Interview - André Sénik

 

name of activist

André Sénik

date of birth of activist

14 April 1938

gender of activist

M

nationality of activist

French

date and place of interview

3 April 2007, Paris

name of interviewer

Robert Gildea

name of transcriber

 

 

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RG : voilà, je crois que c'est bon…bon est-ce que je peux vous, est-ce que je peux commencez par vous demandez votre nom et votre lieu et date de naissance 

 

AS : alors, mon nom c'est André Sénik

 

RG : oui

 

AS : je suis né à  Paris, dans le 10ème arrondissement

 

RG : oui

 

AS : le 14 Avril 1938

 

RG : oui

 

AS : à l'époque mon nom était Swisznik, Szechnik

 

RG : oui

 

AS : SWISZNIK, et, parce que  mes parents ne m'ont pas déclaré Français à la naissance

 

RG : d'accord

 

AS : ils auraient pu le faire, mes frères aînés ont été déclarés Français mais moi je ne l'ai pas été, parce que  mes parents voulaient se faire naturaliser en profitant de moi donc ils ont, ils ont attendu et puis après il y avait la guerre voilà 

 

RG : d'accord

 

AS : donc je suis né Swiznik, enfin  Szechnik, Swi ça va en anglais

 

RG : oui

 

AS : et j'ai été donc naturalisé en 1947 je pense

 

RG : d'accord

 

AS : avec mes parents, donc je suis né avant la guerre à Paris, de parents juifs polonais qui avaient, qui étaient venus en France début des années 30, qui étaient politiques, donc qui venaient de famille tout à fait religieuse mais qui ont totalement rompu

 

RG : oui, oui

 

AS : qui étaient des sionistes d'extrême gauche

 

RG : d'accord

 

AS : voilà, donc j'ai été dans un, j'ai été mis très, très petit, je ne sais pas vers 10 ans voilà, dans un mouvement sioniste d'extrême gauche

 

RG : d'accord

 

AS : alors extrême gauche, ça veut dire que, à  partir de 12 ans, on étudiait Marx, on levait le drapeau rouge, le drapeau d'Israël le matin, dans les camps de vacances, et on apprenait le folklore révolution, je pense que ce mouvement était en réalité un peu, un peu sous influence trotskiste mais ils, ils ne le disaient pas du tout, donc…

 

RG : c'était, c'était après la guerre ou pendant la guerre ?

 

AS : après la guerre

 

RG : après la guerre

 

AS : pendant la guerre hum bon

 

RG : non mais

 

(Rire de RG et AS)

 

AS : non pendant la guerre, j'ai été, mon père s'est engagé dans l'armée française en 39, il a été fait prisonnier, il s'est échappé, il a été repris, il a fini par s'échapper, et mois j'ai été mis avec mes frères dans une maison de la Croix Rouge

 

RG : oui

 

AS : pour enfants de prisonnier

 

RG : d'accord

 

AS : et comme j'y étais mis pour quinze jours et comme pendant que j'y étais, il y a eu la rafle du Vel d'Hiv

 

RG : oui

 

AS : ma mère a écrit au directeur de la, de cette colonie de la Croix Rouge en disant que si, si ils rendaient mes frères et moi on était, on était mort donc il nous a gardé

 

RG : d'accord

 

AS : donc je suis resté dans cette institution jusque…

 

RG : toujours à Paris ?

 

AS : non, non, non c'était dans la, au bord de la Loire, dans la  Sarthe, donc je suis resté jusqu'à la fin 43

 

RG : d'accord

 

AS : et puis quand mon père s'est évadé fin 43, on les, on les a rejoints mes parents dans, dans la Sarthe aussi, sous un front, on était caché

 

RG : d'accord

 

AS : histoire banale et dans la famille, dans le noyau dur de ma famille il n'y a pas eu de déportation, le frère de mon père et sa femme ont été déportés et leurs enfants sont morts mais moi j'ai eu mes deux parents et mes frères ont survécus donc…

 

RG : donc vous vous considérez comme un cas spécial ou exceptionnelle

 

AS : non puisque 75% des juifs français ont, n'ont pas été déportés, il n'y en a eu 25% mais disons que moi je, je j'ai pas été, j'ai pas une espèce de, de drame, de tragédie, j'ai été séparé de mes parents pendant deux ans entre 4 ans et 6ans

 

RG : oui

 

AS : mais après c'était bien, alors comme c'était bien après, pour moi ça n'a pas laissez de, je, je ne m'estime pas du tout quelqu'un de, de martyriser par la vie, pas du tout

 

RG : d'accord

 

AS : pas du tout

 

RG : d'accord, d'accord

 

AS : pour moi disons, moi j'estime que j'ai eu une trajectoire plutôt heureuse

 

RG : oui d'accord

 

AS : sans parents et en famille, sans  famille et en famille, bon et donc ensuite alors après la guerre, j'ai rattrapé le retard que j'avais, j'étais  un très bon élève donc je suis rentré au lycée avec un an d'avance, premier dans le, c'était un concours, bon tout ça c'était, ça allait très bien et mes parents m'ont mis dans un mouvement de, de jeunesse sioniste, qui était celui de mon père donc, c'est là que j'ai eu une première imprégnation politique

 

RG : et je comprends mal le sionisme de gauche

 

AS : d'extrême gauche

 

RG : d'extrême gauche, donc c'était plutôt pro Israël ou pro, pro marxiste ou les deux

 

AS :  non les deux, les deux

 

RG : les deux   

 

AS : sionisme ça veut dire c'est des gens qui voulait l'Etat d'Israël

 

RG : oui

 

AS : et d'extrême gauche ça veut dire que, que, quand on avait 15 ans il fallait partir vivre en kibboutz, et vivre en kibboutz ça veut dire vivre une vie communiste intégrale

 

RG : c'est ce que vous avez fait ?

 

AS : non, moi j'ai, j'ai quitté avant, j'ai quitté à 14 ans, mais j'ai un des frères qui est partie pour un an et demi là-bas

 

RG : d'accord

 

AS : mais, mais le projet  c'était aller en Israël, mais, construire un Etat, ça c'était certain, c'était même pas un Etat socialiste, c'était avoir une vie parfaitement collective      

 

RG : d'accord

 

AS : bon, et, et ce mouvement-là qui était donc proche des communistes nous faisait participer aux grandes démonstrations qui avaient en France après la guerre, le Parti Communiste faisait une grande démonstration le 1er mai

 

RG : oui

 

AS : le 14 Juillet et pour l'anniversaire de la Commune de Paris, mouvement des fédérés, et donc nous nous étions un groupe dans ce, cet immense cortège

 

RG : oui d'accord

 

AS : il y avait deus, deux groupes sionistes, la Chamera de Saïrh et le DROR, moi j'étais au DROR et on avait des chemises bleues, les uns avaient un lacet blanc les autres un lacets rouge et on manifestait au sein du défilé du Parti sous, sous des mots d'ordres, « amitié judéo arabe », « Ouvrez les portes de la Palestine », enfin bon il n'y avait, pas de, il n'y avait pas de conflit apparent, il n'y avait pas de conflit apparent entre le mouvement communiste et le sionisme, et donc on s'imprégnait de Marx et tout ça  et en même de, de, du projet d'aller en Israël

 

RG : et vos parents étaient dans le Parti Communiste ?

 

AS : non mes parents étaient sionistes

 

RG : sionistes, d'accord 

 

AS :   mon père était, et donc ils étaient, ils n'étaient pas du tout communistes, donc il faut bien, enfin, faut comprendre cette époque, ça c'est un autre problème, enfin les, les juifs à, à Paris, qui étaient des juifs ashkénazes, donc des juifs qui venaient de Pologne étaient très violemment divisés entre les communistes

 

RG : hmhm

 

AS : par exemple mon beau-père était communiste, le père de ma femme était communiste, il considérait mon père comme, comme une chemise brune il disait hein (rire de RG), alors que mon père était marxiste et tout bon, alors donc il y avait des communistes qui étaient anti-israéliens

 

RG : oui

 

AS : il y avait les sionistes de droite, les sionistes de gauche et il y avait le Bund, le Bund qui est le…

 

RG : oui, oui, oui

 

AS : bon voilà, alors c'est, c'était, très, très fortement, enfin l'hostilité était très grande bon,  donc moi j'étais  dans ce mouvement sioniste et, il fallait choisir avant 15 ans de partir en Israël

 

RG : oui

 

AS : et à 14 ans donc, un copain et moi on a eu une grande crise de conscience en se disant on est des révolutionnaires, on des marxistes, où est notre place, alors bon et à 14 ans c'était très facile, et donc on demandait, on demandait aux dirigeants de, de cette organisation sioniste et ils refusaient de répondre, on leur disaient mais qu'est-ce que disent les communistes du sionisme et ils refusaient de répondre, donc on a passé un an à avoir mal à la tête, il y avait d'autres motivations qui nous ont déterminés en réalité

 

RG : oui

 

AS : parce que,  on avait peut-être envie de quitter notre famille tout simplement

 

RG : oui

 

AS : et de quitter une vie, mais en tout cas on a décidé de quitter le mouvement sioniste à 14 ans, mon copain et moi et d'adhérer à la, à la jeunesse communiste

 

RG : et comment il s'appelait votre copain ?

 

AS : il s'appelait Ralph mais j'ai plus eu, j'ai plus eu de nouvelle de lui depuis 30 ans

 

RG : d'accord

 

AS : 40 et parce que  ça c'était, on a quitté en décembre 52

 

RG : d'accord

 

AS : décembre 52 donc j'étais  très politisé d'accord

 

RG : d'accord

 

AS : très politisé à 14 ans, très, très, très politisé

 

RG et c'est à ce moment-là que vous êtes rentré dans la jeunesse communiste ?

 

AS : c'est à ce moment-là en décembre 42 que j'ai quitté le mouvement sioniste et que je suis rentré à la jeunesse qui ne s'appelait pas encore Jeunesse Communiste, parce que ça c'est,  le nom communiste a été donné en 56, et après j'ai adhéré au Parti Communiste en août 53

 

RG : oui

 

AS : en août 53, après la mort de, après la mort de Staline et après l'événement, bon voilà, et donc mais ça c'était contre mes parents

 

RG : d'accord

 

AS : qui, parce que, parce que mon père était, était sioniste, ils ont finis par, finir leur vie en Israël et le fait d'être communiste et tout ça a fini par me mettre en opposition avec, avec le sionisme et pour mon père c'était tout à fait tragique

 

RG : vous avez eu des disputes avec votre père à ce moment ?

 

AS : oui, oui au moment de la guerre des 6 Jours oui, oui parce que  alors moi j'étais  gauchiste je ne sais pas quoi et je prenais des positions intellectuelles comme ça sans connaître plutôt en faveur des, des Palestiniens quoi

 

RG : mais vous parlez de la guerre des 6 Jours, mais, mais ici on est encore en, en 52-53…

 

AS : oui alors, au moment où j'ai été…

 

RG : vous aviez des problèmes familiaux à cette époque-là, des disputes à ce moment-là ?

 

AS : oui, ma, ma mère n'était pas contente que je quitte, ensuite elle n'a pas été contente parce que  je militais tellement que je commençais à abandonner mes études

 

RG : oui

 

AS : bon donc elle m'a mis dans un internat pendant deux ans pour pas que je puisse sortir et que je sois obligé de travaillé

 

RG : ha oui d'accord

 

AS : elle m'a sauvé mes, elle m'a sauvé mes études, non mais il y avait pas de, de, de graves conflits idéologiques hein, parce que, parce que,  ils admiraient, ils admiraient le marxisme, et admiraient le communisme quoi mais, mais en même temps ils voulaient un Etat pour les juifs c'est tout, bon, c'est-à-dire qu'ils, c'est petit à petit que le, le fossé s'est, est devenu l'amour violent entre le mouvement communiste et puis le sionisme

 

RG : d'accord

 

 

AS : mais au début l'Union Soviétique a accepté  la naissance d'Israël et tout ça, bon voilà, alors moi je vais mes études…

 

RG : pour revenir à ces études, vous, cet internat c'était où ?

 

AS : c'était à Sceaux, c'était au lycée Lakanal

 

RG : oui

 

AS : et donc déjà  j'étais, j'étais  avant le bac

 

RG : oui d'accord

 

AS : et donc je suis resté là-bas, mais je continuais à militer, il y n'a pas de, c'est une passion, la passion politique quoi

 

RG : et vous aviez, vous aviez des camarades de gauche au lycée

 

AS : au lycée il y avait un cercle, partout, il y avait partout des cercles, il y avait même les fils, il y avait même un fils de Maurice Thorez qui était dans ce lycée

 

RG : oui

 

AS : et donc il y avait, il y avait partout, toujours des cercles de jeunes, de jeunes communistes

 

RG : oui

 

AS : donc je militais toujours, mais au moins j'étais obligé de travailler puisque je, je…j'étais …

 

RG : mais c'était des amis plutôt français classique

 

AS : oui, oui

 

RG :  oui mélanger 

 

AS : c'était les communistes

 

RG : oui

 

AS : c'était les communistes bon, chez les lycéens et jusqu'à ce que j'arrive chez les étudiants c'était des Français classiques, enfin des communistes hein, il y avait quand même, après la guerre il y avait quand même 30% de communistes en France

 

RG : enfin bon quand je dis classique je veux, je veux dire plutôt laïque

 

AS : pas juif, oui pas juif

 

RG : oui

 

AS : enfin non mais ça n'existait pas, on ne parlait jamais juif pas juif, on parlait jamais de ça, on n'en parlait jamais, et après quand je suis devenu étudiant aux étudiants communistes il y avait une grande proportion de juifs quand même

 

RG : oui

 

AS : aux Etudiants Communistes 

 

RG : oui

 

AS : mais on en parlait jamais, entre nous on en parlait jamais

 

RG : comment ça, ça comment ça s'explique cette proportion de, de juifs ?

 

AS : de juifs, et les juifs sont, les juifs ont dirigé tous les mouvements révolutionnaires tout le temps  (rire de AS et RG) c'est eux qui font… 

 

RG : c'est pas moi qui l'a remarqué mais comment ça s'explique ?

 

AS : comment ça s'explique ?

 

RG : à votre avis ?

 

AS : je pense, enfin je pense qu'il y a plusieurs raisons hein bon, on pourrait dire peut-être qu'il y a un projet messianique et que, on abandonne le messianisme religieux et sans le savoir on le remplace par u messianisme politique, c'est une, c'est une hypothèse

 

RG : oui

 

AS : c'est une hypothèse, ensuite il y a des raisons beaucoup plus fortes c'est que, on considère que le, l'antisémitisme est, est un produit d'une société injuste et qu'en établissant une société juste on liquidera aussi l'antisémitisme et puis il y avait, ça c'est alors ça c'est avant la guerre, comme mes parents, ce qu'en vérité moi j'ai hérité, j'ai hérité d'une mentalité révolutionnaire

 

RG : oui

 

AS : de mon père en réalité qui était déjà révolutionnaire en Pologne et le père de ma femme aussi était révolutionnaire en Pologne parce que, après j'ai cru que ça venait de la guerre, mais ça ne venait pas de la guerre

 

RG : mais révolutionnaire sionistes ?

 

AS : sionistes pour mon père, communiste pour le père de ma femme

 

RG : d'accord

 

AS : mais ils étaient révolutionnaires en Pologne dans les années 30

 

RG : d'accord, d'accord

 

AS : ceux qui ont rompu avec le Moyen Age

 

RG : oui            

 

AS : ils sont, une grande partie d'entre eux ont adhéré, bon ils ont créé le Bund, le Bund a créé le Parti Social Démocrate de Lénine, c'est les juifs qui sont à l'origine de toute cette… histoire, bon, et donc après la guerre moi j'ai, on pensait que c'était à cause la guerre qu'on était communiste, ce qui était, ce qui était pas vrai puisque nos parents l'étaient déjà avant la guerre, et la, l'idée que je trouve totalement absurde c'était que, puisque, puisque les nazis c'était l'extrême droite

 

RG : oui

 

AS : leur pire ennemi c'était l'extrême gauche et donc on était d'autant plus antinazis qu'on était à l'extrême gauche, voilà

 

RG : d'accord, mais à l'âge, à l'âge de 15-16 ans, quand vous parlez de messianisme, vous cherchez quelle sorte d'utopie, l'utopie française ou l'utopie mondiale ou…

 

AS : mondiale

 

RG : mondiale

 

AS : mondiale, ben d'ailleurs on avait des discussions avec mon copain, on avait 14 ans hein, pour savoir qu'est-ce qu'on fait si le comité centrale de l'Union Soviétique n'est pas d'accord avec Staline, avec qui on est d'accord, voilà les problèmes qu'on avait à 14 ans

 

RG : oui

 

AS : et alors bon, mais on avait une vision mondiale, on était, on était des staliniens

 

RG : et vous êtes allé à Moscou ?

 

AS : et je suis allé à Moscou, je suis allé à Moscou en 57 il y avait un festival de, festival de la jeunesse qu'il y avait tous les deux ans, et donc en 57 moi j'étais déjà étudiant donc et j'étais  étudiant communiste donc je suis allé à Moscou et j'ai, j'ai même porté la gerbe avec Henri Martin qui était un héro de la guerre contre le Vietnam, on était deux à porter la gerbe pour aller au mausolée

 

RG : oui

 

AS : et donc, il m'ait arrivé une histoire très drôle, je portais la gerbe, et il y avait tous les, tous les membres de la délégation française qui étaient membres du Parti en même temps

 

RG : oui

 

AS : on rentre au mausolée  de Lénine et Staline, il y avait les deux, donc, j'étais  stalinien encore

 

RG : oui

 

AS : et donc, dans un état d'extase, enfin de transe, et donc on rentre et, et derrière moi j'entends une fille qui demande «  lequel des deux est Lénine ? »

 

RG : (rire) formidable, formidable

 

AS : et elle m'a casé (rire), elle m'a casé l'extase, bon donc j'étais, j'étais  encore stalinien en 57, je suis allé en Union Soviétique, j'ai…

 

RG : et malgré, malgré les événements en Hongrie ?

 

AS : au contraire, au moment, pour, la Hongrie pour moi à cause de mes, un peu a, enfin non, de toute façon j'étais stalinien, j'étais stalinien j'avais pas envie de changer, j'avais 18 ans, j'avais pas envie de changer, donc j'étais sourd et aveugle, et en plus nos parents à nous, les juifs polonais disaient ben les polonais ayant droit sont des antisémites c'est pas étonnant, c'est pas étonnant que il y a une, qu'ils se révoltent, qu'il y a une révolte fasciste, donc j'étais vraiment tout à fait persuadé que c'était une révolté fasciste et dans le lycée où j'étais , j'étais  à ce moment-là dans le lycée Janson de Sailly, c'était au 16ème

 

RG : oui

 

AS : j'ai fais 6 adhésions à l'union des étudiants communistes

 

RG : ah oui

 

AS : en soutien à l'intervention soviétique en Hongrie, donc j'étais…

 

RG : pas mal

 

AS : réellement borné stalinien et tout, sans, sans…

 

RG : des gens avec qui vous vous travaillez à l'époque, enfin des camarades politiques qui, avec qui vous êtes resté longtemps ou juste, juste à ce moment ?

 

AS : ah, non c'est des gens qui ont adhéré à l'époque, je ne les ai pas revus après, sauf un qui est resté un ami mais c'est des gens qui étaient au lycée, qui étaient en classe préparationnaire aux grandes écoles comme on dit ici

 

RG : oui   

 

AS : et qui ont adhéré parce que, parce que  bon mais c'est pas intéressant mais c'était un lycée qui était très, très à droite

 

RG : oui

 

AS : très, très à droite et il y avait une, un petit peu une atmosphère de, pas grand-chose, un peu des persécutions à l'égard des communistes quoi

 

RG : d'accord- pourquoi vous êtes allé là plutôt qu'à, à…

 

AS : parce que le professeur…

RG : ?? ou quelque chose comme ça ?         

 

AS : parce que  le professeur de philosophie de la classe terminale était communiste, Karinck, et donc je voulais avoir un prof marxiste et donc j'ai réussi à aller là-bas et c'est lui qui a eu Poprel, qui a eu Lionel Jospin l'année d'après moi

 

RG : oui d'accord

 

AS : le même bon, et donc j'étais  allé, j'étais  vraiment communiste dans toute, dans toute  mon existence

 

RG : et vous militez dans, dans les étudiants, dans l'union étudiante communiste, c'est à cette époque ?

 

AS : à la création, à la création, c'est en 56 

 

RG : oui

 

AS : je suis au congrès qui crée  l'union étudiante communiste, et après je deviens le dirigeant de ce qu'on appelait les, ceux qui étaient dans les classes préparatoires aux grandes écoles

 

RG : oui

 

AS : bon j'étais  secrétaire de, du secteur des grandes écoles, et après j'étais au bureau national et après j'étais  rédacteur en chef du journal, Clarté 

 

RG : oui

 

AS : et mais je suis devenu le rédacteur en chef de Clarté au moment où on a tourné notre veste, l'union des étudiants communistes

 

RG : oui

 

AS : qui avait été, c'était la seule qui existait hein, il n'y avait pas d'union des étudiants communistes dans le monde, comme organisation…

 

RG : ah bon

 

AS : indépendante, les étudiants communistes faisaient parti de la jeunesse communistes en Italie par exemple, nous étions la seule, le parti avait créé en France une organisation indépendante des étudiants

 

RG : mais tout à fait indépendante ?

 

AS : non, non

 

RG : non

 

AS : mais autonome disons, on avait des congrès, on élisait  notre direction, il y avait quelqu'un qui était l'œil du parti

 

RG : oui

 

AS : donc qui était le secrétaire administratif qui était l'œil du parti, et puis, quand il y a eu le 20ème congrès, le 20ème congrès  a été l'occasion pour le parti italien de, de devenir un peu anti-stalinien, le parti communiste italien a influencé des dirigeants français qui étaient au bureau politique, Laurent Casanova, Marcelle Servin, ces dirigeants français nous ont influencés

 

RG : oui

 

AS : et donc c'est pas du tout par un travail personnel de prise de conscience ou de, ou de lucidité mais simplement toute la direction des étudiants communistes

 

RG : oui

 

AS : à l'unanimité s'est retourné et est passé du stalinisme intégral

 

RG : oui

 

AS : sans état d'âme à un anticommunisme viscéral,

 

RG : mais l'anticommunisme…

 

AS : enfin à un anti-stalinisme…

 

RG : oui, parce que  vous êtes toujours communiste

 

AS : à un anti-stalinisme

 

RG : oui parce que  votre point de vue en gros c'était quoi ?

 

AS : et ben c'était Kroutchov c'est la renaissance

 

RG : oui

 

AS : Kroutchov c'est, on va liquider le stalinisme et enfin le socialisme va être merveilleux et nous, nous faisons partie de ce mouvement et en plus, toujours à un niveau plus inconscient disons, ben c'était une nouvelle génération qui prenait le pouvoir quoi

 

RG : d'accord           

 

AS : on ne se on ne se disait pas ça du tout, on était tout à fait dans le dévouement, mais si je réalise avec du recul, c'était aussi un conflit avec le, avec le père disons, qu'une certaine manière

 

RG : voilà, voilà

 

AS :parce que  c'était on avait déclaré la guerre à la direction du parti français, mais c'est une guerre, je veux dire on…

 

RG : guerre civile

 

AS : on les haïssait

 

RG : oui

 

AS : on les haïssait, et on disait ce sont des assassins, des chiens etc., parce que  tout d'un coup on venait d'admettre ce qu'on avait jamais voulu entendre c'est-à-dire que oui il y avait des camps de concentration en Union Soviétique et tout ça, toute l'horreur,  tout d'un coup on l'admet donc ça se retourne quoi

 

RG : et tous ces étudiants communistes pensaient comme vous ?

 

AS : alors au, au début, de proche en proche on parlait et puis les gens faisaient pareil que nous quoi, ça, ça prenait deux minutes, ça prenait deux minutes c'est-à-dire comme si l'inconscient remontait et hop « mais oui bien sûr tout ça, on l'avait toujours su », et donc pendant deux, trois ans on a été majoritaire

 

RG : oui

 

AS : il y a eu deux, trois de gloire, de cette équipe qu'on appelait les Italiens

 

RG : oui

 

AS : notre surnom Italiens, Kroutchoviens, mais surtout les Italiens… et puis petit à petit il y avait quand une contradiction dans  le fait d'être communiste et d'être contre le Parti, on est devenu minoritaire parce qu'il y a eu, il y a eu des gens qui sont devenus maoïstes ou pré maoïstes, il y a eu des gens qui étaient trotskistes, et puis il y a eu des gens ont adhéré, les nouveaux adhérents qui ont adhéré sur la ligne du Parti et donc à la fin on a été battu en 65 et là on était complètement, totalement minoritaire, c'était fini quoi, mais, mais on avait quand même bousillé une génération

 

RG : oui

 

AS : le Parti avait perdu une génération

 

RG : et vous pouvez nommer vos camarades à l'époque ?

 

AS : ah oui, les, les gens qui dirigeaient les étudiants  communistes, c'était Robrieux, Fornère, Procane, Depaki, Chalite, il y avait aussi des gens comme Bernard Kouchner, Roland Castro qui sont des gens un peu plus connus

 

RG : oui

 

AS : et bon ben c'était des, parmi, parmi eux sont, Serge, Serge Julie avait travaillé un peu à Clarté aussi

 

RG : oui

 

AS : moi je parle des gens connus quoi

 

RG : oui

 

AS : mais…

 

RG : et qu'est-ce qui s'est passé après votre expulsion ?

 

AS : ben, on n'a pas été expulsé, on a perdu, on a perdu c'est-à-dire…

 

RG : vous avez quitté      

 

AS : on a quitté, on a quitté et le parti a pris le pouvoir, après il y a eu de nouvelles crises après, les gens qui nous avaient chassé ont fait la même chose que nous, ce sont aussi retourné mais un peu plus tard et nous, nous n'avons pas vraiment, on a essayé de faire un petit groupe, justement en même temps que les jeunesses étudiantes chrétiennes qui étaient en crise aussi

 

RG : oui

 

AS : et en même temps que les Protestants qui étaient en crise aussi

 

RG : oui

 

AS : donc on a fait un petit groupe, mais qui n'a pas eu une grande activité,  qui était le Centre révolutionnaire d'Interventions et de Recherches, on c'est, en vérité on, on n'avait pas, on n'avait plus tellement envie de faire de l'activisme politique

 

RG : non

 

AS : et donc on s'est mis, un très petit groupe hein, de gens anciens des étudiants communistes, alors là on était un très petit groupe, on s'est mis plutôt à, à réfléchir, à, à relire Marx enfin ou à lire Marx et à voir sur quel point on, on devait critiquer le marxisme etc.

 

RG : et ces Chrétiens avec qui vous avaient travaillé, c'étaient qui ? 

 

AS : alors c'était, ben, des noms connus, il y avait Henri Nallet

 

RG : oui

 

AS : parmi les Protestants il y avait Boberaux qui était important en France

 

RG : ah oui d'accord

 

AS : et il y avait un type aussi, il y avait un type qui devait s'appelait Vilain et qui devait diriger la jeunesse agricole chrétienne

 

RG : oui

 

AS : ça c'était des gens extrêmement sympathiques, extrêmement ouverts mais bon, on n'avait pas, on s'est croisés simplement

 

RG : et quand vous, vous vous êtes croisé parce que  vous étiez dans des milieux étanches non ? 

 

AS : on était, on était étudiants

 

RG : oui d'accord

 

AS : et à une époque où tout le monde était au même endroit c'est-à-dire qu'il n'y avait que la Sorbonne, il n'y avait pas toutes les facs  qu'il y a aujourd'hui

 

RG : d'accord

 

AS : dans les années 60 tout le monde était dans la cour de la Sorbonne`

 

RG : d'accord

 

AS : donc on se connaissait et puis on se fréquentait à l'UNEF, au syndicat étudiant

 

RG : d'accord

 

AS : bon et puis, comment, comment on les a connus, je n'ai pas, je n'ai pas de souvenirs, je ne sais pas, m'enfin il n'y avait rien de mystérieux à ce qu'on les voit puisqu'on était au syndicat ensemble et dans les études ensemble, et, et la crise était concomitante, c'était la même crise et en particulier les, les, la crise a été plus profonde chez les Protestants

 

RG : d'accord, comment ça, parce que  c'était les églises les plus libérales non ?

 

AS : c'est une église plus libérale mais ils sont beaucoup plus radicaux, les, les, l'alliance des équipes unionistes, c'était le nom de l'organisation protestante, eux ils étaient sous l'influence des situationnistes

 

RG : ah d'accord

 

AS : et donc, c'est-à-dire aux antipodes du discours gauchiste, trotskiste, etc., aux antipodes carrément et, et donc moi j'ai, moi avec mes élèves, on a été assez influencé par ça

 

RG : et qu'est-ce que vous entendez, qu'est-ce que vous entendiez par le situationnisme ?

 

AS : alors les « situs », c'était un petit groupe de 13 personnes

 

RG : oui

 

AS : qui produisaient des textes et il n'y avait pas d'adhérant ni rien, mais ils avaient une Hora  extraordinaire parce que ils avaient une conception de la révolution qui était la jonction  du surréalisme et du marxisme, du jeune Marx

 

RG : oui

 

AS : donc c'était la révolution dans le désir et c'était la subversion généralisée, ils avaient des mots d'ordre

 

RG : oui

 

AS : mais vraiment marrant quoi, c'est par exemple « ne travaillez jamais »

 

RG : oui

 

AS :  « jouir sans entrave… », euh « vivre sans temps mort et jouir sans entrave », l'absolu, c'est l'absolu voilà, et donc le refus des organisations politiques, le refus des dirigeants, le refus de toute autorité, la subversion généralisée de la vie quoi au nom de, au nom de la transgression etc.

 

RG : d'accord

 

AS : et donc ça c'était un discours tout à fait rafraîchissant par rapport au discours marxiste pour les pauvres, les salaires et tout ça et que, dont bon était déjà très fatigué

 

RG : et pour vous, c'était un, c'était un, des slogans politiques ou des slogans de, de…

 

AS : de vie

 

RG : de vie quoi

 

AS : c'était des slogans de vie, c'est-à-dire que là, à partir du moment, moi j'ai quitté l'UEC en 65, après j'ai jamais, j'ai milité un petit à un moment donné encore, bon à ma grande honte, au Comité Vietnam

 

RG : oui

 

AS : Comité Vietnam National, il y avait deux Comité Vietnam  en France avant 68, les Chinois c'était le Comité Vietnam de base

 

RG : oui

 

AS : et les autres dont les trotskistes et nous Comité Vietnam National, alors moi j'étais un peu à la direction du Comité Vietnam National, très anti, très anti guerre du Vietnam, très anti Américains bon

 

RG : et pourquoi à votre honte ?

 

AS : parce que  un jour j'étais  avec Kouchner et on lançait, on lançait des cailloux sur l'ambassade des Etats-Unis à Paris et je dis à ma grande honte parce que aujourd'hui moi je, je pense, je pense que il fallait, il fallait combattre le communisme, je pense ça aujourd'hui, je suis devenu très anti-communiste

 

RG : très, très anti-communiste

 

AS : très

 

RG : depuis quel moment ?

 

AS : ben j'étais  anti-stalinien à partir de 61

 

RG : oui

 

AS : et je suis resté révolutionnaire pendant pas mal d'années, à chercher s'il y avait un, un type de révolution qui ne, qui ne conduirait pas au stalinisme

 

RG : oui

 

AS : bon, et puis finalement je suis devenu vraiment résolument anti-communiste, oui dans les années 70 par là, enfin ça, ça m'a pris beaucoup de temps, ça m'a pris beaucoup de temps pour intellectuellement, parce que  je suis intellectuellement devenu vraiment libérale

 

RG : oui

 

AS : de A jusqu'à Z

 

RG : oui

 

AS : c'est-à-dire je pense, je suis contre la révolution, je suis pour la révolution de 89

 

RG : oui

 

AS : je suis contre la Révolution française de 93, je suis contre la révolution bolchevique, je suis contre la révolution chinoise, je suis contre toutes ces révolutions

 

RG : contre la Commune de Paris ?

 

AS : la Commune de Paris n'était pas marxiste non, la Commune de Paris, Marx a inventé qu'elle était marxiste mais elle ne l'était pas du tout marxiste

 

RG : et pour revenir à cette, ce changement, on dit souvent que la publication du livre sur les goulags de Soljenetsine est un point tournant pour beaucoup de gens

 

AS : ça été un point pour Glugksman pour des gens comme ça

 

RG : oui

 

AS : avec je suis ami, que je vois souvent, oui à ça moment-là on était déjà mais le, le, le livre de Soljenetsine était anti-stalinien

 

RG : oui

 

AS : et donc j'étais  déjà tout à fait d'accord avec ça, mais par contre, passer du stalinisme à la critique de l'idée communisme, ça m'a pris beaucoup plus de temps, en 68 par exemple on était anti-stalinien

 

RG : oui

 

AS : complètement anti-stalinien mais on était encore dans la mythologie révolutionnaire

 

RG : d'accord

 

AS : le discours était encore un discours marxiste, le pouvoir aux travailleurs, à bas, aucune autorité, aucune exploitation etc., c'était un mouvement qui n'était pas du tout marxiste mais qui était dans un discours marxiste

 

RG : d'accord, mais il n'y a rien en particulier qui a changé votre, votre esprit ?

 

AS : non, il n'y a rien, non c'est une dérive continue (rire de AS et RG) c'est une dérive absolument continue, il n'y a pas eu un événement, non mais parce que  je suis devenu vraiment violemment anti-communiste parce que  tout d'un coup j'ai relu les, par exemple mon frère qui avait été communiste avant moi avait ramené un compte rendu du procès de Prague, procès Raich en Tchécoslovaquie, la stéréotypie du procès à l'époque

 

RG : oui

 

AS : et, et, je l'ai relu quand je suis devenu anti-stalinien dans les années, au début des années 60, et là j'ai vu que c'était un régime abominable où on demandait chaque fois, le procureur demandait à l'accusé « vous dites que vous vous appelez Cheny mais quel est votre  vrai nom » alors l'autre qui disait «  Rosebloom », «  j'ai pas d'autres questions à poser », le suivant c'était « vous dites que vous vous appelez Chalay, quel est votre nom », machin pareille, c'était, c'était, ben je découvrais c'était des assassins, des anti-sémites, des, bon, et donc ben j'ai eu encore de la sympathie pour Castro au début

 

RG : oui

 

AS : voilà mais, tout à fait au début, après en 63 je suis allé en Yougoslavie avec Bernard Kouchner au nom des étudiants communistes et on avait de la sympathie pour le modèle yougoslave à ce moment-là, l'autogestion tout ça

 

RG : oui

 

AS : et puis sur place on a vu que c'était tout à fait pff, et quand on est sorti de Yougoslavie et qu'on est, quand on est sorti de Yougoslavie en voiture et qu'on est arrivé à la station d'essence italienne « Super Corte Margore » et qu'on a vu que les gens étaient joyeux, libre etc., on s'est dit, on voyait qu'il y avait quand même un monde dans lequel on avait absolument pas envie de vivre et un monde dans lequel on pouvait quand même rigoler…

 

RG : c'était dans en quelle année ?

 

AS : 63

 

RG : 63

 

AS : 63

 

RG : donc déjà vous avez des, des…

 

AS : ben on était déjà très anti-stalinien et on était entrain d'abandonner les substitues hein

 

RG : oui

 

AS : mais, mais par exemple en 68 on était quand même révolutionnaire, moi j'étais ultra gauchiste en 68, mais pas sur le mode communiste

 

RG : racontez-moi votre 68

 

AS : alors moi donc j'ai, j'ai, j'étais donc j'étais nommé à Paris, dans un lycée à Paris, avant j'étais…

 

RG : parce que  vous avez fait l'école Normal

 

AS : non j'ai pas fait l'école Normal, j'ai préparé l'école Normal mais…

 

RG : vous avez passé les concours ?

 

AS : j'ai passé les concours, mais j'ai eu deux fois 1 sur 40 en thème latin (rire de RG et AS) donc j'ai jamais été, le thème, le thème latin m'a, donc j'ai pas fait la rue d'Ulm, non

 

RG : d'accord

 

AS : mais j'ai fait les classes préparatoires

 

RG : d'accord

 

AS : donc je pouvais avoir l'agrégation puisque j'avais fait les classes préparatoires qui servent à, donc j'ai passé l'agrégation et j'ai été nommé à Paris en 67 et

 

RG : d'accord

 

AS : 67

 

RG : oui

 

AS : et quand je suis arrivé à Paris, je me suis dit la politique c'est fini quoi, c'est terminé,  c'est derrière nous, d'abord personne s'intéresse à la politique, voilà c'était le calme plat, la France s'ennuie, il n'y avait rien…

 

RG : en 67 ?

 

AS : 67

 

RG : ah bon

 

AS : ah oui, j'ai écrit, j'ai écrit deux articles pour la revue du père de Bernard Kouchner, il avait une revue de, pour les, pour les médecins, payé par les labos et dans, et j'ai fait des articles sur, sur, de philosophie quoi, sur le structuralisme mais enfin dans lequel je disais que la politique c'était finie quoi, bon, et c'était, c'est ce que je pensais, donc j'avais, j'avais plus aucune, aucun engagement politique

 

RG : oui

 

AS : et alors 68 est arrivé, les élèves de mon lycée qui étaient absolument apolitiques se sont découvert révolutionnaire, on chantait l'Internationale, je ne sais pas où ils l'avaient entendu, je ne sais pas où ils l'avaient appris

 

RG : oui

 

AS : et, et, et, Cohn-Bendit pour moi c'était génial

 

RG : oui d'accord

 

AS : parce que  c'était, c'était la révolution mais anarchisante, hein anti-communiste

 

RG : oui

 

AS : il parlait, il parlait de la crapule stalinienne

 

RG : oui

 

AS : donc, et il était drôle, et il était insolent, et, et les thèmes c'était pas la misère etc., et donc je, je me suis retrouvé absolument, absolument en 68 mais j'ai eu aucun rôle dirigeant

 

RG : non

 

AS : c'est-à-dire dans le lycée où j'étais, j'allais avec les élèves dans les manifs et tout ça mais j'ai, j'ai pas joué de rôle spécial, alors que par exemple Schalit qui avait été un ancien de, de mon équipe

 

RG : oui

 

AS : c'est lui qui a fait le journal Action, le journal de, de, du mouvement étudiant, mais moi j'allais, j'allais partout, j'allais à toutes les manifs, j'étais sur les barricades tout ça, c'était, mais c'était formidable, c'était vraiment

 

RG : oui

 

AS : c'était, c'était l'héroïsme sans risque quoi

 

RG : amis votre grand moment c'était l'année après ?

 

AS : et après, alors bon là ça été, ça c'était le grand moment comme tout le monde, et l'année d'après, l'année d'après, un de mes élèves, non pas un de mes élèves, un élève de mon lycée, qui était en seconde, moi j'avais pas d'élèves de seconde parce que  qu'on fait la philosophie qu'en terminal, a été dans un stage des protestants, de l'Union de, par mon entremise, et il est revenu situationniste, trop situationniste, parce qu'il était pas, on ne pouvait pas adhéré à l'International Situationniste qui ne comportait que 13 membres, donc, et il a entraîné une énorme proportion des élèves dans un mouvement comme ça surréaliste

 

RG : quel était son nom ?

 

AS : lui il s'appelait Gilles Baudry et il est mort, il est mort asphyxié alors qu'il avait toujours eu l'angoisse de l'asphyxie, il vivait avec une psychanalyste et il y a eu une fuite de gaz et ils sont mort, mais lui était en seconde

 

RG : oui

 

AS : il était, il écrivait des textes absolument géniaux

 

RG : oui

 

AS : et personne ne savait que c'était lui hein parce qu'il était un bon petit gros,  et, et les élèves se sont mis à, à déconner disons, à, à, à empêcher le lycée de fonctionner complètement bon

 

RG : oui

 

AS : sur le thème de la transgression des, des, des limites, des interdits de tout ça et, mais c'était un aspect provocateur et ludique

 

RG : oui

 

AS : mais malgré le, le, le lycée était hors d'état de fonctionner, et c'était, et les parents, l'administration, qui, qui étaient près à, ils étaient près à donner aux élèves ce qu'ils voulaient mais les élèves ne voulaient rien, les élèves voulaient repeindre l'intérieur des tuyaux des WC hein, un trou dans le bureau du proviseur, un baobab pour mettre dans le trou, enfin c'est ça leur revendication bon c'était, c'était absolument, ils collaient, ils collaient des pétards dans les couloirs pour que chacun puisse les allumer quand il veut, parce que fallait absolument pas hein, le premier mot d'ordre qu'ils ont mis, qu'ils ont écrit dans le lycée c'était « au cul les avant-gardes »

 

RG : oui

 

AS : donc c'était absolument anti-léniniste, anti-marxiste, anti-organisation, il n'y avait pas, il n'y avait pas de groupuscule là-dedans

 

RG : et quel était votre rôle là-dedans ? 

 

AS : alors moi j'étais  leur caution, c'est-à-dire que j'étais l'adulte qui leur disait qu'ils avaient raison

 

RG : oui

 

AS : j'étais  considéré par l'administration comme l'inspirateur, comme le bon, et en réalité ils avaient beaucoup plus vite que moi, mais, mais moi je les suivais, c'est vrai que je les cautionnais quoi, et, alors ils y a eu beaucoup d'incidents, le, j'ai fini par recevoir des gifles du mari de la proviseur parce qu'il croyait que c'est moi qui avait suggéré de l'insulté enfin bon, peu importe, il y a eu des scènes très violentes, ils ont appelés les flics, les flics sont entrés dans le lycée, ils couraient après les élèves, les élèves se sont réfugiés  dans des classes, il y a des professeurs qui ont montré aux flics quels élèves se sont réfugiés, alors après il y a eu un tract absolument surréaliste qui avait été écrit par ce Gilles Baudry, qui prenait chaque professeur qui avait dénoncé les élèves et en faisait un portrait, un portrait insolent, c'était, c'était le, le, enfin 0 de conduite si vous voulez, c'était le, et donc il y a eu énormément de dépression nerveuse chez les profs, le, la proviseur a pris sa retraire anticipé, les, bon ils étaient, ça été une destruction mais sur le, sur un mode transgressive

 

RG : oui

 

AS : ludique quoi, et après, donc ça, ça a duré un an

 

RG : et qu'est-ce qui vous êtes arrivé aussi ?

 

AS : alors bon moi, ben moi j'étais  là, et ben moi je disais aux élèves, ben moi je suis prof je suis payé donc  moi je fais cours moi, vous faites ce que vous voulez, je ne vous donne pas tort, je vous donner raison mais moi je ne suis pas élèves je suis prof, donc je faisais cours et puis ceux qui voulait écouter écoutait, ceux qui…

 

RG : oui, mais vous avez été sanctionné ?

 

AS : alors j'ai, j'ai, alors pendant l'année, la proviseur du lycée demandait que je sois viré enfin bon, et, et, alors il y a eu un inspecteur qui est venu, mais l'inspecteur je l'avis eu comme professeur en Cagne, alors en classe préparatoire et  c'est un prof de philo tout à fait, un protestant aussi, tout à fait génial, très gentil qui, qui m'a fait, qui a fait un rapport très, très favorable et qui m'a proposé une classe préparatoire aux grandes écoles, de devenir prof en, en prépa, en Cagne

 

RG : à quel lycée

 

AS : non il m'a proposé, j'ai dis non, je ne veux pas

 

RG : ah bon

 

AS : je ne vais pas

 

RG : ah bon vous êtes resté là

 

AS : je suis resté là, je ne veux pas être solidaire des élèves qui foutent le bordel

 

RG : oui

 

AS : et, et puis en profiter pour avoir une promotion comme les gars qui font du syndicalisme et qui se retrouve dans, donc ça c'était pas possible, donc je suis resté là, et à la rentrée, donc je suis resté un an

 

RG : oui

 

AS : dans, dans des turbulences et des violences et tout ça bon, il y a eu des coups échangés avec des profs, c'était, c'était très, très violent, et alors à la rentrée donc en septembre 69, euh, alors cette fois-ci on a envoyé un inspecteur qui n'était plus un inspecteur de philosophie, qui était un inspecteur de l'administration disons

 

RG : oui

 

AS : et, et là donc le, le troisième jour j'ai été suspendu, alors le, le prétexte bon ça n'avait pas beaucoup d'importance mais il y avait trois prétextes, parce qu'ils ne pouvaient pas me suspendre pour ce que j'avais fait l'année d'avant

 

RG : d'accord

 

AS : parce que,  il y avait eu les élections et amnistie

 

RG : d'accord

 

AS : donc il fallait qu'ils me suspendent pour les trois jours de la rentrée, bon, ben fastoche, alors premier motif, j'avais accepté dans ma classe des élèves qui étaient d'autres classes, parce que  j'étais  une vedette à l'époque donc il y avait des élèves qui voulaient écouter le prof machin bon, donc j'avais accepté 4-5 élèves dans la classe, alors, deuxièmement j'avais dit aux élèves est-ce, est-ce que vous voulez travailler parce que  l'an dernier ça été génial mais il y a beaucoup d'élèves qui n'ont pas eu le bac et moi, moi j'ai ma profession, je ne veux pas vous faire prendre de risque

 

RG : oui

 

AS : et donc vous votez, est-ce que vous déconnez ou est-ce que on travaille, et ils ont voté qu'on travaillait

 

RG : d'accord

 

AS : mais j'avais posé la question, et troisièmement je leur ai dit, il y a plusieurs profs de philo dans le lycée, vous m'avez pas choisit, vous avez le droit de savoir qui je suis donc je leur ai lu le rapport que la proviseur avait écrit sur moi ( rire de RG et AS) voilà les trois fautes professionnelles qui ont servit de prétexte pour me suspendre et donc j'étais  le premier prof suspendu, il y en a eu plusieurs après de prof de philo qui ont été suspendus mais moi j'étais  le premier prof suspendu, alors la suspension c'est une mesure, c'est, pour les agrégés c'est, un fonctionnaire en France c'est pas facile de le viré, donc alors suspendu avec traitements

 

RG : pour combien de temps ?

 

AS : alors j'ai d'abord été suspendu avec traitements, bon c'était, c'est une mesure conservatoire donc il n'y a pas de limite, et puis au bout de 6 mois je suis passé devant le conseil supérieur de l'éducation nationale

 

RG : oui

 

AS : à la Sorbonne tout ça, vraiment un machin, alors la première fois il y avait eu un meeting de soutien pour les profs suspendus et j'avais dit je n'irais à ce jugement si il n'y a, si tout le monde ne peut pas parler, enfin bon j'ai fait un cirque, donc ça été annulé, le jour prévu a été annulé et puis ça été une autre fois et là, et moi, et moi je ne voulais pas me défendre sur le plan du fonctionnaire

 

RG : oui

 

AS : j'estimais que j'avais, j'avais largement agressé l'institution et je comprenais très bien qu'elle se défende

 

RG : oui

 

AS : mais je, mais mon avocate n'a pas voulu, elle a voulu, moi je leur ai dit simplement du point de vue de la légalité vous ne pouvez pas me suspendre parce que ce que j'ai fait pendant les trois jours ça ne justifie pas une suspension

 

RG : d'accord

 

AS : et donc j'ai été suspendu à ce moment-là à un an, j'ai été condamné un an de suspension dont 6 mois avec traitements, ceux que j'avais touchés, et 6 mois sans traitements

 

RG : d'accord

 

AS : voilà, donc j'ai été suspendu pendant un an, et puis après, ils ne savaient pas quoi faire de moi parce qu'ils pensaient que j'étais  extraordinairement dangereux, ils ne se rendaient pas compte que c'était un moment et que les élèves n'étaient plus les mêmes deux ans après c'était plus les mêmes mais bon, et donc ils ne savaient pas quoi faire de moi et donc, ils m'ont mis à l'enseignement par correspondance

 

RG : d'accord

 

AS : et donc je suis resté 14 ans

 

RG : 14ans ?!

 

AS : 14 ans, jusqu'à ce que la gauche prenne le pouvoir en France en 81, en 81 la gauche a pris le pouvoir, elle a estimé que les profs comme moi étaient des victimes de la répression patronale et policière, de chômage et de misère, et donc ils nous ont remis dans le circuit en 83

 

RG : et qu'est-ce que vous avez eu comme boulot à cette époque ?  

 

AS : alors quand j'étais, en 83 ?

 

RG : oui

 

AS : j'étais  remis dans un lycée

 

RG : à Paris ?

 

AS : à Paris,  au lycée Condorcet et puis après, un an au lycée de Condorcet et puis après au lycée de Saint Clou, ils devaient penser qu'on lycée de Saint Clou les élèves étaient, n'étaient pas des révolutionnaires nés, donc je suis resté là-bas, je suis resté jusqu'à ma retraite, voilà au lycée de Saint Clou

 

RG : mais à partir de 69 vous avez perdu votre, vos contacts dans le milieu…

 

AS : il n'y avait plus de rapport avec les élèves

 

RG : avec els élèves mais aussi avec des, des, d'autres profs…radicaux sinon…

 

AS : non, j'avais, j'avais des contacts avec, j'avais des contacts avec les gens que je connaissais, avec mes amis

 

RG : oui

 

AS : et c'était une époque où il y avait, il y en a d'autres qui ont, j'ai, j'ai, j'ai donné mauvaise conscience à, à un certain nombre de profs de philo avec qui j'étais ami

 

RG : oui

 

AS : ils voulaient aussi être suspendu, hein, parce que  quand même dans une période révolutionnaire faut pas être, faut pas être moins révolutionnaire, donc, donc j'ai quelques copains Pierre Canne par exemple qui s'est fait suspendre et puis qui est devenu psychanalyste après, et puis Robert Herbrat qui s'est fait suspendre, Claude Moralie qui s'est fait suspendre bon, Daniel Cape, il y en a un certain nombre qui se sont fait suspendre, mais eux ils se sont fait suspendre, c'est-à-dire ils ont agit hein, moi j'étais accusé de se que faisait les élèves mais moi je, j'ai rien fait tandis que eux ils ont été obligé de faire des conneries pour pouvoir être suspendu

 

RG : d'accord

 

AS : voilà, et puis d'autres comme Berelovich ou Fornert qui étaient prof à la fac et qui ont voulu démissionner pour ne pas rester les, les fonctionnaires, bonne bourgeoisie etc. , donc bon ils ont, ils ont, ils ont….

 

RG : et ils vous enviaient un peu

 

AS : est-ce que je les enviais ?

 

RG : non, ils, ces profs-là ils vous enviaient un peu

 

AS : ben ils m'enviaient parce que, parce que, ben parce que  j'étais  un héro, un révolutionnaire, une victime (rire de RG et AS) de la répression tout ça, et, et moi je ne me sentais pas des tout victimes, d'abord j'estimais que je l'avais largement mérité que l'institution se défende

 

RG : oui

 

AS : bon, ensuite j'étais  payé à rien faire, je, je, j'avais juste à rédiger des cours, je, je, je corrigeais des copies des étudiants qui préparais l'agrégation

 

RG : oui

 

AS : par correspondance

 

RG : d'accord

 

AS : et le CAPES, et je rédigeais des unités des valeurs pour les élèves qui passaient leur examen à Nanterre, les élèves par correspondance

 

RG : d'accord

 

AS : donc j'avais, j'avais très, très peu de travail, par exemple je, je suis allé vivre un an aux Etats-Unis

 

RG : oui

 

AS : sans que ça gène mon travail pour l'enseignement par correspondance donc je, j'étais  dans une cage dorée, j'étais, j'étais  absolument, j'étais  bien quoi

 

RG : amis vous étiez, vous avez des approches d'autres mouvements ou d'autres réseaux pour vous recruter en tant que révolutionnaire ?

 

AS : non, non, non j'étais hors, non, non à ce moment-là si vous voulez à partir de 70, à partir de 69, la révolution, disons la trajectoire après le situationnisme c'était la musique pop, la drogue, les relations familiales bouleversées etc., sexuelles bouleversées, c'était ça la thématique révolutionnaire

 

RG : oui

 

AS : c'était plus du tout le, le, l'engagement dans les groupuscules, plus du tout

 

RG : donc cette révolution culturelle dont vous parlez est venu après ?

 

AS : elle est venu à partir de, de, après 68 oui, après 68, c'était déjà, c'était ça l'année au lycée, c'était déjà ça

 

RG : oui d'accord

 

AS : c'était déjà ça, et après on est resté là-dessus, c'est-à-dire bon ben après, après j'ai revu des copains, bon un peu plus jeune que moi, qui étaient devenus maoïste, qui s'étaient installés en usine etc., qui avaient une vie dure etc., nous aucun rapport, nous c'était le LSD la musique

 

RG : vous aussi

 

AS : oui

 

RG : pourquoi pas (rire de RG et AS)

 

AS : ça n'a pas duré des, ça n'a pas duré beaucoup d'années mais ça a duré 2-3 ans, quelques voyages avec des gens, mais c'était une époque, c'est, l'époque c'était ça quoi, avec, avec l'impression que on inventait, c'est-à-dire c'était pas juste à usage privé, c'est aussi qu'on inventait une, un nouveau mode de vie

 

RG : oui

 

AS : c'était, disons, il y avait l'influence de Marcuse, pour moi qui avait lu un peu de philo quand même

 

RG : oui

 

AS : il y avait un peu l'influence de Marcuse contre la répression sexuelle

 

RG : oui d'accord

 

AS : civilisation et tout ça    

 

RG : donc vous vous êtes défoulé un peu

 

AS : et on s'est, oui enfin on s'est pas défoulé un peu, on s'est vraiment défoncé quoi, parce qu'on était pas vraiment refoulé non plus, mais enfin on était quand même si, c'est, c'est amusant, quand on était aux étudiants communistes et qu'on était anti-stalinien et, il y avait une vie, il y avait une vie énorme à l'époque de la lutte contre le parti, c'était

 

RG : oui

 

AS : c'était, c'était très violent, c'était, et puis tout le monde était au étudiants communistes à cette époque-là, tous ceux qui allait faire mai 68, c'était bon, mais on était, sur le plan sexuel on est catho, et alors effectivement après mai 68

 

RG : oui

 

AS : mai 68 n'avait rien à voir avec la sexualité mais l'après mai 68 pour les gens de, de, de ma mouvance disons hein, ça été une remise en question de, de ce mode de vie, il y en avait, il y en avait pour qui c'était bien, qui ont réussit à le vivre, il y en avait pour qui c'était extraordinairement dangereux, qui se sont foutu en l'air parce que

 

RG : comment ça ?

 

AS : ben parce que,   ils ont rompu, ils ont brisé leur couple, ils ont, ils ont eu des aventures et ils prenaient du LSD et bon ils ne maîtrisaient  pas tout ça, c'est pas, c'est pas sans risque, c'est pas sans risque, moi ça allait très bien parce que  moi j'étais  marié

 

RG : oui

 

AS : j'avais des enfants, j'avais un revenu et j'avais pas envie de déconner avec mes enfants donc j'étais  le, disons, au milieu de gens qui vraiment déconnaient, hippies enfin tout ce qu'on veut, nous, on était quand même une famille bourgeoise…maintenue, alors ouverte, c'est-à-dire que les gens pouvaient habiter chez nous, c'était ouvert, mais le, le, ma femme et moi on ne s'est pas séparés et on n'a pas déconné avec les enfants

 

RG : oui

 

AS : donc mes, mes filles, quand elles sont interviewées comme fille de soixante-huitard

 

RG : oui

 

AS : sont à peut près les seules qui ont un souvenir heureux, les autres (rire de AS et RG) c'est la tasse et, d'après ce qu'elles disent en tout cas et elles ont un souvenir heureux, il y en a une qui a fait des émissions à la radio là-dessus et puis une autre qui est passé dans une série là-dessus aussi, mais pour beaucoup de gens ça été dur, c'est normal quand on sort du cadre, bon, c'est, c'est dur, et mais en tout cas, mais on était toujours politisé, c'est-à-dire on était toujours intéressé par la politique

 

RG : oui

 

AS : naturellement, mais, mais, mais adhérant à rien

 

RG : d'accord, mais toujours avec les mêmes copains, les mêmes camarades

 

AS : oui, on…

 

RG : d'auparavant ?

 

AS : oui les, les anciens des étudiants communistes, je suis toujours ami avec quelques anciens des étudiants communistes et puis j'ai retrouvé, à cause de mon évolution  politique

 

RG : oui

 

AS : fâcheuse,  j'ai retrouvé des gens qui, qui venait de la même, comme Gluskman par exemple qui, mais qui lui avait été maoïste, on avait été séparé

 

RG : oui

 

AS : maintenant on se retrouve sur les mêmes, sur les mêmes positions

 

RG : vous l'avez retrouvé quand ?

 

AS : je l'ai retrouvé il y a 3-4 ans à partir, c'était au moment de, c'était au moment de la Bosnie je crois, au moment, parce que  moi j'ai retrouvé Kouchner en 90

 

RG : oui

 

AS : enfin j'étais  copain avec lui mais on ne se voyait pas et puis en 90, au moment de, enfin avant la Bosnie et, et donc j'ai été un peu avec lui à ce moment-là, et, et puis je soutenais et je soutiens toujours l'idée de, du droit d'ingérence, de ne pas laisser des peuples se faire exterminés par des Etats, que les Etats n'ont aucune légitimité à mes yeux s'il ne sont pas élus démocratiquement, bon donc, à partir, à partir des années 90 s'est remis un peu dans la politique mais du côté de, pour la Bosnie, pour le Kosovo pour, et après pour l'Irak, je vais partie d'un petit, petit, petit noyau de gens qui étaient favorables à l'intervention américaine

 

RG : ah oui d'accord

 

AS : à ce moment-là

 

RG : avec qui ?

 

AS : alors Gluksman, avec d'autres gens

 

RG : oui

 

AS : qui sont dans une revue qui s'appelle Le Meilleur des Mondes, je peux vous montrez ça si vous voulez, qui est…

 

RG : ne bougez pas parce que…

 

AS : ah mon truc, ah oui

 

RG : plus tard peut-être

 

AS : je vous montrerai après voilà

 

RG : oui

 

AS : donc là il y a un petit groupe de gens qui ont, qui tous viennent du maoïsme ou du trotskisme, ou comme moi encore avant du stalinisme et qui ont un peu comme ??? au conservateur, c'est-à-dire des gens sui viennent de l'extrême gauche et qui ont adhéré absolument…

 

RG : et vous vous caractériser comment ?

 

AS : libérale

 

RG : libérale

 

AS : libérale et droit de l'homme

 

RG : d'accord

 

AS : libérale et droite de l'homme, voilà, et donc, par exemple je pourrais voter pour Tony Blair, je pourrais, sans problème, mais je ne peux pas voter pour Ségolène Royale  (rire de RG et AS)

 

RG : d'accord, pour revenir un peu sur la question du laissez, on parle souvent de 68 comme une révolution de génération, mais on peut dire qu'il y avait plusieurs générations qui se sont révoltés de manière différente, non ?

 

AS : oui, c'est, ben, la figure symbolique c'est Cohn-Bendit

 

RG : oui

 

AS : bon Cohn-Bendit il y plus que 20 ans mais il y moins de 30 ans

 

RG : oui

 

AS : voilà, moi je pense que c'est, c'est ça les leaders, ce sont des gens qui eux ont fait leur armes à propos du Vietnam ou avec la crise du communisme hein

 

RG : oui

 

AS : et c'est eux qui entraînent le mouvement, après des gens comme moi, qui n'avait jamais que 2-3 ans de plus disons, je ne sais pas quel âge avait Cohn-Bendit m'enfin 4-5 ans de plus, mais nous on replonge mais on ne compte pas beaucoup, on était quelques alliés, des trentenaires qui sont alliés mais ça, évidemment ça a surtout incendié les gens de 18-20 ans

 

RG : oui

 

AS : et ça les a incendiés pour beaucoup dans toute leur vie après, c'est-à-dire ce sont des gens qui sont resté dans l'idée qu'ils avaient vécu, enfin pour beaucoup disons, qu'ils avaient vécu un moment merveilleux et qu'il, qu'il fallait pas se, se renier, donc il y en a pas mal qui ont pas, qui n'ont pas voulu réussir socialement, à cause de cette, de ce mouvement, donc il y a, il y a, maintenant il y en a peut-être moins m'enfin il y eu pendant très longtemps ce qu'on appelait les ex-soixante-huitards      

 

RG : oui

 

AS : voilà, mais c'est, c'est, c'est une révolte d'une génération oui, c'est une révolte, c'est une révolte d'une époque pour moi,  d'une époque

 

RG : oui

 

AS : qui doit sortir de la France un peu stricte et ?? sur le plan culturel, et cette révolte d'une époque, elle est portée par, par la jeune génération ce qui est normal

 

RG : et vous dites que chaque, tous les, tous les 10 ans on,

 

AS : on a un regard différent

 

RG : on reconsidère, on a un regard différent sur cette époque

 

AS : oui

 

RG : et, et est-ce que votre regard sur cette époque à changé et comment ?

 

AS : alors ce qui a changé, bon, moi je, je vais pas partie des gens qui rejette mai 68, je, je pense c'était une crise dans laquelle moi-même j'ai dit énormément de connerie, je veux dire il y a aucun doute, c'était, c'était irresponsable, c'était ludique, mais bon, en tout cas c'était extrêmement joyeux et agréable, et mais simplement aujourd'hui je pense qu'on est obligé de rectifier, c'est ça que j'aurais peut-être pas dit il y a 10 ans

 

RG : oui

 

AS : c'est-à-dire qu'aujourd'hui je comprends que l'anti-autoritarisme ça va pas

 

RG : ah bon

 

AS : enfin l'anti-autorité je veux dire

 

RG : oui

 

AS : de dire il est interdit d'interdire pour moi c'est une stupidité extraordinaire, sauf si c'est un mot d'ordre poétique

 

RG :sauf si c'est comme ça, mais si ça imprègne vraiment les rapports sociaux, les rapports familiaux, c'est complètement absurde quoi, donc là, je suis d'accord que les anciens soixante-huitards comme Cohn-Bendit doivent dire ce que j'ai dit à cette époque-là sur tel ou tel point c'est stupide  

 

RG : oui

 

AS : voilà, ça je pense qu'il faut un réexamen des idées simplistes et radicales,  des idées radicales c'est-à-dire, moi ce que je trouve formidable dans mai 68 c'est le mot contestation

 

RG : oui

 

AS : la contestation c'est remise en question des rapports et après on, on remet en question c'est-à-dire de quel droit quelqu'un est prof, de quelqu'un a l'autorité sur les élèves, il faut, on a le droit de réexaminer, bon

 

RG : oui

 

AS : mais la contestation si elle devient, comme moi-même je l'ai fait, dissolution et etc., c'est le nihilisme disons, c'est le pire, c'est le pire

 

RG : oui

 

AS : je pense que, on ne peut pas, il faut faire le bilan de mai 68 parce qu'il y a ceux qui disent mais tout le mal vient mai 68, ce que je ne crois absolument pas

 

RG : oui

 

AS : et, et ceux qui défendent mai 68 doivent admettre que évidemment la moitié de ce qu'on disait est débile

 

RG : oui

 

AS : mais je, je ne pense pas que ça vient de mai 68, c'est-à-dire je pense que les problèmes de l'école en France ils viennent d'une population qui est difficilement scolarisable, c'est pas, c'est pas parce que  les enseignements ont abandonné l'autorité, les enseignements n'ont jamais abandonné l'autorité et c'est vrai, c'est vrai que les rapports entre les enseignements et les élèves sont quand même plus normaux qu'ils étaient avant

 

RG : oui

 

AS : c'est-à-dire aujourd'hui les élèves peuvent parler aux profs, il n'y a pas de barrières infranchissables  

 

RG : d'accord

 

AS : ça peut donner lieu à des excès mais, mais de toute façon l'idée de revenir à, moi j'ai jamais adressé la parole à un prof pendant toute  ma scolarité

 

RG : jamais ?

 

AS : jamais, jamais je suis allé parler à un prof

 

RG : ah bon

 

AS : ah oui, ben j'étais  un élève ils étaient des profs bon voilà, et donc, dans les hôpitaux c'est pareil c'était, les malades, avant 68, les malades ont leur parlait pas, ils n'étaient pas bon, en fait ce qui s'est passé c'est une américanisation de la vie

 

RG : oui

 

AS : en réalité ce qui s'est passé c'est ça, c'est des rapports beaucoup plus fluides où les gens mettent prénom et tout ça bon, alors seulement à l'époque on a fait mai 68 on aurait jamais imaginé qu'on allait vers, vers ces rapports un peu plus libéraux

 

RG : d'accord

 

AS : voilà

 

RG : d'accord

 

AS : et aujourd'hui mon regard il est sur, non pas sur ce qui s'est passé mais plutôt sur le fait qu'il faut être clair sur le fait qu'on ne peut pas dire la même chose

 

RG : d'accord

 

AS : par exemple, par exemple moi quand j'ai été suspendu, les profs avec qui j'étais copains on a fait, on a fait un tract, moi je ne l'ai pas signé, le tract s'appelle « nous sommes avec les barbares »

 

RG : oui

 

AS :  « nous sommes avec les barbares », alors il n'y avait pas de barbares comme on l'entend aujourd'hui, les barbares c'étaient ceux qui se droguaient, alors c'était nous sommes, nous ne feront pas la chasse aux fous et nous ne feront pas la chasse aux drogués

 

RG : d'accord

 

AS : ben c'était quand même nous sommes avec les barbares, le texte s'appelait, et la presse en avait beaucoup parlée, 24 profs qui disaient nous sommes avec les barbares et qui prétendaient en plus dire, parce qu'ils parlaient de moi, ils disaient bon la défense de Sénik comme fonctionnaire on s'en fout, bon c'était clair qu'on était pas entrain défendre l'agrégé de, mais, et, et aujourd'hui évidemment je ne dirais pas que je suis avec els barbares parce que  je suis contre les barbares ( rire), j'ai peur, donc

 

RG :  vous avez peur

 

AS : ben j'ai peur des gens qui sont réellement des barbares, des gens qui assassinent, qui tapent sur les profs

 

RG : oui d'accord

 

AS : oui, oui j'ai peur de ça, enfin j'ai peur, je veux dire c'est des ennemis voilà

 

RG : et est-ce que votre identité juive est redevenue plus importante ?

 

AS : mon identité juive est revenue beaucoup plus importante, mais, euhh, je ne saurais pas dire exactement pourquoi, j'en ai parlé hier, parce que  hier c'était, c'était le pâques juif, on en parlait avec des amis…au départ bon moi j'étais  complètement juif, dans ma famille, on était complètement juif bon, j'ai épousé une juive donc il n'y avait pas de problème, je n'étais pas du tout bon, mais, et dans mes études, je ne disais jamais que j'étais juif, en France l'intégration républicaine, on ne veut pas savoir si quelqu'un est juif, protestant, catholique donc

 

RG : oui

 

AS : on n'a pas à le dire

 

RG : absolument

 

AS : on n'a pas à le dire bon, et, au sein du militantisme c'était pareil on n'en parlait jamais, la première fois que j'en ai parlé c'était une blague, c'est raconté dans Génération, c'est en 62, c'est quand on croyait que les parachutistes allaient débarquer à Paris en 62, parachutistes d'Algérie, et on était en réunion au local de la Jeunesse Communiste et des Etudiants Communistes, et quelqu'un sonne en bas, et alors je vais le voir et alors là je vais une  blague qui est racontée, et alors je dis a Chaïte «  c'est les bérets rouges, ils demandent les juifs '    »  (rire) c'était pas les bérets rouges du tout bon mais, sinon on n'en parlait pas du tout, et puis je pense que là il y a un phénomène qui est, un phénomène d'âge, il doit y avoir un âge où on assume ce qu'on a voulu mettre de côté en tant que jeune homme quoi

 

RG : oui

 

AS : en tant que jeune homme, il fallait surtout ne pas ressembler à mes parents voilà

 

RG : oui d'accord

 

AS : il fallait surtout ne pas être un petit juif, discret, qui a peur etc.,  et donc le, d'ailleurs je peux le dire je, la compréhension que je peux avoir, la compréhension  au sens positif que je peux avoir pour les beurs, elle est un peu par analogie parce que

 

RG : d'accord

 

AS : parce que  je pense que la, la manière dont les juifs ont été révolutionnaires a été une manière paradoxale d'entré dans la société

 

RG : hm, ah bon

 

AS : une manière un peu agressive

 

RG : d'accord

 

AS : c'est-à-dire au lieu d'avoir à ce caché hein, et finalement il y a une manifestation où tout le monde criait nous sommes tous des juifs allemands, bon et c'était une manière de pouvoir régler ses comptes avec le fait que nos parents nous avaient toujours dit de ne pas parler fort, de ne pas dire qu'on était juif, de faire attention que les gens n'allaient pas penser de mal de nous parce qu'on était juif tout ça, bon, et donc, il y a plusieurs phénomènes concomitants et par ailleurs, alors je prolonge votre question disons, aujourd'hui j'observe évidemment qu'il y a une évolution politique chez les juifs parce qu'ils sont juifs. Il y a une évolution politique de droitisation des juifs

 

RG : oui

 

AS : je parle de juifs ashkénazes

             

RG : oui

 

AS : les autres, les Sépharades ils ne sont pas de gauches disons, mais chez les juifs ashkénazes qui étaient il y a 40 ans révolutionnaires, il y en a beaucoup, beaucoup qui ont, qui ont évolué et qui ont rompu avec ces mouvements qui sont pro palestiniens, qui sont anti-israéliens etc.

 

RG : est-ce qu'ils sont redevenus pratiquants, vous aussi ?

 

AS : non, non, non, non, non moi je suis athée, athée, c'est-à-dire que, un jour ma fille m'a demandé de jeûner pour Kippour, mais, mais, mes parents ne jeûnaient pas pour Kippour, mes parents ne savaient même plus quand c'était Kippour, et donc, ça amusait ma fille donc je me suis mis à jeûner, donc je jeûne le jour de Kippour mais je travaillais aussi quoi, comme ça pour faire quelque chose de, mais dans, dans les gens qui ont mon histoire disons et même un peu plus jeune, j'en connais un qui, qui mange cachère quoi, un, mais sinon il n'y a pas eu de retour au, au religieux, peut-être chez certains enfants de juifs communistes

 

RG : oui

 

AS : il y a eu des gens qui sont redevenus religieux par réaction contre leurs parents, amis moi je n'étais pas communiste donc mes filles n'ont pas pu réagir contre, contre moi

 

RG : mais vos filles sont religieuses plus que vous ?

 

AS : non pas du tout, absolument pas, non elle ne sont pas, mes filles ont épousé des non-juifs, elles ont des enfants avec des non juifs, et elles voudraient au contraire, elles ont comme problème de savoir comment on peut transmettre un peu du passé, parce qu'on a aucun signe, chez mes parents, chez les parents de ma femme, il n'y a pas un objet juif, il n'y a pas une fête juive, il n'y a rien, alors bon moi ça ne me gênait pas parce que mes parents étaient tellement juifs, que il n'y avait pas besoin d'en rajouter quoi, mais maintenant ça va devenir plus problématique avec les enfants de mes filles

 

RG : oui

 

AS : puisque eux, bon il y  en a un qui s'appelle Jacob, il y en a eu qui s'appelle Rebecca, mais à part ce prénom, les autres ne s'appelle pas comme ça, et à part ce prénom, ils n'entendent jamais parler de quoi que ce soi, et dans, dans…

 

RG : ça vous ennuie ?      

 

AS : ça m'ennuie, oui ça m'ennuie, mais ça m'ennuierait qu'elles ignorent que mes petits-enfants ignorent qu'ils appartiennent à une histoire, mais que, je ne veux pas qu'elles soient religieux puisque je ne suis pas religieux moi, alors moi je ne suis pas du doute religieux, je veux dire je ne suis pas, je ne suis pas agnostique

 

RG : non

 

AS : je suis athée

 

RG : athée

 

AS : oui

 

RG : vous avez toujours été athée ?

 

AS : je suis athée mais, mais il n'était pas question, mon père était athée, ma mère était, ils venaient de parents, de familles parfaitement religieuses, à Schentown c'était, toute la vie était mais quand ils sont venus en Europe, ils ont tourné la page et il n'est rien resté ; c'est un phénomène que je ne comprends même pas, ils n'ont rien gardé, et un jour, un jour mes parents ont invité une cousine qui vit en Israël, et, ils l'ont invité, elle m'a raconté après, elle ne comprenait pas c'était la, c'était le soir de Kippour et elle était invitée à manger, elle s'est dit ils m'invitent à manger pour, pour jeûner, parce qu'on jeune le soir de Kippour, mes parents ne savaient même pas que c'était Kippour

 

RG : d'accord

 

AS : donc, alors donc comme on n'a rien, on n'a rien à, c'est difficile de transmettre quoi, bon, il y a la guerre, ça, ça c'est bon,  facile parce que il en est beaucoup question, à la télévision etc., on voit sans arrêt les, les, bon, donc, quand ils seront qu'ils viennent de là je pense que ça suffira pour qu'ils comprennent que voilà ils ont une histoire derrière eux, mais il n'y a pas de, y'a pas de transmission culturelle réellement, bon…moi j'ai ma théorie là-dessus, ma théorie personnelle que j'ai élaborée, c'est qu'au fond si je suis juif ça doit se transmettre, je suis juif par, par la manière dont je vis, par la manière dont je pense donc, et j'ai élevé mes filles telles que je suis et elles élèveront leur enfants tel quelles sont et donc la judaïté se transmettra mais les petits-enfants seront pas où elle se situe

 

RG : d'accord

 

AS : mais évidemment qu'ils ont le même rapport à l'école, mes filles avaient le rapport à l'école que ma femme et moi, et mes petits-enfants ont le même rapport à l'école que nous

 

RG : et pour, pour vous il est plus important que vos filles et vos petits-enfants vous considèrent comme un ancien soixante-huitard ou comme un, comme un juif ?

 

AS : …ah non…oui

 

RG : s'il y a une contradiction…      

 

AS : moi je, tout façon, elles ne me considèrent pas comme un ancien soixante-huitards et, elles savent que, que je me suis vraiment marré

   

RG : oui

 

AS : mais je ne suis pas, pour mes filles je ne suis pas, et, et juif oui ça c'est important oui, juif c'est important mais c'est, c'est vraiment on ne peut pas le dire ça, à part je vous le dis ça à vous, mais c'est, c'est lié en même temps au positionnement politique

 

RG : oui

 

AS : c'est vrai, c'est vrai qu'un juif est plus sensible à la menace qu'il y a sur Israël qu'un non juif, et, et à la haine des juifs qu'il l'entend dans la bouche de, de, des dirigeants islamistes, c'est clair, c'est clair, et, et un juif est plus facilement, il me semble, un juif comprend plus facilement l'intervention américaine

 

RG : oui

 

AS : parce que il a, parce que  on rêvait en 39 tout simplement tandis que, et que c'est ça, et que, et qu'il n'y a pas de raison de laisser un état écrasé les gens parce que  ça c'est ce qu'est arrivé aux juifs très, très souvent, donc les juifs s'identifient aux, assez spontanément aux victimes de, de, de la terreur d'Etat, et donc il y a une connexion entre le, le, le fait d'être juif et le positionnement politique, dans le mouvement, dans le petit groupe auquel j'assiste là, le Meilleur des Mondes, ben ça il y a une grande proportion de juifs

 

RG : d'accord, d'accord

 

AS : et des Protestants

 

RG : et des Protestants

 

AS : et des Protestants, ça se tient d'ailleurs chez le pasteur d'un temple protestant

 

RG : ah d'accord, donc vous avez beaucoup de sympathie pour les Protestants

 

AS : beaucoup de sympathie pour les Protestants

 

RG : plus que pour les Catholiques ?

 

AS : plus que pour les Catholiques oui, en France en tout cas, les Protestants ont un destin un petit peu, quand on est petit à l'école en France, quand on est juif et qu'on nous parle de la Saint Barthélemy, ben on pense que c'est les juifs les Protestants (rire de RG), il y a une assimilation instantanée 

 

RG : oui, oui

 

AS : et puis les Protestants ont été beaucoup mieux pendant la guerre, il n'y a pas de problème, bon il y a eu des Catholiques qui ont été très, très bien aussi mais disons l'institution catholique  n'a pas été formidable, les Catholiques ont été bien mais pas l'institution, on est plus proche, plus proche des Protestants il n'y a aucun doute …

 

RG : bon je crois qu'on a fait un très bon tour d'horizon, je vous remercie infiniment de 

 

AS : je vous en pris – voulez-vous un autre café ?

 

RG : oui, je veux bien, oui je veux bien….