuerai à signer aujourd'hui qui s'intitulait « les questions de 68 ne sont pas derrières nous mais devant nous », et justement parce que j'étais plus sensible a cet aspect a la fois culturelle et cilivisationelle et planétaire de 68 qui alestait proprement politique français, moi par exemple contrairement a Danny Cohn-Bendit je ne dirais « pas oublions 68 », je pense que 68 a vraiment, et internationalement parce que c'est un mouvement d'est en ouest du nord au sud, mais ouvert la première grande brèche d'après-guerre, des sociétés de consommation obsédées par la question de l'avoir, et que, alors en temps la force de la question écologique et climatique nous montre bien aujourd'hui que on ne peut pas poursuivre dans la voie d'une croissance productiviste organisée uniquement autour de la consommation et de l'avoir, et toutes les questions de mode de vie, les questions dans l'entre deux lettres au sens large du terme, qui avait été ouvertes par 68, elles sont devant nous ; et j'analyse plus des phénomènes de la révolution conservatrice anglo-saxonne et ou du Sarco-isme en France, plutôt dans des termes d'une résistance a un mouvement historique en profondeur qui s'est fait jour, plus de la contre-révolution culturelle pourrait-on dire que des phénomènes qui viendraient signer la fin

RG : Oui

PV : Moi je pense la, 68, la vie, on m'a interrogé sur une interview que j'avais fait justement  quand j'étais responsable de la JEC, et j'ai appelé ça une révolution spirituelle inachevée, c'est-a-dire je pense que 68 a ouvert une brèche, mais comme le disait Michel de Certeau, elle est restée superficielle, et paradoxalement  trop unidimensionnelle par rapport a la critique que faisait Marcus, et que y compris sur ces terrains de prédilections, et de notamment de la libération sexuelle pour des raisons que j'évoquais tout  a l'heure est restée a un niveau superficielle, donc, je ne suis pas  dans une idéalisation de 68 mais je pense que la brèche ouverte par 68, elle c'est une brèche de nature historique qui ouvre un nouveau cycle historique et que ces questions-la elles n'ont pas finies de se poser, qu'elle sont structurantes pour l'avenir, donc pour moi 68 ça reste un moment lumineux et une source de vie ultérieur, enfin qui n'a cessé de me nourrir.

RG : D'accord, je pense qu'on peut terminer la. Merci infiniment de votre témoignage.