Hervé Ott
name of activist |
Hervé Ott |
date of birth of activist |
7 March 1949 |
gender of activist |
M |
nationality of activist |
French |
date and place of interview |
Le Cun du Larzac, 24 May 2008 |
name of interviewer |
Robert Gildea |
name of transcriber |
Nora Khayi |
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RG : je crois que c'est bon. Bon, s'il vous plaît monsieur, je vais commencer par vous demander votre nom et puis votre date et lieu de naissance
HO : alors donc Hervé Ott, O, deux T
RG : oui
HO : je suis né le 7 mars 1949
RG : oui, ou ça ?
HO : le lieu, La Londe-les-Maures, La Londe-les-Maures
RG : Les Maures
HO : M AU R E S
RG : M AU R E S
HO : c'est dans le Var
RG : dans le Var
HO : près de Toulon
RG : oui d'accord, et, il y a les montagnes qui s'appellent les Maures ou les collines ?
HO : oui, voilà c'est ça, c'est le massif des Maures
RG : voilà, et est-ce que vous pouvez me dire quelque chose sur votre famille, père, mère, etc.
HO : alors ma famille paternelle, sont des vignerons
RG : oui
HO : qui ont fait du vin, c'est mon grand-père qui a immigré dans le sud de la France pour faire du vin. A l'époque on ne disait pas biologique mais c'était déjà ça son soucis, c'était du vin, de faire du vin naturel
RG : d'accord, mais il a immigré d'où ?
HO : de Paris parce que ses parents avaient fui Alsace en 1872 après l'occupation allemande
RG : oui, oui, donc sa famille était s'origine parisienne et il est vigneron
HO : euh alors c'est juste mon grand-père est né à... non, mon grand-père est né en Alsace
RG : oui
HO : et mais par contre ses parents, et par contre ses parents qui avaient immigré de l'Alsace à Paris, et lui est venu s'installer dans le midi de la France, voilà, ou sont nés mon père, mes oncles, etc.
RG : d'accord
HO : et ma famille, enfin dans ma famille ont fait un vin qui était assez réputé dans le, dans le sud de la France, s
RG : qui s'appelle
HO: Domaines Ott
RG: Domaine Ott…et…et votre mère ?
HO : alors ma mère est d'origine lyonnaise
RG : oui
HO : avec quelques ascendances suisses
RG : et…
HO : et son père est mort à la guerre en 14, dans elle a été orpheline très tôt, à l'âge de 6 mois
RG : elle a travaillé ou ?
HO : euh, non, non, elle était, elle a élevé ses enfants, nous étions six enfants
RG : d'accord, six enfants
HO : voilà…je suis l'avant-dernier
RG : d'accord, et de religion ?
HO : d'origine protestante
RG : luthérien ?
HO : non calviniste reformé,
RG : mais l'Église reformée existait
HO : l'Église, l'Église reformée a été constitué en 38 oui, mais donc c'est la, la branche calviniste, mais avec très peu de, mon père était agnostique et ma mère a toujours eu des engagements dans l'église
RG : mais, les gens d'Alsace sont plutôt luthériens
HO : oui mais, alors, mais je pense que… je ne sais pas quel a été, quel était l'investissement de mes grands-parents mais je pense qu'ils en avaient pas, ils n'avaient pas d'investissement religieux
RG : oui, d'accord
HO : par contre j'ai un oncle qui a été très impliqué dans l'Église réformée, de Nice, voilà
RG : d'accord, comme pasteur ou ?
HO : non, non, il était trésorier dans la paroisse
RG : d'accord
HO : mais du côté de ma mère j'ai, je crois, sept ancêtres qui ont été pasteur, assez loin, des générations assez …
RG : oui dans le temps
HO : assez éloigné oui
RG : oui d'accord, et du point de vue politique ils étaient ?
HO : alors, mon père, mon père a fait parti du Parti Social Français de La Rocque
RG : ah oui d'accord, PSF
HO : oui… et puis il est devenu gaulliste quand tout le monde est devenu gaulliste
RG : c'est-a-dire en 44 ?
HO : non, non, non, non en 52
RG : en 58
HO : oui en 58 oui quand de Gaule est arrivé au pouvoir, il en a toujours voulu a de Gaule d'avoir laissé mourir La Rocque en prison
RG : c'était sa faute ?
HO : ah ben de Gaulle a refusé de, a refusé de cautionner La Rocque oui, La Rocque a été arrêté je crois
RG : oui il a été arrêté par les Allemands
HO : oui et…
RG : et puis il est revenu et il était toujours en prison
HO : et il, il me semble qu'il y a eu, enfin je sais que mon père en a voulu à de Gaulle alors. Je crois que de Gaulle n'a pas fait ce qui fallait pour libérer La Rocque oui
RG : d'accord
HO : et mon père a failli un moment - c'est ma mère qui racontait ça - mon père voulait répondre a la demande de La Rocque d'aller remplacer les prisonniers allemands, il voulait se porter volontaire
RG : oui
HO : pour aller remplacer les prisonniers français en Allemagne, et ma mère lui a dit « si tu fais ça je divorce »
RG : d'accord
HO : voilà donc il avait, il a toujours été très admiratif de La Rocque
RG : oui
HO : et même, même très longtemps dans les années 60, il continuait à aller a des rencontres annuelles des anciens de La Rocque
RG : et comment est-ce qu'il a vécu l'occupation ?
HO : alors, je crois que ma famille a été plus ou moins dans la collaboration, plus ou moins, en tout cas dans la résistance
RG : oui
HO : enfin j'ai un oncle qui était maire du village La Londe-les-Maures, à la demande du préfet du Var pour tenir tête au régime de Vichy, d'après ce que j'ai compris
RG : oui
HO : Bon alors dans l'idée, c'était il faut défendre ce qu'on peut défendre
RG : oui d'accord
HO: mais à la, à la libération, mon père a été mis en deux jours, en prison pendant deux jours… parce qu'un de mes oncles qui avait été poursuivi par les résistants, s'était réfugié en prison pour se protéger. et on est venu lui cracher dessus en le traitant de collabo Je ne crois pas que, je ne crois pas qu'il ait vraiment collaboré mais bon ils n'avaient pas une position de résistant en tout cas. Mes parents ont participé à l'envoi de colis de nourriture pour ls prisonniers français en Allemagne. Et après la guerre, ils ont accueilli des prisonniers allemands pdt un à deux ans. Certains sont revenus voir mes parents qq années après la guerre.
RG : d'accord
HO : voilà
RG : d'accord
HO : et ça j'ai découvert tout récemment qu'il peut y avoir des racines dans le fait que mon grand-père
RG : oui
HO : était un enfant adultérin, d'une union entre mon arrière grand-mère et un musicien franco-allemand
RG : ah oui
RG : on parle de l'occupation ….
HO : en Alsace
RG : après…
HO : en 1870
RG : après 1870 d'accord
HO : voilà, mon arrière grand-mère , qui était musicienne a été une très grande amie de Nietzsche
RG : votre arrière grand-mère ?
HO : oui, oui
RG : oui
HO : et j'ai, j'ai récupéré et fait traduire récemment toute sa correspondance avec Nietzsche
RG : ah oui d'accord
HO : dont je connaissais l'existence mais je ne savais pas du tout qui s'était, donc il y a…
RG : comment elle s'appelait ?
HO : Louise Ott
RG : oui d'accord
HO : Louise Ott, c'était une artiste et elle avait beaucoup de relations avec, elle a connu, elle a connu, elle a, elle tenait un salon a Paris après 1972, elle invitait des artistes et tout ça. Bon mais je pense que il doit il avoir, il doit y avoir des trucs troubles entre l'Allemagne et la France dans cette histoire familiale dont j'ai hérité puisque j'ai fait une bonne partie de mes études en Allemagne
RG : ah d'accord
HO : et j'ai beaucoup de lien avec l'Allemagne moi-même
RG : oui mais il y a plusieurs façon de, de, d'avoir des rapports avec l'Allemagne
HO : voilà, oui (rire de RG) oui mais j'ai toujours été attiré par l'Allemagne comme si il y avait quelque chose qui me…
RG : dans le sang (rire)
HO : qui me travaillait, qui me travaillait…
RG : Alors racontez un peu vos études
HO : Donc mon père était, mon père était agriculteur, il avait, tous ses frères, enfin ils étaient cinq frères, il y en a trois qui travaillaient ensemble et lui a travaillé avec eux jusqu'à la fin de la guerre. Et puis en 50 il a décidé de voler de ses propres ailes, il ne voulait plus travailler avec ses frères voilà
RG : oui
HO : mais mon père - parce que mon père avait essayé a l'époque, et ça, ça va avoir des conséquences pour moi - il avait essayé, il était très influencé par les systèmes communautaires, il voulait créer dans l'exploitation agricole une communauté entre les patrons (lui et un de ses frères) et les ouvriers
RG : ah oui d'accord
HO : voilà donc. C'était assez étonnant, mon père avait des idées de, de l'extrême droite, bien que ce n'était pas du tout...euh on n'a jamais eu d'expression raciste ni de trucs comme ça, ni bon...mais il y avait un petit peu qu'on faisait partie de l'élite
RG : oui
HO : toute petite bourgeoisie rurale mais on faisait partie de l'élite, et...Mais il avait, il avait vraiment une fibre sociale qui était tout ce qui était autour de la, de la vie en communauté, des systèmes communautaires plutôt. Ce n'était pas la vie en communauté, euh et il a, il a tenu à fabriquer son pain, et on mangeait du pain fait à la maison pendant des années, il a été un des pionniers de l'agriculture biologique développée par Lemaire Bouchez
RG : oui
HO : nous nous soignions avec de l'homéopathie, voilà j'ai, toutes les, tout ce qui est très en vogue aujourd'hui, tout ça moi je l'ai connu déjà à l'époque
RG : mais il y avait un, les rapports partons/ouvriers étaient, vous aviez des ouvriers agricoles ?
HO : dans l'exploitation agricole avec ses frères, là oui. Il y avait des ouvriers agricoles et donc mon père voulait, voulait faire un système d'intéressement des ouvriers. Bon, mais ses frères n'étaient pas d'accord…
RG : ah oui d'accord…
HO : et du coup il a été obligé d'arrêter
RG : c'est pour ça qu'il est parti…
HO : voilà il est parti, et il a après avec l'héritage, sa part d'héritage, il a acheté une propriété, mais il a continué à être en lien avec ses frères parce que il vendait son raisin a ces frères qui faisaient le vin
RG : d'accord
HO : lui n'avait pas de cave, ça aurait été son rêve de faire son vin, il n'a pas pu
RG : d'accord
HO : et puis c'est un rêve que, mon frère aîné a essayé de reprendre mais il n'y ait pas arrivé non plus puisque la propriété était trop petite
RG : d'accord
HO : voilà, donc j'ai vécu toute ma vie jusqu'au bac à la campagne. Nous habitions à 10km de la ville la plus proche, et j'ai fait ma scolarité au lycée de Hyères
RG : oui
HO : scolarité un peu, toujours limite, limite quoi, j'étais repêché au dernier moment (rire de HO et RG)
RG : d'accord
HO : je m'ennuyais profondément au lycée. Je le faisais parce qu'il fallait le faire mais vraiment, ce n'était pas les capacités qui me manquaient mais je…
RG : Donc vous avez, le lycée était, était, quand est-ce que vous étiez au lycée ?
HO : alors c'était de 61 a 68
RG : oui, et vous avez eu le bac ?
HO : j'ai passé le bac en 68 oui, donc je l'ai eu grâce à ça, sans doute. Parce que je n'ai eu que des oraux donc ça m'a permis de le réussir
RG : ah bon d'accord, (rire de HO) vous êtes mieux à l'oral
HO : ben en tout cas il y avait un climat tel qui faisait que les sujets étaient pas trop difficiles (rire de RG). Mais je suis quand même tombé sur des, sur des sujets que je savais par cœur, il y avait des choses que je savais
RG : d'accord
HO : mais je pense qu'à l'écrit je n'aurais pas, je n'aurais pas réussi
RG : d'accord. Et après vous avez fait des études supérieures ?
HO : et alors après, donc ce qui m'a beaucoup démotivé pendant ma scolarité c'est que je ne savais pas ce que je voulais faire, du moins je le savais mais je, je n'osais pas le dire, il n'y avait pas les informations pour ça, et à la fin de mon année de première, j'ai fait un séjour en Allemagne où là j'ai rencontré des Français dont un qui, qui était dans une école préparatoire de théologie près de Lyon, ce qui m'intéressait en fait c'était de faire de la théologie
RG : oui
HO : mais il y avait cette idée qui était complètement fausse et que ma mère et moi n'avions même pas vérifié, on croyait qu'il fallait avoir fait du latin pour faire de telles études. Alors qu'on doit faire du grec et de l'hébreu, mais on peut les commncer en faculté ou dans cette école préparatoire.
RG : ah oui
HO : on n'avait même pas pensé à demander au pasteur de notre paroisse, bon, et donc quand j'ai appris ça en Allemagne dans les 24h j'ai dit 'bon ben c'est bon, je fais de la théologie'
RG : d'accord
HO : et donc je me suis inscrit provisoirement, en attente, en attendant. Enfin un ami m'a conseillé de, d'aller à Lyon parce que il y avait près de Lyon cette école préparatoire de théologie pour ce qu'on appelait les vocations tardives, c'est-a-dire les gens qui n'avaient pas le bac et qui voulait faire des études de théologie. Donc là ils pouvaient refaire un cursus scolaire a partir de la troisième
RG : oui mais vous n'aviez pas, vous n'aviez pas vocation tardive
HO : moi je l'avais, moi j'avais le bac
RG : oui
HO : mais c'était pour faire du Grec et de l'Hébreu
RG : ah oui d'accord
HO : parce qu'on m'avait dit le plus dur pour la première année c'est le Grec et l'Hébreu
RG : d'accord
HO : voilà
RG : d'accord
HO : donc j'ai fait un an a Lyon, euh j'ai eu une initiation au grec et l'Hébreu
RG : oui
HO : et après je suis rentré à la faculté de Théologie de Montpellier
RG : en 69 ?
HO : alors c'était en 69 voilà, à la rentrée 69. Bon j'ai fait deux ans Montpellier et après j'ai bénéficié d'une bourse pour aller en Allemagne, à Heidelberg
RG : oui
HO : oui je suis resté 3 ans, parce que il n'y avait pas d'autre candidat donc
RG : donc 71-…
HO : de 71 a 74
RG : d'accord
HO : Alors, là je commençais déjà à me poser des questions qui étaient structurantes pour moi. C'est que mon frère, un de mes frères, celui qui était juste avant moi avait rencontré a l'université d'Aix-en-Provence un enseignant, qui était un ami de Lanza del Vasto
RG : ah oui d'accord
HO : et donc mon frère avait été assez conquis par les idées de cet ami qui s'appelait Pierre Souyris
RG : comment ca s'écrit ?
HO : S O U Y R IS
RG : oui
HO : qui était chrétien et qui a convaincu mon frère qu'il y avait incompatibilité entre l'Evangile et les armes… Voilà, et donc j'avais souvent des discussions avec mon frère là-dessus
RG : oui
HO : et en 1968 mon frère était objecteur, c'était une période où c'était difficile pour les objecteurs en France
RG : oui
HO : ils avaient un statut qui avait été arraché par une grève de la faim de Louis Lecoin, un anarchiste
RG : oui, oui
HO : et, mais ils étaient obligés de travailler d'abord pour la sécurité civile,
RG : oui
HO : la, c'était carrément a l'armée
RG : oui
HO : et puis après ils ont été affecté aux hôpitaux de Paris mais ils n'étaient pas d'accord donc ils ont démissionné, ils ont fait une grève de la faim
RG : a quel moment ?
HO : en 68, c'était en, en novembre, novembre décembre 68
RG : je n'ai pas tout à fait compris parce que vous avez dit ce Souyris avait convaincu votre, votre
HO : mon frère
RG : avait convaincu votre frère qu'il y avait
HO : voilà
RG : compatibilité ou incompatibilité
HO : incompatibilité
RG : incompatibilité entre l'Évangile et les armes …
HO : Voilà, donc mon frère confronté au service militaire obligatoire
RG : d'accord
HO : a décidé d'être objecteur. Ça a un peu affolé mes parents mais bon, nos parents étaient assez, assez libéraux pour dire 'ben c'est toi qui choisi hein'
RG : d'accord
HO : et donc il s'est retrouvé en prison a Lyon, il a été enfermé à Lyon
RG : oui, combien de temps ?
HO : pour désertion, trois semaines
RG : oui
HO : et moi j'étais à Lyon a ce moment-là et là j'ai bien senti que je choisisse, fallait que je me positionne
RG : d'accord
HO : Je ne pouvais pas rester neutre, puisque j'étais complètement concerné par l'Évangile. Je ne pouvais pas dire 'oui mais il faut bien une défense nationale et tout ça'
RG : d'accord
HO : et même temps je découvrais Dietrich Bonhoeffer
RG : oui
HO : et donc ça été un peu un déclic pour moi, là j'ai dis 'bon ben c'est clair je fais le choix de l'objection moi aussi'
RG : et vous avez dû…
HO : en de conscience
RG : et vous avez dû faire votre service militaire à un certain moment ?
HO : alors voilà, donc j'ai bénéficié d'un sursis pour faire mes études de théologie, pour terminer
RG : oui
HO : et je suis revenu en novembre 74 en France pour réaliser mon service civil comme objecteur, j'avais été reconnu comme objecteur
RG : d'accord
HO : sauf que, à l'époque, je pensais que comme j'étais convoqué pour faire mon service en novembre 74, je suis rentré pour novembre 74, enfin voilà
RG : oui
HO : mais je n'ai été convoqué que 6 mois plus tard, parce qu'il y avait toujours un décalage entre le début officiel et…
RG : d'accord
HO : et donc là j'ai - comme j'avais six mois à attendre quand j'en avais pris conscience - j'ai dit a l'Église 'ben si vous pouviez me donner un travail dans une paroisse parce que je, je n'ai pas envie de rester au crochet de mes parents'. Et donc l'église m'a envoyé à Meyrueis, c'est une petite localité à 40 km d'ici
RG : oui
HO : Donc j'ai
RG : en tant que ?
HO : en tant que pasteur délégué…donc j'ai vécu du 15 janvier au 15 juin là-bas, et
RG : en 75
HO : en 75 voilà, et c'est là que l'affaire du Larzac est redevenue très présente pour moi, la lutte du Larzac qui est redevenu très présente
RG : Parce que vous, vous, vous l'avez, vous l'avez ?
HO : parce que j'en avais entendu parler
RG : oui
HO : quand j'étais, quand j'étais étudiant à Montpellier en 71
RG : oui
HO : j'étais en lien avec, j'avais créé un groupe d'objecteurs. Alors mes engagements militants ont commencé, pas en 71, ils ont commencé le 69 à Montpellier
RG : d'accord
HO : là j'ai créé un groupe d'objecteurs…
RG : de quelle sorte de gens et pourquoi faire ?
HO : il y avait des étudiants en théologie, pour, pour…comment dire, pour faire connaître l'objection de conscience parce qu'à l'époque la loi autorisait l'objection mais en interdisait l'information
RG : oui d'accord
HO : ce qu'ils appelaient la propagande
RG : oui
HO : en fait, Debré qui était ministre de la défense à l'époque, avait très peur qu'un parti politique se serve de la loi sur l'objection pour démoraliser
RG : oui
HO : voilà
RG : parce que la loi sur l'objection datait de quand, vous avez une idée ?
HO : alors la loi sur l'objection en France datait de 1963
RG : après la, après la guerre d'Algérie
HO : voilà, voilà. De Gaulle avait promis qu'il y aurait une loi sur l'objection mais il voulait attendre la fin de la guerre
RG : d'accord
HO : et comme la promesse ne se réalisait pas, Louis Lecoin a fait une grève de la faim
RG : d'accord
HO : et il l'a obtenue
RG : euh je, pour faire un peu marche arrière
HO : oui
RG : vous avez dit que votre frère a connu ou entendu parler de Lanza del Vasto
HO : oui
RG : vous aussi ?
HO : et moi aussi, quand j'étais encore chez moi, donc mon année du bac
RG : oui
HO : j'ai assisté à trois conférence de Lanza del Vanto…voilà
RG : près d'ici ?
HO : A Toulon, à Toulon. C'était des amis de Toulon qui, qui l'avaient invité, alors j'ai été à la fois séduit par les idées, et, et un peu méfiant par rapport au personnage
RG : oui parce que c'est un personnage….
HO : très
RG : curieux…
HO : oui…très séducteur
RG : grand, barbu…
HO : voilà, très séducteur
RG : excentrique
HO : très fermé, ah non excentrique non. Enfin ça dépend de ce qu'on appelle excentrique, mais il était habillé avec son, avec des habits de laine qu'il avait tissés lui-même etc., c'était beau comme, c'était…
RG : c'était un peu, c'était un chrétien?
HO : oui, ah oui tout à fait
RG : enfin mais…
HO : oui, oui il était chrétien
RG : il était ouvert aux sortes de croyances…
HO : et il a fait un gros travail de, il a fait un, il a essayé de faire un syncrétisme avec l'hindouisme
RG : oui
HO : parce qu'il est allé en Inde, il a rencontré Gandhi et en fait. Il voulait, il voulait créer en France, il a créé en France l'équivalent des ashrams gandhiens
RG : d'accord
HO : dans une communauté de l'Arche dont la maison mère est à 50km d'ici
RG : oui
HO : au sud du Larzac
RG : c'est à Lunas, non cette maison mère
HO : près de, près de, oui entre Bedarieux, Lodève et Joncels, près de Joncels
RG : d'accord
HO : c'est sur les contreforts du Larzac, la Montagne noire…
RG : Donc il vous a séduit et…
HO : donc du point de vue des idées, sa lecture biblique me semblait très juste
RG : oui
HO : le personnage était trop séducteur pour moi, trop manipulateur
RG : oui d'accord, oui
HO : bon, c'était déjà ma problématique à moi
RG : d'accord, d'accord
HO : (rire) voilà
RG : et donc vous êtes venu sur le Larzac à quel moment, enfin vous étiez à Meyrueis
HO : voilà, et donc à Meyrueis j'avais convenu...mon frère m'avait trouvé une place pour faire mon service civil comme objecteur prés de Marseille parce qu'il était lui, alors lui-même était, entre temps il était devenu responsable d'une communauté d'Emmaüs
RG : oui
HO : communauté d'Emmaüs qui s'occupe des gens en errance et tout ça hein
RG : oui
HO : et donc il m'avait trouvé une place pour faire un service civil comme objecteur
RG : à Marseille
HO : oui
RG : quelle sorte de travail ?
HO : social
RG : oui
HO : chiffonnier, on appelait ça chiffonnier, récupérer des métaux, des meubles, et vivre avec des gens qui sont en errance, euh. Mais quand à Meyrueis j'ai assisté à une séance, à un film, à la projection d'un film sur le problème du Larzac
RG : oui
HO : là, j'étais tellement séduit d'entendre parler des paysans, de non-violence et tout ça que j'ai tout de suite dit 'bon ben c'est là qu'il faut que j'aille'. Donc parce que quand j'étais a Montpellier, j'avais entendu parler de l'affaire du Larzac
RG : oui
HO : et puis j'étais parti en Allemagne donc j'avais plus de contact mais j'entendais, je continuais à entendre parler de l'affaire du Larzac
RG : oui
HO : et quand j'ai vu ce film, quand j'ai vu ce film sur les, sur la lutte du Larzac j'ai dit 'bon il faut que je donne un coup de main'. Voilà, et puis j'ai pris contact et, et de fil en aiguille, après quelques réunions il y a quelqu'un qui habitait à Saint- Martin, un franciscain, qui habitait à Saint-Martin et qui était chargé du chantier de la construction de la bergerie de la Blaquière
RG : c'était le père Roussel ?
HO : Pirault, Pirault, Robert Pirault
RG : Pirault, ah oui c'est ça
HO : Pirault, il m'a dit 'ben écoute tu peux habiter ici' - il y avait d'autres objecteurs qui habitaient avec lui 'tu peux habiter ici pendant trois mois après tu te démerdes'. Voilà, et parce qu'il y avait déjà l'idée moi je venais avec une idée très ancienne, c'était m'occuper d'animations, de jeunes, de créer un centre d'accueil, etc.
RG : oui
HO : et puis sur le Larzac le premier jour où j'arrive on me dit 'il y a des maisons de l'armée à occuper, il y a des maisons vides il faut les occuper'. Et moi je dis 'ben voilà c'est, c'est un projet qui tombe du ciel quoi'(rire). C'est un peu comme ça que je le voyais a l'époque, maintenant je le vois plus comme ça, mais ...
RG : c'était son idée à lui ou l'idée du mouvement d'occuper ces maisons vides ?
HO : C'était le Larzac, c'est parce que la ferme des Truels avaient été occupée quelques mois auparavant
RG : d'accord
HO : et moi donc je, je me disais 'ben il faut qu'on crée un groupe d'objecteurs - puisqu'il y en avait un certain nombre sur le Larzac - qu'on crée un projet spécifique objecteur'…donc
RG : pour, pour occuper une autre ferme ?
HO : pour occuper une ferme voilà
RG : et c'était quelle ferme ?
HO : Le Cun
RG : Le Cun
HO : la ferme du Cun
RG : donc c'était un, une ferme qui était, qui avait été achetée par l'armée ou
HO : alors c'était une ferme qui avait été achetée par un, un médecin parisien et il avait acheté deux fermes
RG : oui
HO : et 180 hectares, deux ruines, disons deux grandes ruines qu'il a remis en état, sommairement mais c'était habitable
RG : oui
HO : c'était fermé, il y avait une bonne toiture et, mais ça il avait fait avant l'extension du camp et il les a vendues à l'armée
RG : oui
HO : sans doute en se disant 'il vaut mieux que je les vende maintenant à un bon prix plutôt que de me faire exproprier'. Et elles étaient dans le sud du plateau, dans le sud du périmètre d'extension
RG : oui
HO : voilà, et donc très vite j'ai proposé aux paysans ce projet, ça les a séduit. Alors je pense que j'avais l'aura du pasteur aussi fallait bien que je m'en défende a l'époque mais…voilà, pour eux c'était un renfort
RG : parce que vous avez été ordonné à un moment ?
HO : non
RG : non ?
HO : non, je n'ai pas été ordonné
RG : ben ça se passe comment dans l'Église ?
HO : normalement, normalement on est ordonné mais 68 était passé par là, et il y avait des tas de pasteurs qui disaient 'je ne vois pas l'intérêt de l'ordination'. Et moi-même quand j'ai posé la question, on m'a dit 'si tu y tiens oui mais ce n'est pas nécessaire pour être dans l'Église'. Voilà
RG : ah d'accord
HO : et comme de tout façon je n'avais pas l'intention de devenir pasteur, ça m'a pas plus travaillé que ça
RG : oui mais vous étiez connu comme pasteur
HO : parce que j'étais à Meyrueis comme pasteur
RG : oui d'accord
HO : voilà
RG : d'accord
HO : et que, et que j'étais obligé de dire d'où je venais et que donc on m'a tout de suite présenté comme le pasteur, voilà, c'est Robert Pirault surtout qui m'a présenté comme ça
RG : d'accord
HO : ça rassurait, du coup ça rassurait beaucoup les gens ça. Pour moi ça été une, une bonne entrée en matière
RG : parce que c'est…
HO : vis-à-vis des paysans
RG : D'accord, parce qu'il y avait des tensions entre les paysans du plateau et puis les gens qui venait de l'extérieur ?
HO : on ne peut pas dire ça mais, mais il fallait faire ses preuves en tout cas
RG : oui
HO : voilà, ça c'est clair il fallait faire ses preuves. Donc à priori on était bien accueilli mais après il y avait comme un examen de passage non dit. Et moi mon examen de passage je l'ai passé en faisant les foins, j'ai du remuer dix mille bottes de foin et de paille cet été-là, j'allais travailler chez les paysans
RG : c'était l'été de…
HO : 75
RG : 75
HO : voilà
RG : oui
HO : j'allais travailler chez les uns, chez les autres donner un coup de mains et c'est comme ça que je gagnais ma vie, puisque, puisque j'étais plus salarié de l'Église
RG : d'accord, mais vous, vous avez aussi pu faire vos preuves par une action comme l'occupation de la ferme
HO : après
RG : après, ça, donc ça c'est…
HO : ça c'est pendant l'été 75
RG : oui
HO : et l'occupation de la ferme ça c'était en octobre 75
RG : d'accord
HO : voilà. De toute façon les paysans m'avaient dit très vite, 'ce projet nous intéresse mais ce n'est pas avant l'automne parce que on doit faire la moisson'. Enfin
RG : d'accord
HO : c'est à l'automne qu'on est disponible
RG : alors qu'est-ce qui s'est passé ?
HO : et bien, on a, il y a eu d'abord des tensions dans notre équipe d'objecteurs parce que tout le monde n'était pas d'accord sur le projet. Il y en a qui voulait faire un truc paysan, une ferme et tout ça. La maison qu'on avait retenu il n'y avait pas de terres, et moi j'ai dit 'ben si vous voulez faire une ferme, faites une ferme, j'irais ailleurs, je choisirais autre chose mais c'est pas ce projet qui m'intéresse'
RG : d'accord
HO : voilà, alors ils ont dit 'ben non d'accord, on est d'accord avec toi'. Mais en fait il n'y avait pas d'accord, donc ça s'est cassé plus tard
RG : donc ils sont partis les autres ?
HO : donc il y a eu, alors on a, on a tenu un an à occuper cette ferme avec tout le soutien du Larzac et tout ça pendant un an, on a commencé à développer des activités
RG : oui
HO : on a fait des travaux de restauration, d'aménagement et tout ça, pour le créer, pour le transformer en centre d'accueil. Pendant l'été, au printemps et l'été 76 on a accueilli du monde
RG : oui
HO : mais en juin, fin juin, début jullet 76 on s'est retrouvé en prison, trois…
RG : oui, ça c'est l'affaire de l'occupation…
HO : voilà, du camp militaire
RG : du camp militaire
HO : voilà, donc sur, sur cinq membres, on était quatre en prison. Il n'y avait que la femme d'entre nous qui n'était pas, la femme qui faisait partie de notre équipe qui n'était en prison, bon alors ça a un peu bousculé les choses, et puis en fait on a été expulsés le 24 octobre 76 …
RG : oui
HO : Il y a eu l'expulsion parce que il y a eu juste avant un défilé militaire qui avait été perturbé à Millau, c'était au moment de l'occupation d'une autre ferme, si vous voulez il y a, à l'automne, en octobre 74-75-et 76 il y a trois occupations de fermes
RG : oui les Truels
HO : il y a les Truels en 74, Le Cun en 75 et Cavaillès en 76
RG : Cavaillès
HO : voilà, et donc là l'armée s'est dit 'si ça continue on ne pourra plus contrôler le terrain. Donc ils nous on foutu dehors, sauf les Truels parce que c'était un projet paysan, c'était plus difficile d'accès, les paysans s'étaient organisés et puis c'était dans le nord du plateau où les paysans étaient beaucoup plus actifs avec les Burguière, Tarlier et tout cas
RG : d'accord
HO : tandis que le sud on était avec des paysans plus craintifs
RG : d'accord
HO : beaucoup moins militants, mais c'était notre choix d'essayer de renforcer un peu ce lieu -là
RG : Et qu'est-ce qui s'est passé après ?
HO : Donc à ce moment-là, la première équipe a éclaté
RG : oui
HO : je me suis retrouvé tout seul
RG : oui
HO : et le lendemain de l'expulsion j'ai trouvé une maison à louer
RG : oui
HO : donc je me suis retrouvé à Saint-Martin d'abord pendant quelques jours. Et puis là j'ai trouvé une maison à louer, et donc en janvier - il y a eu quand même trois mois de, d'incertitude - et donc en janvier je me suis réinstallé dans cette maison pour continuer le projet
RG : à Saint-Martin
HO : non à la Blaquèrerie à côté du Cun, la maison que j'avais trouvée à louer dans l'idée de rester dans le sud…Et j'ai reconstitué une autres équipe d'objecteurs, j'ai lancé un appel et il y a des gens qui sont venus. Alors c'était pff c'était marrant parce que c'était la moitié de marginaux parmi nous et tout ça, bon
RG : c'était quel, bon c'était quelle, quelle sorte de gens, venus d'où ?
HO : pff de n'importe où. Ils avaient entendu parler du Larzac, des objecteurs donc ils venaient, donnaient un coup de main, voilà
RG : oui
HO : il y avait parmi eux un étudiant en droit qui venait de Nancy et qui avait voulu faire, qui voulait quand même rentrer au service militaire pour contester à l'intérieur et tout ça, pour défendre son pays. Et puis il a été réformé parce qu'il ne tenait pas le coup
RG : d'accord
HO : mais il voulait quand même continuer un temps de service, pour lui c'était important de faire un temps de service donc il venu donner un coup de mains pendant six mois
RG : et, et…
HO : bien, et donc là, ça a continué. On a travaillé pendant deux ans et demi. Mais dès le mois, dès le printemps, on a discuté d'une nouvelle installation. On savait que notre installation là-bas serait précaire
RG : oui
HO : et donc on a travaillé sur une nouvelle installation, moi je voulais faire une installation dans le sud, construire
RG : oui
HO : mais les paysans de notre conseil d'administration ont dit non il faut revenir dans le nord et donc en cherchant on a fini par trouver ce terrai et on a commencé à construire ici en l'été 77, 1er aout 77. Mais on était en zone d'utilité publique donc c'était une construction sans permis… construction illégale
RG : mais c'est, c'est d'ici que vous aviez été éjecté auparavant c'est ça ?
HO : non Le Cun c'est le nom qu'on a redonné à ce lieu
RG : ah oui d'accord
HO : mas le premier Cun c'est à 30km d'ici
RG : ah d'accord
HO : c'est dans le sud du périmètre d'extension, il faudrait que je vous retrouve…une carte
RG : non mais je crois que j'ai une carte là, une carte ancienne
HO : voilà alors le Cun est marqué dessus (RG et HO regardent la carte). Voilà ici La Cavalerie ici, et la ferme du Cun, vous avez la Blaquèrerie ici c'est là ou on a habité deux ans et demi
RG : oui
HO : et ici entre les deux là ça c'est la Salvetat, c'est l'autre, l'autre ferme qui était avec celle qui est là, elle est marquée, non ce n'est pas marqué, mais il y avait la ferme du Cun qui était ici
RG : oui d'accord
HO : voilà, ces deux fermes avaient été achetées par ce médecin parisien
RG : d'accord
HO : donc on a été expulsé d'ici, on s'est installé là provisoirement
RG : oui
HO : et maintenant on est ici
RG : oui d'accord, ben c'est bien
HO : ben parce que le projet d'extension était assez grand, il descendait, il descendait jusque là, il arrivait près de la Couvertoirade et il repartait comme ça
RG : oui d'accord
HO : et comme ça
RG : c'est énorme oui
HO : il y avait 14 mille hectares d'agrandissement
RG : donc vous avez commencé à vous installer et à créer un centre
HO : alors l'idée c'était de construire un lieu de formation et d'accueil. Donc on a commencé à construire et puis il y a eu bien sûr une interdiction de travaux
RG : oui
HO : mais à ça moment-la, il y a eu un conflit au sein du groupe des paysans. C'est-à-dire que il y avait une grande discussion autour de la négociation, négocier ou pas négocier avec l'Etat
RG : oui
HO : bon et, et quelque part mais pas seulement, on a été un petit peu les victimes du conflit entre les paysans qui étaient à l'est et les paysans qui étaient à l'ouest, c'est-à-dire les leaders étaient de ce côté Tarlier, Burguière
RG : oui qui étaient pour la non négociation
HO : qui étaient pour la négociation
RG : pour, pour, ah c'est-a-dire…
HO : et oui…
RG : pour la négociation avec le gouvernement pour résoudre le problème
HO : pour négocier et ils disaient 'si on négocie, on lâche un morceau et qu'est-ce qu'on lâche, on lâchera à l'est'
RG : oui d'accord
HO : mais à l'est il y avait José Bové, il y avait des paysans plus traditionnels et donc eux ils disaient il n'est pas question de négocier… voilà
RG : et donc qu'est-ce qui s'est passé ?
HO : et moi j'ai fait la grosse erreur quand j'ai annoncé ce projet, de dire c'est un projet de 500 mille francs
RG : oui
HO : il ne fallait pas parler d'argent dans un milieu paysan, voilà
RG : pourquoi ?
HO : ah ben parce que les gens, tout de suite il y a des gens qui ont soupçonné que les paysans qui nous soutenait allaient détourner de l'argent à notre profit
RG : ah oui d'accord
HO : voilà
RG : mais qu'est-ce que vous avez fait pour financer le, le…
HO : alors on a créé une société civile immobilière [SCI]
RG : oui
HO : et qui à force a été composée de 1800 personnes…je me suis inspiré des GFA Larzac
RG : oui
HO : en disant on va faire une propriété collective, donc les gens vont donner des parts de 200 francs, à l'époque c'était 200 francs en 77, voilà. Et d'ailleurs on va faire notre assemblée générale là, le 21 juin, de la SCI, il n'y en a qu'une
RG : ah oui d'accord, donc ce sont des gens de, d'un peu, de partout qui ont contribué
HO : partout, en France, en Allemagne, qui ont acheté une part de la SCI comme certains avait acheté une part de GFA
RG : oui
HO : sauf que c'était moins cher. Et c'est avec cet argent qu'on a pu construire équiper tout le Cun. Voilà, juste, en 77 on a commencé à construire, il y a eu une interdiction des travaux, et à ce moment-là on n'a pas pu transgresser l'interdiction parce que le Larzac était divisé
RG : d'accord
HO : on aurait pu le faire si tout le monde était uni mais on n'a pas osé, et c'est venu deux ans plus tard
RG : oui
HO : c'est-a-dire qu'après, en juin 79, on est venu s'installer ici sous la tente, on a organisé toutes nos sessions de formation sous la tente, la bibliothèque sous la tente, les réfectoires et tout ça. Et à l'automne 79 on a construit la première maison en bottes de paille
RG : oui
HO : alors ça, ça a plu a tout le monde
RG : en bottes de paille, ça tient ?
HO : ben vous allez voir, vous visiterez (rire de RG), c'est un procédé
RG : c'est comme les, c'est comme les trois petits cochons
HO : c'est un procédé, voilà, c'est ce à quoi pense tout le monde, mais c'est un procédé qui vient des Etats-Unis
RG : ah oui d'accord
HO : et qui est passé par le Canada, il y a des églises qui ont plus de 300 ans aux Etats-Unis qui sont faites en bottes de paille dans l'Arkansas oui
RG : ah oui d'accord
HO : et nous on a eu vent de cette technique, de ce procédé et on a, on a réinventé un procédé pour la construire. On a été les premiers en Europe à construire ça
RG : d'accord
HO : après guerre, parce que il y avait une maison comme ça qui date 1926 a Montargis
RG : oui d'accord
HO : et qui existe toujours
RG : d'accord
HO : donc cette construction innovante, illégale bien sûr aussi
RG : oui
HO : mais qui est allée très vite à construire, à refait l'unité des gens autour du Cun
RG : d'accord
HO : entre temps on avait montré comment on fonctionnait, enfin moins peur, enfin il y avait tout ça
RG : vous avez, il y avait toujours une interdiction de bâtir, de construire ?
HO : oui, oui mais là, le procureur à pensé que ce n'était pas une maison
RG : ah d'accord
HO : donc il n'a pas porté plainte mais on avait pris nos précautions. Cette fois on n'a pas construit en pierre, qui est très long, on a construit en paille et en trois jours la maison était montée
RG : d'accord
HO : voilà, parce qu'après c'est beaucoup plus difficile à faire démolir, notre idée c'était d'habiter dedans
RG : oui d'accord
HO : mais le procureur il a laissé tomber. Donc on a pu commencer à s'installer vraiment, passer l'hiver ici etc., en 80 on a dit aux paysans « Maintenant nous on en a marre, c'est trop dur comme vie, on n'est pas équipé, donc soit on peut reprendre la construction en pierre pour avoir plus d'espace
RG : oui
HO : soit on arrête le projet parce qu'on y arrive plus là, ils ont dit « d'accord pour reprendre ». Là de nouveau tous les paysans étaient d'accord pour reprendre mais il est…
RG : et ça s'est fait, vous aviez eu des meetings…
HO : ah ben il y avait des réunions toutes les semaines
RG : des réunions oui
HO : tous les mercredis il y avait une réunion sur le Larzac
RG : et au même endroit, chez les…
HO : Ça changeait, dans les bergeries, ça changeait un peu chaque fois. Ça c'est une fois fantastique de la lutte du Larzac c'est que il y a eu au moins une réunion par semaine, souvent il y en avait beaucoup plus quand il fallait préparer un événement. Et les paysans n'ont voté que deux fois, tout le reste du temps c'était en consensus
RG : d'accord, et ces deux fois c'était quand ?
HO : c'était pour ou contre la négociation
RG : oui
HO : voilà, pour aller rencontrer le préfet la première fois, et une autre fois je ne sais plus à quelle occasion c'était
RG : d'accord
HO : mais j'y étais pas, voilà, euh voilà, et à partir de, et alors on a repris la construction, il y avait les présidentielles de 81 qui s'annonçait mais on a commencé à reconstruire avant les élections
RG : oui
HO : et puis après avec les résultats, on a construit de plus belle quoi
RG : d'accord
HO : voilà, donc en, en décembre 81 on avait fermé les locaux de la grosse maison en pierre qui est là en fait, en partie en tout cas, et là à partir de là, on a eu le permis de construire on a pu régulariser
RG : et vous, vous pouvez me dire quelque chose sur votre centre
HO : alors, l'idée c'était de créer un lieu, déjà quand on a crée Le Cun, le premier Cun, puisqu'on en est au troisième ici
RG : oui
HO : c'était de créer un lieu de formation et de recherche sur les modes de résistance, de résistance non-violente, on disait civile et populaire, voilà
RG : oui
HO : puisqu'on était affronté à un système militaire de défense nationale, on voulait montrer que il existe des tas de possibilités d'impliquer la population civile dans des modes de résistance non-violente
RG : oui
HO : et à l'époque il y avait par exemple le mouvement international IFOR, ça vous dit quelque chose
RG : I-fort
HO : International Fellowship of Reconciliation
RG : oui
HO : voilà, qui publiait, dont je faisais partie, et qui publiait des petites monographies de chercheurs comme Galton, Theodore Herbert ( ? )
RG : oui
HO : allemands, norvégien, euh sur les, des, des exemples de résistance civile, en Tchécoslovaquie au moment de l'invasion, dans la Ruhr, quand la France a occupé la Ruhr en 1923, euh qu'est-ce qu'il y avait eu ? autour de la Hongrie il y avait un problème en Hongrie je ne sais plus à quelle époque, enfin il y avait des tas de monographies d'exemples historiques de résistance civile
RG : d'accord, oui
HO : et nous, nous voulions promouvoir ça, alors avec un projet très ambitieux quand je regarde maintenant je, c'est rigolo mais il y avait l'idée de, de faire quelque chose qui puisse être, avoir une autorité comme la Fondation pour les études de défense nationale…
RG : oui d'accord mais vous avez fait ces recherches en équipe, dans la bibliothèque ou en faisait venir des gens qui ont eu l'expérience de certaines luttes ?
HO : notre idée c'était de constituer une bibliothèque, de, de réunir des gens mais ça n'a jamais abouti, la bibliothèque si
RG : oui
HO : mais on n'avait aucun moyen pour constituer des vrais recherches et tout ça et puis on n'était pas chercheurs nous-mêmes
RG : d'accord
HO : on était les militants, bah ça suffisait pour nous, c'était un critère suffisant. Mais en disant on peut s'appuyer sur des études de scientifiques, de faire des synthèses, etc., voilà. Et avec à côté de ça de faire de la formation. C'est-à-dire de sensibiliser des militants à ces modes de résistance et donc de faire des stages sur la non-violence, sur la défense, etc. Alors à l'époque on avait dans nos amis le Général de Bollardière
RG : oui
HO : vous avez entendu parler hein ?
RG : oui mais expliquez un peu parce que c'est un général qui était contre la torture…
HO : alors c'est un général qui a fait la guerre d'Indochine
RG : oui
HO : qui était un des plus jeunes généraux de France à l'époque, qui a fait la guerre d'Indochine et en Algérie, euh il faisait partie de la Légion. Et en Algérie il s'est prononcé publiquement contre la torture
RG : oui
HO : Donc il a été mis en forteresse pendant deux mois par de Gaulle
RG : oui
HO : il a été mis à la retraite anticipée
RG : oui
HO : et là il a commencé, pour vivre, il a commencé à faire de la formation. Et il a rencontré des gens qui se, qui se réclamaient de la non-violence et il a été très intéressé et du coup il est devenu un ardent défenseur de en disant 'ce n'est pas avec l'armée qu'on va résoudre les problèmes'. Voilà, et après…
RG : mais comment expliquer, comment expliquer enfin - c'est un autre sujet - mais en deux mots comment expliquer sa, son déclic, son, le fait qu'il s'est fait soldat et puis il s'est révolté contre la torture
HO : parce que il disait avec la torture on n'est plus dans la défense de valeurs
RG : oui
HO : il estimait que l'armée permettait de défendre certaines valeurs, et certains systèmes etc.
RG : oui
HO : mais qu'avec la torture on passait à un stade qui n'était plus de l'ordre de l'humain
RG : d'accord
HO : voilà, et que ça choquait profondément ses valeurs. Et puis sans doute qu'il avait vu suffisamment tout ce qui se passait en Algérie en particulier, il n'était plus prêt à cautionner une armée coloniale
RG : oui d'accord, donc il a travaillé avec vous
HO : donc il a travaillé dans des milieux que nous côtoyions, c'était le Mouvement pour alternative non-violente (MAN) à l'époque
RG : oui
HO : et puis on est rentré en lien avec un autre général, le général Bécam, qui lui avait été enseignant à l'École de guerre de Paris
RG : oui
HO : et qui avait une approche politique en disant, en principe on dit 'voilà comment on va se défendre ?' avant de se poser 'qu'est-ce qu'on va défendre ?'
RG : oui
HO : donc forcément c'est les moyens qui déterminent la fin, et lui il dit 'non il faut reprendre le problème, qu'est-ce qu'on veut défendre en réalité ?'
RG : oui
HO : une approche politique et à ce moment-là on regarde quels sont les moyens qui sont...alors il y a des moyens militaires sans doute mais il y a aussi des moyens civils et pourquoi pas des moyens non-violents
RG : d'accord
HO : c'était un type qui était très ouvert
RG : oui
HO : on a beaucoup sympathisé, il est venu animer des stages ici, c'était très, et puis a cause de la lutte du Larzac, je suis rentré en contact avec l'amiral Sanguinetti
RG : oui
HO : qui avait été mis sur la réserve par Giscard d'Estaing parce qu'il avait... l'amiral Sanguinetti avait dénoncé les visées de Giscard de supprimer la flotte française
RG : d'accord
HO : Sanguinetti était très gaulliste et il disait 'là, c'est trop dangereux ce qui se passe'. Donc Giscard l'a mis à la retraite mais du coup il lui a libéré la parole, et il s'est mis a être très, très critique sur tout ce que faisait l'armée en restant un militaire convaincu et tout ça
RG : oui d'accord
HO : mais il est venu apporter son soutien aux paysans du Larzac
RG : mais il partageait vos idées, il était…
HO : pas du tout
RG : non ?
HO : pas du tout mais il disait ce projet d'extension du camp, c'est un projet spéculatif
RG : d'accord
HO : et donc il nous a amené l'arrière plan qui nous a compris, qui nous a permis d'interpréter tous les faits que nous avions. Et effectivement nous avions plein de faits qui prouvaient que c'était un projet spéculatif, qui n'avait rien à voir avec les besoins des militaires
RG : ah d'accord, spéculation des terres
HO : voilà, c'est-à-dire qu'il y a des gens qui étaient proches du pouvoir
RG : oui
HO : qui sont venus acheter des terres ici et qui ont fait pression sur le gouvernement pour qu'il décide l'extension d'un camp militaire
RG : ok
HO : et lui nous a dit 'en 40 ans de carrière militaire, il n'y a pas un projet de port, de caserne, d'aérodrome, de camp militaire qui ne parte de spéculateurs'
RG : d'accord
HO : voilà, donc tout militaire qu'il était et il se défendait très fortement d'être antimilitariste
RG : oui
HO : et il nous avait dit 'attention hein si vous me piégez, je fais un clash et tout'. On a toujours été très réglos, j'ai dit « non nous sommes, nous serrons toujours très réglo avec vous », et puis c'est devenu un ami
RG : oui ?
HO : et il en est même arrivé au moment de la reprise des essais nucléaires, à remettre en cause la bombe
RG : d'accord
HO : voilà, il a fait un cheminement très, très intéressant, en nous côtoyant, en respectant nos différences mais, et c'est amusant parce que, pendant la marche du Larzac, quand on est monté à Paris à pied là, quand les paysans sont montés a Paris à pied
RG : oui
HO : à Orléans j'ai animé un meeting. Il y avait 2000 personnes, avec les généraux de Bollardière et Bécam et l'amiral Sanguinetti
RG : ha d'accord
HO : (rire) ça été un gros coup politique là
RG : mais ça c'était en …
HO : ça c'était en 78 oui
RG : d'accord
HO : décembre 78…mais Sanguinetti étant toujours sur la réserve. Mais je lui ai dit 'non on ne vous piégera pas, on promet, je suis garant on ne piégera pas'. Ce qui a créé des liens de confiance…
RG : donc avant que le centre ne soit construit, terminé, vous aviez, vous étiez…
HO : on avait déjà organisé des stages de formation, on avait déjà voilà...ce qui fait que quand on s'est installé ici, on se retrouvait avec des semaines avec 90 personnes
RG : d'accord
HO : voilà, et donc on organisait plusieurs stages en même temps, avec des formateurs d'extérieur etc. C'était un lieu, c'était un lieu militant très important
RG : et vous avez accueilli des gens de, quelle sorte de gens est venu ?
HO : c'était beaucoup un public enseignants, de travailleurs sociaux. On se rendait compte que la plus grosse partie de notre public c'était des gens qui étaient dans la relation, qui avaient un métier lier a la relation
RG : oui
HO : voilà, et c'était des gens qui venaient de toute la France, on avait beaucoup d'Allemands aussi parce que moi j'avais des, des liens avec l'Allemagne
RG : oui
HO : j'entretenais ces liens etc. avec l'Office franco-allemand pour la jeunesse et…donc tout ça a bien marché. Alors ici, on avait une vie communautaire, on partageait les biens, les ressources, et tout ça
RG : oui
HO : on faisait toute une recherche sur l'alimentation, sur les énergies renouvelables c'est pour ça qu'on est électrifié avec une éolienne
RG : oui
HO : ça, ça s'est fait dans le temps voilà. On a construit des citernes pour récupérer l'eau, enfin on voulait être à la fois un lieu plus cohérents
RG : oui
HO : en disant que de toute façon les problèmes des énergies, l'approvisionnement d'énergie c'est un problème militaire aussi. On le voit encore mieux maintenant qu'a l'époque quoi
RG : puisqu'on travaille aussi sur l'Allemagne., est-ce qui a, est-ce qu'il y a eu des équivalents en Allemagne de la lutte du Larzac ou de, des centres de formation comme vous avez fait ici
HO : voilà, alors il y a un Allemand qui était très intéressé par la lutte du Larzac et qui a créé un peu l'équivalent du Cun à Gorleben
RG : oui
HO : dans le grand lieu de, ou il y a la lutte qui continue de…, le stockage des déchets nucléaires dans le nord de l'Allemagne, au nord de, a l'est au nord-est de Hambourg
RG : oui, comment il s'appelle ?
HO : il s'appelle Gorleben
RG : ça c'est le nom du type ?
HO : ah non alors le type s'appelle Wolfgang Hertle
RG : oui
HO : et il a écrit un livre sur la lutte du Larzac que j'ai dans la bibliothèque là. Et donc lui a beaucoup, et je continu a être en lien, je vais sans doute le rencontrer la semaine prochaine a Paris au Salon des Initiatives de Paix, il y a un gros salon à Paris des Initiatives de Paix
RG : oui d'accord
HO : à la fin de la semaine…donc il a créé un lieu de rencontre, de formation, etc., qui continue
RG : oui
HO : avec aussi des hauts et des bas parce que voilà, ce sont des choses militantes et il y a souvent beaucoup d'ambiguïté là-dedans
RG : Et est-ce que, parce que je voudrais examiner un peu votre perspective, si il y avait une convergence ou une divergence de perspective parce qu'au début la lutte du Larzac était pour sauvegarder la terre, les terres de paysans
HO : oui
RG : et vous, vous avez eu une perspective beaucoup plus internationale, beaucoup plus je vais dire pas politique mais…
HO : si, si elle était plus politique mais, c'était déjà là, les paysans avaient déjà en 74 il y a eu une grande moisson
RG : oui
HO : et ils ont donné l'argent au Sahel, aux paysans du Sahel, il y avait déjà des tas de mouvements internationaux qui étaient présent sur le Larzac, là on a rien inventé là
RG : d'accord
HO : on a fait que suivre le mouvement, en 74, en 75. Quand on est arrivé, le mouvement était déjà extrêmement politisé, il était internationalisé. Bien sûr les paysans disaient 'ici on défend des terres mais on défend un certain style de vie, un certain droit au travail, on défend des outils de travail', etc. Ils avaient été très influencés par les Paysans Travailleurs de, de Bernard Lambert
RG : oui bien sûr oui
HO : voilà donc, donc il y avait un discours politique ambiant et, et toute la réflexion sur l'armée et tout ça, ça avait commencé déjà bien avant nous, avec l'abbé Jean Toula, avec Jacques de Bollardière qui était déjà venus qui nous avait précédés. Non, nous on a fait que capitaliser les choses qui étaient là, qui étaient présentes, donc ça les intéressait je crois de voir se, se cristalliser un peu ça ici
RG : oui
HO : au Cun
RG : oui
HO : voilà
RG : et puisque vous parlez de style de vie, est-ce que vous avez vu un rapport entre votre engagement politique et internationaliste et une certaine manière de vivre au jour le jour ici
HO : alors voilà pour nous c'était évident
RG : oui
HO : c'était évident, d'autant que il y avait dans notre équipe, des gens qui faisaient partie de la communauté de l'Arche de Lanza del Vasto
RG : d'accord
HO : donc à l'époque, il y avait dans les mouvements non-violents, il y avait en gros trois courants
RG : oui
HO : le courant le plus ancien qui venait de IFOR
RG : oui
HO : qui était représenté par le Mouvement International de la Réconciliation et qui avait été très actif en 74 parce que son, son permanent s'était présenté à l'élection présidentielle, contre la bombe atomique, René Cruse, le pasteur René Cruse a l'époque
RG : oui
HO : bon, et puis il y avait le mouvement de Lanza del Vasto
RG : oui
HO : l'Arche de Lanza del Vasto qui était assez important à l'époque. Il y avait plusieurs communautés, avec un rayonnement international, et puis Lanza del Vasto était connu comme poète, enfin c'était vraiment un personnage quoi
RG : oui
HO : des disciples l'ont dit. Et il y a eu en 74 la création du Mouvement pour une alternative non-violente qui a fédéré des tas de groupes non-violents en France, il y en avait une trentaine
RG : d'accord
HO : voilà, avec des personnes comme Jean-Marie Muller, le général de Bollardière, d'autres militants moins connus dont un chercheur qui pourrait vous intéresser en tant qu'historien, c'est Jacques Semelin
RG : ah oui, oui bien sûr
HO : voilà, et il faisait partie de ce groupe là à l'époque, et Jacques Semelin a publié des études très intéressantes
RG : oui, oui je…
HO : sur les formes de résistances civiles et tout ça
RG : oui
HO : d'ailleurs il vient de créer une fondation, vous avez entendu ça, une fondation pour le, ceux qui s'appelle Mass Violence sur les problèmes de génocides
RG : ah oui d'accord, oui, oui c'est ça
HO : avec le parrainage de Simone Veil
RG : oui
HO : parce qu'il s'est beaucoup occupé, intéressé au problème du génocide
RG : donc il est venu ici ?
HO : donc il était venu aussi ici à l'époque, c'était un militant de base à l'époque, il était psychologue
RG : oui
HO : il n'était pas du tout historien, c'est à cause de son travail sur la non-violence etc., qu'il s'est intéressé à l'histoire en fait
RG : oui, d'accord
HO : voilà
RG : et donc il y a…
HO : il y a ces trois grands courants et nous, nous, et moi j'étais à la fois très intéressé par le MAN, par son discours politique, mais j'avais aussi la fibre chrétienne du MIR et l'intérêt pour la pratique communautaire
RG : oui, oui
HO : donc on s'est un petit peu vu comme ceux qui faisaient la synthèse parce qu'il y avait beaucoup de tension entre, en tout cas entre le MAN et l'Arche à l'époque, c'étaient des gens qui étaient très, très, très opposés
RG : pour quelles raisons ?
HO : de leadership à mon avis
RG : d'accord
HO : leurs leaders étaient très antagonistes comme souvent les leaders entre eux
RG : oui, Lanza
HO : Lanza et Jean-Marie Muller notamment
RG : d'accord
HO : voilà
RG : d'accord
HO : d'ailleurs deux personnages qui se ressemblent beaucoup mais justement, justement ça explique leur opposition
RG : d'accord
HO : enfin le MAN disait 'nous nous voulons une non-violence politique' et Lanza del Vasto disait 'la non-violence politique, c'est, c'est la vider, c'est vider la non-violence de sa spiritualité, de l'essentiel que de la rendre politique, donc non' etc.
RG : d'accord
HO : et nous nous disons pour nous 'la politique et la communauté, la spiritualité c'est pas incompatible'. Mais on n'a pas développé le côté spirituel, voilà
RG : ici
HO : aucune, on n'a pas développé le côté spirituel
RG : oui
HO : c'était peut-être une erreur mais à l'époque, moi j'étais avec de gens, moi je l'aurais bien développé, mais comme j'étais avec des gens qui ne le partageait pas forcément. Je n'ai pas voulu faire quelque chose de trop qui nous aurait peut-être un peu plus marginalisé qu'on l'était déjà, enfin c'est difficile, c'est difficile de faire…
RG : d'accord
HO : donc on a développé tout de suite immédiatement une vie communautaire
RG : oui
HO : voilà, avec partage des ressources, des biens et tout ça. Mais c'était aussi lié a une économie de subsistance, c'est- à -dire qu'on avait tellement peu de moyens que le meilleur moyen d'en avoir c'est de les partager. Et tout de suite nous étions très branchés sur les problèmes de santé, d'alimentation, d'énergie, voilà, mes enfants sont nés à la maison, tous mes enfants, mes trois enfants
RG : oui
HO : sont nés à la maison. On a, on était, on avait une alimentation essentiellement végétarienne, on mangeait de la viande, une fois par semaine
RG : oui
HO : voilà, et puis on a essayé très vite de, d'avoir des énergies renouvelables etc. Pour nous c'était, c'était ça notre engagement politique, en plus des liens avec le Tiers Monde, avec l'étranger et tout ça. On disait 'ça ne sert a rien de faire de la politique si on ne commence pas par nous-mêmes'
RG : d'accord oui, bien sûr…et donc quand vous parlez d'une communauté c'est une communauté de combien de personnes ?
HO : alors ça a varié entre quatre et treize en gros
RG : d'accord
HO : voilà, un moment on était cinq couples, parce que les objecteurs qui venaient faire leur service civil chez nous ramenaient leur copine donc, et à un moment il y a eu cinq bébés, bon (rire). Et puis après ils partaient, il y avait un « turn over » considérable
RG : oui bien sûr
HO : et il y a que moi qui restait….enfin il y a quand même ou deux personnes qui sont restées cinq ans, six ans
RG : oui
HO : mais, mais avec du recul, le paradoxe c'est que, donc on voulait travailler la non-violence, les conflits et tout ça, mais qu'on a été une machine à produire des conflits…en interne
RG : ici ?
HO : oui, dans notre communauté
RG : mais de petits conflits entre personnes ce n'est pas la même chose
HO : non mais c'est là que ça commence
RG : mais quel genre de conflits ?
HO : ça commence autour de la communication, ça commence autour des...Moi j'avais une position très ambiguë à l'époque parce que à un moment même, comme il y avait des tensions dans, ben qui prend les décisions, qui dirige, etc., on s'était organisé là-dessus
RG : oui
HO : et on a, on a rencontré un professionnel, il s'appelait Charles Maccio de Lyon
RG : oui
HO : qui nous a initiés à l'autogestion, pour nous ça faisait, c'était évident que le prolongement de la vie communautaire c'était l'autogestion
RG : oui
HO : bon, et donc il nous a donné toutes les clés pour nous organiser de façon autogestionnaire
RG : oui
HO : et, et moi j'ai eu la possibilité de la mettre en œuvre, sauf pour une fonction qui était la fonction de coordination, qui était indispensable
RG : oui
HO : parce que si chacun est responsable il faut que quelqu'un soit pas plus responsable que les autres mais assume la responsabilité de coordonner tout le monde
RG : oui
HO : et moi je prenais comme prétexte que j'étais le leader du groupe et que donc si je prenais cette responsabilité, je cumulerais tous les pouvoirs
RG : oui
HO : ce qui était en fait un mensonge à moi-même. Mais c'est comme ça que je l'ai vécu. Ce qui fait que cette place n'a jamais été prise parce que c'était un bâton merdeux on va dire. Toute personne qui le prendrait avait peur de rentrer en conflit avec moi puisque mon pouvoir était occulte en tant que leader
RG : oui
HO : aussi occulte, pas seulement mais aussi. Et ce qui fait que, qu'on s'est cassé la figure d'un point de vue économique, on n'a pas tenu le coup d'un point de vue économique…on s'est endetté, endetté, endetté avec des prêts d'amis et tout ça et puis y'a un moment ou les tensions en interne étaient trop fortes
RG : oui
HO : et donc j'ai dit bon ben on arrête parce qu'on ne peut plus s'endetter maintenant. Il va falloir rembourser, ça c'était en 2001
RG : donc il n'y a plus de communauté ?
HO : donc il n'y a plus…
RG : à partir de 2001…
HO : Non alors, il y a eu une lente évolution parce que notre système communautaire faisait qu'on était à la frange de légalité pour tout ce qui était des, les déclarations de salaires ou les déclarations de revenus et tout ça. Et donc à partir de 92 on a fait venir une personne dans la communauté qui était chargée de gérer les histoires de comptabilité et tout ça et qui petit à petit a mis notre comptabilité aux normes mais a aussi dit maintenant il faut qu'on déclare des salaires
RG : d'accord
HO : et puis, et puis il y avait, ma femme par exemple a fait parti de la vie communautaire mais après elle n'y était plus. Donc on avait des situations de couple qui étaient assez complexes ou l'un était dans la communauté, l'autre non donc c'était plus vivable quoi. Donc on a commencé on a dit bon maintenant on se sert des salaires, alors a l'époque c'était les salaires c'était un demi SMIC
RG : oui
HO : voilà, mais, mais on arrivait quand même à bien vivre parce que c'était un demi SMIC mais il y avait d'autres avantages. Il y avait plein d'avantages, plein de frais qu'on, on n'avait pas besoin d'avoir voitures personnelles puisqu'on avait une voiture pour la communauté. On n'avait pas besoin d'avoir d'abonnement de journaux puisqu'ils étaient dans la communauté, c'était, il y a beaucoup, beaucoup d'avantages
RG : oui
HO : mais, mais nous n'avons pas été capables, il y avait des questions très fortes liées à la chute de fréquentation de nos stages, liées au mode d'accueil qu'on faisait, il y a des questions qu'on n'a pas su aborder tous ensemble et il y a personne pour nous rappeler qu'il fallait absolument traiter ces questions
RG : oui
HO : alors on passait beaucoup de temps à traiter des questions annexes mais les questions de fond on ne les abordait pas
RG : d'accord
HO : et on a, c'est comme ça qu'on a dû arrêter, donc on a arrêté les activités de l'association qui gérait l'ensemble
RG : oui
HO : et on les a éclatées en plusieurs associations. Moi j'ai créé, j'ai repris tout le pôle de la formation et j'ai créé ma propre structure
RG : ce centre, le nom qui est sur la porte ?
HO : IECCC oui
RG : oui, et comment c'est, le nom est ?
HO : Conflit Culture Coopération, Institut Européen Conflit Culture Coopération…euh et puis on a cherché une autre association pour, pour reprendre les activités d'accueil et d'hébergement
RG : d'accord
HO : voilà, l'idée c'était c'est plus une seule association qui chapôte tout mais c'est différentes associations coordonnées
RG : d'accord
HO : c'était un peu dans l'idée des éco-villages et des choses comme ça, qui à l'époque commençait a, bien que, c'était une idée qui commençait à se répendre mais je me méfiais beaucoup parce que je voyais tellement de soixante-huitards attardés là-dedans c'était... La première rencontre a eu lieu ici mais c'était, je me croyais trente ans en arrière c'est impressionnant. Des idéologues qui n'avaient jamais vécu en communauté et qui, qui décrivaient tout ce qui fallait faire quoi, pour vivre en communauté
RG : vous ne vous considérez pas comme un…
HO : mais j'étais aussi moi un idéologue, et oui (rire)
RG : oui et même un vieux soixante-huitard
HO : euh
RG : vous ne vous voyez pas comme tel ?
HO : non, non, je n'avais pas trop, j'étais à la fois un mélange de conservatisme...je suis plutôt conservateur dans mon mode de vie et tout ça
RG : oui
HO : enfin je n'ai pas du tout était atterré, atterré hm, j'étais plutôt atterré, mais pas attiré par la révolte de 68, pour moi c'était une révolte
RG : oui
HO : ce n'était pas une révolution, à la limite tant mieux parce que ça se termine toujours mal les révolutions mais bon
RG : mais Cohn-Bendit ne dit pas mieux. Il dit que c'est une révolte pas une révolution
HO : voilà, voilà, et je ne croyais pas à la possibilité de la révolution
RG : oui
HO : par contre je croyais à la possibilité, j'y crois toujours, de travailler quotidiennement, c'est, c'est...Nous sommes des consommateurs, nous sommes des acteurs quotidiens et bon, c'est pas ça qui change le monde mais c'est ça qui nous donne prise dans le monde en tout cas. Après comment on s'organise, comment on le fait c'est une autre dimension, et en tout cas je suis convaincu que on ne fera rien de bien avec la violence, même si c'est le moteur de l'histoire c'est pas avec ça que on change les choses
RG : oui
HO : on ne change pas on ne fait que répéter, la violence ne fait que se répéter
RG : et est-ce que vous trouvez que par exemple en Afrique du Sud, les gens ont, enfin je ne dis pas vous ont suivi mais ils...vous avez apprécié cette manière de résoudre les conflits ?
HO : ce qui s'est passé avec le changement
RG : avec comment ça se dit…
HO : avec Mandela
RG : avec les Truth and Reconciliation Commissions, les commissions de
HO : les commissions de réconciliation voilà oui, sauf que ça c'est très beau comme processus sauf que ça s'est arrêté, ce processus s'est arrêté quand il mettait en cause des gens du gouvernement
RG : d'accord
HO : parce que c'est le gouvernement qui l'avait lancé, c'est là, et c'est là qu'on voit bien que tout processus de réconciliation, il doit impliquer tout le monde, et s'il ne peut pas mettre en cause même les acteurs d'aujourd'hui et bien ça ne peut pas marcher quoi
RG : d'accord
HO : voilà j'ai donc, moi j'ai été à l'initiative mais ça été une, ça été une production collective. Après, j'ai été à l'initiative d'une rencontre à Paris en 89 parce qu'on fêtait, il y avait beaucoup de truc de, des 200 ans de la Déclaration des Droits de l'Homme
RG : oui
HO : mais je disais, c'est bien de déclarer les Droits de l'Homme mais comment on les défend et comment on les promeut ? Et ça il n'y a que des méthodes non-violentes qui permettent de le faire
RG : d'accord
HO : donc à l'époque on a réuni des gens d'Afrique du Sud, de la Palestine, c'est impressionnant les témoignages qu'il y a dedans
RG : oui
HO : parce que pour un certain nombre, la situation a beaucoup évoluée…
RG : et vous avez l'impression que les gens vous écoutent ou vous êtes dans une mouvance qui se fait écouter ?
HO : alors, je dirais, par rapport à 68 on a eu, il y a eu toute une époque et c'était l'époque du Larzac ou les non-violents étaient plutôt pestiférés
RG : oui
HO : parce que il y a avait beaucoup de militants gauchistes hein
RG : oui
HO : même un type comme Pierre Vuarin était à la GOP a l'époque
RG : oui
HO : Gauche Ouvrière et Prolétarienne [=Paysanne]
RG : oui
HO : bon, après il y a eu des liens qui se sont créés. Donc ça a changé des choses, mais les non-violents il fallait qu'on se tienne à carreau quoi, c'était intéressant si on faisait de la non-violence politique mais fallait surtout pas en raconter plus
RG : oui
HO : et à, là tout à changé, en trente ans la lutte du Larzac a montré l'efficacité de la non-violence. Plein de milieux qui font de la non-violence sans le dire, donc il y a plus grand monde qui croit à la violence, à l'efficacité de la violence comme outil de changement. Mais, mais quand même, on voit qu'il y a dans une frange de la jeunesse marginalisée un petit peu des gens qui disent 'ben pff ce monde est pourri donc ça peut pas être pire si on le fait péter'. Donc on pourrait très bien revenir à une période ou il y a un terreau de gens qui sont très, très révoltés
RG : oui
HO : et il suffirait que quelques idéologues remettent un peu, alors ça peut être des idéologues d'extrême-droite aussi, ce n'est pas forcement des idéologues d'extrême-gauche
RG : oui, enfin pour revenirà cette période-là
HO : oui
RG : Pierre Vuarin m'a dit qu'il y avait certains gens qui pensaient à, à la violence sur le plateau mais il n'a pas voulu tellement en parler et je me, je, c'est une question que je me pose un peu, est-ce qu'il y avait quand même des gens qui pensaient résister à l'armée par des, des moyens violents à l'époque, dans les années 70 ?
HO : alors, du point de vue du Larzac, sur le, du point de vue des paysans du Larzac, non
RG : non
HO : parce qu'ils étaient tous cathos, conservateurs et tout ça
RG : oui
HO : hein même Jean-Marie Burguière je ne sais pas s'il vous a raconté, mais en 68 il disait aux flics « aller tape vas-y ». Bon, donc eux tout de suite on été convaincus, enfin, les dirigeants ont été convaincus par le discours de Lanza del Vasto
RG : oui, oui
HO : en disant 'vous avez la violence, vous n'allez rien faire, la passivité va partir et au milieu vous pouvez avec la non-violence réussir quelque chose'
RG : oui
HO : donc à partir du moment où les paysans ont su gérer, ont su avoir l'autorité sur le mouvement, ils ont dit notre lutte sera non-violente
RG : oui
HO : pas question, on n'a, on n'acceptera rien qui sorte de ça
RG : oui
HO : voilà, il y a eu quelques tentatives hein, il y a eu un attentat par ci, un truc par là, un jour on leur a même confié cent kilos d'explosifs
RG : ah oui ?
HO : oui, et un paysan a dit 'bon, ça peut toujours servir, on va le cacher », le problème c'est que ça été retrouvé (rire)
RG : d'accord
HO : après la lutte du Larzac ça a été retrouvé, et derrière Le Cun. Un jour il y a un journaliste de Millau qui m'appelle en disant 'Hervé il y a de l'explosif qui a été retrouvé dans une grotte au Cun, est-ce que tu sais où c'est ?' J'ai dit 'quoi, qu'est-ce que tu racontes ?'. Et tout de suite j'ai vu le truc, ça y est Le Cun soupçonné de…
RG : oui, oui
HO : alors j'ai prévenu un paysan qui m'a dit 'ah oui merde c'est vrai on n'avait pas pensé à régler ce problème avec le préfet'. Il appelle tout de suite la préfecture et la préfecture dit 'non en fait c'est, c'est rien de grave, pas grand-chose'. Mais il y avait a peu près cent kilos d'explosifs qui avaient été cachés dans une grotte et le paysan avait dit « là personne n'ira jamais les retrouver »
RG : d'accord, les explosifs…
HO : des spéléologues l'ont quand même trouvé, de, de l'explosif de chantier
RG : oui d'accord
HO : mais ça…
RG : mais amené par un militant extérieur ou ?
HO : oui, oui c'est des militants d'extrême-gauche de Millau qui l'avait piqué sur un chantier, parce qu'il y en a qui ont, qui ont toujours plus ou moins rêvé de faire péter quelque chose
RG : oui
HO : c'était plus pour le fun que pour la réalité mais, mais là les paysans ont toujours été très clairs. Donc, donc même les militants d'extrême-gauche savaient que ça serait s'opposer aux paysans du Larzac
RG : oui
HO : et les paysans ont été très fins pour accueillir des gens de tous les milieux puisqu'il y avait de l'extrême-droite à l'extrême-gauche en 74
RG : oui, oui
HO : mais en disant 'tout le monde a le droit de s'exprimer mais c'est nous qui décidons, en dernier recours c'est nous qui décidons', voilà. Et ça, ça été, ça été la condition de la réussite du Larzac parce que on disait aussi, enfin les paysans disaient 'vous vous venez poser vos bombes ici mais demain c'est nous qui avons l'armée sur le dos ce n'est pas vous
RG : oui
HO : vous, vous serez partis'
RG : oui d'accord
HO : voilà, donc ça a été un mode de régulation très, très important. Alors voilà il y a certainement des gens qui ont, qui ont imaginé mais pff, de tout façon ce n'est pas l'armée qui était, l'armée était aux ordres…et puis petit à petit ces militants, avec les liens qu'ils ont entretenus et tout ça, ont vu que les problèmes se posaient autrement
RG : oui
HO : que utiliser la violence ça se retournait contre les paysans…c'était dans les milieux occitans beaucoup, les milieux occitans d'extrême-droite et d'extrême-gauche, là il y avait dans gens qui étaient, qui voulaient vraiment en découdre, mais bon donc il y a eu ce débat dans les, chez les militants, il y avait le débat violence, non-violence
RG : oui
HO : mais pour les paysans c'était un problème réglé
RG : d'accord, d'accord
HO : avec, certains par pur opportunisme
RG : oui
HO : pour d'autres par pure trouille, mais ça faisait le consensus
RG : oui
HO : voilà, d'autres par intelligence
RG : mais c'était aussi l'image de marque du Larzac
HO : voilà
RG : la non-violence
HO : et c'est ce qui faisait qu'il y avait tellement de monde dans les manifestations parce que les gens savaient qu'ils étaient en sécurité
RG : oui d'accord
HO : voilà, et du coup ça, du coup ça casait les critères du pouvoir public en face, ils faisaient des grosses bourdes hein, puisque même en, en 77 quand il y a eu le rassemblement dans le camp militaire, quand les paysans ont dit on va marcher dans le camp militaire
RG : oui
HO : le préfet a « autorisé » la manifestation
RG : ah d'accord
HO : il s'est fait taper sur les doigts, on lui a dit vous n'avez pasàl'autoriser, vous avez à l'interdire ou a ne rien dire mais vous n'avez pas à l'autoriser (rire de RG et HO)
RG : en 77, qu'est-ce qui s'est passé ?
HO : et bien en 77, on sortait, il y avait eu 76 avec la prison
RG : oui
HO : et il y avait tout cette phase trouble de négociation, pas négociation etc.
RG : oui
HO : et donc il fallait taper un grand coup parce que l'armée, on voyait bien que l'armée gagnait du terrain. Mais dans l'opinion public, il y a des gens qui disaient 'le Larzac c'est fini et tout ça, l'armée s'est chargée de…'
RG : oui, oui
HO : donc les paysans ont dit 'faut taper un grand coup, et on ne va pas refaire des rassemblements comme en 73-74'
RG : oui
HO : faut qu'on fasse quelque chose de différent. Donc on va manifester dans le camp militaire, voilà…et, et avec un grand rassemblement…comment ?
RG : ça a duré combien de temps ?
HO : ça a duré deux jours
RG : deux jours
HO : mais le rassemblement dans le camp militaire a été ponctuel était ponctuel, il a duré quelques heures
RG : oui
HO : mais il y a eu un rassemblement des luttes sociales en France
RG : oui
HO : voilà, avec les luttes antimilitarismes, à ce moment là il y a des comités de soldats c'est-à-dire des soldats syndiqués dans l'armée qui sont venus témoigner, et puis il y avait tout ce que la France comptait de militance quoi, le Larzac restait un lieu de rassemblement extraordinaire de ce côté là
RG : oui, d'accord
HO : avec des forums, des trucs comme ça, voilà, et puis il y a eu une manifestation de 50 000 personnes dans le camp militaire, qui s'est très bien passée, très calme, juste un meeting, où l'armée a du avant enlever le maximum d'obus et de trucs comme ça pour pas qu'il y ait d'accident
RG : oui
HO : voilà, bon
RG : ils ne vous ont pas empêché de rentrer ?
HO : non, non ah non, ah ben ils savaient que si ils empêchaient, ils savaient que ça serait, ça serait la catastrophe donc
RG : d'accord
HO : ils ont préféré laisser rentrer et sortir et les paysans chaque fois négociaient très précisément
RG : oui d'accord
HO : 'vous restez chez vous, nous on fait le service d'ordre il n'y aura pas de casse et tout ça', voilà
RG : c'était dans quel mois de 77 ?
HO : c'était aout 77, jusque 15 jours après la manifestation catastrophique de Malville
RG : d'accord
HO : donc on avait très peur sur le plateau, on avait très peur qu'il se passe la même chose, le public était sur les dents, la gendarmerie était sur les dents, on écoutait toutes les conversations des gendarmes parce qu'on avait des amis qui étaient bien placés pour avoir des appareils
RG : rappelez-moi pourquoi cette manifestation a été une catastrophe …
HO : à Creys-Malville c'était la première grande manifestation contre le surgénérateur lancé par Giscard
RG : oui
HO : et, et il y a eu des groupes de tous les, c'est d'ailleurs un groupe non-violent, anarchiste non-violent qui s'appelait La Gueule Ouverte
RG : ah oui
HO : le journal La Gueule Ouverte qui a lancé la, et ils ont lancé une grande rencontre mais sans organisation, donc en fait il y a eu des casseurs d'un peu partout qui sont venus et il y a eu un militant tué
RG : oui
HO : un gendarme tué je crois, un gendarme mobile aussi, et un gendarme qui a eu une main arrachée par une grenade ou quelque chose comme ça. Donc ça, ça a plombé le mouvement anti-nucléaire pendant plein de temps
RG : oui d'accord
HO : ça a été catastrophique voilà, et Giscard avait décidé qu'il passerait à n'importe quel prix. Il défendait l'énergie nucléaire donc il s'agissait de surtout pas lâcher le morceau. Ils ont mis toutes les forces qu'il fallait là-dedans, mais en face les organisateurs étaient complètement incompétents, il n'y avait pas de service d'ordre il n'y avait pff, non, et puis il y a des gens qui voulaient délibérément aller à la …
RG : …le contre-exemple
HO : ah ça été une catastrophe, on l'a payé pendant vingt ans ce truc-là
RG : parce que les gens du Larzac n'étaient pas portés sur le nucléaire, la question du nucléaire
HO : ben ils étaient sensibles à ce qui s'était passé
RG : oui
HO : parce que en 75 il y a eu beaucoup de contacts avec Fontevrault, avec les militants de Fontevrault qui avaient créé un GFA, et puis après en 79-80 on est allé a Plogoff soutenir, et puis il y a eu, c'est très intéressant le Larzac a influencé Fontevrault, Plogoff à l'ouest, et puis Fessenheim, il y avait la résistance a Fessenheim en Alsace, Wyhl en Allemagne à l'époque, et jusqu'à Gorleben
RG : d'accord
HO : donc le Larzac a eu une influence considérable sur le mouvement anti-nucléaire
RG : oui
HO : hein, il était un peu précurseur
RG : est-ce que vous avez milité dans d'autres mouvements au nord du vôtre et prés….
HO : non, non, j'ai été donc pendant deux ans au comité de coordination du MAN et puis j'en suis sorti parce que ça me, ça m'allait pas du tout
RG : oui
HO : c'était trop, trop aérien disons, et puis j'ai été longtemps à IFOR par contre, au comité de coordination d'IFOR France, le MIR
RG : oui
HO : j'ai même dirigé la, enfin à IFOR France, au MIR français
RG : oui
HO : c'était un groupe encore plus petite mais bon, j'ai été rédacteur des Cahiers de la réconciliation
RG : oui
HO : à l'époque. Et puis sinon le Larzac me prenait tout
RG : oui…enfin une dernière question sur l'impact de ces années-là…c'est une question, enfin...C'est sans doute une réponse très simple, on essaie de, de juger un peu l'impact des luttes des années 60-70 dans la vie des gens dans la suite, enfin chez vous c'est tout à fait évident
HO : c'était ma vie (rire de RG) et ça a représenté beaucoup de gens, le Larzac a représenté une période très, très importante
RG : oui
HO : ça c'est clair, alors parce que, parce que il y avait une dimension festive ici qui était très importante
RG : oui
HO : les gens venaient l'été et puis il y en a qui venaient l'hiver et tout ça mais l'été le Larzac est magnifique, c'est un très beau lieu touristique
RG : oui
HO : il se passait beaucoup de choses, il s'en passe encore, beaucoup moins heureusement, on vivait 24h/24 quoi. C'était un peu épuisant aussi. Il y avait beaucoup de fraternité entre les gens, voilà à partir du moment, à partir du moment ou toutes ces idées de violence, je veux dire que, bien sûr qu'on s'est engueulés, bien sûr qu'il y eu des conflits de personnes et tout ça. Mais il y avait comme une mauvaise conscience de les avoir, il n'y avait pas de légitimation quoi
RG : oui, oui
HO : et donc il n'y avait beaucoup de travail qui était fait sur le lien, et nous l'hiver on se voyait tous les mercredis en réunion mais en plus le samedi on dansait ensemble, enfin il y avait tout le temps des groupes qui arrivaient et on faisait très souvent la fête
RG : oui
HO : et ça, et ça je crois que, c'est ça qui a fait la force de cette lutte. C'était à la fois fatiguant parce que les paysans travaillait toute la journée et tout ça et le soir ils étaient en réunion. Mais la dimension relationnelle était une dimension fondamentale, en plus il fallait passer beaucoup de temps à s'écouter, à s'accorder, la pratique du consensus faisait qu' il fallait passer beaucoup de temps à ça
RG : oui
HO : et ça, maintenant en formation je le réinvesti complètement et dans toutes les formations que je fais je...aussi bien j'interviens dans une école de commerce à Toulouse où la semaine dernière j'étais à Rodez, j'ai créé une formation de formateurs, donc pendant neuf stages j'aurai les mêmes personnes et on n'arrête pas d'insister là-dessus la relation, la relation, la relation. C'est bien la production mais on est performant, on a plein d'outils je peux vous donner encore et tout ça, mais sur la relation ils sont incompétents quoi, ne serais-ce que faire un petit exercice. Je leur donne un exercice de décision rapide, voilà il y a une manif qui va se passer un attentat raciste, est-ce que vous aller à la manif et tout ça, et bien tout suite bon alors les banderoles, qui va et tout ça et puis se poser la question de celui qui a peur des manifs et tout ça. Non, ça il n'y a pas, donc ils bloquent
RG : oui
HO : donc on va passer en force, le groupe va éclater, enfin voilà
RG : d'accord
HO : le truc classique quoi
RG : très intéressant…bon je crois qu'on peut s'arrêter la je vous remercie infiniment de votre témoignage
HO : mais je vous en prie
RG : Merci.