Hervé Ott

name of activist

Hervé Ott

date of birth of activist

7 March 1949

gender of activist

M

nationality of activist

French

date and place of interview

Le Cun du Larzac, 24 May 2008

name of interviewer

Robert Gildea

name of transcriber

Nora Khayi

 

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RG : je crois que c'est bon. Bon, s'il vous plaît monsieur, je vais commencer par vous demander votre nom et puis votre date et lieu de naissance 

 

HO : alors donc Hervé Ott, O, deux T

 

RG : oui

 

HO : je suis né le 7 mars 1949

 

RG : oui, ou ça ?

 

HO : le lieu, La Londe-les-Maures, La Londe-les-Maures

 

RG : Les Maures

 

HO : M AU R E S

 

RG : M AU R E S

 

HO : c'est dans  le Var

 

RG : dans le Var

 

HO : près de Toulon

 

RG : oui d'accord, et, il y a les montagnes qui s'appellent les Maures ou les collines ?

 

HO : oui, voilà c'est ça, c'est le massif des Maures

 

RG : voilà, et est-ce que vous pouvez me dire quelque chose sur votre famille, père, mère, etc.

 

HO : alors ma famille paternelle, sont des vignerons

 

RG : oui

 

HO : qui ont fait du vin, c'est mon grand-père qui a immigré dans le sud de la France pour faire du vin. A l'époque on ne disait pas biologique mais c'était déjà ça son soucis, c'était du vin, de faire du vin naturel

 

RG : d'accord, mais il a immigré d'où ?

 

HO : de Paris parce que ses parents avaient fui Alsace en 1872 après l'occupation allemande

 

RG : oui, oui, donc sa famille était s'origine parisienne et il est vigneron

 

HO : euh alors c'est juste mon grand-père est né à... non, mon grand-père est né en Alsace

 

RG : oui

 

HO : et mais par contre ses parents, et par contre ses parents qui avaient immigré de l'Alsace à Paris, et lui est venu s'installer dans le midi de la France, voilà, ou sont nés mon père, mes oncles, etc.

 

RG : d'accord

 

HO : et ma famille, enfin dans ma famille ont fait un vin qui était assez réputé dans le, dans le sud de la France, s

 

RG : qui s'appelle

 

HO: Domaines Ott

 

RG: Domaine Ott…et…et votre mère ?

 

HO : alors ma mère est d'origine lyonnaise

 

RG : oui

 

HO : avec quelques ascendances suisses

 

RG : et…

 

HO : et son père est mort à la guerre en 14, dans elle a été orpheline très tôt, à l'âge de 6 mois

 

RG : elle a travaillé ou ?

 

HO : euh, non, non, elle était, elle a élevé ses enfants, nous étions six enfants

 

RG : d'accord, six enfants

 

HO : voilà…je suis l'avant-dernier

 

RG : d'accord, et de religion ?

 

HO : d'origine protestante

 

RG : luthérien ?

 

HO : non calviniste reformé,  

 

RG : mais l'Église reformée existait

 

HO : l'Église, l'Église reformée a été constitué en 38 oui, mais donc c'est la, la branche calviniste, mais avec très peu de, mon père était agnostique et ma mère a toujours eu des engagements dans l'église

 

RG : mais, les gens d'Alsace sont plutôt luthériens

 

HO : oui mais, alors, mais je pense que… je ne sais pas quel a été, quel était l'investissement de mes grands-parents  mais je pense qu'ils en avaient pas, ils n'avaient pas d'investissement religieux

 

RG : oui, d'accord

 

HO : par contre j'ai un oncle qui a été très impliqué dans l'Église réformée, de Nice, voilà

 

RG : d'accord, comme pasteur ou ?

 

HO : non, non, il était trésorier dans la paroisse

 

RG : d'accord

 

HO : mais du côté de ma mère j'ai, je crois, sept ancêtres qui ont été pasteur, assez loin, des générations assez …

 

RG : oui dans le temps

 

HO : assez éloigné oui

 

RG : oui d'accord, et du point de vue politique  ils étaient ?

 

HO : alors, mon père, mon père a fait parti du Parti Social Français de La Rocque

 

RG : ah oui d'accord, PSF

 

HO : oui… et puis il est devenu gaulliste quand tout le monde est devenu gaulliste

 

RG : c'est-a-dire en 44 ?

 

HO : non, non, non, non en 52

 

RG : en 58

 

HO : oui en 58 oui quand de Gaule est arrivé au pouvoir, il en a toujours voulu a de Gaule d'avoir laissé mourir La Rocque en prison

 

RG : c'était sa faute ?

 

HO : ah ben de Gaulle a refusé de, a refusé de cautionner La Rocque oui, La Rocque a été arrêté je crois 

 

RG : oui il a été arrêté par les Allemands

 

HO : oui et…

 

RG : et puis il est revenu et il était toujours en prison

 

HO : et il, il me semble qu'il y a eu, enfin je sais que mon père en a voulu à de Gaulle alors. Je crois que de Gaulle n'a pas fait ce qui fallait pour libérer La Rocque oui

 

RG : d'accord

 

HO : et mon père a failli un moment - c'est ma mère qui racontait ça - mon père voulait répondre a la demande de La Rocque d'aller remplacer les prisonniers allemands, il voulait se porter volontaire

 

RG : oui

 

HO : pour aller remplacer les prisonniers français en Allemagne, et ma mère lui a dit « si tu fais ça je divorce »

 

RG : d'accord

 

HO : voilà donc il avait, il a toujours été très admiratif de La Rocque 

 

RG : oui

 

HO : et même, même très longtemps dans les années 60, il continuait à aller a des rencontres annuelles des  anciens de La Rocque

 

RG : et comment est-ce qu'il a vécu l'occupation ?

 

HO : alors, je crois que ma famille a été plus ou moins dans la collaboration, plus ou moins, en tout cas dans la résistance

 

RG : oui

 

HO : enfin j'ai un oncle qui était maire du village La Londe-les-Maures, à la demande du préfet du Var pour tenir tête au régime de Vichy, d'après ce que j'ai compris

 

RG : oui

 

HO : Bon alors dans l'idée, c'était il faut défendre ce qu'on peut défendre

 

RG : oui d'accord

 

HO: mais à la, à la libération, mon père a été mis en deux jours, en prison pendant deux jours… parce qu'un de mes oncles qui avait été poursuivi par les résistants, s'était réfugié en prison pour se protéger. et on est venu lui cracher dessus en le traitant de collabo Je ne crois pas que, je ne crois pas qu'il ait vraiment collaboré mais bon ils n'avaient pas une position de résistant en tout cas. Mes parents ont participé à l'envoi de colis de nourriture pour ls prisonniers français en Allemagne. Et après la guerre, ils ont accueilli des prisonniers allemands pdt un à deux ans. Certains sont revenus voir mes parents qq années après la guerre.

 

RG : d'accord

 

HO : voilà

 

RG : d'accord

 

HO : et ça j'ai découvert tout récemment qu'il peut y avoir des racines dans le fait que mon grand-père

 

RG : oui

 

HO : était un enfant adultérin, d'une union entre mon arrière grand-mère et un musicien  franco-allemand 

 

RG : ah oui

 

RG : on parle de l'occupation ….

 

HO : en Alsace

 

RG : après…

 

HO : en 1870

 

RG : après 1870 d'accord

 

HO : voilà, mon arrière grand-mère , qui était musicienne a été une très grande amie de Nietzsche

 

RG : votre arrière grand-mère ?

 

HO : oui, oui

 

RG : oui

 

HO : et j'ai, j'ai récupéré et fait traduire récemment toute sa correspondance avec Nietzsche

 

RG : ah oui d'accord

 

HO : dont je connaissais l'existence mais je ne savais pas du tout qui s'était, donc il y a…

 

RG : comment elle s'appelait ?

 

HO : Louise Ott

 

RG : oui d'accord

 

HO : Louise Ott, c'était une artiste et elle avait beaucoup de relations avec, elle a connu, elle a connu, elle a, elle tenait un salon a Paris après 1972, elle invitait des artistes et tout ça. Bon mais je pense que il doit il avoir, il doit y avoir des trucs troubles entre l'Allemagne et la France dans cette histoire familiale dont j'ai hérité puisque j'ai fait une bonne partie de mes études en Allemagne

 

RG : ah d'accord

 

HO : et j'ai beaucoup de lien avec l'Allemagne moi-même

 

RG : oui mais il y a plusieurs façon de, de, d'avoir des rapports avec l'Allemagne

 

HO : voilà, oui  (rire de RG) oui mais j'ai toujours été attiré par l'Allemagne comme si il y avait quelque chose qui me…

 

RG : dans le sang (rire)

 

HO : qui me travaillait, qui me travaillait…

 

RG : Alors racontez un peu vos études

 

HO : Donc mon père était, mon père était agriculteur, il avait, tous ses frères, enfin ils étaient cinq frères, il y en a trois qui travaillaient ensemble et lui a travaillé avec eux jusqu'à la fin de la guerre. Et puis en 50 il a décidé de voler de ses propres ailes, il ne voulait plus travailler avec ses frères voilà

 

RG : oui

 

HO : mais mon père - parce que mon père avait essayé a l'époque, et ça, ça va avoir des conséquences pour moi - il avait essayé, il était très influencé par les systèmes communautaires, il voulait créer dans l'exploitation agricole une communauté entre les patrons (lui et un de ses frères) et les ouvriers

 

RG : ah oui d'accord

 

HO : voilà donc. C'était assez étonnant, mon père avait des idées de, de l'extrême droite, bien que ce n'était pas du tout...euh on n'a jamais eu d'expression raciste ni de trucs comme ça, ni bon...mais il y avait un petit peu qu'on faisait partie de l'élite

 

RG : oui

 

HO : toute petite bourgeoisie rurale mais on faisait partie de l'élite, et...Mais il avait, il avait vraiment une fibre sociale qui était tout ce qui était autour de la, de la vie en communauté, des systèmes communautaires plutôt. Ce n'était pas la vie en communauté, euh et il a, il a tenu à fabriquer son pain, et on mangeait du pain fait à la maison pendant des années, il a été un des pionniers de l'agriculture biologique développée par Lemaire Bouchez

 

RG : oui   

 

HO : nous nous soignions avec de l'homéopathie, voilà j'ai, toutes les, tout ce qui est très en vogue aujourd'hui, tout ça moi je l'ai connu déjà à l'époque

 

RG : mais il y avait un, les rapports partons/ouvriers étaient, vous aviez des ouvriers agricoles ?

 

HO : dans l'exploitation agricole avec ses frères, là oui. Il y avait des ouvriers agricoles et donc mon père voulait, voulait faire un système d'intéressement des ouvriers. Bon, mais ses frères n'étaient pas d'accord…

 

RG : ah oui d'accord…

 

HO : et du coup il a été obligé d'arrêter

 

RG : c'est pour ça qu'il est parti…

 

HO : voilà il est parti, et il a après avec l'héritage, sa part d'héritage, il a acheté une propriété, mais il a continué à être en lien avec ses frères parce que il vendait son raisin a ces frères qui faisaient le vin

 

RG : d'accord

 

HO : lui n'avait pas de cave, ça aurait été son rêve de faire son vin, il n'a pas pu 

 

RG : d'accord

 

HO : et puis c'est un rêve que, mon frère aîné a essayé de reprendre mais il n'y ait pas arrivé non plus puisque la propriété était trop petite

 

RG : d'accord

 

HO : voilà, donc j'ai vécu toute ma vie jusqu'au bac à la campagne. Nous habitions à 10km de la ville la plus proche, et j'ai fait ma scolarité au lycée de Hyères

 

RG : oui

 

HO : scolarité un peu, toujours limite, limite quoi, j'étais repêché au dernier moment (rire de HO et RG)

 

RG : d'accord  

 

HO : je m'ennuyais profondément au lycée. Je le faisais parce qu'il fallait le faire mais vraiment, ce n'était pas les capacités qui me manquaient mais je…

 

RG : Donc vous avez, le lycée était, était, quand est-ce que vous étiez au lycée ?

 

HO : alors c'était de 61 a 68

 

RG : oui, et vous avez eu le bac ?

 

HO : j'ai passé le bac en 68 oui, donc je l'ai eu grâce à ça, sans doute. Parce que je n'ai eu que des oraux donc ça m'a permis de le réussir

 

RG : ah bon d'accord, (rire de HO) vous êtes mieux à l'oral 

 

HO : ben en tout cas il y avait un climat tel qui faisait que les sujets étaient pas trop difficiles (rire de RG). Mais je suis quand même tombé sur des, sur des sujets que je savais par cœur, il y avait des choses que je savais

 

RG : d'accord

 

HO : mais je pense qu'à l'écrit je n'aurais pas, je n'aurais pas réussi

 

RG : d'accord. Et après vous avez fait des études supérieures ?

 

HO : et alors après, donc ce qui m'a beaucoup démotivé pendant ma scolarité c'est que je ne savais pas ce que je voulais faire, du moins je le savais mais je, je n'osais pas le dire, il n'y avait pas les informations pour ça, et à la fin de mon année de première, j'ai fait un séjour en Allemagne où là j'ai rencontré des Français dont un qui, qui était dans une école préparatoire de théologie près de Lyon, ce qui m'intéressait en fait c'était de faire de la théologie

 

RG : oui

 

HO : mais il y avait cette idée qui était complètement fausse et que ma mère et moi n'avions même pas vérifié, on croyait qu'il fallait avoir fait du latin pour faire de telles études. Alors qu'on doit faire du grec et de l'hébreu, mais on peut les commncer en faculté ou dans cette école préparatoire.

 

RG : ah oui

 

HO : on n'avait même pas pensé à demander au pasteur de notre paroisse, bon, et donc quand j'ai appris ça en Allemagne dans les 24h j'ai dit 'bon ben c'est bon, je fais de la théologie'

 

RG : d'accord

 

HO : et donc je me suis inscrit provisoirement, en attente, en attendant. Enfin un ami m'a conseillé de, d'aller à Lyon parce que il y avait près de Lyon cette école préparatoire de théologie pour ce qu'on appelait les vocations tardives, c'est-a-dire les gens qui n'avaient pas le bac et qui voulait faire des études de théologie. Donc là ils pouvaient refaire un cursus scolaire a partir de la troisième

 

RG : oui mais vous n'aviez pas, vous n'aviez pas vocation tardive

 

HO : moi je l'avais, moi j'avais le bac

 

RG : oui

 

HO : mais c'était pour faire du Grec et de l'Hébreu

 

RG : ah oui d'accord

 

HO : parce qu'on m'avait dit le plus dur pour la première année c'est le Grec et l'Hébreu

 

RG : d'accord

 

HO : voilà

 

RG : d'accord

 

HO : donc j'ai fait un an a Lyon, euh j'ai eu une initiation au grec et l'Hébreu

 

 

RG : oui

 

HO : et après je suis rentré à la faculté de Théologie de Montpellier

 

RG : en 69 ?

 

HO : alors c'était en 69 voilà, à la rentrée 69. Bon j'ai fait deux ans Montpellier et après j'ai bénéficié d'une bourse pour aller en Allemagne, à Heidelberg

 

RG : oui

 

HO : oui je suis resté 3 ans, parce que il n'y avait pas d'autre candidat donc

 

RG : donc 71-…

 

HO : de 71 a 74

 

RG : d'accord

 

HO : Alors, là je commençais déjà à me poser des questions qui étaient structurantes pour moi. C'est que mon frère, un de mes frères, celui qui était juste avant moi avait rencontré a l'université d'Aix-en-Provence un enseignant, qui était un ami de Lanza del Vasto

 

RG : ah oui d'accord

 

HO : et donc mon frère avait été assez conquis par les idées de cet ami qui s'appelait Pierre Souyris

 

RG : comment ca s'écrit ?

 

HO : S O U Y R IS

 

RG : oui

 

HO : qui était chrétien et qui a convaincu mon frère qu'il y avait incompatibilité entre l'Evangile et les armes… Voilà, et donc j'avais souvent des discussions avec mon frère là-dessus

 

RG : oui

 

HO : et en 1968 mon frère était objecteur, c'était une période où c'était difficile pour les objecteurs en France

 

RG : oui

 

HO : ils avaient un statut qui avait été arraché par une grève de la faim de Louis Lecoin, un anarchiste

 

RG : oui, oui

 

HO : et, mais ils étaient obligés de travailler d'abord pour la sécurité civile,

 

RG : oui

 

HO : la, c'était carrément a l'armée

 

RG : oui

 

HO : et puis après ils ont été affecté aux hôpitaux de Paris mais ils n'étaient pas d'accord donc ils ont démissionné, ils ont fait une grève de la faim

 

RG : a quel moment ?

 

HO : en 68, c'était en, en novembre, novembre décembre 68

 

RG : je n'ai pas tout à fait compris parce que vous avez dit ce Souyris avait convaincu votre, votre

 

HO : mon frère

 

RG : avait convaincu votre frère qu'il y avait 

 

HO : voilà

 

RG : compatibilité ou incompatibilité

 

HO : incompatibilité

 

RG : incompatibilité entre l'Évangile et les armes …

 

HO : Voilà, donc mon frère confronté au service militaire obligatoire

 

RG : d'accord

 

HO : a décidé d'être objecteur. Ça a un peu affolé mes parents mais bon, nos parents étaient assez, assez libéraux pour dire 'ben c'est toi qui choisi hein'

 

RG : d'accord

 

HO : et donc il s'est retrouvé en prison a Lyon, il a été enfermé à Lyon

 

RG : oui, combien de temps ?

 

HO : pour désertion, trois semaines 

 

RG : oui

 

HO : et moi j'étais à Lyon a ce moment-là et là j'ai bien senti que je choisisse, fallait que je me positionne

 

RG : d'accord

 

HO : Je ne pouvais pas rester neutre, puisque j'étais complètement concerné par l'Évangile. Je ne pouvais pas dire 'oui mais il faut bien une défense nationale et tout ça'

 

RG : d'accord

 

HO : et même temps je découvrais Dietrich Bonhoeffer

 

RG : oui

 

HO : et donc ça été un peu un déclic pour moi, là j'ai dis 'bon ben c'est clair je fais le choix de l'objection moi aussi'

 

RG : et vous avez dû…

 

HO : en de conscience  

 

RG : et vous avez dû faire votre service militaire à un certain moment ?

 

HO : alors voilà, donc j'ai bénéficié d'un sursis pour faire mes études de théologie, pour terminer

 

RG : oui                     

                 

HO : et je suis revenu en novembre 74 en France pour réaliser mon service civil comme objecteur, j'avais été reconnu comme objecteur

 

RG : d'accord

 

HO : sauf que, à l'époque, je pensais que comme j'étais convoqué pour faire mon service en novembre 74, je suis rentré pour novembre 74, enfin voilà

 

RG : oui

 

HO : mais je n'ai été convoqué que 6 mois plus tard, parce qu'il y avait toujours un décalage entre le début officiel et…

 

RG : d'accord 

 

HO : et donc là j'ai - comme j'avais six mois à attendre quand j'en avais pris conscience - j'ai dit a l'Église 'ben si vous pouviez me donner un travail dans une paroisse parce que je, je n'ai pas envie de rester au crochet de mes parents'. Et donc l'église m'a envoyé à Meyrueis, c'est une petite localité à 40 km d'ici

 

RG : oui

 

HO : Donc j'ai

 

RG : en tant que ?

 

HO : en tant que pasteur délégué…donc j'ai vécu du 15 janvier au 15 juin là-bas, et

 

RG : en 75

 

HO : en 75 voilà, et c'est là que l'affaire du Larzac  est redevenue très présente pour moi, la lutte du Larzac qui est redevenu très présente

 

RG : Parce que vous, vous, vous l'avez, vous l'avez ?

 

HO : parce que j'en avais entendu parler

 

RG : oui

 

HO : quand j'étais, quand j'étais étudiant à Montpellier en 71 

 

RG : oui

 

HO : j'étais en lien avec, j'avais créé un groupe d'objecteurs. Alors mes engagements militants ont commencé, pas en 71, ils ont commencé le 69 à Montpellier

 

RG : d'accord

 

HO : là j'ai créé un groupe d'objecteurs…

 

RG : de quelle sorte de gens et pourquoi faire ?

 

HO : il y avait des étudiants en théologie, pour, pour…comment dire, pour faire connaître l'objection de conscience parce qu'à l'époque la loi autorisait l'objection mais en interdisait l'information

 

RG : oui d'accord

 

HO : ce qu'ils appelaient la propagande

 

RG : oui

 

HO : en fait, Debré qui était ministre de la défense à l'époque, avait très peur qu'un parti politique se serve de la loi sur l'objection pour démoraliser

 

RG : oui

 

HO : voilà

 

RG : parce que la loi sur l'objection datait de quand, vous avez une idée ?

 

HO : alors la loi sur l'objection en France datait de 1963

 

RG : après la, après la guerre d'Algérie

 

HO : voilà, voilà. De Gaulle avait promis qu'il y aurait une loi sur l'objection mais il voulait attendre la fin de la guerre

 

RG : d'accord

 

HO : et comme la promesse ne se réalisait pas, Louis Lecoin a fait une grève de la faim

 

RG : d'accord

 

HO : et il l'a obtenue

 

RG : euh je, pour faire un peu marche arrière

 

HO : oui

 

RG : vous avez dit que votre frère a connu ou entendu parler de Lanza del Vasto

 

HO : oui

 

RG : vous aussi ?

 

HO : et moi aussi, quand j'étais encore chez moi, donc mon année du bac

 

RG : oui

 

HO : j'ai assisté à trois conférence de Lanza del Vanto…voilà

 

RG : près d'ici ?

 

HO : A Toulon, à Toulon. C'était des amis de Toulon qui, qui l'avaient invité, alors j'ai été à la fois séduit par les idées, et, et un peu méfiant par rapport au personnage

RG : oui parce que c'est un personnage….

 

HO : très

 

RG : curieux…

 

HO : oui…très séducteur

 

RG : grand, barbu…

 

HO : voilà, très séducteur

 

RG : excentrique

 

HO : très fermé, ah non excentrique non. Enfin ça dépend de ce qu'on appelle excentrique, mais il était habillé avec son, avec des habits de laine qu'il avait tissés lui-même etc., c'était beau comme, c'était…

 

RG : c'était un peu, c'était un chrétien?

 

HO : oui, ah oui tout à fait

 

RG : enfin mais…

 

HO : oui, oui il était chrétien

 

RG : il était ouvert aux sortes de croyances…

 

HO : et il a fait un gros travail de, il a fait un, il a essayé de faire un syncrétisme avec l'hindouisme

 

RG : oui

 

HO : parce qu'il est allé en Inde, il a rencontré Gandhi et en fait. Il voulait, il voulait créer en France, il a créé en France l'équivalent des ashrams gandhiens

 

RG : d'accord

 

HO : dans une communauté de l'Arche dont la maison mère est à 50km d'ici

 

RG : oui

 

HO : au sud du Larzac

 

RG : c'est à Lunas, non cette maison mère

 

HO : près de, près de, oui entre Bedarieux, Lodève et Joncels,  près de Joncels

 

RG : d'accord

 

HO : c'est sur les contreforts du Larzac, la Montagne noire…

 

RG : Donc il vous a séduit et…

 

HO : donc du point de vue des idées, sa lecture biblique me semblait très juste

 

RG : oui

 

HO : le personnage était trop séducteur pour moi, trop manipulateur

 

RG : oui d'accord, oui

 

HO : bon, c'était déjà ma problématique à moi

 

RG : d'accord, d'accord

 

HO : (rire) voilà

 

RG : et donc vous êtes venu sur le Larzac à quel moment, enfin vous étiez à Meyrueis

 

HO : voilà, et donc à Meyrueis j'avais convenu...mon frère m'avait trouvé une place pour faire mon service civil comme objecteur prés de Marseille parce qu'il était lui, alors lui-même était, entre temps il était devenu responsable d'une communauté d'Emmaüs

 

RG : oui

 

HO : communauté d'Emmaüs qui s'occupe des gens en errance et tout ça hein

 

RG : oui 

 

HO : et donc il m'avait trouvé une place pour faire un service civil comme objecteur

 

RG : à Marseille

 

HO : oui

 

RG : quelle sorte de travail ?

 

HO : social

 

RG : oui

 

HO : chiffonnier, on appelait ça chiffonnier, récupérer des métaux, des meubles, et vivre avec des gens qui sont en errance, euh. Mais quand à Meyrueis j'ai assisté à une séance, à un film, à la projection d'un film sur le problème du Larzac

 

RG : oui

 

HO : là, j'étais tellement séduit d'entendre parler des paysans, de non-violence et tout ça que j'ai tout de suite dit 'bon ben c'est là qu'il faut que j'aille'. Donc parce que quand j'étais a Montpellier, j'avais entendu parler de l'affaire du Larzac

 

RG : oui

 

HO : et puis j'étais parti en Allemagne donc j'avais plus de contact mais j'entendais, je continuais à entendre parler de l'affaire du Larzac

 

RG : oui

 

HO : et quand j'ai vu ce film, quand j'ai vu ce film sur les, sur la lutte du Larzac j'ai dit 'bon il faut que je donne un coup de main'. Voilà, et puis j'ai pris contact et, et de fil en aiguille, après quelques réunions il y a quelqu'un qui habitait à Saint- Martin, un franciscain, qui habitait à Saint-Martin et qui était chargé du chantier de la construction de la bergerie de la Blaquière

 

RG : c'était le  père Roussel ?   

 

HO : Pirault, Pirault, Robert Pirault

 

RG : Pirault, ah oui c'est ça

 

HO : Pirault, il m'a dit 'ben écoute tu peux habiter ici' - il y avait d'autres objecteurs qui habitaient avec lui 'tu peux habiter ici pendant trois mois après tu te démerdes'. Voilà, et parce qu'il y avait déjà l'idée moi je venais avec une idée très ancienne, c'était m'occuper d'animations, de jeunes, de créer un centre d'accueil, etc.

 

RG : oui

 

HO : et puis sur le Larzac le premier jour où j'arrive on me dit 'il y a des maisons de l'armée à occuper, il y a des maisons vides il faut les occuper'. Et moi je dis 'ben voilà c'est, c'est un projet qui tombe du ciel quoi'(rire). C'est un peu comme ça que je le voyais a l'époque, maintenant je le vois plus comme ça, mais ...

 

RG : c'était son idée à lui ou l'idée du mouvement d'occuper ces maisons vides ?

 

HO : C'était le Larzac, c'est parce que la ferme des Truels  avaient été occupée quelques mois auparavant

 

RG : d'accord

 

HO : et moi donc je, je me disais 'ben  il faut qu'on crée un groupe d'objecteurs -  puisqu'il y en avait un certain nombre sur le Larzac - qu'on crée un projet spécifique objecteur'…donc

 

RG : pour, pour occuper une autre ferme ?

 

HO : pour occuper une ferme voilà

 

RG : et c'était  quelle ferme ?

 

HO : Le Cun 

 

RG : Le Cun

 

HO : la ferme du Cun

 

RG : donc c'était un, une ferme qui était, qui avait été achetée par l'armée ou

 

HO : alors c'était une ferme qui avait été achetée par un, un médecin parisien et il avait acheté deux fermes

 

RG : oui

 

HO : et 180 hectares, deux ruines, disons deux grandes ruines qu'il a remis en état, sommairement mais c'était habitable

 

RG : oui

 

HO : c'était fermé, il y avait une bonne toiture et, mais ça il avait fait avant l'extension du camp et il les a vendues à l'armée  

 

RG : oui

 

HO : sans doute en se disant 'il vaut mieux que je les vende maintenant à un bon prix plutôt que de me faire exproprier'. Et elles étaient dans le sud du plateau, dans le sud du périmètre d'extension

 

RG : oui

 

HO : voilà, et donc très vite j'ai proposé aux paysans ce projet, ça les a séduit. Alors je pense que j'avais l'aura du pasteur aussi fallait bien que je m'en défende a l'époque mais…voilà, pour eux c'était un renfort

 

RG : parce que vous avez été ordonné à un moment ?

 

HO : non

 

RG : non ?

 

HO : non, je n'ai pas été ordonné

 

RG : ben ça se passe comment dans l'Église ?

 

HO : normalement, normalement on est ordonné mais 68 était passé par là, et il y avait des tas de pasteurs qui disaient 'je ne vois pas l'intérêt de l'ordination'. Et moi-même quand j'ai posé la question, on m'a dit 'si tu y tiens oui mais ce n'est pas nécessaire pour être dans l'Église'. Voilà

 

RG : ah d'accord

 

HO : et comme de tout façon je n'avais pas l'intention de devenir pasteur, ça m'a pas plus travaillé que ça 

 

RG : oui mais vous étiez connu comme pasteur

 

HO : parce que j'étais à Meyrueis comme pasteur

 

RG : oui d'accord

 

HO : voilà

 

RG : d'accord

 

HO : et que, et que j'étais obligé de dire d'où je venais et que donc on m'a tout de suite présenté comme le pasteur, voilà, c'est Robert Pirault surtout qui m'a présenté comme ça

 

RG : d'accord    

 

HO : ça rassurait, du coup ça rassurait beaucoup les gens ça. Pour moi ça été une, une bonne entrée en matière

 

RG : parce que c'est…

 

HO : vis-à-vis des paysans

 

RG : D'accord, parce qu'il y avait des tensions entre les paysans du plateau et puis les gens qui venait de l'extérieur ?

 

HO : on ne peut pas dire ça mais, mais il fallait faire ses preuves en tout cas

 

RG : oui

 

HO : voilà, ça c'est clair il fallait faire ses preuves. Donc à priori on était bien accueilli mais après il y avait comme un examen de passage non dit. Et moi mon examen de passage je l'ai passé en faisant les foins, j'ai du remuer dix mille bottes de foin et de paille cet été-là, j'allais travailler chez les paysans

 

RG : c'était l'été de…

 

HO : 75

 

RG : 75

 

HO : voilà

 

RG : oui

 

HO : j'allais travailler chez les uns, chez les autres donner un coup de mains et c'est comme ça que je gagnais ma vie, puisque, puisque j'étais plus salarié de l'Église

 

RG : d'accord, mais vous, vous avez aussi pu faire vos preuves par une action comme l'occupation de la ferme

 

HO : après 

 

RG : après, ça, donc ça c'est…

 

HO : ça c'est pendant l'été 75

 

RG : oui

 

HO : et l'occupation de la ferme ça c'était en octobre 75

 

RG : d'accord

 

HO : voilà. De toute façon les paysans m'avaient dit très vite, 'ce projet nous intéresse mais ce n'est pas avant l'automne parce que on doit faire la moisson'. Enfin

 

RG : d'accord

 

HO : c'est à l'automne qu'on est disponible

 

RG : alors qu'est-ce qui s'est passé ? 

 

HO : et bien, on a, il y a eu d'abord des tensions dans notre équipe d'objecteurs parce que tout le monde n'était pas d'accord sur le projet. Il y en a qui voulait faire un truc paysan, une ferme et tout ça. La maison qu'on avait retenu il n'y avait pas de terres, et moi j'ai dit 'ben si vous voulez faire une ferme, faites une ferme, j'irais ailleurs, je choisirais autre chose mais c'est pas ce projet qui m'intéresse'

 

RG : d'accord

 

HO : voilà, alors ils ont dit 'ben non d'accord, on est d'accord avec toi'. Mais en fait il n'y avait pas d'accord, donc ça s'est cassé plus tard

 

RG : donc ils sont partis les autres ?

 

HO : donc il y a eu, alors on a, on a tenu un an à occuper cette ferme avec tout le soutien du Larzac et tout ça pendant un an, on a commencé à développer des activités

 

RG : oui

 

HO : on a fait des travaux de restauration, d'aménagement et tout ça, pour le créer, pour le transformer en centre d'accueil. Pendant l'été, au printemps et l'été 76 on a accueilli du monde

 

RG : oui

 

HO : mais en juin, fin juin, début jullet 76 on s'est retrouvé en prison, trois…

 

RG : oui, ça c'est l'affaire de l'occupation…

 

HO : voilà, du camp militaire

 

RG : du camp militaire

 

HO : voilà, donc sur, sur cinq membres, on était quatre en prison. Il n'y avait que la femme d'entre nous qui n'était pas, la femme qui faisait partie de notre équipe qui n'était en prison, bon alors ça a un peu bousculé les choses, et puis en fait on a été expulsés le 24 octobre 76 …

 

RG : oui

 

HO : Il y a eu l'expulsion parce que il y a eu juste avant un défilé militaire qui avait été perturbé à Millau, c'était au moment de l'occupation d'une autre ferme, si vous voulez il y a, à l'automne, en octobre 74-75-et 76 il y a trois occupations de fermes

 

RG : oui les Truels 

 

HO : il y a les Truels  en 74, Le Cun en 75 et Cavaillès en 76

 

RG : Cavaillès

 

HO : voilà, et donc là l'armée s'est dit 'si ça continue on ne pourra plus contrôler le terrain. Donc ils nous on foutu dehors, sauf les Truels parce que c'était un projet paysan, c'était plus difficile d'accès, les paysans s'étaient organisés et puis c'était dans le nord du plateau où les paysans étaient beaucoup plus actifs avec les Burguière, Tarlier et tout cas

 

RG : d'accord

 

HO : tandis que le sud on était avec des paysans plus craintifs

 

RG : d'accord

 

HO : beaucoup moins militants, mais c'était notre choix d'essayer de renforcer un peu ce lieu -là

 

RG : Et qu'est-ce qui s'est passé après ?

 

HO : Donc à ce moment-là, la première équipe a éclaté

 

RG : oui

 

HO : je me suis retrouvé tout seul

 

RG : oui

 

HO : et le lendemain de l'expulsion j'ai trouvé une maison à louer

 

RG : oui

 

HO : donc je me suis retrouvé à Saint-Martin d'abord pendant quelques jours. Et puis là j'ai trouvé une maison à louer, et donc en janvier - il y a eu quand même trois mois de, d'incertitude - et donc en janvier je me suis réinstallé dans cette maison pour continuer le projet

 

RG : à Saint-Martin

 

HO : non à la Blaquèrerie à côté du Cun, la maison que j'avais trouvée à louer dans  l'idée de rester dans le sud…Et j'ai reconstitué une autres équipe d'objecteurs, j'ai lancé un appel et il y a des gens qui sont venus. Alors c'était pff c'était marrant parce que c'était la moitié de marginaux parmi nous et tout ça, bon

 

RG : c'était quel, bon c'était  quelle, quelle sorte de gens, venus d'où ?

 

HO : pff de n'importe où. Ils avaient entendu parler du Larzac, des objecteurs donc ils venaient, donnaient un coup de main, voilà

 

RG : oui

 

HO : il y avait parmi eux un étudiant en droit qui venait de Nancy et qui avait voulu faire, qui voulait quand même rentrer au service militaire pour contester à l'intérieur et tout ça, pour défendre son pays. Et puis il a été réformé parce qu'il ne tenait pas le coup

 

RG : d'accord

 

HO : mais il voulait quand même continuer un temps de service, pour lui c'était important de faire un temps de service donc il venu donner un coup de mains pendant six mois

 

RG : et, et…

 

HO : bien, et donc là, ça a continué. On a travaillé pendant deux ans et demi. Mais dès le mois, dès le printemps, on a discuté d'une nouvelle installation. On savait que notre installation là-bas serait précaire

 

RG : oui

 

HO : et donc on a travaillé sur une nouvelle installation, moi je voulais faire une installation dans le sud, construire

 

RG : oui

 

HO : mais les paysans de notre conseil d'administration ont dit non il faut revenir dans le nord et donc en cherchant on a fini par trouver ce terrai  et on a commencé à construire ici en l'été 77, 1er aout 77. Mais on était en zone d'utilité publique donc c'était une construction sans permis… construction illégale

 

RG : mais c'est, c'est d'ici que vous aviez été éjecté auparavant c'est ça ?

 

HO : non Le Cun c'est le nom qu'on a redonné à ce lieu

 

RG : ah oui d'accord

 

HO : mas le premier Cun c'est à 30km d'ici

 

RG : ah d'accord

 

HO : c'est dans le sud du périmètre d'extension, il faudrait que je vous retrouve…une carte

 

RG : non mais je crois que j'ai une carte là, une carte ancienne 

 

HO : voilà alors le Cun est marqué dessus (RG  et HO regardent la carte). Voilà ici La Cavalerie ici, et la ferme du Cun, vous avez la Blaquèrerie ici c'est là ou on a habité deux ans et demi

 

RG : oui

 

HO : et ici entre les deux là ça c'est la Salvetat, c'est l'autre, l'autre ferme qui était avec celle qui est là, elle est marquée, non ce n'est pas marqué, mais il y avait la ferme du Cun  qui était ici

 

RG : oui d'accord

 

HO : voilà, ces deux fermes avaient été achetées par ce médecin parisien

 

RG : d'accord

 

HO : donc on a été expulsé d'ici, on s'est installé là provisoirement

 

RG : oui

 

HO : et maintenant on est ici

 

RG : oui d'accord, ben c'est bien

 

HO : ben parce que le projet d'extension était assez grand, il descendait, il descendait jusque là, il arrivait près de la Couvertoirade et il repartait comme ça

 

RG : oui d'accord

 

HO : et comme ça

 

RG : c'est énorme oui 

 

HO : il y avait 14 mille hectares d'agrandissement

 

RG : donc vous avez commencé à vous installer et à créer  un centre

 

HO : alors l'idée c'était de construire un lieu de formation et d'accueil. Donc on a commencé à construire et puis il y a eu bien sûr une interdiction de travaux

 

RG : oui

 

HO : mais à ça moment-la, il y a eu un conflit au sein du groupe des paysans. C'est-à-dire que il y avait une grande discussion autour de la négociation, négocier ou pas négocier avec l'Etat

 

RG : oui

 

HO : bon et, et quelque part mais pas seulement, on a été un petit peu les victimes du conflit entre les paysans qui étaient à l'est et les paysans qui étaient à l'ouest, c'est-à-dire les leaders étaient de ce côté Tarlier, Burguière 

 

RG : oui qui étaient pour la non négociation

 

HO : qui étaient pour la négociation

 

RG : pour, pour, ah c'est-a-dire…

 

HO : et oui…    

 

RG : pour la négociation avec le gouvernement pour résoudre le problème

 

HO : pour négocier et ils disaient 'si on négocie, on lâche un morceau et qu'est-ce qu'on lâche, on lâchera à l'est'

 

RG : oui d'accord

 

HO : mais à l'est il y avait José Bové, il y avait des paysans plus traditionnels et donc eux ils disaient il n'est pas question de négocier… voilà

 

RG : et donc  qu'est-ce qui s'est passé ?

 

HO : et moi j'ai fait la grosse erreur quand j'ai annoncé ce projet, de dire c'est un projet de 500 mille francs

 

RG : oui

 

HO : il ne fallait pas parler d'argent dans un milieu paysan, voilà

 

RG : pourquoi ?

 

HO : ah ben parce que les gens, tout de suite il y a des gens qui ont soupçonné  que les paysans qui nous soutenait allaient détourner de l'argent à notre profit

 

RG : ah oui d'accord

 

HO : voilà

 

RG : mais qu'est-ce que vous avez fait pour financer le, le…

 

HO : alors on a créé une société civile immobilière [SCI]

 

RG : oui

 

HO : et qui à force a été composée de 1800 personnes…je me suis inspiré des GFA Larzac

 

RG : oui

 

HO : en disant on va faire une propriété collective, donc les gens vont donner des parts de 200 francs, à l'époque c'était 200 francs en 77, voilà. Et d'ailleurs on va faire notre assemblée générale là, le 21 juin, de la SCI, il n'y en a qu'une

 

RG : ah oui d'accord, donc ce sont des gens de, d'un peu, de partout qui ont contribué

 

HO : partout, en France, en Allemagne, qui ont acheté une part de la SCI comme certains avait acheté une part de GFA

 

RG : oui

 

HO : sauf que c'était moins cher. Et c'est avec cet argent qu'on a pu construire équiper tout le Cun. Voilà, juste, en 77 on a commencé à construire, il y a eu une interdiction des travaux, et à ce moment-là on n'a pas  pu transgresser l'interdiction parce que le Larzac était divisé

 

RG : d'accord

 

HO : on aurait pu le faire si tout le monde était uni mais on n'a pas osé, et c'est venu deux ans plus tard

 

RG : oui

 

HO : c'est-a-dire qu'après, en juin 79, on est venu s'installer ici sous la tente, on a organisé toutes nos sessions de formation sous la tente, la bibliothèque sous la tente, les réfectoires et tout ça. Et à l'automne 79 on a construit la première maison en bottes de paille

 

RG : oui

 

HO : alors ça, ça a plu a tout le monde

 

RG : en bottes de paille, ça tient ?

 

HO : ben vous allez voir, vous visiterez (rire de RG), c'est un procédé

 

RG : c'est comme les, c'est comme les  trois petits cochons

 

HO : c'est un procédé, voilà, c'est ce à quoi pense tout le monde, mais c'est un procédé qui vient des Etats-Unis

 

RG : ah oui d'accord

 

HO : et qui est passé par le Canada, il y a des églises qui ont plus de 300 ans aux Etats-Unis qui sont faites en bottes de paille dans l'Arkansas oui

 

RG : ah oui d'accord

 

HO : et nous on a eu vent de cette technique, de ce procédé et on a, on a réinventé un procédé pour la construire. On a été les premiers en Europe à construire ça

 

RG : d'accord

 

 HO : après guerre, parce que il y avait une maison comme ça qui date 1926 a Montargis

 

RG : oui d'accord

 

HO : et qui existe toujours

 

RG : d'accord

 

HO : donc cette construction innovante, illégale bien sûr aussi

 

RG : oui

 

HO : mais qui est allée très vite à construire, à refait l'unité des gens autour du Cun

 

RG : d'accord

 

HO : entre temps on avait montré comment on fonctionnait, enfin moins peur, enfin il y avait tout ça

 

RG : vous avez, il y avait toujours une interdiction de bâtir, de construire ?

 

HO : oui, oui mais là, le procureur à pensé que ce n'était pas une maison

 

RG : ah d'accord

 

HO : donc il n'a pas porté plainte mais on avait pris nos précautions. Cette fois on n'a pas construit en pierre, qui est très long, on a construit en paille et en trois jours la maison était montée

 

RG : d'accord

 

HO : voilà, parce qu'après c'est beaucoup plus difficile à faire démolir, notre idée c'était d'habiter dedans

 

RG : oui d'accord

 

HO : mais le procureur il a laissé tomber. Donc on a pu commencer à s'installer vraiment, passer l'hiver ici etc., en 80 on a dit aux paysans « Maintenant nous on en a marre, c'est trop dur comme vie, on n'est pas équipé, donc soit on peut reprendre la construction en pierre pour avoir plus d'espace

 

RG : oui

 

HO : soit on arrête le projet parce qu'on y arrive plus là, ils ont dit « d'accord pour reprendre ». Là de nouveau tous les paysans étaient d'accord pour reprendre mais il est…

 

RG : et ça s'est fait, vous aviez eu des meetings…

 

HO : ah ben il y avait des réunions toutes les semaines

 

RG : des réunions oui

 

HO : tous les mercredis il y avait une réunion sur le Larzac

 

RG : et au même endroit, chez les…

 

HO : Ça changeait, dans les bergeries, ça changeait un peu chaque fois. Ça c'est une fois fantastique de la lutte du Larzac c'est que il y a eu au moins une réunion par semaine, souvent il y en avait beaucoup plus quand il fallait préparer un événement. Et les paysans n'ont voté que deux fois, tout le reste du temps c'était en consensus

 

RG : d'accord, et ces deux fois c'était quand ?

 

HO : c'était pour ou contre la négociation

 

RG : oui

 

HO : voilà, pour aller rencontrer le préfet la première fois, et une autre fois je ne sais plus à quelle occasion c'était

 

RG : d'accord

 

HO : mais j'y étais pas, voilà, euh voilà, et à partir de, et alors on a repris la construction, il y avait  les présidentielles de 81 qui s'annonçait mais on a commencé à reconstruire avant les élections

 

RG : oui

 

HO : et puis après avec les résultats, on a construit de plus belle quoi

 

RG : d'accord

 

HO : voilà, donc en, en décembre 81 on avait fermé les locaux de la grosse maison en pierre qui est là en fait, en partie en tout cas, et là à partir de là, on a eu le permis de construire on a pu régulariser

 

RG : et vous, vous pouvez me dire quelque chose sur votre centre

 

HO : alors, l'idée c'était de créer un lieu, déjà quand on a crée Le Cun, le premier Cun, puisqu'on en est au troisième ici   

 

RG : oui

 

HO : c'était de créer un lieu de formation et de recherche sur les modes de résistance, de résistance non-violente, on disait civile et populaire, voilà

 

RG : oui

 

HO : puisqu'on était affronté à un système militaire de défense nationale, on voulait montrer que il existe des tas de possibilités d'impliquer la population civile dans des modes de résistance non-violente

 

RG : oui

 

HO : et à l'époque il y avait par exemple le mouvement international IFOR, ça vous dit quelque chose

 

RG : I-fort

 

HO : International Fellowship of Reconciliation

 

RG : oui

 

HO : voilà, qui publiait, dont je faisais partie, et qui publiait des petites monographies de chercheurs comme Galton, Theodore Herbert ( ? )

 

RG : oui

 

HO : allemands, norvégien, euh sur les, des, des exemples de résistance civile, en Tchécoslovaquie au moment de l'invasion, dans la Ruhr, quand la France a occupé la Ruhr en 1923, euh qu'est-ce qu'il y avait eu ?  autour de la Hongrie il y avait un problème en Hongrie je ne sais plus à quelle époque, enfin il y avait des tas de monographies d'exemples historiques de résistance civile

 

RG : d'accord, oui

 

HO : et nous, nous voulions promouvoir ça, alors avec un projet très ambitieux quand je regarde maintenant je, c'est rigolo mais il y avait l'idée de, de faire quelque chose qui puisse être, avoir une autorité comme la Fondation pour les études de défense nationale…

 

RG : oui d'accord mais vous avez fait ces recherches en équipe, dans la bibliothèque ou en faisait venir des gens qui ont eu l'expérience de certaines luttes ?

 

HO : notre idée c'était de constituer une bibliothèque, de, de réunir des gens mais ça n'a jamais abouti, la bibliothèque si

 

RG : oui

 

HO : mais on n'avait aucun moyen pour constituer des vrais recherches et tout ça et puis on n'était  pas chercheurs nous-mêmes

 

RG : d'accord

 

HO : on était les militants, bah ça suffisait pour nous, c'était un critère suffisant. Mais en disant on peut s'appuyer sur des études de scientifiques, de faire des synthèses, etc., voilà. Et avec à côté de ça de faire de la formation. C'est-à-dire de sensibiliser des militants à ces modes de résistance et donc de faire des stages sur la non-violence, sur la défense, etc. Alors à l'époque on avait dans nos amis le Général de Bollardière 

 

RG : oui

 

HO : vous avez entendu parler hein ?

 

RG : oui mais expliquez un peu parce que c'est un général  qui était contre la torture…

 

HO : alors c'est un général  qui a fait la guerre d'Indochine

 

RG : oui

 

HO : qui était un des plus jeunes généraux de France à l'époque, qui a fait la guerre d'Indochine et en Algérie, euh il faisait partie de la Légion. Et en Algérie il s'est prononcé publiquement contre la torture

 

RG : oui

 

HO : Donc il a été mis en forteresse pendant deux mois par de Gaulle

 

RG : oui

 

HO : il a été mis à la retraite anticipée

 

RG : oui

 

HO : et là il a commencé, pour vivre, il a commencé à faire de la formation. Et il a rencontré des gens qui se, qui se réclamaient de la non-violence et il a été très intéressé et du coup il est devenu un ardent défenseur de en disant 'ce n'est pas avec l'armée qu'on va  résoudre les problèmes'. Voilà, et après…

 

RG : mais comment expliquer, comment expliquer enfin - c'est un autre sujet - mais en deux mots comment expliquer sa, son déclic, son, le fait qu'il s'est fait soldat et puis il s'est révolté contre la torture      

  

HO : parce que il disait avec la torture on n'est plus dans la défense de valeurs

 

RG : oui

 

HO : il estimait que l'armée permettait de défendre certaines valeurs, et certains systèmes etc.

 

RG : oui 

 

HO : mais qu'avec la torture on passait à un stade qui n'était plus de l'ordre de l'humain

 

RG : d'accord

 

HO : voilà, et que ça choquait profondément ses valeurs. Et puis sans doute qu'il avait vu suffisamment tout ce qui se passait en Algérie en particulier, il n'était plus prêt à cautionner  une armée coloniale

 

RG : oui d'accord, donc il a travaillé avec vous 

 

HO : donc il a travaillé dans des milieux que nous côtoyions, c'était le Mouvement pour alternative non-violente (MAN) à l'époque

 

RG : oui

 

HO : et puis on est rentré en lien avec un autre général, le général  Bécam, qui lui avait été enseignant à l'École de guerre de Paris

 

RG : oui

 

HO : et qui avait une approche politique  en disant, en principe on dit 'voilà comment on va se défendre ?' avant de se poser 'qu'est-ce qu'on va défendre ?'

 

RG : oui

 

HO : donc forcément c'est les moyens qui déterminent la fin, et lui il dit 'non il faut reprendre le problème, qu'est-ce qu'on veut défendre en réalité ?'

 

RG : oui

 

HO : une approche politique et à ce moment-là on regarde quels sont  les moyens qui sont...alors il y a des moyens militaires sans doute mais il y a aussi des moyens civils et pourquoi pas des moyens non-violents

 

RG : d'accord

 

HO : c'était un type qui était très ouvert

 

RG : oui

 

HO : on a beaucoup sympathisé, il est venu animer des stages ici, c'était très, et puis a cause de la lutte du Larzac, je suis rentré en contact avec l'amiral Sanguinetti

 

RG : oui

 

HO : qui avait été mis sur la réserve par Giscard d'Estaing parce qu'il avait... l'amiral Sanguinetti avait dénoncé les visées de Giscard de supprimer la flotte française

 

RG : d'accord

 

HO : Sanguinetti était très gaulliste et il disait 'là, c'est trop dangereux ce qui se passe'. Donc Giscard l'a mis à la retraite mais du coup il lui a libéré la parole, et il s'est mis a être très, très critique sur tout ce que faisait l'armée en restant un militaire convaincu et tout ça

 

RG : oui d'accord

 

HO : mais il est venu apporter son soutien aux paysans du Larzac

 

RG : mais il partageait vos idées, il était…

 

HO : pas du tout

 

RG : non ?

 

HO : pas du tout mais il disait ce projet d'extension du camp, c'est un projet spéculatif

 

RG : d'accord

 

HO : et donc il nous a amené l'arrière plan qui nous a compris, qui nous a permis d'interpréter tous les faits que nous avions. Et effectivement nous avions plein de faits qui prouvaient que c'était un projet spéculatif, qui n'avait rien à voir avec les besoins des militaires 

 

RG : ah d'accord, spéculation des terres 

 

HO : voilà, c'est-à-dire qu'il y a des gens qui étaient proches du pouvoir

 

RG : oui

 

HO : qui sont venus acheter des terres ici et qui ont fait pression sur le gouvernement pour qu'il décide l'extension  d'un camp militaire

 

RG : ok

 

HO : et lui nous a dit 'en 40 ans de carrière militaire, il n'y a pas un projet de port, de caserne, d'aérodrome, de camp militaire qui ne parte de spéculateurs'

 

RG : d'accord

 

HO : voilà, donc tout militaire qu'il était et il se défendait très fortement d'être antimilitariste

 

RG : oui

 

HO : et il nous avait dit 'attention hein si vous me piégez, je fais un clash et tout'. On a toujours été très réglos, j'ai dit « non nous sommes, nous serrons toujours très réglo avec vous », et puis c'est devenu un ami

 

RG : oui ?

 

HO : et il en est même arrivé au moment de la reprise des essais nucléaires, à remettre en cause la bombe

 

RG : d'accord

 

HO : voilà, il a fait un cheminement très, très intéressant, en nous côtoyant, en respectant nos différences mais, et c'est amusant parce que, pendant la marche du Larzac, quand on est monté à Paris à pied là, quand les paysans sont montés a Paris à pied

 

RG : oui      

 

HO : à Orléans j'ai animé un meeting. Il y avait 2000 personnes, avec les généraux  de Bollardière et Bécam et l'amiral Sanguinetti 

 

RG : ha d'accord

 

HO : (rire) ça été un gros coup politique  là  

 

RG : mais ça c'était en …

 

HO : ça c'était en 78 oui

 

RG : d'accord

 

HO : décembre 78…mais Sanguinetti étant toujours sur la réserve. Mais je lui ai dit 'non on ne vous piégera pas, on promet, je suis garant on ne piégera pas'. Ce qui a créé des liens de confiance…

 

RG : donc avant que le centre ne soit construit, terminé, vous aviez, vous étiez…

 

HO : on avait déjà organisé des stages de formation, on avait déjà voilà...ce qui fait que quand on s'est installé ici, on se retrouvait avec des semaines avec 90 personnes

 

RG : d'accord

 

HO : voilà, et donc on organisait plusieurs stages en même temps, avec des formateurs d'extérieur etc. C'était un lieu, c'était un lieu militant très important

 

RG : et vous avez accueilli des gens de, quelle sorte de gens est venu ?

 

HO : c'était beaucoup un public enseignants, de travailleurs sociaux. On se rendait compte que la plus grosse partie de notre public c'était des gens qui étaient dans la relation, qui avaient un métier lier a la relation     

 

RG : oui

 

HO : voilà, et c'était des gens qui venaient de toute la France, on avait beaucoup d'Allemands aussi parce que moi j'avais des, des liens avec l'Allemagne

 

RG : oui

 

HO : j'entretenais ces liens etc. avec l'Office franco-allemand pour la jeunesse et…donc tout ça a bien marché. Alors ici, on avait une vie communautaire, on partageait les biens, les ressources, et tout ça

 

RG : oui

 

HO : on faisait toute une recherche sur l'alimentation, sur les énergies renouvelables c'est pour ça qu'on est électrifié avec une éolienne

 

RG : oui

 

HO : ça, ça s'est fait dans le temps voilà. On a construit des citernes pour récupérer l'eau, enfin on voulait être à la fois un lieu plus cohérents

 

RG : oui

 

HO : en disant que de toute façon les problèmes des énergies, l'approvisionnement d'énergie c'est un problème militaire aussi. On le voit encore mieux maintenant qu'a l'époque quoi

 

RG : puisqu'on travaille aussi sur l'Allemagne., est-ce qui a, est-ce qu'il y a eu des équivalents en Allemagne de la lutte du Larzac ou de, des centres de formation comme vous avez fait ici

 

HO : voilà, alors il y a un Allemand qui était très intéressé par la lutte du Larzac et qui a créé un peu l'équivalent du Cun à Gorleben

 

RG : oui

 

HO : dans le grand lieu de, ou il y a la lutte qui continue de…, le stockage des déchets nucléaires dans le nord  de l'Allemagne, au nord de, a l'est au nord-est de Hambourg

 

RG : oui, comment il s'appelle ?

 

HO : il s'appelle Gorleben 

 

RG : ça c'est le nom du type ?

 

HO : ah non alors le type s'appelle Wolfgang Hertle

 

RG : oui

 

HO : et il a écrit un livre sur la lutte du Larzac que j'ai dans la bibliothèque là. Et donc lui a beaucoup, et je continu a être en lien, je vais sans doute le rencontrer la semaine prochaine a Paris au Salon des Initiatives de Paix, il y a un gros salon à  Paris des Initiatives de Paix

 

RG : oui d'accord

 

HO : à  la fin de la semaine…donc il a créé un lieu de rencontre, de formation, etc., qui continue

 

RG : oui

 

HO : avec aussi des hauts et des bas parce que voilà, ce sont des choses militantes et il y a souvent beaucoup d'ambiguïté là-dedans

 

RG : Et est-ce que, parce que je voudrais examiner un peu votre perspective, si il y avait une convergence ou une divergence de perspective parce qu'au début la lutte du Larzac était pour sauvegarder la terre, les terres de paysans

 

HO : oui

 

RG : et vous, vous avez eu une perspective beaucoup plus internationale, beaucoup plus je vais dire pas politique  mais…

 

HO : si, si elle était plus politique  mais, c'était déjà là, les paysans avaient déjà en 74 il y a eu une grande moisson

 

RG : oui

 

HO : et ils ont donné l'argent au Sahel, aux paysans du Sahel, il y avait déjà des tas de mouvements internationaux qui étaient présent sur le Larzac, là on a rien inventé là

 

RG : d'accord

 

HO : on a fait que suivre le mouvement, en 74, en 75. Quand on est arrivé, le mouvement était déjà extrêmement politisé, il était internationalisé. Bien sûr les paysans disaient 'ici on défend des terres mais on défend un certain style de vie, un certain droit au travail, on défend des outils de travail', etc. Ils avaient été très influencés par les Paysans Travailleurs de, de Bernard Lambert

 

RG : oui bien sûr oui

 

HO : voilà donc, donc il y avait un discours politique  ambiant et, et toute la réflexion sur l'armée et tout ça, ça avait commencé déjà bien avant nous, avec l'abbé Jean Toula, avec Jacques de Bollardière qui était déjà venus qui nous avait précédés. Non, nous on a fait que capitaliser les choses qui étaient là, qui étaient présentes, donc ça les intéressait je crois de voir se, se cristalliser un peu ça ici

 

RG : oui

 

HO : au Cun

 

RG : oui

 

HO : voilà

 

RG : et puisque vous parlez de style de vie, est-ce que vous avez vu un rapport entre votre engagement politique et internationaliste et une certaine manière de vivre au jour le jour ici

 

HO : alors voilà pour nous c'était évident

 

RG : oui

 

HO : c'était évident, d'autant que il y avait dans notre équipe, des gens qui faisaient partie de la communauté de l'Arche de Lanza del Vasto

 

RG : d'accord

 

HO : donc à l'époque, il y avait dans les mouvements non-violents, il y avait en gros trois courants

 

RG : oui

 

HO : le courant le plus ancien qui venait de IFOR

 

RG : oui

 

HO : qui était représenté par le Mouvement International de la Réconciliation et qui avait été très actif en 74 parce que son, son permanent s'était présenté à l'élection présidentielle, contre la bombe atomique, René Cruse, le pasteur René Cruse a l'époque

 

RG : oui 

 

HO : bon, et puis il y avait le mouvement de Lanza del Vasto

 

RG : oui

 

HO : l'Arche de Lanza del Vasto qui était assez important à  l'époque. Il y avait plusieurs communautés, avec un rayonnement international, et puis Lanza del Vasto était connu comme poète, enfin c'était vraiment un personnage quoi

 

RG : oui

 

HO : des disciples l'ont dit. Et il y a eu en 74 la création du Mouvement pour une alternative non-violente  qui a fédéré des tas de groupes non-violents en France, il y en avait une trentaine                

 

RG : d'accord

 

HO : voilà, avec des personnes comme Jean-Marie Muller, le général  de Bollardière, d'autres militants moins connus dont un chercheur qui pourrait vous intéresser en tant qu'historien, c'est Jacques Semelin

 

RG : ah oui, oui bien sûr

 

HO : voilà, et il  faisait partie de ce groupe là à l'époque, et Jacques Semelin a publié des études très intéressantes

 

RG : oui, oui je…

 

HO : sur les formes de résistances civiles et tout ça

 

RG : oui

 

HO : d'ailleurs il vient de créer une fondation, vous avez entendu ça, une fondation pour le, ceux qui s'appelle Mass Violence sur les problèmes de génocides

 

RG : ah oui d'accord, oui, oui c'est ça

 

HO : avec le parrainage de Simone Veil

 

RG : oui

 

HO : parce qu'il s'est beaucoup occupé, intéressé au problème du génocide

 

RG : donc il est venu ici ?

 

HO : donc il était venu aussi ici à  l'époque, c'était un militant de base à  l'époque, il était psychologue

 

RG : oui

 

HO : il n'était pas du tout historien, c'est à cause de son travail sur la non-violence etc., qu'il s'est intéressé à l'histoire en fait

 

RG : oui, d'accord

 

HO : voilà

 

RG : et donc il y a…

 

HO : il y a ces trois grands courants et nous, nous, et moi j'étais à la fois très intéressé par le MAN, par son discours politique, mais j'avais aussi la fibre chrétienne du MIR et l'intérêt pour la pratique communautaire

 

RG : oui, oui

 

HO : donc on s'est un petit peu vu comme ceux qui faisaient la synthèse parce qu'il y avait beaucoup de tension entre, en tout cas entre le MAN et l'Arche à l'époque, c'étaient des gens qui étaient très, très, très opposés

 

RG : pour quelles raisons ?

 

HO : de leadership à mon avis

 

RG : d'accord

 

HO : leurs leaders étaient très antagonistes comme souvent les leaders entre eux

 

RG : oui, Lanza

 

HO : Lanza et Jean-Marie Muller notamment

 

RG : d'accord

 

HO : voilà

 

RG : d'accord

 

HO : d'ailleurs deux personnages qui se ressemblent beaucoup mais justement, justement ça explique leur opposition

 

RG : d'accord

 

HO : enfin le MAN disait 'nous nous voulons une non-violence politique' et Lanza del Vasto disait 'la non-violence politique, c'est, c'est la vider, c'est vider la non-violence de sa spiritualité, de l'essentiel que de la rendre politique, donc non' etc.

 

RG : d'accord

 

HO : et nous nous disons pour nous 'la politique et la communauté, la spiritualité c'est pas incompatible'. Mais on n'a pas développé le côté spirituel, voilà

 

RG : ici

 

HO : aucune, on n'a pas développé le côté spirituel

 

RG : oui

 

HO : c'était peut-être une erreur mais à l'époque, moi j'étais  avec de gens, moi je l'aurais bien développé, mais comme j'étais avec des gens qui ne le partageait pas forcément. Je n'ai pas voulu faire quelque chose de trop qui nous aurait peut-être  un peu plus marginalisé qu'on l'était déjà, enfin c'est difficile, c'est difficile de faire…

 

RG : d'accord

 

HO : donc on a développé tout de suite immédiatement une vie communautaire

 

RG : oui

 

HO : voilà, avec partage des ressources, des biens et tout ça. Mais c'était aussi lié  a une économie de subsistance, c'est- à -dire qu'on avait tellement peu de moyens que le meilleur moyen d'en avoir c'est de les partager. Et tout de suite nous étions très branchés sur les problèmes de santé, d'alimentation, d'énergie, voilà, mes enfants sont nés à la maison, tous mes enfants, mes trois enfants

 

RG : oui

 

HO : sont nés à la maison. On a, on était, on avait une alimentation essentiellement végétarienne, on  mangeait de la viande, une fois par semaine

 

RG : oui

 

HO : voilà, et puis on a essayé très vite de, d'avoir des énergies renouvelables etc. Pour nous c'était, c'était ça notre engagement politique, en plus des liens avec le Tiers Monde, avec l'étranger et tout ça. On disait 'ça ne sert a rien de faire de la politique  si on ne commence pas par nous-mêmes'

 

RG : d'accord oui, bien sûr…et donc quand vous parlez d'une communauté c'est une communauté de combien de personnes ?

 

HO : alors ça a varié entre  quatre et treize en gros

 

RG : d'accord

 

HO : voilà, un moment on était cinq couples, parce que les objecteurs qui venaient faire leur service civil chez nous ramenaient leur copine donc, et à un moment il y a eu cinq bébés, bon (rire). Et puis après ils partaient, il y avait un « turn over » considérable

 

RG : oui bien sûr

 

HO : et il y a que moi qui restait….enfin il y a quand même ou deux personnes qui sont restées  cinq ans, six ans

 

RG : oui

 

HO : mais, mais avec du recul, le paradoxe c'est que, donc on voulait travailler la non-violence, les conflits et tout ça, mais qu'on a été une machine à produire des conflits…en interne

 

RG : ici ?

 

HO : oui, dans notre communauté

 

RG : mais de petits conflits entre personnes ce n'est pas la même chose

 

HO : non mais c'est là que ça commence

 

RG : mais quel genre de conflits ?

 

HO : ça commence autour de la communication, ça commence autour des...Moi j'avais une position très ambiguë à l'époque parce que à un moment même, comme il y avait des tensions dans, ben qui prend les décisions, qui dirige, etc.,  on s'était organisé là-dessus

 

RG : oui

 

HO : et on a, on a rencontré un professionnel, il s'appelait Charles Maccio de Lyon

 

RG : oui

 

HO : qui nous a initiés à l'autogestion, pour nous ça faisait, c'était évident que le prolongement de la vie communautaire c'était l'autogestion

 

RG : oui

 

HO : bon, et donc il nous a donné toutes les clés pour nous organiser de façon autogestionnaire  

 

RG : oui

 

HO : et, et moi j'ai eu la possibilité de la mettre en œuvre, sauf pour une fonction qui était la fonction de coordination, qui était indispensable

 

RG : oui

 

HO : parce que si chacun est responsable il faut que quelqu'un soit pas plus responsable que les autres mais assume la responsabilité de coordonner tout le monde

 

RG : oui

 

HO : et moi je prenais comme prétexte que j'étais le leader du groupe et que donc si je prenais cette responsabilité, je cumulerais tous les pouvoirs

 

RG : oui

 

HO : ce qui était en fait un mensonge à moi-même. Mais c'est comme ça que je l'ai vécu. Ce qui fait que cette place n'a jamais été prise parce que c'était un bâton merdeux on va dire. Toute personne qui le prendrait avait peur de rentrer en conflit avec moi puisque mon pouvoir était occulte en tant que leader

 

RG : oui

 

HO : aussi occulte, pas seulement mais aussi. Et ce qui fait que, qu'on s'est cassé la figure d'un point de vue économique, on n'a pas tenu le coup d'un point de vue économique…on s'est endetté, endetté, endetté avec des prêts d'amis et tout ça et puis y'a un moment ou les tensions en interne étaient trop fortes

 

RG : oui

 

HO : et donc j'ai dit bon ben on arrête parce qu'on ne peut plus s'endetter maintenant. Il va falloir rembourser, ça c'était en 2001

 

RG : donc il n'y a plus de communauté ?

 

HO : donc il n'y a plus…

 

RG : à partir de 2001…

 

HO : Non alors, il y a eu une lente évolution parce que notre système communautaire faisait qu'on était à la frange de légalité pour tout ce qui était des, les déclarations de salaires ou les déclarations de revenus et tout ça. Et donc à partir de 92 on a fait venir une personne dans la communauté qui était chargée de gérer les histoires de comptabilité et tout ça et qui petit à petit a mis notre comptabilité aux normes mais a aussi dit maintenant il faut qu'on déclare des salaires

 

RG : d'accord

 

HO : et puis, et puis il y avait, ma femme par exemple a fait parti de la vie communautaire mais après elle n'y était plus. Donc on avait des situations de couple qui étaient assez complexes ou l'un était dans la communauté, l'autre non donc c'était plus vivable quoi. Donc on a commencé on a dit bon maintenant on se sert des salaires, alors a l'époque c'était les salaires c'était un demi SMIC

 

RG : oui

 

HO : voilà, mais, mais on arrivait quand même à bien vivre parce que c'était un demi SMIC mais il y avait d'autres avantages. Il y avait plein d'avantages, plein de frais qu'on, on n'avait pas besoin d'avoir voitures personnelles puisqu'on avait une voiture pour la communauté. On n'avait pas besoin d'avoir d'abonnement de journaux puisqu'ils étaient dans  la communauté, c'était, il y a beaucoup, beaucoup d'avantages

 

RG : oui

 

HO : mais, mais nous n'avons pas été capables, il y avait des questions très fortes liées à la chute de fréquentation de nos stages, liées au mode d'accueil qu'on faisait, il y a des questions qu'on n'a pas su aborder tous ensemble et il y a personne pour nous rappeler qu'il fallait absolument traiter ces questions

 

RG : oui

 

HO : alors on passait beaucoup de temps à traiter des questions annexes mais les questions de fond on ne les abordait pas

 

RG : d'accord

 

HO : et on a, c'est comme ça qu'on a dû arrêter, donc on a arrêté les activités de l'association qui gérait l'ensemble

 

RG : oui

 

HO : et on les a éclatées en plusieurs associations. Moi j'ai créé, j'ai repris tout le pôle de la formation et j'ai créé ma propre structure

 

RG : ce centre, le nom qui est sur la porte ?

 

HO : IECCC oui

 

RG : oui,  et comment c'est, le nom est ?     

 

HO : Conflit Culture Coopération, Institut Européen  Conflit Culture Coopération…euh et puis on a cherché une autre association pour, pour reprendre les activités d'accueil et d'hébergement

 

RG : d'accord

 

HO : voilà, l'idée c'était c'est plus une seule association qui chapôte tout mais c'est différentes associations coordonnées

 

RG : d'accord

 

HO : c'était un peu dans l'idée des éco-villages et des choses comme ça, qui à l'époque commençait a, bien que, c'était une idée qui commençait à se répendre mais je me méfiais beaucoup parce que je voyais tellement de soixante-huitards attardés là-dedans c'était... La première rencontre a eu lieu  ici mais c'était, je me croyais trente ans en arrière c'est impressionnant. Des idéologues qui n'avaient jamais vécu en communauté et qui, qui décrivaient tout ce qui fallait faire quoi, pour vivre en communauté

 

RG : vous ne vous considérez pas comme un…

 

HO : mais j'étais aussi moi un idéologue, et oui (rire)

 

RG : oui et même un  vieux soixante-huitard

 

HO : euh

 

RG : vous ne vous voyez pas comme tel ?

 

HO : non, non, je n'avais pas trop, j'étais à la fois un mélange de conservatisme...je suis plutôt conservateur dans mon mode de vie et tout ça

 

RG : oui

 

HO : enfin je n'ai pas du tout était atterré, atterré hm, j'étais plutôt atterré, mais pas attiré par la révolte de 68, pour moi c'était une révolte

 

RG : oui

 

HO : ce n'était pas une révolution, à la limite tant mieux parce que ça se termine toujours mal les révolutions mais bon

 

RG : mais Cohn-Bendit ne dit pas mieux. Il dit que c'est une révolte pas une révolution

 

HO : voilà, voilà, et je ne croyais pas à la possibilité de la révolution

 

RG : oui

 

HO : par contre je croyais à la possibilité, j'y crois toujours, de travailler quotidiennement, c'est, c'est...Nous sommes des consommateurs, nous sommes des acteurs quotidiens et bon, c'est pas ça qui change le monde mais c'est ça qui nous donne prise dans le monde en tout cas. Après comment on s'organise, comment on le fait c'est une autre dimension, et en tout cas je suis convaincu que on ne fera rien de bien avec la violence, même si c'est le moteur de l'histoire c'est pas avec ça que on change les choses

 

RG : oui

 

HO : on ne change pas on ne fait que répéter, la violence ne fait que se répéter

 

RG : et est-ce que vous trouvez que par exemple en Afrique du Sud, les gens ont, enfin je ne dis pas vous ont suivi mais ils...vous  avez apprécié cette manière de résoudre les conflits ?

 

HO : ce qui s'est passé avec le changement

 

RG : avec comment ça se dit…

 

HO : avec Mandela

 

RG : avec les Truth and Reconciliation Commissions, les commissions de

 

HO : les commissions de réconciliation voilà oui, sauf que ça c'est très beau comme processus sauf que ça s'est arrêté, ce processus s'est arrêté quand il mettait en cause des gens du gouvernement

 

RG : d'accord

 

HO : parce que c'est le gouvernement qui l'avait lancé, c'est là, et c'est là qu'on voit bien que tout processus de réconciliation, il doit impliquer tout le monde, et s'il ne peut pas mettre en cause même les acteurs d'aujourd'hui et bien ça ne peut pas marcher quoi

 

RG : d'accord

 

HO : voilà j'ai donc, moi j'ai été à l'initiative mais ça été une, ça été une production collective. Après, j'ai été à l'initiative d'une rencontre à Paris en 89 parce qu'on fêtait, il y avait beaucoup de truc de, des 200 ans de la Déclaration des Droits de l'Homme

 

RG : oui    

 

HO : mais je disais, c'est bien de déclarer  les Droits de l'Homme  mais comment on les défend et comment on les promeut ? Et ça il n'y a que des méthodes non-violentes qui permettent de le faire

 

RG : d'accord

 

HO : donc à l'époque on a réuni des gens d'Afrique du Sud, de la Palestine, c'est impressionnant les témoignages qu'il y a dedans

 

RG : oui  

 

HO : parce que pour un certain nombre, la situation a beaucoup évoluée…

 

RG : et vous avez l'impression que les gens vous écoutent ou vous êtes dans une mouvance qui se fait écouter ?

 

HO : alors, je dirais, par rapport à 68 on a eu, il y a eu toute une époque et c'était l'époque du Larzac ou les non-violents étaient plutôt pestiférés

 

RG : oui

 

HO : parce que il y a avait beaucoup de militants gauchistes hein

 

RG : oui

 

HO : même un type comme Pierre Vuarin était à la GOP a l'époque

 

RG : oui

 

HO : Gauche Ouvrière et Prolétarienne [=Paysanne]

 

RG : oui

 

HO : bon, après il y a eu des liens qui se sont créés. Donc ça a changé des choses, mais les non-violents il fallait qu'on se tienne à carreau quoi, c'était intéressant si on faisait de la non-violence politique mais fallait surtout pas en raconter plus

 

RG : oui

 

HO : et à, là tout à changé, en trente ans la lutte du Larzac a montré l'efficacité de la non-violence. Plein de milieux qui font de la non-violence sans le dire, donc il y a plus grand monde qui croit à la violence, à l'efficacité de la violence comme outil de changement. Mais, mais quand même, on voit qu'il y a dans une frange de la jeunesse marginalisée un petit peu  des gens qui disent 'ben pff ce monde est pourri donc ça peut pas être pire si on le fait péter'. Donc on pourrait très bien revenir à  une période ou il y a  un terreau de gens qui sont très, très révoltés

 

RG : oui

 

HO : et il suffirait que quelques  idéologues remettent un peu, alors ça peut être des idéologues d'extrême-droite aussi, ce n'est pas forcement des idéologues d'extrême-gauche

 

RG : oui, enfin pour revenirà cette période-là

 

HO : oui

 

RG : Pierre Vuarin m'a dit qu'il y avait certains gens qui pensaient à, à la violence sur le plateau mais il n'a pas voulu tellement en parler et je me, je, c'est une question que je me pose un peu, est-ce qu'il y avait quand même des gens qui pensaient résister à l'armée par des, des moyens violents à l'époque, dans les années 70 ?

 

HO : alors, du point de vue du Larzac, sur le, du point de vue des paysans du Larzac, non

 

RG : non

 

HO : parce qu'ils étaient tous cathos, conservateurs et tout ça

 

RG : oui

 

HO : hein même Jean-Marie Burguière je ne sais pas s'il vous a raconté, mais en 68 il disait aux flics «  aller tape vas-y ». Bon, donc eux tout de suite on été convaincus, enfin, les dirigeants ont été convaincus par le discours de Lanza del Vasto

 

RG : oui, oui

 

HO : en disant 'vous avez la violence, vous n'allez rien faire, la passivité va partir et au milieu vous pouvez avec la non-violence réussir quelque chose'

 

RG : oui

 

HO : donc à partir du moment où les paysans ont su gérer, ont su avoir l'autorité  sur le mouvement, ils ont dit notre lutte sera non-violente

 

RG : oui

 

HO : pas question, on n'a, on n'acceptera rien qui sorte de ça

 

RG : oui

 

HO : voilà, il y a eu quelques tentatives hein, il y a eu un attentat par ci, un truc par là, un jour on leur a même confié cent kilos d'explosifs

 

RG : ah oui ?

 

HO : oui, et un paysan a dit 'bon, ça peut toujours servir, on va le cacher », le problème c'est que ça été retrouvé (rire)

 

RG : d'accord

 

HO : après la lutte du Larzac ça a été retrouvé, et derrière Le Cun. Un jour il y a un journaliste de Millau  qui m'appelle en disant 'Hervé il y a de l'explosif qui a été retrouvé dans une grotte au Cun, est-ce que tu sais où c'est ?' J'ai dit 'quoi, qu'est-ce que tu racontes ?'. Et tout de suite j'ai vu le truc, ça y est Le Cun soupçonné de…

 

RG : oui, oui

 

HO : alors j'ai prévenu un paysan qui m'a dit 'ah oui merde c'est vrai on n'avait pas pensé à régler ce problème avec le préfet'. Il appelle tout de suite la préfecture et la préfecture dit 'non en fait c'est, c'est rien de grave, pas grand-chose'. Mais il y avait a peu près cent kilos d'explosifs qui avaient été cachés dans une grotte et le paysan avait dit « là personne n'ira jamais les retrouver »

 

RG : d'accord, les explosifs…

 

HO : des spéléologues l'ont quand même trouvé, de, de l'explosif de chantier

 

RG : oui d'accord

 

HO : mais ça…

 

RG : mais amené  par un militant extérieur ou ?

 

HO : oui, oui c'est des militants d'extrême-gauche de Millau qui l'avait piqué sur un chantier, parce qu'il y en a qui ont, qui ont toujours plus ou moins rêvé de faire péter quelque chose

 

RG : oui

 

HO : c'était plus pour le fun que pour la réalité mais, mais là les paysans ont toujours été très clairs. Donc, donc même les militants d'extrême-gauche savaient que ça serait s'opposer aux paysans du Larzac

 

RG : oui

 

HO : et les paysans ont été très fins pour accueillir des gens de tous les milieux puisqu'il y avait de l'extrême-droite à l'extrême-gauche en 74

 

RG : oui, oui

 

HO : mais en disant 'tout le monde a le droit de s'exprimer mais c'est nous qui décidons, en dernier recours c'est nous qui décidons', voilà. Et ça, ça été, ça été la condition de la réussite du Larzac parce que on disait aussi, enfin les paysans disaient 'vous vous venez poser vos bombes ici mais demain c'est nous qui avons l'armée sur le dos ce n'est pas vous

 

RG : oui 

 

HO : vous, vous serez partis'

 

RG : oui d'accord

 

HO : voilà, donc ça a été un mode de régulation très, très important. Alors voilà il y a certainement des gens qui ont, qui ont imaginé mais pff, de tout façon ce n'est pas l'armée qui était, l'armée était aux ordres…et puis petit à  petit ces militants, avec les liens qu'ils ont entretenus et tout ça, ont vu que les problèmes se posaient autrement

 

RG : oui

 

HO : que utiliser la violence ça se retournait contre les paysans…c'était dans les milieux occitans beaucoup, les milieux occitans d'extrême-droite et d'extrême-gauche, là il y avait dans gens qui étaient, qui voulaient vraiment en découdre, mais bon donc il y a eu ce débat dans les, chez les militants, il y avait le débat violence, non-violence

 

RG : oui

 

HO : mais pour les paysans c'était un problème réglé

 

RG : d'accord, d'accord 

 

HO : avec, certains par pur opportunisme    

 

RG : oui

 

HO : pour d'autres par pure trouille, mais ça faisait le consensus

 

RG : oui

 

HO : voilà, d'autres par intelligence

 

RG : mais c'était aussi l'image de marque du Larzac

 

HO : voilà

 

RG : la non-violence

 

HO : et c'est ce qui faisait qu'il y avait tellement de monde dans les manifestations parce que les gens savaient qu'ils étaient en sécurité

 

RG : oui d'accord

 

HO : voilà, et du coup ça, du coup ça casait les critères du pouvoir public en face, ils faisaient des grosses bourdes hein, puisque même en, en 77 quand il y a eu le rassemblement dans le camp militaire, quand les paysans ont dit on va marcher dans le camp militaire

 

RG : oui

 

HO : le préfet a « autorisé » la manifestation 

 

RG : ah d'accord

 

HO : il s'est fait taper sur les doigts, on lui a dit vous n'avez pasàl'autoriser, vous avez à l'interdire ou a ne rien dire mais vous n'avez pas à l'autoriser (rire de RG et HO)

 

RG : en 77, qu'est-ce qui s'est passé ?

 

HO : et bien en 77, on sortait, il y avait eu 76 avec la prison

 

RG : oui

 

HO : et il y avait tout cette phase trouble de négociation, pas négociation etc.

 

RG : oui

 

HO : et donc il fallait taper un grand coup parce que l'armée, on voyait bien que l'armée gagnait du terrain. Mais dans l'opinion public, il y a des gens qui disaient 'le Larzac c'est fini et tout ça, l'armée s'est chargée de…'

 

RG : oui, oui  

 

HO : donc les paysans ont dit 'faut taper un grand coup, et on ne va pas refaire des rassemblements comme en 73-74'

 

RG : oui

 

HO : faut qu'on fasse quelque chose de différent. Donc on va manifester dans le camp militaire, voilà…et, et avec un grand rassemblement…comment ?

 

RG : ça a duré combien de temps ?

 

HO : ça a duré deux jours

 

RG : deux jours

 

HO : mais le rassemblement dans le camp militaire a été ponctuel était ponctuel, il a duré quelques heures

 

RG : oui

 

HO : mais il y a eu un rassemblement des luttes sociales en France

 

RG : oui

 

HO : voilà, avec les luttes antimilitarismes, à ce moment là il y a des comités de  soldats c'est-à-dire des soldats syndiqués dans l'armée qui sont venus témoigner, et puis il y avait tout ce que la France comptait de militance quoi, le Larzac restait un lieu de rassemblement extraordinaire de ce côté là

 

RG : oui, d'accord

 

HO : avec des forums, des trucs comme ça, voilà, et puis il y a eu une manifestation de 50 000 personnes dans le camp militaire, qui s'est très bien passée, très calme, juste un meeting, où l'armée a du avant enlever le maximum d'obus et de trucs comme ça pour pas qu'il y ait d'accident

 

RG : oui

 

HO : voilà, bon

 

RG : ils ne vous ont pas empêché de rentrer ?

 

HO : non, non ah non, ah ben ils savaient que si ils empêchaient, ils savaient que  ça serait, ça serait la catastrophe donc

 

RG : d'accord

 

HO : ils ont préféré laisser rentrer et sortir et les paysans chaque fois négociaient très précisément

 

RG : oui d'accord

 

HO : 'vous restez chez vous, nous on fait le service d'ordre il n'y aura pas de casse et tout ça', voilà

 

RG : c'était dans quel mois de 77 ?

 

HO : c'était aout 77, jusque 15 jours après la manifestation catastrophique de Malville

 

RG : d'accord

 

HO : donc on avait très peur sur le plateau, on avait très peur qu'il se passe la même chose, le public était sur les dents, la gendarmerie était sur les dents, on écoutait toutes les conversations des gendarmes parce qu'on avait des amis qui étaient bien placés pour avoir des appareils

 

RG : rappelez-moi pourquoi cette manifestation a été une catastrophe …

 

HO : à Creys-Malville c'était la première grande manifestation contre le surgénérateur lancé par Giscard  

 

RG : oui

 

HO : et, et il y a eu des groupes de tous les, c'est d'ailleurs un groupe non-violent, anarchiste non-violent qui s'appelait La Gueule Ouverte

 

RG : ah oui

 

HO : le journal La Gueule Ouverte qui a lancé la, et ils ont  lancé  une grande rencontre mais sans organisation, donc en fait il y a eu des casseurs d'un peu partout qui sont venus et il y a eu un militant tué

 

RG : oui

 

HO : un gendarme tué je crois, un gendarme mobile aussi, et un gendarme qui a eu une main arrachée par une grenade ou quelque chose comme ça. Donc ça, ça a plombé le mouvement anti-nucléaire pendant plein de temps

 

RG : oui d'accord

 

HO : ça a été catastrophique voilà, et Giscard avait décidé qu'il passerait à n'importe quel prix. Il défendait l'énergie nucléaire donc il s'agissait de surtout pas lâcher le morceau. Ils ont mis toutes les forces qu'il fallait là-dedans, mais en face les organisateurs étaient complètement incompétents, il n'y avait pas de service d'ordre il n'y avait pff, non, et puis il y a des gens qui voulaient délibérément aller à la …

 

RG : …le contre-exemple                         

 

HO : ah ça été une catastrophe, on l'a payé pendant vingt ans ce truc-là

 

RG : parce que les gens du Larzac n'étaient pas portés sur le nucléaire, la question du nucléaire

 

HO : ben ils étaient sensibles à ce qui s'était passé

 

RG : oui

 

HO : parce que en 75 il y a eu beaucoup de contacts avec Fontevrault, avec les militants de Fontevrault qui avaient créé un GFA, et puis après en 79-80 on est allé a Plogoff  soutenir, et puis il y a eu, c'est très intéressant le Larzac a influencé Fontevrault, Plogoff à l'ouest, et puis Fessenheim, il y avait la résistance a Fessenheim en Alsace, Wyhl en Allemagne à l'époque, et jusqu'à Gorleben

 

RG : d'accord

 

HO : donc le Larzac a eu une influence considérable sur le mouvement anti-nucléaire

 

RG : oui

 

HO : hein, il était un peu précurseur

 

RG : est-ce que vous avez milité dans d'autres mouvements au nord du vôtre et prés….

 

HO : non, non, j'ai été donc pendant deux ans au comité de coordination du MAN et puis j'en suis sorti parce que ça me, ça m'allait pas du tout

 

RG : oui

 

HO : c'était trop, trop aérien disons, et puis j'ai été longtemps à IFOR par contre, au comité de coordination d'IFOR France, le MIR

 

RG : oui

 

HO : j'ai même dirigé la, enfin à IFOR France, au MIR français

 

RG : oui

 

HO : c'était un groupe encore plus petite mais bon, j'ai été rédacteur des Cahiers de la réconciliation

 

RG : oui    

 

HO : à l'époque. Et puis sinon le Larzac me prenait tout

 

RG : oui…enfin une dernière question sur l'impact de ces années-là…c'est une question, enfin...C'est sans doute une réponse très simple, on essaie de, de juger un peu l'impact des luttes des années 60-70 dans la vie des gens dans la suite, enfin chez vous c'est tout à fait évident 

 

HO : c'était ma vie (rire de RG) et ça a représenté beaucoup de gens, le Larzac a représenté une période très, très importante

 

RG : oui

 

HO : ça c'est clair, alors parce que, parce que il y avait une dimension festive ici qui était très importante

 

RG : oui

 

HO : les gens venaient l'été et puis il y en a qui venaient l'hiver et tout ça mais l'été le Larzac est magnifique, c'est un très beau lieu touristique

 

RG : oui

 

HO : il se passait beaucoup de choses, il s'en passe encore, beaucoup moins heureusement, on vivait 24h/24 quoi. C'était un peu épuisant aussi. Il y avait beaucoup de fraternité entre les gens, voilà à partir du moment, à partir du moment ou toutes ces idées de violence, je veux dire que, bien sûr qu'on s'est engueulés, bien sûr qu'il y eu des conflits de personnes et tout ça. Mais il y avait comme une mauvaise conscience de les avoir, il n'y avait pas de légitimation quoi

 

RG : oui, oui

 

HO : et donc il n'y avait beaucoup de travail qui était fait sur le lien, et nous l'hiver on se voyait tous les mercredis en réunion mais en plus le samedi on dansait ensemble, enfin il y avait tout le temps des groupes qui arrivaient et on faisait très souvent la fête

 

RG : oui

 

HO : et ça, et ça je crois que, c'est ça qui a fait la force de cette lutte. C'était à la fois fatiguant parce que les paysans travaillait toute la journée et tout ça et le soir ils étaient en réunion. Mais la dimension relationnelle était une dimension fondamentale, en plus il fallait passer beaucoup de temps à  s'écouter, à  s'accorder, la pratique du consensus faisait qu' il fallait passer beaucoup de temps à ça

 

RG : oui

 

HO : et ça, maintenant en formation je le réinvesti complètement et dans toutes les formations que je fais je...aussi bien j'interviens dans une école de commerce à Toulouse où la semaine dernière j'étais à Rodez, j'ai créé une formation de formateurs, donc pendant neuf stages j'aurai les mêmes personnes et on n'arrête pas d'insister là-dessus la relation, la relation, la relation. C'est bien la production mais on est performant, on a plein d'outils je peux vous donner encore et tout ça, mais sur la relation ils sont incompétents quoi, ne serais-ce que faire un petit exercice. Je leur donne un exercice de décision rapide, voilà il y a une manif qui va se passer un attentat raciste, est-ce que vous aller à la manif et tout ça, et bien tout suite bon alors les banderoles, qui va et tout ça et puis se poser la question de celui qui a peur des manifs et tout ça. Non, ça il n'y a pas, donc ils bloquent

 

RG : oui

 

HO : donc on va passer en force, le groupe va éclater, enfin voilà

 

RG : d'accord

 

HO : le truc classique quoi

 

RG : très intéressant…bon je crois qu'on peut s'arrêter la je vous remercie infiniment de votre témoignage

 

HO : mais je vous en prie

 

RG : Merci.