Françoise Picq

 

name of activist

Françoise Picq

date of birth of activist

2 August 1944

gender of activist

F

nationality of activist

French

date and place of interview

27 April 2007

name of interviewer

Robert Gildea

name of transcriber

Nora Khayi

 

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RG : Bon je crois que ça y est. Bon, madame je vais commencer par vous demandez votre nom et votre date et lieu de naissance si vous permettez

 

FP : Vous commencez par être très indiscret (rire de FP)

 

RG : Oui enfin, oui

 

FP : Bon alors, je m’appelle Françoise Picq. Je suis née le 2 août  1944 dans un  petit village qui s’appelait Mûrs et qui maintenant s’appelle Mûrs-Erigné, et qui est à côté d’Angers

 

RG : D'accord, d'accord. Et est-ce que vous pouvez me dire quelque chose sur votre famille et votre enfance à ce moment-là ?

 

FP : Alors mon enfance s’est déroulée à Mantes-la-Jolie c'est-à-dire dans la banlieue de Paris, banlieue Ouest. Mon père était médecin et donc  petite bourgeoisie locale plutôt. Plutôt notable mais notable anticonformiste, de gauche. Bon ayant participé un peu à des choses avec le Parti Communiste, avec l’Union de la Gauche etc., du côté de mon père…

 

RG : Carrément, carrément communiste ou…

 

FP : Non, non, non

 

RG : Ou plutôt socialiste ou…

 

FP : Non c’était un peu par exemple. Il avait été candidat un moment à des élections municipales

 

RG : Oui

 

FP : Où il était sur une liste qui était un tiers communiste, un tiers socialiste et un tiers personnalités. Donc c’était un peu les intellectuels toute proportion gardée, parce que c’était pas un grand intellectuel. Mais c’était quand même un peu ce type de participation, il n’a jamais été membre d’un parti

 

RG : D'accord, et vous étiez plutôt laïques ?

 

FP : Du côté de mon père oui, c’était tout à fait laïque avec même un goût pour, l’anticléricalisme. Du côté de ma mère c’était beaucoup plus traditionnel, ma mère ayant été élevée au couvent. Pas au couvent enfin bon je ne sais plus comment ça s’appelle, à Angers

 

RG : Oui, oui je connais

 

FP : Elle était originaire d’Angers, Bellefontaine ça s’appelait. Enfin voilà, donc une éducation. Tous les deux étant d’ailleurs enfants de militaires mais…

 

RG : Ah oui d'accord                 

 

FP : Mais mon père ayant été très en opposition avec cette origine familiale, ma mère beaucoup moins. Donc pas mal de conflits politiques entre eux chaque fois qu’il y avait des questions sur la laïcité notamment. chaque fois qu’il y a eu des crises sur la laïcité, mes parents étaient opposés

 

RG : Oui

 

FP : Et puis sur n’importe quoi, sur la guerre d’Algérie, sur Mai 68…donc moi j’étais du côté de mon père depuis toujours

 

RG : Et quelles, quelles étaient leurs opinions à l’époque de Vichy et de l’Occupation allemande ?

 

FP : Alors mon père avait été, il avait fait la drôle de guerre

 

RG : Oui

 

FP : Il avait été.. À ce moment-là il avait quitté l’armée. Il avait fait ses études de médecine dans le cadre de l’École de santé militaire et la guerre a été l’occasion pour lui de quitter… enfin après la drôle de guerre il a quitté. Donc ils étaient, il n’a pas été résistant mon père mais enfin il était évidemment complètement de ce côté-là et. Et ma mère, ma mère oui je pense qu’elle était gaulliste à l’époque. C’était, ils… ils étaient pas du côté de Vichy et de l’Occupation certainement pas mais ils n’ont pas été résistants

 

RG : D'accord, donc vous êtes venue à Mantes-la-Jolie en…

 

FP : Toute petite, j’avais 18 mois

 

RG : C’était pour des raisons professionnelles ou…

 

FP : Oui, mon père a trouvé sa première, il s’est installé médecin là

 

RG : D'accord, et vos études, ça s’est passé comment ?

 

FP : Alors j’ai fait mes études, ben j’ai fais mes études à Mantes-La-Jolie jusqu’à la fac où je suis venue à Paris

 

RG : Dans le système public ou catholique ?

 

FP : Euh catholique non. Non, je n’ai jamais été dans l’enseignement catholique, mais j’ai fait le  primaire dans une école privée, mais privée laïque

 

RG : Oui d'accord

 

FP :  Encore quand j’étais à l’école maternelle on me racontait toujours ça, parce que c’était l’école communale, et on me racontait que je disais que j’allais à l’école communiste. Ça faisait beaucoup rigoler, bon mais, non je n’ai jamais été chez les curés, chez les sœurs des choses comme ça, jamais

 

RG : D'accord

 

FP : Jamais, et en plus j’ai toujours été dans l’enseignement mixte et j’ai découvert tardivement que ce n’était pas la généralité

 

RG : Oui d'accord

 

FP : Mais en fait c’était vraiment le début… Quand je suis rentrée au collège et au lycée, c’était les premiers collèges et lycées mixtes et je ne savais pas que c’était pas comme ça partout…

 

RG : Ça commencé, ça a commencé après la guerre ?

 

FP : Oh non beaucoup plus tard. Ça a commencé dans les années, c’était dans les années 50, moi je suis rentrée au collège en 54 ou 55

 

RG : D'accord, et vous avez, vous avez fait le lycée à Mantes ?

 

FP : Oui

 

RG : Et puis vous avez fait…

 

FP : Après je suis venue à Paris

 

RG : Une école préparatoire ou vous êtes arrivée tout de suite à l’université ?

 

FP : Non, non je suis entrée à l’université

 

RG : À la Sorbonne ou qu’est-ce qui s’est passé à ce moment-là ?

 

FP : Alors j’ai commencé, j’avais une hésitation sur mes études. Bon j’ai fait de bonnes études secondaires

 

RG : Oui

 

FP : Ben assez brillante et en tout cas j’étais...enfin je pense que ce n’était pas finalement non plus très, très évident pour les filles à l’époque

 

RG : Non

 

FP : Il fallait, il fallait, enfin la famille ne m’aurait pas poussée comme elle poussait les garçons quoi. Donc moi il n’y avait pas à me pousser. J’avais un peu le sentiment qu’il fallait que je prouve notamment à mon frère aîné qui me disait volontiers « mais je suis plus intelligent que toi puisque je suis un garçon », alors l’école était le moyen d’avoir une, un truc extérieur qui dise que j’étais meilleure

 

RG : Oui

 

FP : Donc, donc j’ai fait de bonnes études et mon père était très intéressé par...enfin il a été très présent

 

RG : Oui

 

FP : Du point de vue des études

 

RG : Oui

 

FP : J’avais une communication intellectuelle avec lui, du point de vue de la littérature, de la politique, de je ne sais pas quoi, qu’il avait pas du tout avec mes frères

 

RG : Ah bon

 

FP : Ben, ben, il était très déçu de ne pas l’avoir, mais eux ça ne les intéressait pas. Ce qui les intéressait c’était la bagnole, je ne sais pas quoi, c’était pas les jeux vidéo mais c’était des choses correspondantes à l’époque quoi, donc ils étaient pas branchés intellectuels

 

RG : Et qu’est-ce qui explique votre intérêt à des choses politiques et, à ce temps-là ?

 

FP : Moi je pense que c’est l’influence de mon père

 

RG : Oui, oui, donc qu’est-ce que vous avez fait comme études à l’université ?

 

FP : Alors, donc j’étais hésitante sur mes études. J’avais envie de faire de la sociologie

 

RG : Oui

 

FP : Et mon père me poussait plutôt à faire de l’économie. Et comme j’hésitais entre les deux je me suis inscrite à la fac de Droit et à la Sorbonne en propédeutique, et en fait les cours à la Sorbonne ne m’ont pas intéressée du tout

 

RG : Pourquoi pas ?

 

FP : Je ne sais pas, c’était un peu insaisissable, c’était un peu de tout et n’importe quoi

 

RG : Oui

 

FP : Je ne me suis pas sentie, et j’ai au contraire était très séduite à la fac de Droit, notamment par le cours de Maurice Duverger

 

RG : Ah oui d'accord

 

FP : Le cours de sociologie politique

 

RG : Oui

 

FP : Et donc j’ai abandonné la Sorbonne et j’ai fait la fac de Droit pendant (à part ma première année que j’ai redoublée), j’ai fait jusqu’au bout la fac de droit et je pense que je n’avais pas envie de sortir des études. Enfin en tout cas quand j’ai eu fini, je me suis posée la question de qu’est-ce que j’allais faire maintenant comme études. J’ai pas du tout imaginé autre chose, donc c’est à ce moment-là que je suis retournée à la Sorbonne

 

RG : Oui

 

FP : Je me suis inscrite en socio donc j’ai fait - puisqu’il y avait des équivalences - donc j’ai fait licence et maîtrise de socio et c’est là qu’est arrivé mai 68

 

RG : Donc vous, pour un peu revenir en arrière, vous avez commencé la fac de Droit en quelle année ?

 

FP : Oh ça devait être 61 ou 62

 

RG : Oui, et vous étiez entrain de faire une maîtrise, une licence ou une maîtrise de sociologie quand mai 68 est arrivé ?

 

FP : Oui j’étais en maîtrise de sociologie en mai 68

 

RG : Et est-ce que vous étiez motivée politiquement avant 68 ? Comment ça s’est passé ?

 

FP : Oui, oui, oui j’ai toujours été motivée mais toujours un petit peu dans la ligne qui était celle de mon père aussi, qui était un engagement avec une certaine distance critique

 

RG : Oui

 

FP : Notamment quand j’étais au lycée, j’ai participé à, ben j’ai fait un journal de lycée, bon pendant la guerre d’Algérie,  j’étais dans un comité antifasciste au lycée, et dans ce comité antifasciste ben il y avait des communistes et des compagnons de route, quoi finalement. J’étais compagnon de route Bon j’ai toujours été assez critique par rapport à un engagement un peu sans, sans, sans distance quoi

 

RG : Oui

 

FP : Mais en même temps toujours engagée

 

RG : D'accord, et engagée avec certains gens en particulier ou est-ce que ça a changé depuis le lycée jusque fac de droit, jusqu’à la Sorbonne ? Est-ce qu’il y avait un certain nombre de gens, de camarades avec vous, avec qui vous avez travaillé régulièrement ?

 

FP : Pas tellement, pas tellement parce que quand je suis venue à la fac, j’avais plus du tout de, de, je ne rencontrais plus du tout les gens d’avant. J’ai eu du mal hein en arrivant à la fac parce que je n’ai pas retrouvé de groupe avec lequel je partage beaucoup de choses. Et politiquement la fac de Droit c’était vraiment pas, c’était pas facile. Donc je, je m’étais inscrite au truc de l’UNEF de la fac de Droit

 

RG : Oui

 

FP : c’était l’AGDSEP, mais qui n’existait pratiquement pas, c’était un, c’était un engagement. A la fac de Droit ils étaient tous au syndicat de droite

 

RG : Oui, oui

 

FP : Et donc moi je n’y étais pas, et je n’ai pas eu de relations tellement, à la fac de droit. Enfin j’avais des collègues de travail quoi

 

RG : Oui

 

FP : mais je n’ai pas eu de groupe d’affinité beaucoup, en fait jusqu’à mai 68. Enfin j’avais des copains que je retrouvais au café ou le soir au bistro ou je ne sais pas quoi. Mais j’étais assez solitaire jusqu’à mai 68

 

RG : Vous habitiez à Paris ou chez vos parents ?

 

FP : J’habitais Paris, alors j’habitais Paris en semaine. Je devais quand même être à Mantes. Je devais y être quand même plus que ça parce que pendant la plus grande partie de mes études, j’ai été pionne

 

RG ; Ah oui

 

FP : À Mantes, au lycée où j’avais fait mes études

 

RG : Pendant la journée ?

 

FP : Euh oui enfin, c’est un statut, un statut pour les étudiants qui...On faisait je ne sais pas combien de jours par semaine. Ben voilà on faisait la discipline etc., et on gagnait, et du coup on avait une certaine autonomie par rapport à la famille, moi je n’ai jamais demandé d’argent à mes parents

 

RG : D'accord, d'accord. Donc arrive mai 68, racontez-moi un peu votre, votre trajectoire

 

FP : Alors mai 68, mai 68 j’avais cette double affiliation

 

RG : Oui

 

FP : Du lycée de Mantes, où j’étais pionne et où là j’avais vraiment des copains. Enfin vraiment le groupe des pions, on était très proches, on discutait politique beaucoup. Et puis, et puis la fac où j’avais, je n’avais pas d’amis très, très proches, mais j’avais quand même des gens avec qui je discutais. Et alors mai 68 arrive, évidemment cela me tombe brutalement dessus.  À ce moment-là je n’avais pas d’engagement, moi j’étais adhérente, mais je n’étais pas dans un groupe. Et mai 68, pour moi c’est clair c’est le 3 mai 68 à 4h 20, parce que  j’avais cours à la Sorbonne à 4h, je suis arrivée en retard parce que  le vendredi mon père venait. Quand j’étais à Paris, j’habitais chez ma grand-mère

 

RG : Oui

 

FP : Et mon père venait, tous les vendredis, déjeuner chez sa mère

 

RG : Oui

 

FP : Et allait au cinéma l’après-midi. Donc j’allais éventuellement au cinéma avec lui Je ne sais plus, j’ai beaucoup été avec lui pendant le début de mes études, il a fait aussi mon éducation cinématographique. Et donc ce jour-là, on a déjeuné chez ma grand-mère et on est parti ensemble au quartier latin. Je l’ai posé devant le cinéma où il allait et j’ai voulu rentrer à la Sorbonne et la Sorbonne était donc entourée par les CRS. Et voilà ça été une prise de conscience très brutale parce que je vivais quand même dans l’idée qu’on est dans une démocratie libérale, que la police , ce n’est pas la Gestapo et  j’étais très choquée de voir que la Sorbonne était barrée

 

RG : Oui

 

FP : J’ai dit « mais enfin j’ai cours »

 

RG : Oui

 

FP : « Faut que je rentre » et, bon sans savoir très bien ce qui se passait mais il y avait quand même un scandale. Donc j’ai protesté avec tout le monde, et puis bon je ne sais pas comment ça s’est passé. Les premiers trucs qui sont partis, les premières grenades lacrymogènes, tout le monde s’est éparpillé. J’ai fait pareil et puis j’ai vu que les étudiants qui étaient là revenaient à l’assaut et j’ai fait pareil et, alors moi j’étais à la fois morte de trouille parce que  la violence c’est pas du tout mon truc, mais en même temps il y avait vraiment un truc. J’ai le souvenir d’avoir fui devant les CSR et d’être montée dans un bus qui passait et de prendre les gens à témoin d’une violence absolument scandaleuse, avec l’idée mais, il faut appeler la presse, il faut que ça se sache. Enfin donc ma prise de conscience a été quand même assez forte, et je suis donc restée autour de la Sorbonne jusqu’à l’heure de la fin du film de mon père. J’ai été l’attendre devant le cinéma, je lui ai raconté ce qu’il se passait, il était excité comme tout

 

RG : Ah bon

 

FP : Et il était alors là vraiment tellement, voilà quelque chose se passait. Donc on est retourné vers les flics qu’il a provoqués de façon, qui me faisait peur quoi, en leur disant « bravo les flics, et ben vous nous protégez ». Et enfin je le retenais un petit peu, « non mais écoute ça va », et alors il était…, lui Mai 68 il l’a vécu comme un, il disait, c’est maintenant qu’il faut avoir 25 ans

 

RG : Ah bon

 

FP : Donc j’avais 24 ans, et mon frère avait 26 ans et lui .enfin il revivait un petit peu  ce qu’il avait raté pendant, pendant la Résistance

 

RG : Oui

 

FP : Mais enfin pendant la guerre d’Algérie, on a quand même, on s’est mobilisé pas mal. Enfin on a fait des manifs, on a fait des…

 

RG : Oui tout à fait…mais, la Sorbonne était fermée et puis

FP : Alors, après donc j’avais donc comme côté Sorbonne voilà je l’ai vécu là, et côté Mantes

 

RG : Oui

 

FP : Donc il y a eu aussi dans le lycée la mobilisation et là…

 

RG : Tout de suite ?

 

FP : Plutôt après le 13 mai en fait

 

RG : Oui

 

FP : Mais, mais mon grand souvenir aussi c’est le 13 mai

 

RG : Oui

 

FP : Parce j’allais un peu de l’un à l’autre, mais le 13 mai le lycée est venu manifester à Paris dans des cars qui avaient été loués par la CGT. Et, avant de partir il y eu un petit meeting au départ des cars où il s’est passé un petit accrochage entre un lycéen en particulier qui avait de façon un petit peu confuse dit «  à bas le capitalisme, oui d'accord, mais aussi à bas les communistes ». Et alors la CGT avait réagi assez vivement et puis là-dessus en rentrant dans les cars, les lycéens auraient voulu rester entre eux, ce qui ne plaisait pas aux autres etc. Et donc finalement je m’étais retrouvée dans un car et pendant le voyage, enfin il fallait crever l’abcès, crever l’abcès sur cette question-là, et je me suis retrouvée,  dans une position d’animatrice politique quoi

 

RG : Oui

 

FP : J’ai tenu un meeting dans ce car pour faire que la communication se fasse entre les ouvriers et les lycéens. Donc du point de vue des lycéens j’étais quand même, j’étais pionne,  j’étais au-dessus d’eux, mais j’avais fait pas de mal de débats dans le lycée et tout ça. Bon je me trouvais toujours dans cette position, de personnalité, j’ai vraiment le souvenir, en plus notre car est tombé en panne. On s’est arrêté au bord de la route

 

RG : C’est en revenant de la manif ?

 

FP : Non, non en allant. En allant, on est tombé en panne et donc il a fallu attendre un autre car qui est venu nous dépanner. Et on était sur le bord de la route enfin j’ai le souvenir  des vieux ouvriers qui nous racontaient le Front Populaire

 

RG : Oui

 

FP : Enfin l’histoire arrivait comme ça dans l’actualité, voilà donc souvenir d’une manif formidable, et le grand regret de ma vie là, c’est de ne pas être rentrée à la Sorbonne, à l’ouverture de la Sorbonne, puisque le 13 mai

 

RG : Oui

 

FP : Mais j’avais, je me sentais la responsabilité de ces lycéens qu’il fallait que je ramène à bon port, et puis je crois que je n’avais pas bien compris ce qui se passait à la Sorbonne quoi. En particulier parce que  ceux qui appelaient à aller à la Sorbonne, en tout cas à l’endroit où j’étais, les militants qui appelaient à aller à la Sorbonne, c’était des avec lesquels je n’étais pas du tout d’accord, c’était les trotskistes lambertistes, les plus sectaires de tout les sectaires et…

 

RG : D'accord

 

FP : Bon j’étais, moi je n’étais pas dans cette tendance, mais bon alors que ce n’était pas vrai, la Sorbonne c’était l’endroit de tout le monde

 

RG : Oui, oui, oui

 

FP : Alors après je suis retournée. Donc moi je me partageais les jours, donc je suis retournée, donc il y avait les jours où j’étais à Paris et les jours où j’étais à Mantes  

 

RG : Et est-ce que vous faisiez partie des comités d’actions ou comité de base ou comité de grève ou quoique ce soit

 

FP : À Mantes, c’était évident mais c’était, ça ne se nommait pas, j’étais leader, mais bon on n’était pas structuré tellement comme ça

 

RG : Oui

 

FP : À Paris moins, j’étais, je participais. Alors après, par contre quand on a occupé-non pas tellement à la Sorbonne c’était quand même un petit peu la foire hein. Donc bon j’y allais je participais à des trucs, etc., mais par contre on a occupé Censier

 

RG : Oui

 

FP : et là j’étais très, très, très, plus que présente. En particulier ben, vous avez peut-être, si vous avez vu mes archives, enfin j’ai un tempérament un petit peu structuré, organisation et mémoire. Et donc j’ai tenu pour ce comité d’action. Je ne sais plus comment ça s’appelait, mais en tout cas il y avait une salle La salle de socio qui était donc un peu notre base, et j’ai tenu là-bas une espèce de journal de bord en considérant que c’était collectif,

 

RG : Oui

 

FP : Mais en fait. Il n’y avait que moi qui. Enfin il était là dans la salle, tout le monde pouvait le consulter, tout le monde pouvait lire. Mais en fait je tenais ça, et le jour où on a su, que la police avait décidée de reprendre Censier, j’ai embarqué ce cahier, parce que voilà, c’était, et donc ça fait partie des choses que j’ai données à la BDIC

 

RG : Oui, oui

 

FP : J’ai jamais été voir, mais ça me fait rigoler quand on m’a dit

 

RG : Oui ça existe

 

FP : Qu’il y a un fonds Françoise Picq

 

RG : Mais parce que, expliquez-moi une chose, Censier c’était une université différente ou ça faisait partie de la Sorbonne ?

 

FP : Non ça faisait partie de la Sorbonne mais les cours magistraux avaient lieu à la Sorbonne et les TD [travaux dirigés] avaient lieu à Censier. Et donc c’était une petite université dépendante de la Sorbonne. Avant Mai 68, il n’y avait pas les universités séparées, Paris I, Paris II, Paris III, IV, V

 

RG : Oui, oui, d'accord

 

FP : À cette époque-là donc Censier c’était une dépendance de la Sorbonne

 

RG : Oui, et j’ai vu dans ces papiers qu’il s’agissait à un moment d’une crèche sauvage

 

FP : Ah c’est plus tard la crèche sauvage

 

RG : C’est plus tard, oui

FP : C’est après, après

 

RG : Après tous ces événements

 

FP : Après 68, c’est après la réouverture officielle de…

 

RG : C’est à la rentrée plutôt ou…

 

FP : Alors, alors à vrai dire je ne sais pas très bien parce que je n’y étais plus

 

RG : D'accord

 

FP : Qu’est-ce que j’ai fait à la rentrée après 68 ? alors j’étais à la Sorbonne, oui, alors là j’ai changé parce que j’ai quitté Mantes. J’ai quitté Mantes pour un autre lycée de banlieue parce que à ce moment-là, j’avais quand même une licence en droit et une licence en socio et le fait d’être pionne n’était pas forcément ce qu’il y avait de mieux

 

RG : Oui

 

FP : Et je pouvais enseigner quoi, je pouvais être prof auxiliaire, et qu’est-ce qui s’est passé ? Il s’est passé qu’il y avait un collègue à Mantes qui a été envoyé au lycée de Poissy, et qui, pour des raisons personnelles était catastrophé à cette idée, moi j’ai dit « bon moi ça m’est égal je veux bien partir à Poissy ». Je suis partie à Poissy donc comme pionne et puis en fait l’administration là-bas, j’ai un peu dit quelles étaient mes compétences. Et il y avait un poste disponible de maître-auxiliaire en science éco je ne sais pas quoi…

 

RG : C’était un collège, un lycée, à Poissy ? 

 

FP : Un lycée, un lycée. Un lycée puisque j’ai enseigné en seconde, en première et en terminale. Et donc j’ai fait une année. C’était lourd parce que je faisais quand même, je devais avoir un demi service quand même puisque je faisais la fac en même temps, mais enfin c’était lourd

 

RG : Oui

 

FP : Première année d’enseignement

 

RG : C’était en 68-69 ?

 

FP : Oui, mais à partir  de 68 par contre, j’ai été beaucoup plus intégrée dans des groupes militants

 

RG : Oui

 

FP : À la Sorbonne… et j’étais à ce moment-là…

 

RG : Lesquels par exemple

 

FP : J’étais à ce moment-là, le groupe dont j’étais le plus proche c’était Rouge

 

RG : Oui

 

FP : Rouge avait bon, et puis j’ai connu à ce moment-là les gens qui sont devenus enfin, en particulier Nadja Ringart qui a été, qui est toujours ma meilleure amie  

 

RG : Oui

 

FP : Que j’ai connue en 68 à Censier

 

RG : D'accord

 

FP : Et donc ça, ça a duré un an

 

RG : Et Rouge c’était quel genre d’organisme, avec quel point de vue ?

 

FP : Eh ben c’était la LCR, Rouge c’était l’intermédiaire entre ce qui est devenu  la LCR (Ligue Communiste Révolutionnaire) et ce qui était en mai 68 la JCR (Jeunesse Communiste Révolutionnaire)

 

RG : Oui

 

FP : D’avant 68, d’avant la dissolution. Donc c’était les trotskistes les plus, les plus ouverts

 

RG : Ouverts à quoi ?

 

FP : Ben au reste, et surtout aux questions, bon, aux questions sexuelles. Questions de, enfin qui étaient les plus susceptibles d’être un lieu dans lequel on pouvait avoir des discussions, de ne pas être d'accord avec tout. Moi je n’ai jamais, je ne suis jamais, je n’ai jamais demandé à adhérer, alors que j’étais vraiment très, très proche d’eux, je ne comprenais pas

 

RG : Oui, oui

 

FP : Pourquoi je ne voulais pas. Bon ben j’ai toujours eu une certaine réticence à l’embrigadement, à être totalement dans, dans un…

 

RG : Oui tout à fait, donc on commence à parler des questions sexuelles aussi bien que des questions politiques

 

FP : oui, oui

 

RG : Par exemple

 

FP : Eh ben, bon alors par exemple on lisait Reich

 

RG : Oui

 

FP : C’est l’époque où la révolution sexuelle a été, et c’est dans ce cadre là que j’ai un peu ce genre de…

 

RG : D'accord

 

FP : Et, et je suis allée avec eux. Donc je devais, ça devait être un comité d’action je ne sais plus, en tout cas je suis allée au congrès de l’UNEF à Marseille en décembre 68

 

RG : Oui

 

FP : Et bon, et c’était, là j’ai plongé dans l’univers des militants

 

RG : Oui

 

FP : Et puis aussi avec les discussions sur les rapports entre les hommes et les femmes, sur toutes sortes de choses

 

RG : Et à part Nadja Ringart qui est-ce qu’il avait à Rouge à cette époque ?

 

FP : Alors il y avait celles qui ont, enfin qui devaient être chargées de me faire rentrer je pense

 

RG : Oui

 

FP : Les jumelles Trat, alors les jumelles, c’était surtout d’ailleurs Janine qui était chargée de moi, mais elle j’ai un peu perdu contact avec elle. Par contre Josette Trat  je la fréquente toujours puisqu’elle est chercheuse féministe

 

RG : Oui, et

 

FP : Et qu’elle a tenu jusqu’à très récemment Les Cahiers du féminisme qui étaient le journal féministe de la LCR…

 

RG : Et…

 

FP : Comme leader, c’est ça qui vous intéresse, comme leader

 

RG : C’est bien, vous, vous ne citez que des femmes mais c’est formidable, mais est-ce qu’il y avait quelques hommes là-dedans

 

FP : Ah oui bien sûr, mais qu’est-ce qu’il y avait, par exemple il y avait quelqu’un qui me fascinait beaucoup, et avant 68 et après, mais je le voyais très rarement

 

RG : Oui

 

FP : C’était Jean-Michel Gerassi

 

RG : Oui

 

FP : Il y avait aussi, le courant politique dont je me sentais le plus proche, ça s’appelait le MAU, mouvement d’action universitaire

 

RG : Oui

 

FP : Et en fait c’était la tendance Cahiers de Mai. Enfin quand j’entendais parler ces gens-là c’est d’eux dont je me sentais le plus proche. Alors c’est des gens qui sont devenus ..(les noms propres, j’ai vraiment un problème), Marc Kravetz, Jean-Louis Péninou

 

RG : Oui

 

FP : Bon, des gens qui ont fait souvent une carrière de journaliste d’ailleurs. Donc c’est d’eux dont je me sentais le plus proche. Mais j’étais pas tellement liée, c’était, c’était des gens que...Et alors il s’est passé quand même quelque chose, c’est que jusqu’à mai 68 et en mai 68 y compris, je n’ai pas douté de ma capacité à être, à parler, à etc.. Par exemple il y a eu une journée où l’on a décidé de faire des mini meetings et de faire des attroupements partout dans la rue

 

RG : Oui

 

FP : Et donc ça ne me faisait pas peur d’aller provoquer un meeting, d’aller. Et qu’est-ce qui s’est passé dans l’après 68 ? Que le mouvement étudiant dans l’ensemble s’est un petit peu dispersé et il n’est resté que les organisations, et dans les organisations, il y avait des gens qui, il y avait des leaders qui savaient parler

 

RG : Oui

 

FP : Et par rapport auxquels je ne me sentais pas cette capacité là. C'est-à-dire que j’étais à la fois, bon j’avais des connaissances politiques quand même assez importantes, je n’étais pas une des militantes qui arrivaient, qui ne connaissaient rien, j’avais lu beaucoup de choses

 

RG : Oui

 

FP : Mais je n’avais pas lu les textes canoniques du marxisme-léninisme, trotskisme. J’avais une vision plus moderne disons, et alors j’ai pas mal été quand même dans les écoles de formation de Rouge, des trucs comme ça

 

RG : Qui formait qui ?

 

FP : Eh ben qui formait les militants

 

RG : D'accord, d'accord 

 

FP : C’est un groupe qui avait un coté pédagogique très important

 

RG : Et ça se passait comment dans les groupes, dans les séminaires, dans les…

 

FP : Oui, c’était des réunions où il y avait des séminaires oui

 

RG : Oui, il y avait un autre mouvement qui s’appelle Vive La Révolution…

 Vous en faisiez partie, c’était plus tard ?

 

FP : C’était plus tard

 

RG : Oui

 

FP : C’est un petit peu plus tard, pas beaucoup, c’est un an. Puisqu’en 69, j’ai posé ma candidature à la fac, à Dauphine, pour avoir des cours

 

RG : Oui

 

FP : Et donc dans l’équipe de Droit public et Science politique, j’ai été recrutée en même temps que d’autres. Bon là j’ai été recrutée sur des bases politiques, parce que ceux qui tenaient l’équipe voulait faire rentrer des militants, et ils s’amusaient beaucoup à dire qu’ils avaient repris la grande tradition de l’université libérale parce qu’ils avaient  recruté deux trotskistes et deux maos. Alors comment ils nous avaient recrutés. Ils avaient pris contact parce que par l’intermédiaire moi j’avais un copain de mon frère à qui j’avais dit que, que je pourrais enseigner à la fac et qui en avait parlé à son assistant de science politique. J’ai dû les rencontrer avant. Et donc, ils m’ont briefée de façon à ce que je passe la commission en apparaissant comme n’étant pas de leur côté, mais du côté des profs. Voilà il fallait que je dise des choses qui allaient plaire aux profs

 

RG : Oui

 

FP : Et voilà, c’est comme ça que, enfin j’ai été recrutée parce que j’avais la double compétence du Droit et de la Sociologie en fait que

 

RG : Donc ce n’était pas uniquement des raisons politiques

 

FP : Non mais il y a eu une espèce de passage comme ça. Je ne les connaissais pas, c’était pas du piston mais je n’avais pas besoin de me situer par rapport à eux, mais seulement par rapport aux profs à qui je pouvais dire que j’avais fait des sondages, des je ne sais pas quoi

 

RG : Oui

 

FP : C’est ce qui allait leur plaire quoi, et donc j’ai rencontré là Tiennot Grumbach, qui avait été recruté en même temps que moi

 

RG : En tant que mao ou en tant que trotskiste ?

 

FP : En tant que mao. Moi j’ai été recrutée en tant que trotskiste, enfin l’autre trotskiste qui avait été recrutée, elle a fini au cabinet de Chirac hein, donc c’est quand même assez variable (rire)

 

RG : Oui

 

FP : Elle a été conseiller social de Chirac à un certain moment

 

RG : Comment elle, comment elle s’appelle ?

 

FP : Je ne sais plus. Enfin elle avait fait une thèse sur le trotskisme. Mais elle n’est pas restée longtemps à Dauphine… Et donc quand j’ai rencontré Tiennot…  enfin d’une part j’ai rencontré Tiennot et d’autre part mon amie Nadja, que je n’avais pas vue depuis un certain temps a commencé à me téléphoner, à me laisser des messages et à dire qu’elle voulait me voir... Alors à ce moment-là je vivais chez moi, j’avais mon premier appartement, derrière Censier, dans la rue derrière Censier, j’avais à traverser la rue, je faisais aussi des cours à Censier, en socio. Et donc Nadja est venue me voir chez moi, elle était la première personne et m’a donc expliqué qu’elle était dans un groupe militant et que ça les intéressait de me rencontrer. Parce que comme j’étais à Mantes - j’étais aussi à Mantes dans un groupe militant, un comité d’action à Mantes. Et ça les intéressait de me rencontrer…

 

RG : De lycéens ou de…

 

FP : Non de, non, enfin oui il y avait des lycéens mais il y avait, y’avait aussi de, des profs, des pions, des ouvriers enfin…

 

RG : Oui

 

FP : Comité d’action local quoi

 

RG : Oui d'accord  

 

FP : On était une poignée, et donc ça intéressait le groupe dans lequel Nadja était entrée, parce que eux ils militaient sur Flins

 

RG : Qui est à coté de Mantes

 

FP : Oui, et, et ça me semblait ressembler à ce dont j’avais entendu parler par Tiennot

 

RG : Oui

 

FP : Donc j’ai demandé à Nadja,  « mais est-ce que c’est pas la même chose que celui de Tiennot ? »  et oui. Donc Nadja était à la Base Ouvrière et j’étais donc une recrue très intéressante pour eux, parce qu’ils voulaient entrer en contact avec mon groupe mantais

 

RG : Ah oui d'accord

 

FP : J’ai donc fait la liaison et donc a démarré là un noyau militant donc, très marqué par la personnalité de Tiennot. Et donc moi je suis rentrée là dedans, Ça voulait dire se lever à 4h du matin de temps en temps pour aller distribuer des tracts à la sortie de l’usine

 

RG : C’était la Base Ouvrière ?

 

FP : Oui

 

RG : Qui était aussi, ce faisait partie de Vive La Révolution ?

 

FP : Oui, oui

 

RG : D'accord

 

FP : Et, et c’est vrai que ce groupe Vive La Révolution, là je m’y suis sentie vraiment bien. On ne m’a pas demandé d’adhérer, on ne m’a pas demandé d’être d'accord avec tout

 

RG : Oui

 

FP : et en plus de ça, à Dauphine, on avait…. Parce qu’on avait des lieux comme ça partout. Donc j’avais Mantes, la Base Ouvrière et à Dauphine, on a créé aussi un mouvement, bon il y a eu une grande grève

 

RG : Oui

 

FP : Des étudiants à Dauphine, mais dans lequel les enseignants étaient aussi très présents, qui s’est terminé par une occupation des locaux

 

RG : D'accord

 

FP : Et ceux qui avaient occupé les locaux ont à ce moment-là constitué un groupe qui s’appelait le MLEE, Mouvement de Lutte Etudiants-Enseignants

 

RG : Oui

 

FP : Et qui était un endroit assez merveilleux, parce que tout le monde était là, C'est-à-dire tout ce qui sur le plan général était groupuscularisé, c'est-à-dire non seulement les trotskistes, les maos, mais tous les petits groupes quoi

 

RG : Oui

 

FP : Il y avait des chapelles partout, et à Dauphine il n’y avait pas de chapelles, à Dauphine on était tous dans le MLEE          

 

RG : Parce que Dauphine était comment comme université ? Une nouvelle université ou…

 

FP : Oui Dauphine ouvrait, enfin Dauphine avait ouvert en 68 et là on était en 69

 

RG : Comme dans, un peu comme Vincennes

 

FP : Oui en même temps, enfin il y a eu les deux universités qui ont ouvert

 

RG : D'accord

 

FP : Mais évidemment sur des créneaux différents

 

RG : Donc à Dauphine c’était plutôt quoi comme…

 

FP ; Alors c’est une université qui allait devenir une université de gestion

 

RG : Oui

 

FP : Mais en même temps qui, bon privilégié par le fait qu’il y avait un encadrement très important et que, comme ça avait ouvert en 68, tous ceux qui avaient investi, comme profs le premier cycle, c’était le comité de grève de la fac de droit de 68, donc c’était très, très militant

 

RG : D'accord

 

FP : Très, très à gauche. Enfin c’est resté pas mal d’ailleurs. Il y a plein de copains à Dauphine, bien que ça soit devenu quand même très « management »

 

RG : D'accord et pour revenir à Flins, vous, comme vous dites vous étiez bien placée parce que vous avez, vous faisiez partie de beaucoup de réseaux et vous faisiez un peu le pivot entre les deux ou les trois

 

FP : Oui

 

RG : Et comment est-ce que ça s’est passé ?  

 

FP : Ben, ça s’est passé bien, je ne sais pas, enfin si, le niveau de militantisme autour de Tiennot et de la Base Ouvrière était quand même beaucoup plus élevé que ce que j’avais vécu avant

 

RG : Oui 

 

FP : C'est-à-dire c’était beaucoup plus exigeant en temps, en engagement

 

RG : Oui

 

FP : Et, et alors, ça en même temps la proximité qu’on avait dans le groupe était très, très grande, là on vivait ensemble, on ne se quittait pas, on…

 

RG : Vous viviez ensemble où ?

 

FP : On vivait ensemble, on était ensemble beaucoup, donc par exemple mon appartement était…

 

RG : Oui

 

FP : Occupé par tout le monde, la clé était à disposition

 

RG : D'accord

 

FP : Comme j’habitais, non seulement à coté de Censier, mais aussi à côté de la librairie, la librairie «  la Commune » qui était la librairie de VLR, tout le monde savait où était cachée ma clé et donc chez moi c’était ouvert à tout le monde. Et puis après aussi, assez vite on a vécu en communauté, à Mantes  

 

RG : À Mantes. C’est avec, enfin je viens de lire le livre d’Hélène Bleskine, elle était là ? (rire de FP). Pourquoi vous rigolez ?

 

FP : Oui, ben voilà je vais être obligée, voilà, on y vient…

 

RG : Vous étiez là ? (rire)

 

FP : Ben oui j’étais là, j’étais là. Je suis la non-nommée de ce livre

 

RG : Ah d'accord

 

FP : Qui se termine par « et l’enfant de Pierre c’est pour quand ? », ben l’enfant de Pierre était dans mon ventre

 

RG : Ah oui d'accord, d'accord

 

FP : Voilà, parce que Pierre, c’était évidemment Tiennot

 

RG : D'accord

 

FP : Qui est mon compagnon depuis cette date, le père de mes deux enfants

 

RG : Ah oui d'accord

 

FP : Et, et bon, alors donc la communauté a été, là par contre ça été très, très conflictuel, très, très dur

 

RG : Mais c’est pas facile de vivre ensemble, c’est une bonne idée mais

 

FP : Non, il y avait, la communauté était, en fait il y avait plusieurs maisons

 

RG : Oui, d'accord

 

FP : Et donc il y avait Mantes où j’étais, mais je n’y étais pas complètement, et puis il y avait Gargenville

 

RG : Oui

 

FP : C’est ce qu’Hélène Bleskine raconte

 

RG : Oui, oui

 

FP : Et les filles de Gargenville, j’étais leur bête noire

 

RG : Pourquoi ?

 

FP : Ben pour de vrai, bien sûr, pour des raisons de jalousie. Je n’avais pas, à l’époque une relation stable avec Tiennot, mais quand même il y avait quelque chose. Il était quand même un peu celui que tout le monde voulait

 

RG : Le chef quoi

 

FP : Pas vraiment le chef parce que c’était une période où l’on ne pouvait plus être chef

 

RG : Oui

 

FP : Mais, mais il y avait une espèce de fascination pour…

 

RG : Oui

 

FP : Non c’était une période où… Enfin il y avait une telle mise en question des chefs qu’il ne pouvait pas se positionner comme chef. Mais bon…d’une part il y avait ça, et d’autre part il y avait une rupture politique. Parce que par rapport à  ce qu’a été le MLF qui a démarré, moi je suis partie MLF complètement, alors que les filles de Gargenville sont restées quand même très ouvriéristes, Base Ouvrière. Leur truc principal était tourné vers les hommes

 

RG : Oui

 

FP : Notamment les hommes de la classe ouvrière et il y avait un coté…le MLF ça été une rupture au sens où on s’occupait de nous-mêmes désormais

 

RG : Oui

 

FP : Notre, notre problème c’était nous, c’était les femmes, c’était la collectivité des femmes  

 

RG : d'accord

 

FP : Et les filles de Gargenville ne sont pas rentrées là-dedans, sauf de façon ponctuelle évidemment. Elles venaient dans les manifs, elles venaient dans des trucs particuliers mais, leur appartenance principale c’était la région etc., Et moi j’ai, j’ai dû quitter la communauté parce que c’était quand même pénible

 

RG : Mais vous aviez des discussions sur la libération sexuelle, ce que ça voulait dire.  Et ce que ça voulait dire de vivre en communauté, l’abolition de la famille ou est-ce que ça voulait dire que les femmes commencent à militer elles-mêmes ?  

 

FP : Ah ben tout ça bien sûr, mais il y avait en même temps une remise en question du couple, de la famille, de la monogamie etc., Donc c’était aussi nos vies qui étaient…

 

RG : Oui bien sûr, mais vous commencez à parler du MLF. Mais est-ce que vous pouvez m’expliquer un peu votre prise de conscience féministe, comment ça c’est passé et quand ?

 

FP : Alors, je pense que j’ai toujours été féministe. Mais bon je l’exprimais comment ?  enfin je pense que je voyais ma position personnelle comme position collective.  Ça je pense que ça a toujours existé

 

RG : Oui

 

FP : C'est-à-dire j’ai toujours… Ben on peut quand même dire Simone de Beauvoir, j’ai lu Simone de Beauvoir, j’étais en seconde

 

RG : Oui

 

FP : Et donc ça été un truc très, très, très, très fort. Je m’y suis retrouvée totalement. Donc à partir de là, bon il ne se passait rien sur ce plan-là, mais moi j’étais là-dedans, pas de doute. Alors dès que j’ai commencé à entendre parler de choses comme ça. Alors on a entendu parler. Vous avez lu Génération j’imagine, donc là, le premier moment où l’on a entendu parler de… Ce qui s’est passé pendant Mai 68 à la Sorbonne, je ne l’ai pas su, les trucs de FMA, je n’en ai pas entendu parler. Le premier truc dont on a entendu parler c’est la réunion de Vincennes en mai, je crois, 70

 

RG : Oui

 

FP : Et quelqu'un est venu nous apporter un texte qui depuis est paru dans L’ldiot International qui racontait le premier meeting de femmes à Vincennes, que les hommes avaient essayé d’empêcher de se tenir et il y avait eu un échange de polémiques

 

RG : Oui

 

FP : Et donc quelqu'un est venu nous apporter à VLR ce texte pour qu’on le publie dans Tout, donc le journal qu’on publiait et ça a été…là on s’est senties dans la communauté d’idées par rapport à ces femmes qui, au nom de la révolution, réclamaient le droit de se libérer elles-mêmes

 

RG : Et, mais pendant un certain temps il y avait une sorte de, de coexistence, même de convergence si vous voulez de gauchiste féministe

 

FP : Oui, ben il y avait le groupe femmes de VLR, le groupe femmes de VLR, il a démarré en août 70 avec  la première réunion qu’on a faite

 

RG : Oui

 

FP : Et bon, alors bien sûr il y a eu des clivages, mais on a démarré avec quand même un petit peu le sentiment  de tenir par les deux bouts

 

RG : Oui

 

FP : Le politique et le féminisme, et puis jusqu'à la dissolution de VLR. VLR s’est dissout en mars ou avril 71

 

RG : Oui

 

FP : Et le groupe femmes de VLR s’est fondu dans le MLF totalement. Mais on a été, de toutes façons, même quand on était le groupe femmes de VLR, on avait des contacts avec tout le reste du mouvement

 

RG : Et qui est-ce qui était dans ce groupe femmes ?

 

FP : Alors il y avait Nadja bien sûr, il y avait Annette Levy-Willard. Il y avait Sophie, Sophie Cartier-Bresson. Il y avait je ne sais pas, je me rappelle qu’il y avait une fille qui s’appelait Martine

 

RG : Et VLR a éclaté en partie à cause de ces tensions entre les féministes et les, ou sur la question du féminisme ?

 

FP : Pas que sur le féminisme. Aussi les jeunes et les homosexuels

 

RG : Ah oui d'accord

 

FP : C'est-à-dire tous les groupes, puisque VLR était très ouvert à ce qu’il appelait les mouvements autonomes de masse

 

RG : Oui

 

FP : Donc qui était tout à fait favorable à ce que les femmes s’organisent entre elles, que les jeunes fassent leur groupe, que les homosexuels - donc qui était le FHAR - fassent leur groupe etc., Mais tout ça tirait de tous les côtés. Il y avait des contradictions de tous les côtés et, moi VLR je m’y sentais bien, et donc le jour où la dissolution a été décidée, j’ai été très étonnée

 

RG : Oui

 

FP : Parce que surtout que la dissolution a été proposée par Roland Castro qui était le... Non seulement ça été proposé par Roland Castro, mais ça a été accepté comme une évidence par tout le monde… Et bon moi je trouvais ça dommage, parce que c’est vrai qu’à partir de ce moment-là, on est parti chacun dans sa spécificité

 

RG : Oui

 

FP : On a eu des relations privées bien sûr, mais en tant que collectif on n’a plus eu de relations, j’ai plus eu aucun truc collectif mixte

 

RG : Donc pourquoi est-ce qu’il a proposé ça ?  

 

FP : Ben en fait Roland, il parait qu’il a eu conflit très violent avec Richard Dehayes, Qui était le leader du FLJ, Front de Libération de la Jeunesse 

 

RG : Oui

 

FP : Qui était désormais handicapé à la suite de brutalités policières. Il avait perdu les yeux

 

RG : Ah bon

 

FP : Et, et ils avaient eu un truc assez violent où finalement Richard avait reproché a Roland de l’avoir envoyé au casse-pipe.  Il a dit ça d’ailleurs Roland, il a dit, enfin il ne voyait plus comment tenir en ensemble les contradictions entre les jeunes, les femmes, les homosexuels…

 

RG : Parce que le FHAR avait commencé à cette époque là ?

 

FP : ça avait commencé. Oui, oui ça avait commencé à cette époque-là et c’est au moment de la dissolution de VLR qu’est sorti le numéro 12 de Tout, donc le numéro de FHAR

 

RG : Oui

 

FP : Qui a fait réagir les femmes très fort,  Enfin donc les homosexuels ont pris une grande part à ce moment-là et les femmes y ont réagi parce que la vision de la sexualité qui était  dans ce numéro nous a vraiment fait dresser les cheveux sur la tête. Et on a commencé à dénoncer la conception de la libération sexuelle qu’il y avait autour de Tout et…

 

RG : Vous l’avez dénoncé ?

 

FP : Oui dans Tout,

 

RG : D'accord

 

FP : Dans Tout, bon je raconte ça dans mon livre

 

RG : Oui

 

FP : Sans dire évidemment qui fait quoi mais on a commencé. Enfin quelques unes ont fait un papier qui s’appelait « Vie et Mœurs des Tuotiens » et qui racontait comment la libération sexuelle servait à amener les femmes dans tous les lits, à se partager les femmes et tout ça. Ils ont très, très mal supporté l’allégorie et ils nous ont enjoint de nous expliquer politiquement. Et donc on a écrit un texte qui s’appelle « Votre libération sexuelle n’est pas la nôtre »,  dans lequel on donne des explications. Enfin bon, c’est un texte qui a vraiment été un texte collectif

 

RG : Oui

 

FP : Et donc on est passé dans le numéro 15 de Tout 

 

RG : D'accord et parce que vous au lieu de la libération sexuelle vous proposiez quoi ?

 

FP : Ben ce qu’on expliquait dans…

 

RG : Pas la famille bourgeoise (rire)

 

FP : Non, ce qu’on expliquait dans ce texte-là, c’est que leur vision de la libération sexuelle c’était, il n’y a pas de limite dans la recherche de la jouissance, plus on jouit, mieux c’est. Or étant donné la réalité des rapports entre les hommes et les femmes, jusqu'à maintenant, les femmes ont toujours été dans une situation de domination, et ce n’est pas leur propre désir qu’elles connaissent, mais elles se soumettent aux désirs des hommes. Donc notre recherche de libération à nous c’était de connaitre notre propre désir et de construire des rapports qui ne soient pas des rapports de pouvoir 

 

RG : Et donc quand vous dites que c’est un texte, un texte collectif, vous l’aviez écrit avec… 

 

FP : On était, on était assez nombreuses et surtout ce qui était assez marrant c’est que, enfin ça été très, très long à ce que on trouve le fil pour écrire ce texte. Donc on a fait plusieurs réunions et finalement je me souviens que c’était Elisabeth Salvaresi qui a donné l’idée de départ qui était la jalousie, la jalousie des hommes et la jalousie des femmes, c’est pas pareil

 

RG : Ah oui

 

FP : Donc l’idée que la jalousie des hommes c’était la peur de perdre ce qu’il leur appartient et la jalousie des femmes c’était la peur de perdre ce qui nous donne un rapport au monde. Et on est parties là-dessus, Ce texte s’est écrit en une journée, ça se passait chez Elisabeth, ce n’était pas toujours la même qui tenait la plume et ce n’était pas toujours les mêmes personnes qui étaient là. Donc ça circulait, les gens donnaient une idée, on écrivait etc., et à là fin de journée ce texte était écrit. On s’y retrouvait complètement et il était réellement collectif, je peux dire l’idée de départ était celle d’Elisabeth, Mais impossible de dire qui a écrit ce texte. Ce n’était ni un groupe fermé ni toujours les mêmes

 

RG : Oui d'accord, d'accord       

 

FP : Parce que ça avait circulé dans la journée et donc on est allée apporter ce texte. On était vraiment contentes et fières de nous. On est allées apporter ce texte au comité de rédaction  de Tout, puis on avait aussi un petit peu battu le rappel, il y en avait plein aussi qui n’avait pas écrit le texte mais enfin bon, on était nombreuses et là, on a gagné la partie

 

RG : D'accord

 

FP : Et ils se sont écrasés, et ils se sont écrasés avec en plus quelque chose. On avait l’habitude, après le comité de rédaction de Tout, qui se tenait dans un local historique puisqu’il a été après le local du MLAC, on allait diner dans un resto à coté qui s’appelait « Chez Mohammed», et là on s’est retrouvées pour dîner et on était très nombreuses. Et il  y avait deux salles, donc on était dans une salle, toutes les femmes, et il y avait dans le comité de rédaction deux ou trois garçons qui n’avaient aucun problème avec les femmes, qu’on appelait « les gentils » (rire de RG). Aucun rapport de pouvoir avec eux. Ils étaient toujours un peu en compétition parce qu’ils avaient des relations amoureuses avec certaines femmes qui pouvaient en même temps avoir des relations amoureuses avec les chefs, mais ceux-là, c’était nos amis

 

RG : Oui

 

FP : Et dans ce restaurant quand ils venaient dans la salle des femmes, ils étaient accueillis sans aucun problème et cela énervait certains. Il y en avait un qui disait « ce qui me fait mal aux tripes, c’est les petits épargnés », donc les petits épargnés, c’était les hommes qui étaient du côté des femmes

 

RG : D'accord

 

FP : Donc les harkis quoi. Ils étaient du coté des femmes il n’y a pas de doute. Et d’ailleurs dans le premier texte de femmes qu’on avait fait à Dauphine, on était un peu sur cette idée. Dans la critique du pouvoir, il n’y avait pas que les femmes qui étaient concernées, il y avait aussi beaucoup d’hommes

 

RG : Oui

 

FP : Mais qu’il n’y avait que chez les femmes que c’était collectif et c’est pour ça que c’est à partir des femmes que ça pouvait changer. Mais que donc il y avait des hommes qui étaient de notre coté

 

RG : Mais qui n’a, ça n’a pas durée, la mixité

 

FP : Ben ça n’a pas duré, parce que les lieux collectifs mixtes n’ont pas duré.

 

RG : D'accord

 

FP : Après, après la crise du FHAR, après la dissolution de VLR etc., on n’a plus eu l’occasion de faire des choses ensemble

 

RG : D'accord

 

FP : D’ailleurs ça été aussi la crise du militantisme masculin. Il y a eu, les hommes ont cessé de, les groupes militants, bon il en est resté chez les trotskistes, plus solides que d’autres mais le maoïsme, enfin notre maoïsme

 

RG : Oui 

 

FP : Le maoïsme libertaire a cessé d’exister

 

RG : Oui d'accord

 

FP : La fin de VLR ça été quand même euh. Chacun est reparti faire une analyse, parti faire des enfants ou faire telle ou telle chose quoi mais le

 

RG : Oui

 

FP : Ça s’est arrêté un peu quand même à ce moment-là

 

RG : Mais pour revenir au MLF, vous vous appelez le MLF à ce moment-là ? Mais parce que dans votre livre et dans plusieurs livres on parle de plusieurs tendances au sein du MLF

 

FP : Mais justement moi je dis : quand on parle de plusieurs tendances, je ne m’y reconnais pas. C’est comme ça que l’idée de mon livre est partie, de ce truc qui était tout le temps rabâché : les trois tendances 

 

RG : Oui

 

FP : Et moi je ne me reconnais dans aucune tendance. Or, je ne me suis jamais sentie marginale au MLF, donc mon idée ça a été d’essayer de montrer comment le MLF ne s’est structuré en tendances contradictoires qu’après un certain temps. Au début ça circule entre les tendances

 

RG : Oui

 

FP : Donc j’ai été, au groupe femme de VLR, j’ai été à Psychépo. Mais, mais étant à Psychépo je n’étais pas ennemie des féministes révolutionnaires. J’ai été dans des trucs où on se retrouvait...j’ai été surtout au groupe du jeudi, qui était un groupe dissidentes de tous les cotés. J’ai fait des Torchons, enfin j’ai été de tous les côtés quoi

 

RG : Vous étiez bien avec tout le monde

 

FP : Oui, enfin je discutais avec tout le monde, parce que, moi j’étais absolument… Le groupe du jeudi, c’est un groupe qui refusait que le MLF se, se polarise, se bi-polarise et se divise entre, entre Psychépo, les féministes, les luttes de classes, puisque on voulait faire avec tout le monde, on faisait avec tout le monde

 

RG : Oui

 

FP : On faisait avant le groupe du jeudi. Ce qui a déterminé le groupe du jeudi ça été une manifestation qu’on a fait, donc là avec les groupes de quartiers. Et donc la tendance lutte de classes, on a fait, je me pose une question là, ç’est ça oui c’est ça, le texte « avortement, contraception, sexualité, réformisme ». Enfin c’était encore avec des gens qui étaient partout

 

RG : D'accord

 

FP : On n’était pas des blocs fermés. Jusqu'à 74... donc Psychépo s’est fermé beaucoup et bon avec un truc stalinien, avec des procès, avec des exclusions etc.

 

RG : Oui    

 

FP : Et s’est fabriqué contre les autres, en fabriquant une image fausse du féminisme. Et moi à ce moment-là, enfin comme d’autres, dans le groupe du jeudi on refusait cette division

 

RG : Oui

 

FP : Et en même temps on était très bien dans le groupe du jeudi mais on a voulu, on ne voulait pas être entre nous, donc on a rendu public ce qu’on était

 

RG : Oui

 

FP : Donc on est allé distribuer, dans des réunions de Psychépo, le texte qu’on avait écrit qui s’appelait « unes » au pluriel, « ne se divisent pas qu’en deux », qui était donc un refus de l’idée des deux lignes

 

RG : Oui

 

FP : De la ligne juste et de la mauvaise, ce qui était le point de vue de Psychépo. Et donc on expliquait comment on était là-dedans, tous les problèmes qu’on se posait, toutes les contradictions qu’on avait de tout les cotés etc., Et ce texte a séduit beaucoup

 

RG : Oui

 

FP : Et donc à la réunion suivante, le groupe du jeudi avait été un peu envahi par des tas de gens qui trouvaient qu’on était formidables et notre objectif était de faire le Torchon numéro 7

 

RG : Oui

 

FP : Et on voulait faire ce Torchon avec le groupe de Marseille

 

RG : Oui

 

FP : Avec lequel on était en relations, qui venait de temps en temps. Enfin il y avait deux Marseillaises qui venaient, chaque fois qu’elles venaient à Paris, elles venaient aux réunions et on s’entendait très bien et voilà. Donc on avait cette idée de faire le, le Torchon, et l’été 74 nous sommes allées à Marseille. Nous sommes descendues, on était cinq, donc à Marseille. Et en fait le groupe de Marseille était beaucoup plus compliqué que ce qu’on pensait, il y avait des Psychépo dedans

 

RG : Oui

 

FP : Et ces Psychépo avaient invité Psychépo   

 

RG : Ah oui d'accord

 

FP : Et elles avaient l’intention de…enfin ça s’est très, très mal passé

 

RG : Oui 

 

FP : Avec les filles donc de Psychépo qui ont débarqué et l’atmosphère est devenue très tendue sans qu’on sache très bien ce qui se passait. Et le deuxième jour, quand on essayait de dire mais qu’est-ce qui se passe, il y en a une, c’est la première fois que je la voyais et qui m’a dit « en deux mots, je vous demande des nouvelles de votre thèse que vous faitent sur notre dos !»

 

RG : Oui

 

FP : Et curieusement sur cette accusation terrible de faire une thèse, tout d’un coup on était des vilaines. Donc à l’époque je faisais ma thèse avec Nadja

 

RG : Oui

 

FP : Et voilà, donc après on a évidemment su que les copines qui nous avaient fait venir, elles n’étaient pas là  parce qu’elles avaient déjà subi cet ostracisme des intellectuelles rejetées parce qu’elles font une thèse et que donc elles rentrent dans l’institution, elles trahissent quelque part…

 

RG : Ah oui d'accord

 

FP : La mobilisation des femmes et voilà. Donc on était dans la même chose, et ce qui a été... alors bon ça été évidemment très, très dur

 

RG : Oui

 

FP : Mais notre groupe de cinq est resté soudé à ce moment-là et…

 

RG : Alors qui était, qui était dans votre groupe de cinq ?

 

FP : Les cinq qui étaient descendus à Marseille ?

 

RG : Oui

 

FP : Alors il y avait donc, il y avait donc Nadja et moi, y’avait Marthe, Comment elle s’appelle Marthe ?  Je ne sais plus, elle était médecin elle. Et je me souviens d’elle parce que, parce qu’elle avait commencé à réagir aux accusations en disant, « et Antoinette elle, elle n’en profite pas ?».  Enfin des accusations qui me semblaient, enfin non quand même on ne va pas dire des choses pareilles. Donc on se laissait traiter comme on se laissait traiter, mais nous on ne faisait pas ça, et puis deux, deux qui étaient de nouvelles recrues, dont je ne me souviens plus des noms, mais il y en a une qui est rentrée à Libé comme claviste

 

RG : Enfin Nadja était la principale

 

FP : Ben c'est-à-dire qu’on était, la, la, la thèse qui est faite « sur notre dos », on était toutes les deux. Et le groupe du jeudi n’a pas résisté à ce truc-là 

 

RG : Oui

 

FP : Et donc voilà, le groupe du jeudi s’est terminé, et je pense que la fin du groupe du jeudi c’est la fin du mouvement au sens où il y a de la mobilité

 

RG : Et vous dites que c’est l’été de, de…

 

FP : C’est l’été 74

 

RG : Et après vous avez rejoint quel, quel groupe, quelle tendance ?

 

FP : Alors à ce moment-là moi j’ai un peu arrêté le militantisme actif et j’ai par contre développé beaucoup ce qui est passé de l’activisme si on veut, à la recherche. Donc à ce moment-là mes groupes de références c’est.. ben juste après la fin du groupe du jeudi, on a fait le GEF, le Groupe d’Études Féministes de l’Université Paris VII

 

RG : Oui

 

FP : Et donc, ben voilà, là on part dans la recherche, historique beaucoup. Je n’étais pas historienne mais enfin on est toutes parties à la recherche de l’histoire du féminisme

 

RG : et est-ce que vous, est-ce que vous pouvez m’expliquer, enfin en deux mots le fond du problème avec Psychépo ? Quelle était vraiment votre différence ?

 

FP : ben c’était les pratiques hein, c’est le côté stalinien. Nous on voulait pouvoir discuter, pouvoir ne pas être d’accord et  on ne voulait pas être des perroquets, on ne voulait pas non plus des trucs d’exclusion, d’obligation d’être comme ci, d’être comme ça etc., c’est, c’est, c’est la chapelle

 

RG : Parce que  Psychépo avait un point de vue exact sur la nature de l’oppression de la femme, c’est ça ?    

 

FP : Psych-et-Po avait une seule parole…Qui était celle d’Antoinette

 

RG : Oui

 

FP : Antoinette considérant, enfin son apport théorique, qui est réel, qui était l’articulation de la politique et de la psychanalyse… ne pouvait être discuté par personne

 

RG : Oui

 

FP : Donc tous ceux qui avait une compétence dans l’un ou l’autre de ces domaines, équivalente à la sienne était un danger. Voilà, il y a eu des phénomènes d’exclusion  dès qu’il y avait des désaccords  sur sa pratique. C’était un phénomène de pouvoir tout à fait extraordinaire, puisqu’elle avait en analyse la moitié des femmes du groupe

 

RG : Oui

 

FP : Qui étaient totalement fascinées. Elle disait des choses fascinantes à certains moments Mais, enfin c’était pas possible d’être en désaccord, de discuter, et puis en même temps elle disait des choses intéressantes, mais qui était répétées par tout un tas de personnes autour, qui étaient complètement décérébrées  et qui ne faisaient que répéter, sans bien comprendre éventuellement la parole du maître. Ça c’était insupportable, et dès que quelqu’un avait un point de vue original, c’était,..

 

RG : Et est-ce qu’il y avait un rapport entre les points de vue féministes différents et la pratique personnelle, enfin les choix personnels des différentes personnalités ?    

 

FP : Ben alors ça aussi, par exemple

 

RG : Oui

 

FP : On pouvait être jugé sur ses pratiques, si elles n’étaient pas suffisamment conformes à une règle qui d’ailleurs pouvait varier totalement

 

RG : Oui

 

FP : Donc par exemple l’homosexualité était un must

 

RG : Oui

 

FP : Mais dès que par exemple sur cette question de l’homosexualité, moi je me souviens donc ça c’était à La Tranche-sur-Mer, donc c’était 73, donc c’était pas encore la rupture dont je parlais.  À la Tranche, l’homosexualité dominait comme modèle, et je sentais, comme c’était un truc national, il y avait des femmes qui venaient de partout, et je sentais un malaise. Il y avait beaucoup de femmes qui se sentaient, on ne peut pas parler de nos problèmes de couple parce que on sera tout de suite accusées d’être des traîtres.  Et bon comme il y avait quand même une organisation spontanée, j’ai fait la proposition, j’ai annoncé une réunion sur les rapports hétérosexuels

 

RG : Oui

 

FP : Il est venu plein de gens, et il est venu là les grands chefs aussi, donc Antoinette et sa copine Marie-Claude qui sont venues. Avant ça, il y avait eu un débat sur l’homosexualité où une avait dit «  je suis homosexuelle par choix politique »  enfin bon un débat là-dessus, enfin peu importe. En tout cas à ce truc sur les rapports hétérosexuels, elles sont venues Antoinette et Marie-Claude...expliquer que, bien entendu, que d’ailleurs elles avaient continué à avoir des relations avec les hommes, que c’était très important, qu’il était pas du tout question de considérer que c’était mal, etc., etc., donc il y avait une obligation diffuse

 

RG : Oui

 

FP : Mais dès qu’on posait les choses ouvertement, on disait « mais, bien entendu, il n’y a pas de norme ici, on n’est pas… »

 

RG : Oui, est-ce qu’il y avait dans ces débats, est-ce qu’il avait dans contacts avec des féministes à l’étranger ou c’était…

 

FP : Ah oui, cette rencontre par exemple à la Tranche, c’était, c’était une rencontre européenne. Donc en particulier j’ai un grand souvenir des Italiennes qui étaient magnifiques et qu’on peut retrouver maintenant bien entendu dans la recherche féministe parce que  ça s’est passé comme ça

 

RG : Vous vous souvenez de certains noms ?

 

FP : Ha ben je me souviens de Luisa Paserini  

 

RG : Ah oui Paserini était là ?

 

FP : Oui

 

RG : Ah oui d'accord

 

FP : Mais je me souviens d’elle, non je me souviens des Italiennes

 

RG : Oui

 

FP : Qui étaient formidables parce qu’elles s’habillaient le soir, elles étaient bon. Et quand j’ai rencontré Luisa Paserini dans un colloque, je ne pense pas qu’elle se souvenait de moi non plus. Mais elle se souvenait de la Tranche et donc on a parlé de cet endroit, donc ça nous a rapprochées évidemment, on avait ce souvenir…

 

RG : Rappelez- moi la Tranche c’était…

 

FP : La Tranche, donc c’est ce qu’on pourrait appeler une université d’été. C’était une rencontre européenne à la Tranche-sur-Mer dans une colonie de vacances qu’on occupait et où il y avait quelque centaines de femmes donc européennes

 

RG : Oui d'accord

 

FP : Qui avaient été organisée par Psychépo. Enfin par, quand je dis Psychépo, par le groupe autour d’Antoinette. Donc moi j’allais et je continuais à aller après dans les…

 

RG : C’était ces trucs à Marseille ?

 

FP : Non

 

RG : C’est où la Tranche, c’est en mer…

 

FP : La Tranche-sur-Mer c’est en Vendée

 

RG : En Vendée

 

FP : C’est sur l’Atlantique

 

RG : Donc il y avait les universités d’été…

 

FP : Non ça ne s’appelait pas université, ça s’appelait rencontre

 

RG : Oui, oui d'accord

 

FP : C’est des rencontres, rencontres européennes

 

RG : Et il y avait aussi des, des Britanniques, des Allemandes, des…              

 

FP : Oui

 

RG : Des noms en particulier ?

 

FP : Non

 

RG : Non, surtout des Italiennes

 

FP : Oui, enfin je me souviens des Italiennes, non mais je me souviens aussi d’autres. Bien sûr il y avait des Suédoises, donc il y avait des échanges, on comparait un petit peu ce qui se passait dans les différents pays

 

RG : Oui. Bon une dernière question, quand vous regardez cela de maintenant. Enfin vous, vous avez écrit votre bouquin etc., Mais quel est votre point de vue maintenant sur cette période-là, en ce qui concerne votre propre vie et puis la société française en général ?  C’est une grande question pardon mais…

 

FP : Bon

 

RG : Vous voyez ça plutôt positivement ou…

 

FP : Ah ben oui, c’était une période merveilleuse

 

RG : Oui

 

FP : Et puis moi, je n’ai rien renié, je n’ai pas eu besoin puisque. Bon j’ai fait des erreurs bien sûr mais je n’ai pas fait de choses dont je puisse avoir honte, et j’ai évolué mais sans changer, ce n’est pas une parenthèse

 

RG : Non

 

FP : J’ai été interviewée une fois par une journaliste qui m’avait dit, c’est à propos du mariage et qui m’avait dit « et alors quand la parenthèse s’est refermée ». Ben j’ai dit mais moi c’est pas une parenthèse, ma vie a commencé là, ma jeunesse, parce que je n’étais pas adolescente, quand même j’avais 25 ans au début du mouvement et ma vie a commencé là. Elle s’est posée là, elle s’est cherchée, elle s’est trouvée et, et voilà,  j’ai continué, avec une évolution quand même, je suis devenue plus chercheuse que militante

 

RG : Oui

 

FP : Mais, mais vraiment mon histoire…

 

Et ma vie privée, bon c’est un peu pareil hein. J’ai vécu la période, la grande période de la libération sexuelle avec des rapports compliqués à un moment. La période la mieux pour moi c’était quand j’avais deux hommes et que du coup j’étais respectée, parce que  quand il y en avait un qui me disait je passerais ce soir où demain, je lui disais ben, il faut que tu me dises quand tu passes, parce qu’il faut que je m’organise (rire de RG). Et voilà, ça c’est, c’était quand j’avais justement une, une double relation avec un, un…

 

RG :|C’était Tiennot ?

 

FP : Oui et l’autre c’était un gentil de…

 

RG : Un gentil, voilà

 

FP : Voilà, et qui s’aimaient beaucoup par hasard

 

RG : Ah oui d'accord

 

FP : Donc il n’y avait pas de truc entre eux. Bon ça m’arrive de le revoir, donc c’était très bien

 

RG : Oui

 

FP : Bon et puis après évidemment il y a eu la question d’avoir des enfants. Pas évident dans ce type de situation, on est quand même un petit peu obligé de tricher pour se trouver dans la situation d’avoir un enfant

 

RG : Donc vous avez eu des enfants avec Tiennot ?

 

FP : Hm, mais la première ça n’a pas été évident hein. Quand je me suis retrouvée dans la situation d’être enceinte et de décider de toutes façons de le garder quoi qu’il arrive, et de dire toi tu fais ce que tu veux et

 

RG : Qui est né en quelle année ?

 

FP : 73

 

RG : Qu’est-ce que...vous étiez à ce moment-là, vous étiez engagée dans le mouvement pour le droit à l’avortement ?

 

FP : Hmhm…oui ben, je manifestais enceinte avec des panneaux qui disaient, « nous aurons les enfants que nous voudrons » 

 

RG : Attendez, une dernière petite question, est-ce que, est-ce que vos rapports avec vos parents ont changé pendant cette période-là ?

 

FP : Oui bien sûr

 

RG : Ils vous ont soutenus ou ils étaient choqués ou…

 

FP : Alors,  non ce qui est un peu compliqué c’est que, c’est que en même temps il y a eu une crise entre mes parents

 

RG : Oui

 

FP : Et euh d’abord le MLF ça été une, un moyen de retisser un lien avec ma mère

 

RG : Oui

 

FP : J’avais eu de très mauvaises relations avec ma mère et avec le MLF j’ai compris, j’ai compris pourquoi elle avait été tellement casse-pieds dans la vie, comment elle était

 

RG : Oui

 

FP : Et comment je m’étais constituée contre elle, et voilà que finalement elle était dans une position très difficile. Donc je me suis pas mal rapprochée d’elle

 

RG : Oui

 

FP : Et par ailleurs mon père à ce moment-là est parti avec une petite jeune. Enfin il y a eu une période un peu longue et compliquée d’ailleurs, dans laquelle on était nous dans ce moment de libération sexuelle. Et mon père ne voulait pas quitter ma mère et voulait avoir une double vie

 

RG : Oui

 

FP : Et pendant un temps ma mère acceptait, mon père quittait Mantes, il allait s’installer donc dans le Midi et donc il pensait vivre avec deux femmes

 

RG : Ah bon

 

FP : Enfin l’accord étant d’ailleurs qu’il n’y avait pas de relations sexuelles avec la jeune mais il y a un moment où ça se passait comme ça. Et c’est vrai que moi dans cette période-là je considérais que ma mère était l’opprimée et celle qui fallait soutenir. Et je me souviens un jour mon père m’a dit « je ne comprends pas pourquoi tu me bats froid et tu es tout le temps du côté de ta mère » et tout ça. Moi je lui expliqué. C’est ma mère qui la première m’avait fait la confidence, alors que mon père avait fait la confidence à ma sœur

 

RG : D'accord, bon

 

FP : Et alors après quand ma mère partie et qu’il est donc resté avec sa jeune femme, ma mère là par contre voulait absolument empêcher toute relation avec mon père. Et je n’ai pas accepté ça. Donc moi je suis allée le voir, je l’ai rencontré, hein. Mes enfants sont allés en vacances chez mon père et, alors que les autres petits-enfants ont mis beaucoup plus de temps. Donc ma mère m’en a beaucoup voulu de ne pas avoir fait la forteresse assiégée autour d’elle

 

RG : Mais vos parents ne se sont pas réconciliés ?

 

FP : Ben ma mère est morte, et avant, donc on savait qu’elle allait mourir, et il y a eu deux mariages dans la famille. Et mon père est venu pour le mariage de sa petite-fille aînée sans sa femme, parce que ma mère n’aurait pas accepté. Et il a dit qu’il ne trouvait pas ça normal et qu’il ne viendrait plus à un autre mariage sans sa femme. Et quand mon neveu s’est marié, il ne voulait pas venir au mariage si sa femme ne venait pas. Et j’ai écrit à mon père en lui disant que j’avais fait un rêve. Donc je lui racontais mon rêve, et j’ai dit que je ne supportais l’idée que, que ma mère allait mourir et qu’ils n’allaient pas se voir, se revoir à cette dernière occasion

 

RG : Oui

 

FP : Donc il est venu

 

RG : Bon sur cette note un peu triste, très triste même, je crois qu’on peut…

 

FP : Non pas si triste.