Hélène Bleskine

name of activist

Hélène Bleskine

unmarried name/alternative name of activist

 

date of birth of activist

26 Aug 1946

gender of activist

F

nationality of activist

French

date and place of interview

Paris, 2 May 2007

name of interviewer

Robert Gildea

name of transcriber

Nora Khayi​​

 

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RG : Bon, c’est parti, bon je vais commencer s’il vous plaît madame par vous demander votre nom et votre date et lieu de naissance s’il vous plaît

 
HB : Alors Hélène Bleskine, je suis née à Sannois donc, c’est à côté d’Argenteuil dans la banlieue parisienne, le 26 août 1946
 
RG : Et est-ce que vous pouvez me dire quelque chose de votre famille, de, c’était quel genre de famille, quels rapports vous aviez avec la famille à cette époque-là, quand vous étiez jeune ?
 
HB : Ben, mon père est d’origine russe, il est né à Saint-Pétersbourg
 
RG : Ah oui ?
 
HB : Donc en 1922 et il est toujours là
 
RG : Ah oui ?
 
HB : Ma mère aussi, donc ils sont toujours ensemble, mon père était ingénieur électronicien
 
RG : Oui
 
HB : Donc il y a toute une partie donc du côté de mon père sont des Russes immigrés
 
RG : Oui, mais ils sont venus en France à quel moment ?
 
HB : Dans les années 20 après la Révolution…russe
 
RG : Ils étaient des Russes blancs ?
 
HB : Non
 
RG : Non ?
 
HB : Non, non
 
RG : Des Russes rouges ?
 
HB : Mais c’est justement l’objet d’un des livres que j’ai écrit (rire de RG et HB)   
 
RG : Mais pourquoi ils sont venus en France ?
 
HB : Ben, ils ont fui la, il y avait une, mon arrière grand-père je crois était diplomate russe donc sous le Tsar, donc il y avait quand même, et il, en 14 il était à Berlin…
 
RG : D'accord
 
HB : Il est revenu. Après son fils avait quand même fait l’École des Cadets donc il a quand même toute une partie de la famille qui a immigré aux Etats-Unis et en France. Et ma grand-mère on dit qu’elle a été bolchevique, c’est comme ça qu’elle a réussi a faire passer, faire partir sa famille dans les années 20. Mais tout ça c’est les, les ombres et les lumières dans les familles
 
RG : Oui d'accord
 
HB : je ne peux pas vérifier, j’ai essayé, je suis allé en Russie, mais je n’ai pas trouvé de piste et ils sont, donc ma grand-mère est arrivée à la fin des années 20 alors que son fils était déjà là avec le reste de la famille et avec sa propre grand-mère à lui donc mon arrière grand- mère, mon arrière grand-père donc qui était diplomate russe
 
RG : Oui
 
HB : en, à Vienne et à Berlin, il avait épousé une femme allemande
 
RG : Ah oui d'accord
 
HB : Donc ma, ma, mon arrière grand-mère s’appelait Asseyev, enfin en se mariant avec un Russe
 
RG : Oui
 
HB : Elle s’appelait Asseyev et donc…
 
RG : Et le nom du arrière grand-père diplomate ?
 
HB : Asseyev
 
RG : Asseyev toujours, oui
 
HB : Voilà
 
RG : Bon oui
 
HB : Et après donc, parce que  j’ai posé la question à mon père, « qu’est-ce qu’ils ont fait pendant la guerre ? », j’ai dit mais si elle était allemande, comment elle a pu faire ici, pourquoi elle n’a pas été arrêtée dans les camps
 
RG : Oui
 
HB : avant en 39 quand ils ont arrêté tous les Allemands
 
RG : Oui
 
HB : Et il m’a dit non parce que, elle, elle s’appelait Asseyev
 
RG : Ah oui d'accord
 
HB : elle était, elle était russe quoi, c’était une Allemande mais qui était devenu russe
 
RG : D'accord
 
HB : Donc ils étaient ici en tant que Russe mon père et avec le passeport Nansen 
 
RG : D'accord
 
HB : Réfugiés russes et donc mon père s’est naturalisé après la guerre
 
RG : Après la deuxième guerre 
 
HB : Après la deuxième guerre
 
RG : D'accord…oui bien sûr
 
HB : Et donc…
 
RG : Et donc il a travaillé en France comme ingénieur ou…
 
HB : il a travaillé en France toute dans vie pour, il travaillait à l’Olivetti, la boîte italienne
 
RG : Oui
 
HB : Donc lui il était ingénieur informaticien et mes parents, ma mère est française, d’origine normande
 
RG : Ah oui d'accord
 
HB : Il a épousé ma mère donc dans, je pense, dans les années-  ils étaient très jeunes - dans les années, ils devaient avoir vingt ans, donc ils sont nés en 22 tous les deux, ça fait en 40. Et  ils ont eu cinq enfants quoi, voilà donc ça c’est pour...Donc il y a, je travaille, je réfléchis sur cette histoire des, des mémoires familiales et des…
 
RG : Oui
 
HB : J’ai écrit un livre qui s’appelle Pages Russes
 
RG : Oui    
 
HB : où je réfléchis à cette présence de cette grand-mère russe que j’ai beaucoup aimait et qui était pleine de mystère, qui nous disait rien du tout
 
RG : Ah bon 
 
HB : et qui aurait été bolchevique, voilà
 
RG : Ah oui d'accord, formidable, donc vous pensez que ce, ce passé un peu exotique vous a influencé un peu ?
 
HB : Oui bien sûr
 
RG : Comment ?
 
HB : Ben, je ne sais pas il y avait quand même un, non pas un mythe de la révolution russe parce que  ma grand-mère après disait tout le temps que le pire des choses qui était arrivé à la Russie c’était les bolcheviques alors
 
RG : Oui
 
HB : Donc voilà il y avait, je ne sais pas j’imaginais dans ce que j’écris maintenant…
 
RG : Oui
 
HB : aurait-t-elle été menchevique, aurait-t-elle, elle est, parce que, elle, elle était fille de diplomate donc…
 
RG : Oui
 
HB : les choses qu’on sait, même mon père sait pas, elle était embauché au Ministère des Affaires Étrangères parce qu’elle parlait plusieurs langues
 
RG : Oui
 
HB : après la révolution, au Commissariat aux Affaires Étrangères et donc elle aurait grâce à ça pu faire partir sa mère, ses frères et sœurs etc. Mais elle a jamais raconté, mon père était tout petit donc il ne sait pas plus
 
RG : D'accord
 
HB : Donc, après on a dit qu’il y a eu tout un mythe sur, comme sa mère était allemande, elle aurait été espionne, elle serait, enfin tout un truc sur ma grand-mère qui me fascine
 
RG : Oui tout à fait 
 
HB : qui est l’objet du livre que je n’ai pas publié qui s’appelle Pages Russes, qui est une sorte de méditation sur l’histoire et, et, et en quoi ça aurait pu influencer mon engagement dans les années 68 quoi, je ne sais pas
 
RG : Oui, non mais c’est très intéressant, on peut revenir là-dessus mais en ce qui concerne les études, comment ça s’est passé ?
 
HB : à cette époque-là on vivait, mon père travaillait dans toute la région de l’est de France donc toutes les années de lycée, on a vécu à Nancy
 
RG : ah oui d'accord
 
HB : et là il y avait, vous savez, il y ces, avant 68 donc, 65 quelque chose comme ça, moi je voulais faire du théâtre donc j’avais préparé le concours du conservatoire de Nancy et c’est là que je suis tombé sur le théâtre universitaire de Nancy où il y avait Jacques Lang
 
RG : Ah oui
 
HB : qui était en train de créer le festival international de théâtre et donc c’est là aussi que j’ai…ma vie a pris un tournant. Disons que j’ai commencé à faire du théâtre avec la troupe de théâtre universitaire de Nancy et à participer à toute les, la création de ce festival de théâtre qui était extraordinaire
 
RG : Oui
 
HB :dans ces années-là
 
RG : Oui
 
HB : où il y avait le Bread and Puppet, le Campesino, c’était toute l’époque de la lutte contre la guerre au Vietnam
 
RG : Oui
 
HB : et donc il y avait aussi beaucoup d’expression politique
 
RG : D'accord
 
HB : dans le théâtre, et c’est là que j’ai, que j’ai dû me révéler à moi-même en tant qu’artiste plutôt mon destin, donc j’ai pas fait d’études
 
RG : Donc vous, vous…
 
HB : Je suis allé jusqu’au bac mais après j’ai, j’ai fait du théâtre et après on est venu à Paris et je suis rentré à l’université de Théâtre des Nations. C’était une époque extrêmement vivante pour le théâtre et donc 68 est arrivé là et donc après j’ai fait du théâtre de rue quoi
 
RG : D'accord
 
HB : C’est, c’est comme ça que ça s’est fait, par le théâtre influencé par tous ces mouvements comme je vous dis  du théâtre de  Bread and Puppet, le Campesino, de…
 
RG : Qui était un troupe américain non ?  
 
HB : Oui toutes ces grandes troupes américaines
 
RG : américaines oui
 
HB : et donc ce que je peux rajouter c’est que mes frères avant 68, mes frères aînés, mes grands frères
 
RG : Oui
 
HB : étaient au Parti Communiste  et ils étaient militants contre la guerre d’Algérie et que beaucoup de leurs copains au moment de la création de l’UJC(ml) ça vous devait connaître
 
RG : oui, oui
 
HB : sont euh devenus maoïstes. Mais moi j'étais extérieur à tout ça parce que  j'étais  encore trop jeune mais en même temps j'étais  fascinée par cette radicalité dans lesquelles mes frères ne sont pas entrés
 
RG : C’était des, des frères aînés ?
 
HB : Oui
 
RG : Ils ont fait partie de…
 
HB : Ils n’ont pas été à l’UJC(ml), ils sont restés communistes
 
RG : Ils sont restés communistes carrément
 
HB : Oui
 
RG : Mais dans…
 
HB : à Nancy il y avait toute une mouvance comme ça avec tous leurs copains  et ils étaient…
 
RG : C’était l’Union des Étudiants Communistes
 
HB : Oui
 
RG : ou le Parti Communiste
 
HB : Non l’Union des Étudiants Communistes
 
RG : D'accord
 
HB : Tout ça c’était les étudiants oui…mais donc déjà avant 68 j’étais attiré par les comités Vietnam de base qui étaient plutôt, où j’avais des copains et que je…
 
RG : Toujours à Nancy ?
 
HB : Toujours à…
 
RG : Ou à Paris maintenant ?
 
HB : Toujours à Nancy et après à Paris parce que  juste en, à la fin de 67 j’ai été faire un stage chez Planchon à Villeurbanne
 
RG : Oui
 
HB : et donc, de théâtre et donc il y avait, je suis rentré à paris, j’avais une amie qui était dans le comité Vietnam de base et donc je me suis rapproché mais j'étais pas dans une organisation, j'étais  dans…
 
RG : D'accord, d'accord
 
HB : C’était juste une mouvance…
 
RG : La mouvance oui
 
HB : Une mouvance et dans le théâtre, au, à l’université des Théâtres des Nations qui était installé au Châtelet au-dessus du Théâtre de la Ville. Il y avait beaucoup de courants de théâtre radical, de ce qu’on appelait le théâtre radical à l’époque c'est-à-dire très influencé par ben ce théâtre radical américain 
 
RG : Mais radical dans quel sens ?
 
HB : Mais de grandes troupes qui jouaient dans, dans les, qui étaient militantes aux Etats-Unis
 
RG : Oui
 
HB : contre la guerre du Vietnam
 
RG : D'accord
 
HB : et donc nous ça nous fascinait
 
RG : Tout à fait
 
HB : ce théâtre-là
 
RG : Est-ce que vous avez des camarades de cette époque-là qui, qui, avec qui vous êtes resté dans le, dans, dans votre carrière de, d’engagé si vous voulez, est-ce ?
 
HB : Non après il y a eu les, il y avait beaucoup dans cette université internationale des Théâtres des Nations
 
RG : Oui
 
HB : il y avait beaucoup de, de sud Américains
 
RG : Oui
 
HB : il y avait aussi des metteurs en scène comme Victor Garcia, c’est toute une époque de théâtre qui faudrait que je me replonge dedans
 
RG : Oui
 
HB : qui a donné beaucoup de, de gens sont repartis en Amérique Latine et après je les ai totalement perdus de vue et quelquefois trente ans après il y a quelqu’un qui m’appelle en me disant « tu te rappelles »…Mais parce que  moi j’ai pris à ce moment-là, j’ai créé une troupe de théâtre qui s’appelait le, j’étais euh, comment on appelle ça, surveillante pionne
 
RG : Oui
 
HB : dans un lycée en banlieue à Clamart et donc j’ai créé la troupe du théâtre lycéen dans le théâtre, dans le lycée et donc on  est allé jouer dans les banlieues, dans les, dans les...On a créé une troupe aussi on faisait avec une, une, j’ai été au, enfin c’est un peu compliqué à expliquer, mais ça c’est après 68
 
RG : Oui
 
HB : J’ai été au Comité d’action du 14ème
 
RG : Oui
 
HB : et donc là j’ai rencontré Monique Frydman qui est une grande peintre aujourd’hui et, on a créé une troupe, elle a fait des énormes marionnettes et donc on s’est lancé dans le, le théâtre de rue
 
RG : D'accord
 
HB : Et donc on a, j’ai monté des pièces dans ce lycée, faudrait, j’ai même pas gardé tous les articles qui a eu sur cette époque-là
 
RG : Oui
 
HB : et donc les, c’est comme ça que l’organisation maoïste, les Maos spontex, Vive La Révolution
 
RG : Oui
 
HB : qui était très culturelle après 68 dans tout le panel du gauchisme sont venus nous trouver pour qu’on aille jouer à Renault Flins
 
RG : Ah oui d'accord  
 
HB : parce qu’il y avait le, le scandale du trafique d’embauche, l’attaque de la mairie de Meulan
 
RG : Oui
 
HB : et c’est comme ça que je me suis greffée avec un groupe qui était Vive La Révolution
 
RG : D'accord
 
HB : et qu’après je me suis établie quand il y a eu l’établissement, qu’on a été habité…
 
RG : Oui c’est ça que vous racontiez dans votre…
 
HB : Voilà
 
RG : Votre, votre livre, n’est-ce pas…
 
HB : Voilà, alors
 
RG : c’est, c’est qui en particulier qui vous a recherchée, vous a fait, vous a, vous, vous a intégrée dans ce groupe qui…
 
HB : Ben le…
 
RG : Vive La Révolution
 
HB : Ben le, le, la, Vive La Révolution qui était cette orgnan… ce mouvement parce que  c’était pas vraiment une organisation
 
RG : Oui
 
HB : L’histoire de Vive La Révolution mais là il faut repartir en arrière, c'est-à-dire c’est au moment de l’éclatement de l’UJC(ml)
 
RG : Oui
 
HB : Cette fameuse UJC(ml) de l’École de la rue d’Ulm
 
RG : Oui
 
HB : qui a explosé et, et qui a donné plusieurs groupes dont la Gauche Prolétarienne
 
RG : Oui
 
HB : Vive La Révolution avec Roland Castro, Tiennot Grumbach enfin nos cadres comme on disait de, du mouvement VLR qui était beaucoup plus dans la ligne du mouvement du 22 Mars
 
RG : Oui
 
HB : que dans la ligne de politique de La Cause du Peuple
 
RG : Oui
 
HB : Là il avait une extraordinaire divergence  entre eux
 
RG : Oui je vois
 
HB : Donc…
 
RG : Et selon vous, quelle était l’idée ou quelles étaient les idées principales ou les, la vision principale de Vive La Révolution, c’était quel genre de révolution qu’ils, à laquelle ils pensaient ?
 
HB : On était très, il faudrait repartir dans tous les, les textes du journal Tout
 
RG : Oui
 
HB : qui avait à l’époque, c’était quand même une expérimentation de la démocratie de la parole  
 
RG : Oui
 
HB : de l’agitation, de la spontanéité, des femmes, du mouvement de la jeunesse, de la musique, enfin de tout, quelque chose de beaucoup plus vivant et joyeux que l’organisation de La Cause du Peuple qui était très avant-gardiste justement à ce…
 
RG : Oui
 
HB : Complètement militaire, c’est…
 
RG : Donc une révolution culturelle
 
HB : Voilà
 
RG : plus qu’une révolution, aussi bien qu’une révolution politique
 
HB : Voilà
 
RG : Oui
 
HB : et d’ailleurs bon, il me serait pas venu à l’idée d’aller rejoindre La Cause du Peuple pourtant j’ai été dans des endroits  où ils étaient là, parce que  c’était tellement militaire et rempli de mecs et il n’y avait pas de femmes, à peine. Enfin si, il y en avait mais disons même dans ces années-là une...Mais Roland Castro vous parlerait de ça mille fois mieux que moi
 
RG : Oui
 
HB : Parce que  nous on était quand même que des militants de base donc on avait pas, c’est après que j’ai commencé à réfléchir à tout ça donc euh, il y avait quand même on pourrait dire, moi quelquefois je dis les bolcheviques, les mencheviques, les socialistes révolutionnaires, en fait il y avait, ça se rejouait comme ça c’est toujours rejoué dans toute les révolutions
 
RG : Tout à fait oui
 
HB : Donc il y avait la, la, la vision militaire de l’engagement et une vision beaucoup plus culturelle de l’engagement dans lequel moi j’ai été
 
RG : D’accord
 
HB : et que j’ai en plus expérimenté par le théâtre
 
RG : Oui d'accord
 
HB : dans ces années-là
 
RG : Donc vous êtes, vous êtes venue à Flins c’était en…
 
HB : Soixante…
 
RG : C’était en 70 ?
 
HB : Oui voilà je crois en 70
 
RG : Oui…et dans votre livre vous, vous vous êtes, vous racontez que vous étiez à Gargenville
 
HB : Oui c’est une petite ville à côté de Flins
 
RG : Et comment ça s’est passé la vie quotidienne par là à l’époque ?
 
HB : Ben c’était encore, on était encore dans l’esprit de mai parce que…
 
RG : Oui
 
HB : Jusqu’à 75, même pas en 75 peut-être, parce que  mon livre est paru en 75 donc là c’était déjà les, la fin, donc disons c’était post 68, juste après 68 donc il y avait encore une espèce de, de grande liberté utopique
 
RG : Oui
 
HB : Dans tout, tout, pendant ces années-là, il y avait cette sorte, ce désir de ce, de combler l’écart
 
RG : Oui
 
HB : et donc d’aller à côté des usines ou dans les usines ou dans les campagnes, enfin si vous étudiez tout ça…
 
RG : Oui, oui
 
HB : il y avait tout un mouvement de rapprochement, est-ce que c’était une forme de populisme à la, à la russe enfin. Je ne prend pas le, je prend le mot populisme
 
RG : Oui
 
HB : pas au sens négatif mais plutôt mystique d’aller se rapprocher du peuple ou d’être dans le peuple ou, au sens des populistes russes
 
RG : D'accord, non je comprends bien
 
HB : des, de la fin du XIXeme siècle
 
RG : Est-ce que, est-ce que c’était pas difficile d’avoir des rapports avec, avec des ouvriers dans ces, dans ces usines ? Ça se passait comment, parce qu’il y avait certains maos qui s’étaient établis ouvriers mais là on parle de Base Ouvrière, j’ai jamais compris ce que c’était exactement ce que c’était la Base Ouvrière à Flins, comment ça s’est passé ?
 
HB : Mais c’était un, c’était une organisation très souple, c’était pas du tout justement un, un groupe, c’était même pas…(on sonne à la porte)
 
RG : Pe vais pauser si vous voulez….alors…
 
HB : Je ne sais vous entendez, vous avez vérifié ça marche ?
 
RG : Oui je, oui ça marche enfin, je suis certain, je suis quasiment certain on verra après…donc pour revenir à, à la, à Flins et la base
 
HB : Ben c’était, la Base Ouvrière c’était un, une organi, c’était même pas une organisation c’était, nous on était dans une idée de mouvement, se mettre en mouvement
 
RG : Oui
 
HB : Donc c’était très large
 
RG : Oui
 
HB : C'est-à-dire il y avait des, des gens de la CFDT, on est, on était beaucoup plus en lien avec les, les syndicalistes de la CFDT qu’avec la CGT parce que, ces, si je me souviens bien dans ces années-là
 
RG : Oui
 
HB : La CGT détestait évidemment euh les soixante, les…
 
RG : Les gauchistes
 
HB : Les gauchistes
 
RG : Oui
 
HB : Donc il y avait, c’était d’ailleurs le début de la fin de, parce que, on était anti, quand on dit on était anti-autoritaire, on était anti-totalitaire mais, mais on le savait pas à l’époque parce que on n’avait pas encore lu Hannah Arendt. Mais c’était un mouvement, toute la France était en mouvement de tout façon
 
RG : Oui, oui d'accord
 
HB : Donc tout le monde d’ailleurs entier était en mouvement donc même ce qui s’était passé en Tchécoslovaquie à ce moment-là, l’arrivé des chars russes donc il y avait vraiment quelque chose du communisme qui, qui dans lequel on n’était pas
 
RG : D'accord
 
HB : On n’était non seulement pas dans le communisme, mais on, on quand on était, on n’était pas anti-communisme mais on parlait d’un communisme de la liberté
 
RG : Anti-stalinien
 
HB : Anti-stalinien mais on n’était pas en même temps trotskistes
 
RG : Non
 
HB : qui eux étaient anti-staliniens depuis 50 ans donc
 
RG : Oui d'accord
 
HB : Nous on était, pourquoi on était Maos, Maos spontex, c’était une vision de la révolution culturelle qui n’avait aucun rapport évidemment avec ce qui se passait en Chine, c’était complètement fantasmatique, c’était la révolution culturelle
 
RG : Oui
 
HB : Donc c’était une vision un peu évangélique
 
RG : Tout à fait
 
HB : de l’amitié, de la fraternité comme on a aujourd’hui, tout le monde reparle de ça mais pourquoi on a fait une commune à Gargenville, c’était la tendance kibboutz de, de
 
RG : Oui, vous vous appeliez ça l’époque une commune ?
 
HB : Ben, on n’appelait pas ça une commune non plus
 
RG : ou une communauté ?
 
HB : Une communauté oui on le disait mais on n’était pas du tout attaché à la définition de quelque chose
 
RG : Oui
 
HB : Donc ce qui nous intéressait c’était la démocratie directe devant, parler…
 
RG : Oui
 
HB : Ça c’était issu directement du grand bonheur qu’à été mai 68, de parler dans les rues, parler à la sortie des usines, parler, prendre la parole
 
RG : Donc ça se passait à la sortie des usines, dans les cafés…
 
HB : Voilà, prendre la parole   
 
RG : Oui
 
HB : Et ça par exemple on était très inspiré aussi par les mouvements américains évidemment
 
RG : Oui
 
HB : Les mouvements de Lotta Continua, on était même allé en Italie  
 
RG : Ah oui
 
HB : mais leur…
 
RG : A quel moment ?
 
HB : dans ces années-là. On est allé à un congrès de Lotta Continua à, à Gènes je crois, donc, où il y avait tous les Italiens. Ils s’installaient dans les usines et ils discutaient et tout ça, c’était par rapport à la, à La Cause du Peuple qui eux étaient clandestins déjà et militaires
 
RG : Oui
 
HB : et qui eux se ne montraient pas, nous on disait qu’il fallait se montrer
 
RG : D'accord
 
HB : Il fallait être là, il fallait discuter, créer, c’était de la démocratie directe, c’est une vision, mais tout ça était très spontané donc il y avait pas de vision, il n’y avait pas de dogme     
 
RG :  D'accord
 
HB : Il n’y avait pas une ligne politique
 
RG : D'accord
 
HB : C’était ouvert et donc on avait l’impression de, de, de se transformer, de, de transformer nos rapports aux enfants, aux parents tout ça , de discuter, de tenter ça, de vivre ça…
 
RG : Oui, parce que…
 
HB : Maintenant avec le recul j’appelle ça la tendance kibboutz de
 
RG : Voilà, d'accord, d'accord 
 
HB : la tendance de mai, kibboutz de mai 68
 
RG : Parce qu’il y avait aussi une critique de la famille bourgeoise où vous vouliez aussi révolutionner les, les rapports entre individus, c’est ça ?
 
HB : Oui on espérait certainement de, de à mode, je vous dis c’était vraiment le mode de l’amitié
 
RG : Oui
 
HB : et du partage
 
RG : Oui
 
HB : Donc quelque chose, c’était pas tellement, il n’y avait pas tellement à la Base Ouvrière enfin dans, dans le souvenir que j’en ai, parce que  c’est toujours…
 
RG : Oui
 
HB : On a des éclats de mémoire et après on transforme et tout ça mais, on, je suppose quand on lit l’Espoir Gravé
 
RG : Oui absolument 
 
HB : On est plus plongé là-dedans que quand je le dis moi  
 
RG : Oui d'accord
 
HB : Et il n’y avait pas tellement non plus...il n’y avait pas la drogue, il n’y avait pas la révolution sexuelle dans le sens où on l’a dit après que c’était une révolution sexuelle où tout le monde couche avec tout le monde
 
RG : C’était pas ça ?
 
HB : C’était pas ça non plus, c’était plus. Il y avait beaucoup de liberté effectivement, c’était l’éloge de l’amour mais en même temps dans cette communauté on a fait l’expérience des limites, c’est pour ça qu’après ça a explosé aussi, c'est-à-dire que l’amour est fondamentalement exclusive
 
RG : Oui
 
 
HB : On ne peut pas se, on ne peut, on ne peut pas vivre, enfin que la jalousie excite par exemple
 
RG : Oui d'accord
 
HB : Voilà donc c’est, c’est une expérience intime, c’est comme une éducation sentimentale et on était très jeune, aussi on avait, bon on voulait combattre la jalousie justement au sens d’avoir des relations plus fraternelles entre les femmes
 
RG : Oui
 
HB : de ne plus être dépendantes du désir des hommes, etc, etc, mais je ne me souviens plus très bien de ce qu’on pouvait dire à cette époque-là
 
RG : Mais ça se passait comment au point de vue, là où vous habitiez c’était une grande maison ou, à, à ?
 
HB : Gargenville
 
RG : Gargenville, comment ça se passait cette communauté ?
 
HB : Ben je crois que vous trouverez ça mieux dans l’Espoir Gravé
 
RG : Oui
 
HB : Moi j’ai un peu oublié maintenant
 
RG : Non, d'accord
 
HB : C’était…c’était une maison avec plusieurs pièces, il me semble qu’on, on avait un pot commun d’argent
 
RG : Oui
 
HB : On a trouvé du boulot au début
 
RG : Ah oui
 
HB : après qu’on était entièrement repéré par les Renseignements Généraux donc on ne trouvait plus de travail même par les boîtes intérim
 
RG : Oui
 
HB : Donc on a trouvé par exemple un moment où on a été embauché à l’usine Renault à la cantine
 
RG : Oui
 
HB : Ce n’a pas duré longtemps parce qu’on a été immédiatement dénoncé, donc après on a été  assez étranglé  économiquement parce qu’on trouvait plus de boulot
 
RG : Oui d'accord, d'accord
 
HB : Il y avait, il y avait une femme avec des enfants donc on s’en occupait tous, je vous dis tendance kibboutz
 
RG : Oui
 
HB : Il y avait des histoires d’amour dans la maison mais aussi à l’extérieur de la maison, il y avait aussi des hommes dans la maison, nos amoureux
 
RG : Oui
 
HB : Donc c’était pas une maison de femmes, mais il y avait un noyau de femmes amies, enfin les…
 
RG : Lesquelles en particulier ?
 
HB : Ben, celles qui, qui, on était très amies quoi, on était, c’était complètement, il n’y avait pas d’organisation
 
RG : Non, non, non vous citez
 
HB : Donc n’a même pas fait un noyau au sens
 
RG : Oui d'accord
 
HB : C’est simplement des, des affinités électives ou je ne sais pas
 
RG : Oui d'accord, d'accord… mais est-ce que vous, est-ce que ?
 
HB : Il y avait une grande amitié
 
RG : D'accord
 
HB : et donc c’est vrai que, il y avait par exemple une autre maison dans la Base Ouvrière
 
RG : Oui
 
HB : qui était à Mantes-la-Jolie
 
RG : Oui
 
HB : où il y avait Tiennot Grumbach, où il y avait, là c’était le noyau si on peut dire mais c’était formel, c’était plus des hommes
 
RG : D'accord
 
HB : Donc…mais c’était pas une maison de femmes non plus, c’était pas une maison d’hommes non plus, donc c’était…
 
RG : Et dans la vie quotidienne il y avait une sorte de, de vision de travail traditionnel, enfin les femmes faisaient la cuisine et tout ça ou non c’était partagé…
 
HB : Non, non ça c’était partagé
 
RG : Tout était partagé
 
HB : Tout était partagé oui, on écoutait beaucoup de musique, on discutait et il y avait beaucoup de gens qui passaient nous voir parce que  c’était une époque où il y avait aussi d’autres groupes comme des militants de Rouge, des militants de la CFDT donc c’était un, une sorte de foyer de, et puis on faisait des actions, on se levait le matin, on allait distribuer des tracts, mais je me souviens plus, peut-être quelqu’un a gardé toute la…
 
RG : Non d'accord
 
HB : la mémoire de ça
 
RG : D'accord, d'accord     
 
HB : Tiennot Grumbach par exemple qui est devenu un grand avocat
 
RG : Oui, oui
 
HB : lui il a gardé toute la mémoire de cette époque
 
RG : Oui
 
HB : donc là vous pouvez avoir des éléments
 
RG : Oui, oui tout à fait, non  mais votre, votre point de vue est aussi important
 
HB : Moi j’ai un peu le, le souvenir d’une grande sincérité, de beaucoup de, beaucoup d’affection quoi, de, un espèce d’élan, un peu théâtrale, c’était un peu théâtral, mais comme moi j'étais  dans le…
 
RG : Comment ça, oui ?
 
HB : dans, la représentation de, c'est-à-dire qu’on vivait au grand jour ça
 
RG : Oui
 
HB : et on, et on se donnait en spectacle au fond puisque la maison était ouverte
 
RG : Oui d'accord
 
HB : Il me semble que c’est ça que je raconte dans le livre
 
RG : Oui tout à fait et…
 
HB : C’est bien c’est pas, on…
 
RG : Plus précisément vous, vous parlez de, du théâtre de…
 
HB : Pour montrer l’exemple
 
RG : Vous avez fait venir le Théâtre du Soleil
 
HB : Voilà donc après il y aussi le Théâtre du Soleil qui est venu. On a organisé aussi des concerts, moi je me suis occupé d’un, d’un théâtre avec des enfants à Mantes-la-Jolie
 
RG : Oui
 
HB : Il y avait l’aspect culturel qui était très important mais en même temps c’était une époque ou le top du top c’était quand même de se faire embaucher à l’usine
 
RG : D'accord
 
HB : Mais, mais on n’y arrivait plus à un moment donné
 
RG : D'accord
 
HB : sauf effectivement ce que faisait La Cause du Peuple qui eux était clandestin
 
RG : D'accord
 
HB : et c’était fait embaucher comme des ouvriers donc ne pouvait pas être repéré comme gauchiste
 
RG : D'accord
 
HB : Donc ce qui était tout à fait impossible pour nous, même si on a réussi à un moment donné à travailler même un mois dans un boulot
 
RG : Oui
 
HB : Mais c’était impossible parce qu’on était totalement fiché et repéré
 
RG : D'accord
 
HB : Donc on ne pouvait pas se faire embaucher dans les usines, notre groupe
 
RG : Et en ce qui concerne les, les, les gens…
 
HB : Il y a eu une émission vous avez, vous pouvez chercher là il y a France Culture qui a fait trois émissions sur il y a pas longtemps, qu’elle a appelé les établies
 
RG : Ah oui d'accord
 
HB : et ils sont venus me voir. Alors moi j’ai expliqué que c’était presque un établissement culturel. C’est pas au sens des établies qui ont réussi à être établis pendant des années
 
RG Oui
 
HB : Des militants de La Cause du Peuple ou des, des trotskistes ou des, l’utopie ouvrière ou je ne sais pas quoi
 
RG : Oui
 
HB : Tous les groupes qui sont vraiment très ouvriéristes qui étaient à l’usine mais qui n’étaient pas repérés en tant que militants gauchistes
 
RG : D'accord, et dans vos rapports avec les gens du coin. Il y avait des femmes, des femmes du coin, il y avait des ouvriers, des immigrés ? Comment ça s’est passé ?
 
HB : Ben c’était très, je vous dis, c’était, c’était pas une organisation
 
RG : Non
 
HB : Donc on n’était pas en train de prêcher dans le peuple pour créer une organisation
 
RG : Oui
 
HB : C’était un courant, un mouvement
 
RG : Oui d'accord
 
HB : La Base Ouvrière, évidemment il y avait tout le côté se rapprocher du monde ouvrier, mais il y avait pas, en plus pourquoi Flins, parce que  justement la CGT n’était pas très puissante donc il y avait tout ce concept si je me souviens bien
 
RG : Oui
 
HB : que développait VLR
 
RG : Oui
 
HB : dans le journal Tout
 
RG : Tout oui
 
HB : qui était « la France sauvage », c'est-à-dire celle qui n’est pas encore embrigadée dans les syndicats
 
RG : Oui d'accord
 
HB : comme la CGT, pas sauvage au sens euh mais qui n’a pas encore, qui n’est pas encore passé dans le moule de la CGT, donc qui est plus libre, mais c’est complètement mouvement spontanéiste
 
RG :Oui
 
HB : de, de ces années-là
 
RG : Oui
 
HB : de 68, de cet esprit, après on peut toujours revenir dessus en se trouvant, moi j’ai cherché des filiations littéraires avec les surréalistes et tout ça mais
 
RG : Oui, oui
 
HB : C’était... il ne faut pas oublier qu’à l’époque toute la France était euh je ne trouve pas le mot, pas imbibé mais tout le monde vivait de, de cette idée de la contre-culture  
 
RG : Oui
 
HB : On était dans la contre-culture, mais aussi aux Etats-Unis, en Angleterre je suppose, qu’on allait créer une contre-culture, qui excitait d’ailleurs, cette contre-culture existait
 
RG : Donc par exemple en quoi consiste la contre-culture, la musique, certains livres…
 
HB : La musique, la façon de s’habillait, d’aller, on s’habillait tous aux puces, on recyclait ce qui est devenu maintenant, que je vois mes enfants qui appellent ça « vintage », nous on faisait, on était déjà vintage à l’époque contre évidemment, il y avait aussi la critique de la société de consommation enfin tout ça, toutes ces années-là
 
RG : Oui d'accord
 
HB : J’ai un souvenir que, il y avait beaucoup de, joyeuseté
 
RG : Oui
 
HB : Même si après on s’est mis à souffrir parce que le, l’étau s’est resserré et puis aussi on grandissait dans nos têtes et donc on voyait bien que c’est, la fin. Je n’arrive pas à m’en souvenir sauf que j’allais directement en analyse voilà
 
RG : Ah bon 
 
HB : Mais donc, mais je sais
 
RG : En quelle année ça ?
 
HB : 73-74, je me souviens…
 
RG : C’était moins courant à l’époque
 
HB : Je me souviens même pas comment tout ça s’est dénoué, je ne sais plus donc ça dû être douloureux
 
RG : Oui tout à fait
 
HB : Le, la façon dont tout s’est dénoué, je ne me souviens même pas comment j’ai écrit l’Espoir Gravé, c’est quand même extraordinaire
 
RG : Absolument
 
HB : Je ne sais pas
 
RG : Mais ça, c’est à partir de, de votre analyse de vous-même
 
HB : Ça a dû être un élan
 
RG : Oui
 
HB : Enfin je ne vois pas le moment où je me suis mis à une date pour l’écrire
 
RG : Ah bon
 
HB : C’est très étrange
 
RG : Très étrange
 
HB : Et donc j’ai écrit…
 
RG : Et pourquoi vous l’avez fait…
 
HB : Je devais avoir une…
 
RG : Vous l’avez en 73, quelque chose comme ça ?
 
HB : Oui certainement, j’ai dû avoir une exigence intérieure telle que je l’ai écrit mais je ne me souviens plus mais en plus, évidemment quand on vieillit on perd la mémoire mais on a quand même des éclats de mémoires
 
RG : Oui tout à fait, tout à fait
 
HB : Donc je suis allé en analyse chez Lacan en plus, bon je le raconte très rarement
 
RG : Oui
 
HB : que j’étais chez Lacan
 
RG : Oui, Lacan lui-même
 
HB : Lacan lui-même, parce que  je, Roland Castro qui était en analyse chez Lacan m’a dit «  va chez Lacan ». Et donc je ne sais pas, je ne savais pas qui était Lacan mais il était très intéressé par les, les soixante-huitards justement, ceux qui avaient vécu cette expérience
 
RG : Parce que sa propre fille était soixante-huitarde non ?
 
HB : Oui peut-être donc il…
 
RG : Et son, son beau-fils, Miller non ?
 
HB : Mais c’était pas, je crois qu’à l’époque il était pas encore son beaux-fils
 
RG : D'accord, d'accord
 
HB : Je ne suis pas sûre
 
RG : D'accord
 
HB : Bien que son beau-fils était vraiment dans la tendance absolument dure du mouvement
 
RG : Oui
 
HB : La Cause du Peuple c’était la tendance dure, enfin moi c’est ce que je pense mais
 
RG : Oui, oui tout à fait
 
HB : bolchevique du mouvement (rire de RG et HB) les bolcheviques du mouvement mais je, j’en blague avec Olivier Rolin de...On a fait quand même des, il y a eu aussi une autre émission qui a été faite à France Culture il y a quelques années à partir d’une pièce de Michel Deutch qui s’appelait La Disparue enfin un scénario
 
RG : Oui
 
HB : et La Disparue c’est la révolution et donc où Blandine Masson qui dirigeait cette émission avait invité comme ça toutes ces figures, Olivier Rolin et puis moi où elle m’a fait lire quelques pages de l’Espoir Gravé
 
RG : Oui
 
HB : Comme ça donc tous ces courants de ces années-là et où on n’a, on n’a, on n’est revenu sur ce temps-là et sur la, enfin la radicalité de La Cause du Peuple qui était quand même un mouvement très violent, ce que nous n’étions pas à l’époque et ce que nous avons dû subir parce qu’ils se moquaient de nous à l’époque
 
RG : Ah bon ?
 
HB : Ils nous disaient qu’on été pas des vrai révolutionnaires donc
 
RG : spontex
 
HB : Voilà     
 
RG : Parce que  j’ai pas compris, j’ai pas très bien compris le terme de spontex, c’est quelque chose pour nettoyer, c’est…
 
HB : Non, sponta, spont, c’était une blague en fait, c’était la spontanéité
 
RG : La spontanéité oui d'accord, d'accord
 
HB : Mais qu’il ne faut pas institutionnaliser la spontanéité 
 
RG : Oui, mais quand ça s’est…
 
HB : C’est la vie
 
RG : Vous racontez dans votre livre comment ça s’est terminé. Et est-ce que vous à l’époque - je ne sais pas si vous pouvez repenser ça un peu - est-ce que, est-ce que vous pensez que cela a été un échec au point de vue, enfin la révolution n’a pas eu lieu, que ce soit une révolution politique ou culturelle. Vous avez essayé quelque chose qui n’a pas, qui a raté en quelque  sorte ou…
 
HB : Non moi je l’ai pas vécu comme ça
 
RG : Non
 
HB : bien que maintenant j’écrive là-dessus sur la question de l’échec mais c’est plutôt par rapport à l’échec général du communisme donc l’histoire du communisme. Donc après je suis allé  en Russie et que j’ai beaucoup réfléchi à la question du totalitarisme
 
RG : Oui
 
HB : Et que c’est une obsession chez moi, même de la part totalitaire qu’on a en soi
 
RG : Oui
 
HB : de vouloir, quand on est, quand on veut changer le monde ou changer l’homme etc. Donc je suis repassé par les années trente, la radicalité des années trente, je parle de la radicalité politique pas de la radicalité esthétique mais c’est…
 
RG : Oui
 
HB : Je me suis beaucoup intéressée au Congrès des écrivains de 1935, la façon dont la rupture entre les surréalistes et les, Aragon et la question des compagnons de route  et tout ce qui s’est passé en Russie après avec les tous les grands poètes comme Mandelstam et Pasternak et Tsvetaeva et tout ça donc
 
RG : Oui
 
HB : C’est, c’est ca c’est le, le fruit de mes médiations. Mais je pense que c’est justement a cause de cette radicalité si on peut dire des années 68 ou de la question de la révolution, euh en même temps il y a la Révolution des œillets, il y a eu des révolutions qui se sont passées sans violence
 
RG ; Oui
 
HB : La chute du mur de Berlin 
 
RG : Oui d'accord
 
HB : Donc pour moi c’est dans l’esprit, mon esprit de 68 serait la quoi…
 
RG : D'accord…donc vous êtes aller en Russie a quel moment ?
 
HB : Dans les années 90
 
RG : Oui, après, après la chute du…
 
HB : Oui  
 
RG : du mur
 
HB : Mais pour, qu’est-ce que vous me posiez comme question sur 68 ?
 
RG : Non, mais si, si vous pensez que la révolution de, avait été un échec…
 
HB :Ah oui sur la question de l’échec…
 
RG : de votre point de vue
 
HB : Le, est-ce le, c’est quelque chose auquel je réfléchis de, le coté joyeux, je vais vous donner des textes que j’ai écrits sur, le coté fraternel et joyeux de mai 68, que c’est plutôt l’expérience du tragique
 
RG : Oui
 
HB : C’est pas l’échec mais c’est l’expérience du tragique, on dit le, je ne sais plus qui a dit ça, le tragique c’est la fête retombée quoi
 
RG : Oui
 
HB : C'est-à-dire c’est plutôt le tragique dans l’histoire quoi
 
RG : Oui d'accord
 
HB : C’est plutôt ça mon expérience, pas l’échec c’est l’expérience du tragique
 
RG : D'accord
 
HB : dans l’idée de la révolution et après c’est pour ça que j’ai beaucoup pensée à tout ça mais ça n’enlève rien. Par exemple, je me suis toujours étonnée que les trotskistes soient toujours aussi nombreux en France
 
RG : Oui
 
HB : qu’il y ait tellement de groupuscules trotskistes, c‘est quelque chose qui m’étonne
 
RG : Oui, pourquoi ?
 
HB : alors, parce qu’en même temps ils sont liés a l’anti-stalinisme
 
RG : Oui
 
HB : et en même temps ils sont dans une langue de bois terrible et ils ont jamais mené jusqu’au bout la critique de la révolution russe
 
RG : Oui ils sont….
 
HB : Parce que s’il y avait eu …
 
RG : Ils ont un côté totalitaire vous voulez dire
 
HB : Voilà
 
RG : Oui
 
HB : C'est-à-dire ils n’ont pas été jusqu’au bout  de la pensée, qu’est-ce que c’est que la pensée totalitaire et je pense qu’on y ait même pas tous arrivée même à comprendre tout ça
 
RG : Oui
 
HB : Mais, pourquoi en France il y a eu les massacres de septembre en 1793 ? Donc ça c’est des choses on ne peut pas, la révolution, qu’est-ce que c’est la révolution, donc c’est, moi c’est des trucs qui m’habite donc je ne sais comment on peut…
 
RG : Oui
 
HB : C’est un questionnement disons. Mai 68 m’a ouvert une sorte de questionnement sur l’histoire
 
RG : Oui
 
HB : mais aussi sur, je pense qu’on ne peut pas faire l’économie de ça…pour comprendre qu’est-ce que c’est que la révolution, en même temps on pourrait se dire, « serais-je devenue juste une progressiste ou une humaniste ou une, ou alors est-ce que j’ai peur des conflits, de la violence tout ça ? » Je ne l’ai pas résolu on plus en analyse mais c’est…
 
RG: Non
 
HB : L’analyse m’a conduit à écrire c’est tout
 
RG : D'accord, mais vous aviez déjà écrit l’Espoir Gravé ou ça c’est …
 
HB : C’était dans ces, a ce moment la parce que moi je me souviens que je l’ai donné a Lacan ce livre
 
RG : D'accord
 
HB : Et Lacan l’a pris et l’a jeté en riant et il m’a dit «  et maintenant »
 
RG : Ah bon, pourquoi ?
 
HB : Ben c’était, « qu’est-ce que vous allez faire maintenant ? Est-ce que vous allez continuer à écrire ? » Enfin moi c’est comme ça que je l’ai  interprété
 
RG : Oui
 
HB : Mais après il m’a dit que c’était très bien, il m’a remontré le…
 
RG : Il l’a lu quand même
 
HB : oui puisqu’il m’a dit, la fois d’après il m’a dit, « c’est bien ». Alors c’est bien aussi parce qu’il a un article dans Le Monde, et j’ai dit mais c’était pas un article extraordinaire. Il m’a dit ça fait rien : l’importance c’est qu’on en parle, ça c’était, c’était…
 
RG : C’était bien, enfin quelle était la réception de livre à la fois par vos camarades et un public plus large ?
 
 
HB : Il a été très, très bien...ça a très, très bien marché
 
RG : Oui
 
HB : Enfin moi, j’ai que des critiques formidables
 
RG : Oui
 
HB : Par contre les camarades, non
 
RG : Non ?
 
HB : Je crois qu’il y avait un sentiment de captation de l’histoire. Donc je pense que on m’en a beaucoup voulu, bien que je, enfin je l’ai raconté sur le mode romanesque, mais je pense que c’est toujours comme ça
 
RG : Oui
 
HB : A partir de quel moment quelqu'un raconte l’histoire peut-être. Cette histoire de mai 68 est tellement plurielle
 
RG : Oui
 
HB : Tellement gigantesque donc personne peut capter ou
 
RG : D'accord
 
HB : cette histoire, j’ai raconté cette histoire, je n’ai pas reçue..Enfin si mes amis très proches ont aimé mon livre mais je ne sais pas comment ça été perçu. Je sais, j’ai su qu’il y avait beaucoup de gens qui n’avaient pas aimé la façon  dont je racontais l’histoire mais je pense que chacun, c’est difficile, c’est pour ça que je vous dis  que ça, ça reste un souvenir coupable pour moi, je ne sais pas
 
RG : Coupable ?
 
HB : Oui, d’avoir écrit ce livre dont je, que je n’arrive pas à lire. Peut-être  qu’il y a comme ça comme on disait à l’époque des vibrations vous savez des mauvaises, je ne sais…
 
RG : Vos amis avaient le sentiment d’être trahis, ou critiqués, ou quoi ?
 
HB : Peut-être  que j’ai révélé dans ce livre des choses qu’on ne veut pas dire ou je ne sais pas, je vous dis « je », on n’est pas obligé de, enfin j’ai pensé que…qu’il y avait la grande question de ces années-là, après 68 où on était un « nous », un « nous », un « on », et que après on devait réfléchir à, au « je ». Donc retrouver son « je », donc le rapport entre le « on », le « nous », le « je »  est toujours aussi présent
 
RG : Oui
 
HB : Comment ça se, comment ça se, comment ça s’articule le « je », le « nous », le « on » ? Par exemple quelque fois j’entends des, des, des gens, enfin même des intellectuels qui disent « a cette époque, on était » 
 
RG : Oui
 
HB : Et j’ai envie de dire non, on ne peut pas dire « on », parce que même le « nous » est douloureux
 
RG : Oui
 
HB : Parce que c’est, « on » est toujours en train, le « je », le « nous ». Où est-ce qu’il y avait du « je », ou est-ce qu’il y avait de l’ensemble, c’est vrai que c’est, c’est très compliqué ce qui se passe entre les êtres
 
RG : Ah oui d'accord
 
HB : Enfin l’espace de la démocratie-là, Hannah Arendt qui dit c’est entre la, la politique c’est « entre », donc qu’est-ce qui se passe « entre », parce que le « nous », en même temps moi j’ai très peur du « nous » 
 
RG : Oui
 
HB : La Révolution russe, « les nôtres »et tous ceux qui n’était pas « des nôtres » on les, on les envoie au goulag
 
RG : Voilà
 
HB : Donc c’est, c’est très difficile
 
RG : Oui
 
HB : Le « nous », le « je », …
 
RG : Oui d'accord
 
HB : Donc, et parler au nom de soi, c’est aussi très compliqué parce que, que je, je, je crois que j’ai écrit dans un autre livre que l’enfer c’est pas les autres, c’est soi. Donc, donc tout ça c’est comment, qu’est-ce qui fait le lien, à quel moment, j’ai très peur des grandes unanimités
 
RG : Oui
 
HB : Donc, même tous les grands meetings qu’il y a en ce moment, je ne sais pas c’est, d’ailleurs c’est drôle que ça revienne cette question de 68…68 c’était multiple
 
RG : Oui d'accord 
 
HB : C’est pas une chose c’est…
 
RG: Oui je comprends
 
HB : totalement multiple, donc maintenant il y a des mémoires multiples, comme les hommes sont multiples
 
RG : D'accord
 
HB: Donc il n’y a pas de, il y a toutes sortes de mémoires et toutes sortes d’insinances. Moi ce qui m’intéresse c’est la littérature et la poésie vraiment
 
RG : Donc après vous avez commencé votre analyse, vous êtes revenu sur 68 ou sur votre passé, ou sur votre enfance ou…
 
HB : mais non j’ai écrit les autres livres-là, alors Dérive Gauche
 
RG : oui
 
HB : Les Mots de Passe et puis Châtelet-les-Halles, j’ai toujours eu cette, ce goût de, de l’amitié et de l’effervescence, et du mouvement ça
 
RG : Oui, donc je vais certainement lire ces livres
 
HB : Donc il y a, de ces années-là, c'est-à-dire de tout ça, de…  
 
RG : Et le théâtre ?
 
HB : Le théâtre après j’ai plus du tout fait de théâtre non, je ne suis pas revenu au théâtre…
 
RG : Parce que ?
 
HB : Une fois je suis revenu, une fois que j’ai, je ne sais pas, parce que je me, je ne me visionnais pas comme créant une troupe de théâtre où c’était, pourtant il y a eu le théâtre lycéen, mais je crois que j’ai, j’ai…
 
RG : Qui était après, après ?
 
HB : Oui, que j’ai, ah non avant, avant Flins
 
RG : Avant Flins le théâtre lycéen
 
HB : Et de, je ne me visionnais pas comme une Ariane Mnouchkine ou, ça c’était mon, j’étais pas capable de, de, de diriger quelque chose. Donc c’était, le théâtre c’était dans la même mouvance que 68, des éclats de, de moments, des moments de théâtre mais je n’en pouvais me...Je crois même que je suis restée totalement, je ne suis jamais devenue une écrivain professionnel. Quelque fois je me dit, c’est le, la profession, je, je, c’est quelque chose, je disais toujours  dans ces années-la mais je crois que ca me reste, je ne m’identifie, ne pas s’identifier a sa fonction
 
RG : Oui
 
HB : Donc tout ce que j’ai fait après qui était de rapprocher des mondes, comme l’architecture, la littérature
 
RG : Oui, oui
 
HB : Créer du lien, parce que après tout est, comme on se promène a Paris, on avec dans le monde du documentaire, dans le monde du cinéma, dans le monde de la littérature, tout ça c’est extrêmement séparé
 
RG : Oui
 
HB : Moi j’ai toujours circulé entre ces mondes en fait, parce que j’ai travaillé longtemps avec Frédéric Rossif, je faisais les textes de ces films
 
RG : Oui
 
HB : Donc tout ça moi j’adore tout ce qui fait passerelle quoi, tout ce qui
 
RG : Voilà
 
HB : crée du lien
 
RG : D'accord
 
HB : entre les mondes. Donc  peut-être  c’est, pourquoi c’est ça, peut-être  que c’est  ce qui me reste de mai 68, le passage entre les mondes
 
RG : Voilà, ben c’est très intéressant, oui
 
HB : C’est peut-être  ce qui me reste de plus fort de, de cette mémoire-la, et, et j’ai
 
RG : En vous écoutant… 
 
HB :  et tout ce que j’ai fait
 
RG : Oui
 
HB : de choses comme ces livres et tout c’est toujours créer, créer, enfin c’est une république imaginaire au fond
 
RG : voilà   
 
HB : une république des lettres imaginaires, de créer du lien entre ces choses. Et j’ai jamais réussi à m’identifier a une carrière d’écrivain ou a une carrière de je ne sais pas quoi. Donc je fais toujours des, ou quand  je suis invité a des ateliers  d’écriture dans des écoles d’architectures sur la ville, je leur fais découvrir les grands textes des, du Flâneur, le grand Flâneur de Baudelaire revue par Benjamin, la poésie, la façon d’habiter la ville. Est-ce que c’est aussi la, quelque chose d’un bout de mémoire situationniste, un bout de mémoire surréaliste tout ça ? Donc c’est, le, je suis plutôt habité comme ça
 
RG : Mais a l’époque en 68-70-71, c’était possible de faire le rapprochement entre ces différentes imaginations et après vous dites quelque chose s’est brisé, tombé en miettes c’est ça ?
 
HB : ben dans les années, après dans les années 80, les, toutes les toutes les, tout ces, mais peut-être que c’est toujours comme ça 
 
RG : oui
 
HB : que je suis une idéaliste totale de ne pas imaginer comme embrasser des carrières. Je ne sais pas, je pense qu’il y a une espèce de, de 68 en tout cas, quelque chose comme une sublimation de la marginalité
 
RG : Oui, dans quel sens ? 
 
HB : Ben de, ce qu’on appelait la contre-culture
 
RG : Oui
 
HB : La marginalité, c'est-à-dire de pas pouvoir adhérer a la carrière
 
RG : Oui, oui
 
HB : Donc après tout le monde a fait des carrières dans tous les domaines, c’est normale pour toutes les générations…      
 
RG : Sauf vous
 
HB : Sauf dans, au XIXeme siècle, Rastignac tout ça, le monde perpétuellement re-fabrique tout ça. Donc je pourrais m’interroger sur la position du poète, peut-être  je me suis rêvé comme ça quoi, mais, de rester en marge un peu et peut-être que, inconsciemment c’est une forme de fidélité à 68 je ne sais pas
 
RG : Donc que pensez-vous de, de ces gens dont on a parlé avant l’interview qui sont devenus journaliste, politique, cinéaste tout ça, enfin qui ont si vous voulez réussit dans une sorte de carrière publique ou médiatique
 
HB : de toute façon il n’y a pas eu vraiment,  je l’ai déjà écrit une fois, j’ai écrit au Monde une lettre parce qu’il y avait un article de Bertrand Poireau-Delpech qui disait que tous les soixante-huitards avaient été à la soupe quand Mitterrand a été élu. Et moi je pense que c’est faux de dire ça, enfin j’avais écrit comme ça, je ne pourrais pas vous retrouver le texte, je l’ai écrit au Monde en tout cas, c’est paru, je pense que à part Serge July, Brice Lalonde, et encore de tout façon il a fait un très grand journal, où il y avait une grande liberté de pensée
 
RG : Oui
 
HB : Donc Bernard Kouchner a créé Médecins du Monde, Médecins sans Frontières. Donc on n’a pas, on n’a pas, c’est pas des positions de pouvoir je veux dire, c’est des créations de…
 
RG : Oui
 
HB : de pensée      
 
RG : Oui
 
HB : L’écologie qui a été poursuivie, le droit à la ville et tout ça, c’était des idées qui étaient déjà en germe dans les années 60 donc. Mais le, par exemple Mitterrand disait qu’on était des crétins, nous les gens de 68, je ne pense pas que les gens vraiment de 68 ont été dans le pouvoir
 
RG : Non d'accord
 
HB : Je ne comprends pas cette critique
 
RG : Non
 
HB : Je pense même que le, même si le Parti Socialiste, Mitterrand a été élu parce qu’il y avait tout ce mouvement vers la gauche
 
RG : Oui
 
HB : et que donc la gauche a pu être au pouvoir
 
RG : Oui
 
HB : C’est grâce à ces années 60-70, mais je ne vois pas, enfin moi autour de moi par exemple je ne vois pas quelqu’un qui a été dans des positions de pouvoir
 
RG : D'accord
 
HB : Après il y a tous ceux qui devenus artistes, ils sont devenus artistes donc
 
RG : D'accord
 
HB : C’est, c’est des grands artistes quelques fois donc c’est, je ne vois pas, je ne comprends pas cette critique quand on dit la, « 68 a été au pouvoir », non
 
RG : Non d'accord
 
HB : Moi je, il y a eu le journal Actuel bon des grands journaux comme ça, mais pourquoi aurait-il été interdit de faire des journaux et ?
 
RG : Oui tout à fait
 
HB : C’est vrai
 
RG : Donc vous, vous…
 
HB : Mais je ne ressens pas, je viens de le, j’ai entendu un type à France Culture là
 
RG : Oui
 
HB : qui vient d’écrire un bouquin où il dit que pour lui les années 80 c’est la contre-révolution
 
RG : Oui
 
HB : donc moi j’aurais plutôt tendance à pensée que ces années 70 ont été complètement occultés y compris par le Parti Socialiste. Donc c’est maintenant que ça revient par, par Nicolas Sarkozy mais ces années 70 sont restés quand même très enfouis
 
RG : Oui, et pourtant les gens, les gens s’y intéressent temps en temps. Vous avez, vous dites vous-même que parfois les, les journalistes, enfin les historiens comme moi, ils arrivent pour en parler
 
HB : Oui parce que  c’est, c’est très énigmatique
 
RG : Oui
 
HB : Ces années 70 sont très énigmatiques
 
RG : Oui
 
HB : Donc il y a à la fois 68, tout, tout ce qui s’est passé après 68, je pense que en même temps 68 a été le début de la fin du Parti Communiste  en France
 
RG : Oui, oui
 
HB : Donc ça a joué un rôle très, très important
 
RG : Oui
 
HB : Après qu’est-ce qu’on a fait la plupart, des gens ont commencé à lire énormément bon Soljenitsyne, donc l’apparition  de cette question de la France de Vichy
 
RG : Oui, oui
 
HB : On a vécu depuis 20 ans là-dedans, la France de Vichy et le Goulag, ça été tous les grands livres qu’on a lus
 
RG : Oui
 
HB : Robert Antelme tout ça, c’est à ce moment-là qu’on s’est mis à lire ça
 
RG : D'accord
 
HB : Primo Lévi, donc je pense que la question du totalitarisme a occupé nos pensée pendant 20 ans, pendant que…
 
RG : Vous avez découvert le tota, le totalitarisme par Soljenitsyne ou par Arendt  ou les deux ?
 
HB : Les deux
 
RG : Les deux
 
HB : Mais plus, plus tardivement c’est dans les années 90 Hannah Arendt
 
RG : Ah oui d'accord oui
 
HB : Mais c’est vrai que, c’est même, je pourrais presque dire c’est maintenant que, que je suis un peu obsédée par ces questions aussi de, de…de l’engage...enfin c’est l’éternelle question de l’engagement, jusqu’où l’engagement, qu’est-ce que ça veut dire l’engagement
 
RG : Oui
 
HB : Moi je m’engage aujourd’hui pour la littérature et l’espace de la poésie, la poésie comme expérience donc. C’est ce qui me passionne, quand je peux transmettre quelque chose c’est ça, la littérature et la poésie donc
 
RG : Vous écrivez la poésie ?
 
HB : Non mais ça ne fait rien je peux transmettre…
 
RG : Oui d'accord
 
HB : de, de lire. Donc c’est, les années 70 sont complètements refoulées et quand elles, quand elles réapparaissent c’est toujours sous, elles sont toujours instrumentalisées par le politique, donc parce que  le Parti Socialiste n’est pas indemne de tout ça
 
RG : Non d'accord
 
HB : Ils ont critiqué aussi beaucoup 68 à des moments donnés donc, les années 70. Pourquoi on n’est pas devenu par exemple en France totalitaire comme en Allemagne et comme en Italie, pourquoi notre radicalité s’est arrêté, tout le monde s’est auto-dissout soi-même, tous les mouvements   
 
RG : Oui
 
HB : se sont auto-dissout
 
RG : Vous n’êtes pas, vous n’êtes pas tombé dans la violence, c’est ça 
 
HB : Eh ben oui, pourquoi même la, le plus violent comme La Cause du Peuple s’est auto-dissout aussi
 
RG : Oui
 
HB : Pourquoi ? la psychanalyse nous a aidé…parce qu’on a, on imagine mai 68 aurait pu tomber dans une violence comme en Italie et comme, comme en Allemagne
 
RG : Donc vous pensez que la plupart des, des soixante-huitards ont opté pour la psychanalyse plutôt que pour la violence ?
 
HB : Ah non je fais aucune généralité, aucune généralité ( rire de RG), chacun…
 
RG : Oui
 
HB : Je pense que Lacan a été une grande influence dans ces années-là
 
RG : Oui
 
HB : et que c’était un grand penseur anti-totalitaire
 
RG : Oui
 
HB : Je l’ai écrit, je le pense vraiment, donc…
 
RG : Quel a été son message pour vous, ou son…
 
HB : Non, la vérité n’est pas, n’est pas toute, enfin n’est…
 
RG : Oui
 
HB : n’est, c’est, c’est le rapport à la vérité, c’est cette question du rapport à la vérité
 
RG : Oui
 
HB : La vérité multiple donc dans, et la vérité ne fait que se médire. Et en plus on voit toutes ces phrases magnifiques qu’il dit toujours, qu’il a dit dans ces années-là qui ont une grande résonance de, du rapport à la vérité…d’accepter l’autre. Enfin il y a eu aussi tout, je pense qu’il y a eu beaucoup de, de, l’apparition de Levinas tout ça, ça a beaucoup, la question de l’autre, ce que, ce que autrefois Rosa Luxembourg avait posé comme question la liberté pour ceux qui pense autrement
 
RG : Oui, oui
 
HB : Donc le, le, toutes ces années-là, bon après, l’histoire des idées en France je ne sais pas. Mais j’ai toujours senti que dans les mouvements d’extrême gauche qui restaient comme les trotskistes ou même les altermondialistes, ils étaient pas allés au bout de cette question du totalitarisme et c’est pour ça qu’on avait toujours une extrême gauche comme ça en France
 
RG : Oui d'accord
 
HB : qu’il n’y a pas ailleurs
 
RG : Ils ne l’ont pas repensé comme vous
 
HB : Ben ils n’ont pas, ils sont dans ces schémas des avant-garde
 
RG : Oui
 
HB : Ça veut dire les avant-gardes qui détiennent  la vérité donc, c’est quelque chose qui, qui est en gestation dans toute la pensée toute façon aujourd’hui donc c’est, je ne suis pas originale en disant ça hein
 
RG : Non tout à fait mais certains qui ont fait cette critique du totalitarisme ont, ont  fini par être carrément à droite
 
HB : Oui
 
RG : Les gens comme Glucksmann par exemple
 
HB : Oui
 
RG : C’est pas votre cas ? 
 
HB : Non
 
RG : Non
 
HB : Non, ben de tout façon Glucksmann était extrêmement ambivalent
 
RG : Oui, comment ça ?
 
HB : Ben parce que, il a par exemple toujours regardé la Russie à travers le prisme du goulag
 
RG : O ui
 
HB : mais il n’a jamais regardé la Russie à travers le prisme de Pasternak, Tsvetaeva  et toute cette résistance morale intérieure qu’il y a eu en Russie, les grandes œuvres de, de Platonov et de tous ces écrivains extraordinaires qui nous ont rendu ce que ça pouvait être que la vie en Union Soviétique  dans des œuvres immenses
 
RG : Oui
 
HB : Donc lui, il a, et puis, lui, il a fait partie de cette tendance dure de mai 68
 
RG : Oui
 
HB : La GP
 
RG : Oui
 
HB : et, et justement il se retrouve cette, quelques-uns de cette mouvance ce retrouve de cette organisation, d’ailleurs parce que c’est une organisation, se retrouve derrière Sarkozy, c’est ça qui est étrange
 
RG : Oui
 
HB :bon moi je vous le dis parce que je le ressens comme ça mais c’est même pas encore détecté comme ça. Pourquoi une partie de 68 a pris le pouvoir dans la psychanalyse après Lacan, toujours transformant la psychanalyse de Lacan en une vérité, une et indivisible
 
RG : Oui
 
HB : à tel point que, que ça a même créé des tonnes de groupes
 
RG : Oui
 
HB : Que pourquoi on les retrouve, c’est, c’est, c’est, c’est…je ne sais pas les, une marre, quelque chose comme ça peut-être, bon évidemment j’ai un esprit plus libertaire
 
RG : Oui
 
HB : Si on cherchait des filiations mais c’est aussi je crois un rapport à la question de l’élite
 
RG : Oui
 
HB :  qui se pose beaucoup, c'est-à-dire qu’est-ce que c’est que l’élite, donc la figure de l’intellectuel, la figure de l élite, donc ces gens-là défendent une idée de l’élite qui est  pour moi dans, dans droit file de, de, de se désire des, des compagnons de route du politique, bizarrement
 
RG : oui
 
HB : ce truc étrange d’avoir tellement critiqué le stalinisme et puis de se retrouver conseillé du prince mais c’est un peu comme les néo-conservateurs aux Etats-Unis, ça c’est le rapport au pouvoir
 
RG : Oui tout à fait, tout à fait
 
HB : Mais c’est une extrême minorité, c’est quelques, mais c’est…
 
RG : Qui font du bruit
 
HB : qui font du bruit et cette, parce qu’après il y a eu l’apparition de l’intellectuel médiatique  etc., etc., donc moi on ne vient pas me, je ne suis pas une intellectuelle médiatique, je ne sais même pas si je suis une intellectuelle parce que je, tout ça, je suis complètement autodidacte si on peut dire
 
RG : Oui
 
HB : Même si je suis invité à faire des ateliers d’écriture dans les universités
 
RG : Oui, oui
 
HB : sur la question de la ville et…
 
RG : Oui
 
HB : et de habiter, de l’habiter, comme on habite le monde aujourd’hui mais, c’est…
 
RG : Vous allez rester libertaire
 
HB : Mais je ne suis pas non plus dans un groupe libertaire
 
RG : Non, non pas dans un groupe mais vous avez un esprit libertaire plutôt, je ne sais pas si ça se dit
 
HB : Mais c'est-à-dire que le rapport à l’autorité pour moi ne peut être que morale
 
RG : Oui
 
HB : L’autorité morale, c’est une grande discussion sur l’autorité
 
RG : Oui
 
HB : L’autorité, qu’est-ce que c’est l’autorité morale aujourd’hui ?
 
RG : Oui
 
HB : Voilà ça c’est une grande question pour moi
 
RG : Alors qu’est-ce que c’est ? 
 
HB : Ben l’autorité morale à ce moment-là c’est le souci de l’autre, c’est toujours effectivement la fraternité, l’injustice qui, que je ne supporte pas quoi…Et donc aussi dans la littérature de me poser des questions sur…Depuis des années on ne s’intéresse que, au mal dans l’homme, en généralisant le, le mal, l’homme est mauvais
 
RG : Oui
 
HB : donc on arrive jusqu’au Bienveillantes, le livre qui a eu tellement de succès, donc on va regarder à la loupe les hommes, moi je suis presque tolstoïenne à ce niveau-là c'est-à-dire que l’homme est aussi capable d’être résistant
 
RG : Oui
 
HB : Pendant la guerre, l’homme est aussi capable d’être bon donc voilà, ce n’est pas, quand on dit ça on apparaît comme un, un rousseauiste stupide mais…
 
RG : Non
 
HB : Moi c’est des choses qui, qui me, qui me bouleverse, donc je n’arrive pas a rentrer dans ce, cette logique même au niveau de la littérature, de, qui fait le succès de tous ces livres, d’aller...Bon tout le monde n’a pas été nazi, et l’homme ne porte pas forcément cette calamité en lui, même d’être. Il y a même des gens qui vont dire que si on été pris dans cette situation, on aurait fait la même chose
 
RG : Oui
 
HB : et ça moi non je ne peux pas
 
RG : Non
 
HB : Je ne peux pas, d’ailleurs les Anglais ont résisté de façon extraordinaire au nazisme pendant la guerre
 
RG : C’était pas la même chose
 
HB : Oui, bon il y a eu aussi effectivement des, des courants nazis pendant la guerre
 
RG : Oui
 
HB : en Angleterre mais…
 
RG : Oui tout à fait
 
HB : C’est, c’est intéressant parce que  c’est des questions, par exemple j’ai relu l’Espoir de Malraux
 
RG : Oui
 
HB : C’est un très bon livre l’Espoir de Malraux. Mais c’est toute la question des années, de la guerre d’Espagne, donc encore une histoire du stalinisme qui a, qui a liquidé tous ceux qui pensaient autrement quoi, c’est pour ça que je me suis passionné pour la Russie depuis…
 
RG : Voilà
 
HB : depuis 10 ans où j’ai beaucoup, beaucoup essayé de, ben je suis allé en Russie, je, travaillais un portrait de Boris Pasternak pour la télévision, là par exemple France Culture m’a demandé de faire, et je l’ai fait, une, une fiction en 10 épisodes de la correspondance de Pasternak entre Pasternak et Tsvetaeva, donc tout ça, ça me passionne
 
RG : D'accord
 
HB : Ces, ces…
 
RG : C’est pour retrouver un…
 
HB : ces grandes consciences morales russes que je trouve, quand on lit même Docteur Zhivago pour moi c’est un, un immense livre où il se pose les questions que nous, on a pu se poser après mai 68
 
RG : Oui
 
HB : Donc, qu’est-ce que c’est que cette énigme des régimes totalitaires ?
 
RG : Et je trouve que ça rejoint aussi votre, l’histoire de votre famille
 
HB : Oui alors qu’est-ce que c’est, qui était ma grand-mère mais ça je ne sais pas…les ombres et les lumières dans les familles…mais voilà, ça, vous avez tout ce que vous voulez…
 
RG :  Je crois qu’on peut arrêter, Hélène Bleskine merci beaucoup pour votre témoignage.