Christiane and Pierre Burguière

name of activist

Pierre Burguière

date of birth of activist

13 April 1943

gender of activist

M

nationality of activist

French

date and place of interview

Le Camper du Larzac, 2 May 2008

name of interviewer

Robert Gildea

name of transcriber

Nora Khayi

 

name of activist

Christiane Burguière

unmarried name/alternative name of activist

 

date of birth of activist

2 July 1946

gender of activist

F

nationality of activist

French

date and place of interview

Le Camper du Larzac, 2 May 2008

name of interviewer

Robert Gildea

name of transcriber

Nora Khayi

 

If the embedded player does not work, download audio here

 

CB : Mais enfin donnez-nous un ordre parce que…

 

RG : Oui, alors allez-y, alors s'il vous plaît, pour tous les deux, est-ce que vous pouvez me dire votre nom et puis votre date de naissance ?

 

CB : Alors moi je m'appelle Christiane Burguière

 

RG : Oui, allez-y Oui

 

CB : Je suis née le 2 juillet 1946 à Millau

 

RG : A Millau

 

PB : Et moi Pierre, je suis né le 13 Avril 43 à Bozouls, c'est toujours dans le département de l'Aveyron mais plutôt vers le nord du département

 

RG : Vers le nord, oui, et deux mots sur votre famille, enfin vous c'est la famille de …

 

PB : Jean-Marie oui

 

RG : de Léon

 

PB : Léon le fermier, était le fils de Léon

 

RG : Et j'allais vous demander c'était un, ce qu'on disait dans le temps un patriarche ?

 

CB : Un patriarche

 

RG : Patriarche

 

PB : C'était, peut-être  pas un patriarche, le patriarche c'est, c'est ce que, nous on en a fait, mais c'était un notable

 

RG : Oui

 

PB : A l'époque, il était engagé dans beaucoup de, de d'organisations, il était membre  de conseils d'administration, de mutualités sociales agricoles, du Crédit agricole, de la, Groupements, tout un tas de trucs, juge au tribunal paritaire et tout. Et c'est vrai que nous on ne l'a pas du tout remplacé dans ces trucs-la, et on n'a pas voulu

 

CB : Oui mais justement c'est important  ça parce que le fait qu'il était notable, comment vous dire

 

RG : Oui

 

CB : il était déjà conscientisé par beaucoup de, de problèmes, il était, puis il y avait quand même étudié aussi. Donc quand l'affaire du Larzac est arrivée, il venait juste de prendre sa retraite et tout de suite...Nous on était très jeunes, moi j'avais 24 ans, Pierre avait 27 ans

 

RG : Oui

 

CB : et tout de suite c'est lui qui a pris un peu le bâton de pèlerin, avec Guy Tarlier, Pierre Lore, l'industriel de Rochefort

 

RG : Oui

 

CB : qui étaient beaucoup plus âgés que nous et c'est eux qui ont démarré un petit peu. Le père de Pierre avec Guy Tarlier et Pierre Lore ils allaient faire des réunions un peu partout en France pour essayer de sensibiliser les gens 

 

RG : Oui d'accord, quand vous dites qu'il avait fait des études, il a

 

PB : Non des études pour son époque

 

RG : Oui secondaire

 

PB : Oui secondaire oui

 

CB : Oui

 

RG : Au collège

 

PB :  Oui dans, c'était un noviciat

 

RG : un noviciat ?  

 

PB : C'était pour des frères, ce qu'on appelait à l'époque les Frères des Écoles Chrétiennes

 

RG : Oui d'accord mais il n'est pas devenu un…

 

CB : Mais il était chez…

 

PB : Les Marianistes, euh Maristes,

 

CB : Maristes

 

PB : les Frères Maristes oui

 

RG : dans le département ?

 

PB : A Montauban

 

CB : Montauban oui

 

RG : Mais il n'est pas devenu mariste bien sûr

 

PB : Non, non, non

 

RG : Et vos parents à vous ?

 

 CB : Mes parents ils étaient agriculteurs à côté de Millau, aux portes de Millau

 

RG : Oui

 

CB : et mon père est mort à presque cents ans dans la maison ou il est né, c'est-à-dire

 

PB : Dans la chambre

 

CB : qu'il a vécu cents ans dans la même maison, dans la chambre

 

PB : Dans la chambre ou il est né (rire de RG)

 

CB : Et mon frère a toujours, a repris l'exploitation, maintenant il vient de prendre sa retraite

 

RG : La chambre

 

CB : et il a son fils qui… (rire) non c'est le fils de ma sœur, enfin c'est resté dans la famille voilà

 

RG : D'accord

 

CB : Et ils nous ont aussi toujours soutenus pendant la lutte du Larzac et je pense qu'on a donné beaucoup de soucis à nos parents. Parce que bien souvent ils ne savaient pas où l'on était, qu'est-ce qu'on faisait, quand on allait faire une action la nuit on ne leur disait pas. Ils ne l'apprenaient pas par les journaux mais ils l'apprenaient quand l'action était passée

 

PB : Et ils nous ont toujours soutenus, c'est ça la chance qu'on a eu c'est qu'au niveau  familiale…

 

CB : Nos deux familles

 

PB : Aussi bien des deux cotés

 

RG : Oui

 

PB : Il y avait un partage de, de la lutte à 100%

 

RG : Oui d'accord

 

PB : Pas, non pas d'engagement

 

RG : Votre père était engagé mais votre père à vous il était ?

 

CB : Non il venait toujours aux manifestations, aux rassemblements, mais il ne venait pas aux réunions

 

PB : Il venait soutenir au tribunal et tout…

 

CB : Alors que son père venait…et puis son père il faisait le refus de, quand il y a eu le refus d'impôts, c'était lui qui s'en occupait, qui envoyait des lettres aux gens

 

PB: Qui faisait le trésorier

 

CB : Il était trésorier de la PAL, de l'Association pour la Promotion de l'Agriculture sur le Larzac et qui est devenu l'Association pour l'Aménagement du Larzac 

 

RG : D'accord

 

CB : Cette association a été crée a la fin de 1971, elle dure encore

 

RG : Ah oui d'accord

 

PB : mais sous un autre, on a changé …

 

CB : Maintenant elle s'appelle l'Association pour l'Aménagement du Larzac

 

PB : Voilà

 

CB : Mais à l'époque elle a été créee pour la lutte, c'était l'Association pour la Promotion de l'Agriculture sur le Larzac…

 

PB : Pourquoi on avait crée cette association ?

 

RG : Oui

 

PB : Parce que les pouvoirs publics n'avait, ne faisait aucun investissement sur la région du Larzac, comme dans beaucoup d'endroits, enfin le Larzac en particulier. C'était un pays, c'était un désert, d'ailleurs Debré quand il présentait le Larzac, il avait été même dit que les, les corbeaux prenaient la musette pour traverser le Larzac, c'était dire c'était un désert, c'était la Sibérie française. Debré appelait le Larzac la Sibérie française

 

RG : Oui d'accord

 

PB : Alors c'était un tissu de mensonges parce qu'au moment où il disait ça, il y avait déjà un certain nombre de jeunes agriculteurs qui s'étaient installés, il y avait un renouveau agricole, et c'était la région de France ou il y avait au début de la lutte du Larzac, en 70-71. Il y avait le plus de GAEC, c'est les Groupements Agricoles d'Exploitation en Commun

 

RG : Oui

 

PB : Il y avait le plus de jeunes agriculteurs qui étaient chefs d'exploitation

 

RG : Oui

 

PB : C'est là où il y avait une quantité d'enfants puisqu'on a ouvert une école sur Larzac, pas ré-ouvert

 

RG : Oui

 

PB : Ouvert carrément

 

CB : Crée

 

PB : une école

 

CB : Crée une école et…

 

RG : A quel endroit ?

 

CB : A côté là, à 500m   

 

PB : Au dessus de l'Hôpital juste a coté

 

CB : Entre la Ferme de l'Hôpital et chez nous

 

RG : D'accord

 

PB…En triangle oui. Donc c'était, c'est dire que, et c'est la quand on revient en mai 68, ou il y avait une certaine presse, on lisait une certaine presse, on regardait la télé, et qui était vraiment aussi au, alors on ne lisait pas des journaux de gauche, il faut être honnête

 

RG : Oui, oui

 

CB : On était à droite avant

 

RG : Oui

 

PB : Et donc on s'est aperçu…

 

CB : par tradition familiale

 

PB : Dans mai 68 c'était nos références parce qu'on ne savait pas ce qui se passait. A Millau il ne se passait rien, et au début de la lutte du Larzac quand on a vu comment les medias présentaient le Larzac, comment ils présentaient des actions qu'on faisait 

 

RG : Oui

 

PB : On a dit « mais on nous a menti, mais on nous a menti alors tout le temps, ce n'est pas qu'aujourd'hui qu'on nous ment »

 

RG : Oui

 

PB : On avait cette naïveté de découvrir

 

CB : de croire tout ce qu'on entendait, tout ce qu'on voyait

 

PB : Oui, Oui, et puis de découvrir à ce moment-là qu'on nous avait menti en mai 68. Et on a eu ces réflexions en disant « mais au fond on ne sait pas ce qui s'est passé en mai 68 »

 

RG : Oui

 

PB : On regardait la télé c'est tout                    

 

RG : Oui, oui, est-ce que, est-ce que je peux revenir un peu en arrière, pour vos études, qu'est-ce que vous avez fait comme études ?

 

PB : Moi je, j'ai été jusqu'en cinquième, j'ai quitté l'école à 14 ans

 

RG : D'accord…et c'était l'école à

 

PB : Ah non j'étais dans un petit séminaire à Saint-Affrique

 

RG : Ah dans un petit séminaire

 

PB : Oui

 

RG : Comme votre frère

 

PB : Oui, mais lui était au…

 

RG : Le petit séminaire jusqu' à 14 ans

 

PB : Oui

 

RG : Et vous avez quitté, donc vous avez quitté l'école…

 

PB :  A 14 ans

 

RG : A 14 ans donc c'est en…

 

PB : J'ai quitté en 5..

 

RG : En 57

 

PB : 57 Oui 57, j'ai 57

 

RG : Et c'était pour ?

 

PB : Je suis revenu à la ferme, j'ai travaillé depuis sur la ferme, j'ai fait un peu de formation agricole, école d'agriculture un peu quoi pour...C'était, il fallait avoir quand même un peu…

 

RG : Oui bien sûr

 

PB : plus de bases

 

RG : Donc vous avez fait  l'école agricole

 

PB : A Millau là, non, non mais c'est une école tout ce qui avait, c'était dans les seules choses qu'il y avait  à l'époque, il y avait la Roque

 

RG : Oui

 

PB : Mais après c'était des...j'ai fait des cours par correspondance et l'École d'Agriculture à Millau quoi… l'école d'apprentissage agricole plutôt   

 

RG : D'accord, et vous madame ?

 

CB : Et ben moi pas plus, pas mieux,

 

PB : Ah si

 

CB : J'ai été jusque CAP employé de bureau, j'avais 17 ans quand j'ai quitté l'école parce que, ben après...C'est vrai que on a souffert tous les deux on peut dire à l'école parce que on était dans des écoles d'enfants…

 

PB : de bourgeois

 

CB : de bourgeois, lui au petit séminaire et moi à Jeanne d'Arc à Millau. Et j'étais avec des, des enfants de riches et, et j'ai souffert d'une différence que je sentais au niveau de la direction de l'école

 

PB : De mépris, de…

 

CB : un petit peu et puis bon c'est aussi que nos parents, mais c'était certainement comme ça pour tous les enfants en milieux ruraux. Quand on rentrait le soir, en fait les études ça ne comptait pas. Il fallait travailler pour le ferme, il fallait, à chaque vacances - on a des souvenirs communs en fait, ou dans le même département on était pourtant pas tout à fait à côté mais on vivait les mêmes choses - il fallait garder les bêtes, il fallait  ramasser les gerbes, ramasser les dans les vignes

 

RG : Oui, Oui

 

CB : ramasser les fruits, il fallait tout le temps travailler, il n'y avait pas de place pour les études et...Mais ça on le vivait pas mal à ce moment-là mais avec le recul on se dit que

 

RG : Oui d'accord

 

CB : Moi parfois j'ai eu des regrets de ne pas avoir travaillé d'avantage, et puis on se mariait très jeunes. Moi je me suis mariée à 19 ans, à 20 ans j'avais mon premier enfant donc c'était..on avait une jeunesse comme ça quoi…

 

PB : Oui c'était…

 

CB : Et aujourd'hui c'est différent, quand les enfants se marient à 30 ans passés, mais bon voilà quoi

 

PB : On passait notre adolescence jusqu'a l'âge adulte à penser à se marier c'est tout

 

CB : Voilà donc on s'est marié, moi je me suis mariée

 

PB : Mais on ne regrette rien

 

CB : On s'est marié en 65 et la lutte est arrivée en 1970. On avait déjà deux filles et donc on s'est jeté pleinement dans cette lutte avec -  je ne sais pas si son frère et ma sœur vous l'ont dit hier mais on habitait à ce moment-là là-bas, à la Ferme de l'Hôpital, on n'habitait pas ici

 

RG : D'accord

 

CB : On habitait tous ensemble à la ferme, on a vécu la lutte à côté en commun et on a reçu énormément de gens, c'est un point…

 

PB : stratégique

 

CB : géographiquement stratégique et donc il y avait beaucoup de cars qui venaient, de journalistes, on était tout le temps avec ma sœur en train de…

 

PB : faire à manger…

 

CB : de l'accueil et on avait tout le temps du monde à table, c'était impressionnant quoi 

 

RG : Oui, d'accord

 

CB : Donc notre rôle, ce n'était pas un rôle de vedette entre guillemets où l'on allait prendre la parole etc. Mais il y a eu des rôles très différents, chacun trouvait sa place voilà

 

PB : Je crois que ce qu'on peut dire c'est qu'on est passé de l'adolescence à l'âge adulte…. 

 

CB : On n'a pas eu de jeunesse, on n'a pas eu de jeunesse, c'est vrai

 

PB : Voilà, mais on ne regrette rien

 

CB : On ne le regrette pas parce que on a vécu une, une vie très, très riche et on l'a vit toujours

 

RG : Oui mais par la suite plutôt

 

PB : Non, non…

 

CB : Non très jeunes puisque je vous dis…

 

RG : Même jeunes

 

CB : Moi j'avais 24 ans quand en 1970 et lui il avait 27, quand ça a commencé

 

RG : Oui mais je veux dire, avant la lutte, c'était aussi une  jeunesse riche ?

 

PB : Pff

 

CB : Ben…

 

RG : ou moins riche…vous avez découvert ?

 

CB : Moi j'ai l'impression d'être sortie de l'adolescence et de m'être mariée tout de suite et d'avoir des enfants

 

RG : Voilà

 

CB : C'est ça. Donc la jeunesse normalement elle est entre les deux, elle est entre l'adolescence et le rôle de parent…

 

PB : Mais on vivait la jeunesse que vivait nos, nos voisins à la même époque hein

 

CB : Oui c'était une époque

 

PB : et ce n'était pas quelque chose d'extraordinaire, on n'était pas arriéré ou progressiste. Tous les gens, dans le gens qu'on fréquentait c'est-a-dire le milieu rural

 

RG : Oui

 

PB : c'était pareil. Et c'est à partir de la, la lutte qu'il y a eu un décalage où l'on s'est, on est toujours resté paysans

 

RG : Oui

 

PB : mais on s'est aperçu qu'avec les paysans de...traditionnels qui étaient nos voisins ou même nos amis d'autrefois

 

RG : Oui

 

PB : il y a eu un déçalage. C'est-a-dire qu'on n'avait plus les mêmes sujets de préoccupation. C'était nous, c'était plus la terre, notre survie, notre problème économique mais c'était aussi la découverte de l'armée à quoi ça sert, de la violence à quoi ça nous mène. C'est qu'on a fait un cheminement que d'autres ont fait aussi autour de la lutte du Larzac

 

RG : Oui

 

PB : Ça c'était, c'est sûr, mais nous en tant que paysans on a fait toutes ces réflexions sous la contrainte. C'est vrai parce que, c'est, c'est même pas sous la contrainte, c'est en se battant contre l'armée, on a fait toutes ces réflexions et toutes ces découvertes qui nous on amenés à nous poser des questions que peut-être  ne se seraient jamais posées

 

RG : Oui                                                                    

 

CB : Mais il faut dire que toi quand tu étais jeune tu étais engagé à la JAC, Jeunesse Agricole Catholique…

 

RG : Oui j'allais poser la question

 

CB : et là tu avais trouvé, tu avais trouvé quand même un certain équilibre, un certain épanouissement

 

PB : Oui  

 

RG : Parce que c'était à quel âge la JAC ?

 

PB : Moi, moi quand j'ai quitté l'école j'ai commencé, à 14 ans j'allais, à 15 ans voilà

 

RG : Et c'était une formation religieuse ?

 

PB : Non, non

 

CB : Ce n'était pas une formation

 

PB : Non ce n'était pas une formation

 

RG : Ce n'était pas une formation

 

PB : La JAC c'était un mouvement…

 

CB : C'est un mouvement

 

PB : de jeunes qui…

 

RG : Oui

 

PB : qui…

 

RG : Sous la direction d'un curé ?

 

CB : Oui

 

PB : Oui c'est vrai mais ce n'était pas que...alors c'est vrai qu'il y avait beaucoup de respect. Il y avait euh au niveau de la, une éducation de la vie de couple, de comment se préparer au mariage par exemple. Il y avait le, la préoccupation justement - c'est ce que je disais tout a l'heure - ce côté social et humain que la JAC a véhiculé dans le monde rural où notre propre développement le ferait pas tout seul, le ferait tous ensemble

 

RG : Oui

 

PB : Et c'est vrai que ça, ça a cultivé, la JAC a donné des Raymond Lacombe, des Bernard Lambert, des Debatisse, bon même si je ne suis pas du tout d'accord avec certains, mais pour moi…

 

RG : comme Debatisse ?

 

PB : Non en particulier (rire de RG) Raymond Lacombe et Bernard Lambert sont deux références…

 

RG : Oui, oui

 

CB : Mais parce qu'on partage les mêmes options

 

PB : Non et puis Raymond Lacombe c'était un petit paysan

 

RG : Il est de ?

 

CB : Il est de l'Aveyron

 

PB : Oui, oui …il avait 25 hectares de, il avait 25 vaches, c'est tout. Et c'est vrai que il avait un souci du monde paysans incroyable

 

RG : Oui, et il était chef de…

 

PB : Il a était président de la FNSEA

 

CB : Président…

 

RG : FN ?

 

CB : FNSEA

 

RG : Fédération Nationale ?

 

PB : Fédération Nationale oui

 

RG :  l'époque du Larzac ou à l'époque ?

 

PB : Après il a été limogé

 

RG : Oui d'accord

 

PB : Pendant la lutte du Larzac il était président de la FDSEA, c'est-a-dire le département

 

RG : Département d'accord  

 

PB : Et c'est un homme qui nous a toujours soutenu

 

RG : D'accord

 

PB : même si il était bousculé parce qu'il y en avait qui lui disaient « ils nous font chier ces gens du Larzac ». Lui n'a jamais fait quelque chose sans, disons sans nous en parler

 

RG : Oui

 

PB : alors qu'il y en a d'autres qui essayait de négocier dans notre dos, des responsables agricoles

 

RG : Oui

 

PB : Et c'est vrai que Raymond Lacombe, pour beaucoup de gens du plateau, a été une référence et quelqu'un en qui on avait une très, très grande confiance  

 

RG : Oui

 

PB : Et c'était un grand militant de la JAC, puisqu'il a été responsable national

 

RG : Mais c'est  JAC hommes  et ou garçons, et JAC femmes ?

 

PB : JACF

 

CB : Moi je n'en ai pas fait partie

 

RG : Non, et les Chrétiens dans le Monde Rural (CMR) c'est autre chose ?

 

PB : C'est après

 

CB : Alors ça on y était…

 

RG : Après ?

 

CB : Oui

 

PB : C'est toujours les mêmes mais…

 

CB : des couples, c'était plus les couples

 

PB : C'est les couples 

 

RG : Il y avait plus des couples

 

PB : Voilà

 

RG : Donc là vous étiez là-dedans tous les deux ?

 

CB : On était là-dedans tous les deux et…

 

PB : C'est ce qu'on appelait le CMR

 

CB : On était même avant le début de la lutte  

 

PB : Oui

 

CB : Mais quand la lutte a commencé, le prêtre qui s'occupait du groupe, ben dans ces réunions, dans ces rencontres on parlait de la lutte déjà, et le prêtre nous aidait bien à réfléchir. C'était, ça a démarré comme ça en fait nos réflexions un peu sur, autre chose que sur la lutte pour notre coin de terre en fait. C'est-a-dire qu'on a ouvert nos réflexions sur, ce que tu disais tout a l'heure, l'armement, la non-violence…

 

PB : A quoi ça sert une militaire oui

 

CB : et tout ça oui, jusqu'à ce que Lanza del Vasto arrive parce qu'il est arrivé quand même au début de la lutte

 

RG : Oui 

 

CB : six mois après, la première manifestation à Millau, le 6 novembre, 1er mars 1972. Il nous a proposé donc une conférence à Millau sur la non-violence et la déjà on était sensibilisé un petit peu par nos réflexions qu'on avait fait dans le cadre du CMR …donc on y a été…

 

RG : Le CMR c'était sur le plateau ou à Millau ?

 

CB : Le CMR c'était sur le Larzac…

 

PB : Oui mais…

 

CB : Il y en avait à Millau, il y avait des mouvements un peu partout

 

PB : C'était l'équipe ici mais il y avait des dizaines d'équipes dans le département

 

CB : en Aveyron

 

PB : et on se retrouvait de temps en temps

 

RG : D'accord

 

PB : Faut bien comprendre l'importance que la, l'Église a eu dans le, ici en particulier au début de la lutte du Larzac,  parce que c'est vraie que ce n'était pas évident. L'Église s'est sentie tout de suite interpellée surtout à cause de la violence dont Debré a annoncé l'extension du camp, c'est-a-dire « j'ai décidé »

 

RG : Oui

 

PB : sans que tout, le camp va être porté de 3000 a 17000 hectares, sans aucune concertation et mieux, en disant les négociations sont ouvertes. Mais le camp va se faire, bon ça toujours été ça d'ailleurs. Et l'Église a eu, en particulier l'évêque de Rodez qui était Monseigneur Dubois à l'époque

 

CB : Non

 

PB : Si, pas du

 

CB : Menard

 

PB : Menard, non

 

CB : Mais si, c'est celui qui nous a soutenus

 

PB : Menard oui, Menard pardon

 

RG : Oui

 

PB : qui était le confesseur de la famille des comtes de Paris, c'était quelqu'un de très, c'était la haute bourgeoisie, mais qui a été extraordinaire. Il a fait lire dans toute les églises du département le même dimanche une lettre pastorale contre l'extension du çamp

 

RG : Ah d'accord

 

PB : et du coup, il a été d'ailleurs, Debré l'a traité de, comment il avait dit, ces, ces évêques ? Enfin il l'a traité de, pas d'idiot mais presque

 

RG : Oui, parce que normalement, enfin souvent l'Église est plutôt de droite, pour l'ordre établi

 

CB : Oui 

 

PB : Exact

 

RG : Mais dans ce cas là

 

CB : Ah mais ici nous on a eu vraiment un clergé a Millau extraordinaire

 

PB : Terrible

 

CB : Ils ont renvoyé leur livrets militaires, pratiquement tous les prêtres à l'époque ont renvoyé…

 

PB : Après c'était beaucoup plus tard mais…

 

CB : En même temps que les paysans bien sûr quand il y a eu cette action là, c'est pour dire qu'ils étaient engagés, ils étaient très engagés, ils étaient  dans toutes les manifs

 

PB : Puis c'était beaucoup des anciens…

 

RG : En soutane ?

 

CB : Non pas en soutane parce qu'ils l'a portaient plus. Mais tous le savaient qui c'était  quoi (rire)

 

PB : Mais on avait, dans le département à l'époque - il y avait plus de la moitie des prêtres de la même tranche d'âge, même plus

 

RG : Oui

 

PB : qui étaient des anciens qui ont fait la guerre d'Algérie et qui ont vu

 

RG : D'accord   

 

PB : Et ces gens-là - même si ils n'en parlaient pas parce qu'ils ont mis très longtemps à parler comme tous les anciens d'Algérie, très longtemps avant d'en parler - ont commencé à en parler et ces questions qu'ils se posaient ben ils ont commencé à en parler ensemble et à trouver aussi des réponses à leurs questions ensemble

 

RG : D'accord 

 

PB : Et ça, ça les a énormément motivés par rapport à leur acte

 

RG : D'accord

 

PB : Et à soutenir les, les  paysans

 

RG : D'accord, parce que le clergé il ne fait pas le service militaire ?

 

PB : Non

 

RG : Non…pas longtemps oui mais pas récemment d'accord ?

 

PB : Non, non

 

RG : donc ils ont, ils ont été à la guerre…

 

PB : Beaucoup ont été en Algérie, ont vu la torture pratiquée et tout, ça les a quand même beaucoup marqués

          

RG : Oui, et vous avez, vous avez cité Lanza del Vasto mais il n'était  pas exactement chrétien ? Enfin il était, il était religieux mais pas, enfin spirituel mais pas chrétien ?

 

PB : C'était un chrétien d'origine

 

RG : Un chrétien d'origine

 

PB : Oui, Oui, catholique, bon c'est un Italien alors

 

RG : Oui mais son, son truc, l'Arche là

 

PB : Ah si l'Arche était d'obédience chrétienne  quand même

 

RG : D'accord  

 

CB : Oui…puis ils habitaient, ils n'habitaient pas très loin du Larzac aussi 

 

PB : Oui

 

CB : Leur communauté dans l'Hérault, la communauté de la Borie Noble dans l'Hérault

 

RG : Oui

 

CB : C'est à trois quarts d'heure d'ici

 

RG : Oui, oui

 

CB : Donc eux ils ont entendu parler du Larzac et, et tout de suite ils sont venus nous rencontrer

 

PB : Puis ils étaient venus déjà pendant la guerre d'Algérie lorsqu'il y avait les prisonniers politiques au Larzac

 

CB : Le çamp militaire

 

PB : Çamp militaire, le, dans les bâtiments du camp militaire là. Et les gens de l'Arche qui sont venus jeûner devant le camp militaire, devant là ou était emprisonnés tous les milliers de gens pour protester contre la, justement cette internement, la torture et tout. Ils ont été quand même dans les, dans les tout premiers à venir, à être, à venir soutenir le Larzac parce que ils connaissaient déjà pour être intervenus comme le, les prisonniers politiques 

 

RG : Et quelle était votre impression de Lanzo, Lanza pardon ?

 

CB : Et ben il nous a conquis tout de suite

 

RG : Oui

 

CB : Ah oui mais vraiment il a conquis son auditoire à 100% quoi parce que on s'est senti porté enfin soutenu enfin par quelqu'un, il était comme un phare au finale

 

PB : Oui

 

RG : Oui

 

CB : parce que nous on était complètement dans la nuit et  tout d'un coup il nous disait ce qu'on devait faire

 

RG : Oui

 

PB : Mais je crois c'est, c'est surtout…

 

CB : Mais il nous disait en même temps « c'est à vous qu'appartient de trouver des actions qui soit sympathiques à l'opinion, ne vous mettez pas les gens à dos, essayez de faire grandir votre lutte par le soutient de l'opinion publique »

 

PB : Voilà, en fait il nous disait un truc, « de tout façon la violence, les armes vous ne les avez pas, en face de vous, vous aller trouver un pouvoir mais qui va vous écraser »

 

RG : Oui

 

PB : Et c'est que ça, ça a fait son chemin

 

RG : D'accord

 

PB : Et comme qu'elle dit, et il nous disait « essayez de faire des actions ou l'opinion publique va pouvoir se retrouver ». Et puis très rapidement on s'est aperçu qu'en fait la non- violence était une technique de défense extraordinaire, il fallait simplement la savoir, l'adapter au…

 

CB : au besoin          

 

PB : à la lutte quoi

 

CB : Oui, oui

 

PB : et c'est que pourquoi on a adopté aussi la non-violence, c'était...Au départ ce n'était pas une conviction profonde même si ça nous, ça nous taraudait à l'intérieur, qu'on se posait des questions

 

RG : Oui

 

PB : Mais on s'est aperçu qu'il fallait aux yeux de l'opinion

 

RG : Oui

 

PB : on apparaisse comme des martyres, des victimes d'un pouvoir  totalitaire. Et c'est exactement ce qu'on a toujours cherché à faire et quand on faisait des actions, ce n'est jamais nous qu'on a commencé, jamais, jamais, on a

 

CB : On répondait

 

PB : En dix ans j'ai vu un gars qui un jour a perdu son sang-froid, qui a donné un coup de poing dans la, dans le visage d'un colonel de l'armée

 

RG : Oui

 

PB : C'est le seul exemple. Alors dire qu'on n'a pas eu des paroles qui étaient des fois aussi très, très violentes, ce serait mentir

 

RG : Oui

 

PB : mais on n'a jamais eu un brin d'agressivité physique

 

RG : Oui

 

PB : contre les forces de l'ordre ou autres

 

RG : Mais il n'y a jamais eu des gens de l'extérieur par exemple qui ont essayé, qui ont voulu noyauté le mouvement ?

 

CB : Si, au départ justement il a fallu choisir

 

RG : Oui

 

CB : après la conférence de Lanza del Vasto à Millau

 

RG : Oui

 

CB : A la fin de la conférence il nous a proposé un jeûne de 14 jours qu'il a fait lui et il nous a demandé de nous associer à son jeûne. Donc on l'a fait à La Cavalerie, dans le village de La Cavalerie, ça a duré 14 jours. Nous on a démarré le jeûne bon par hasard et puis il y en a eu d'autres avec Lanza. Et là tous les soirs il nous faisait une causerie, midi et soir il y avait une causerie sur la non-violence. Donc ça rentrait dans nos, dans nos réflexions. Et à la fin, il y a eu, quand il a rompu son jeûne, il y avait les maos de La Cavalerie qui étaient là mais là ils essayaient de récupérer, de...Et donc il nous fallait choisir et c'est vrai que déjà nous à la fin de ce jeûne, parce que beaucoup de paysans, des gens de Millau avaient participé au jeûne, ben vraiment on avait choisi notre camp

RG : Oui

 

CB : On avait choisi la non-violence,  ça se sentait quoi, et les maos ben on en a fait partir certains parce que…

 

PB : Non on ne les a pas fait partir

 

CB : Non mais ils sont partis d'eux-mêmes

 

PB : Ils sont partis tous seuls

 

CB : Mais ils ont vu que bon, ils nous disaient « mais il faut tout casser, il faut aller dans le  camp militaire »

 

PB : « faire la révolution et tout »

 

CB : « Il faut faire la révolution » et nous ça ne nous convenait pas du tout

 

PB : Mais les paysans par tradition on n'est pas quand même des révolutionnaires avec le, le couteau entre les dents

 

CB : Mais quand même avant la, avant qu'on découvre la non-violence il y avait eu des manifs, une manifestation à La Cavalerie, les discours étaient quand même durs

 

PB : Très, très oui

 

CB : et il y en avait qui disait mais s'il faut, on prendra les fourches pour le droit à la vie  

 

PB : Les fusils, même les fusils

 

CB : Oui, oui…il y avait des…

 

PB : Mon père l'a dit, il a dit….

 

CB : Oui son père disait « on est prêt a prendre les fusils »

 

PB : « On les attend ». Et c'est vrai mais ça c'était la réaction primaire, et lorsque - et ça c'est ce qu'on disait tout à l'heure, on ne se connaissait pas au début - et lorsqu'après le jeûne de Lanza del Vasto justement qui a eu une importance c apitale pour faire l'unité, on a mieux appris à se connaître sur leur acte. Après il y avait des échanges, des échanges qui étaient des fois durs

 

RG : Oui

 

PB : Hein entre nous, mais il n'y a jamais eu la moindre...il y avait de l'agressivité mais il n'y a pas eu de haine. Et donc on faisait des, des analyses des différentes stratégies

 

RG : Oui

 

PB : Et, et en fait on, comme il y avait beaucoup de comités  qui s'étaient crées en France pour soutenir le Larzac

 

RG : Oui, oui

 

PB : et ben ces comités-là venaient aussi participer à des réunions avec nous. Donc beaucoup ont…

 

RG : Les réunions c'était chez vous ?

 

PB : Non il y en avait chez nous….                               

    

CB : Il y en avait partout….

 

PB : il y en avait à peu près partout

 

RG : un peu partout

 

PB : Oui, non mais il y en avait à l'Hôpital, les réunions des paysans au début ça se faisait à l'Hôpital oui

 

RG : Oui

 

PB : Parce que il y avait une grande, une grande…

 

CB : Et à la maison de Jean-Marie et Jeannine, avant ce n'était pas une maison d'habitation, c'était une…

 

PB : C'est là que…

 

CB : c'était un garage pour les matériels agricoles    

 

RG : D'accord

 

CB : et donc les réunions se faisait là, il y avait des…

 

RG : D'accord

 

CB : Là on pouvait rentrer à 150 personnes

 

RG : Et il y avait d'autres meetings chez d'autres paysans ou ?

 

PB : Dans d'autres réunions oui il y en avait…

 

CB : Oui, on en faisait à la maison du Larzac, à la Jasse, je ne sais pas si vous avez vu le bâtiment

 

PB : A l'Hospitalier aussi

 

CB : et puis à la, à la salle des fêtes de l'Hospitalier

 

PB : Oui dans la salle du presbytère

 

CB : Voilà

 

PB : Mais on essayait de temps en temps de faire une réunion - bon sauf si les gens ne le voulaient pas - un peu chez tous les paysans

 

CB : Oui

 

PB : que tous se sentent un peu…

 

CB : impliqués

 

PB : impliqués directement. Bon alors il y en a quelque uns qui n'ont jamais voulu mais ça, pas beaucoup, pas beaucoup  

 

CB : dans différents quartiers, c'était important  ça de changer de lieu

 

RG : Et le serment, ça s'appelle le serment de ?

 

PB : Des 103

 

RG : Des 103, donc il y avait 103 paysans

 

CB : Il a été signé à la fin, après  le jeûne

 

PB : 107 qui étaient concernés

 

RG : Oui

 

PB : Et sur les 107 il y en avait 103 qui ont signé ce serment en disant qu'il ne partiraient jamais quelque soit les moyens employés pour les chasser

RG : D'accord

 

PB : Et ça, ça a été, en permanence le, le cœur de la lutte  

 

RG : Oui

 

PB : Et ça a été la référence. Mais ça a été surtout, bon que ce soit la référence pour nous c'est bien, mais surtout pour le mouvement Larzac  qui s'est crée après surtout

 

RG : Oui

 

PB : c'est resté toujours la référence. Donc quand des gens nous proposaient - parce que vous savez, on peut le dire aujourd'hui, - il y a des gens qui  se sont pointés pour nous porter de l'explosive et faire tel truc, d'autres gens qui nous disaient « là à tel endroit vous pouvez, vous pouvez faire sauter un truc . Tout le monde voulait avoir sa patte sur la Larzac

 

RG : Oui

 

PB : Et donc on donnait des conseils, des conseils qui ne correspondaient pas du tout au choix de lutte des gens du Larzac

 

RG : Oui mais c'était un équilibre un peu difficile parce que vous aviez besoin du soutien des autres

 

PB : Oui

 

CB : Voilà        

 

RG : Mais en même temps il fallait maintenir le contrôle des paysans sur les actions, c'est ça ?

 

PB : C'est pour ça que les comités se sont rapidement aperçus - parce que ils venaient nous dire « Bon il faut faire telle action ce week-end » et tout, on a dit « Oui c'est très bien vous avez raison, lundi, mardi, mercredi vous restez, vous êtes là pour assumer les conséquences de l'action ». « Ah ben non on a notre boulot ». « Oui ben d'accord » (rire de RG). Non mais à partir du moment où vous êtes d'accord pour assumer, on peut faire des choses ensemble parce que nous on est obligé  d'assumer tous les jours

 

RG : Tous les jours oui

 

PB : Et la très rapidement mais ça a été une harmonie je dirais. Oh je ne dis pas que ça s'est passé sans, sans frottement

 

RG : Oui

 

PB : Mais tout le mouvement Larzac a accepté le principe que c'était les gens du Larzac qui en dernier ressort, c'est à eux d'appartenait la décision…et ça a été respecté

 

CB : Mais les comités Larzac ça a été quelque chose d'extraordinaire, ça a été un soutien, les comités non-violents, enfin tout

 

PB : Tout l'ensemble…

 

CB : Il y en avait qui était  au comité Larzac qui était aussi  au comité non-violents, c'était aussi un peu les mêmes personnes. Mais, il y a eu combien ? près de 300 comités Larzac en France         

 

RG : 300

 

PB : Ou dans le monde, 200, non 230

 

CB : Je ne sais pas, plus de 250, le chiffre on ne l'a pas mais….

 

PB : Oui il y en avait était bon

 

CB : Il y avait de gros comités comme celui de Paris, Avignon…

 

PB : Lyon, Marseille

 

CB : Bordeaux

 

PB : Toulouse

 

CB : Laval

 

PB : Nantes

 

CB : et il y en avait des tout petits dans des villages, vraiment, et il se passait des actions    

 

RG : Et ça ils vous soutenaient comment, avec de l'argent, de la publicité ?

 

CB : Oui et puis, et puis ils venaient surtout  régulièrement, régulièrement au Larzac ….ben pour des réunions…

 

PB : Tous les mois

 

CB : pour des réunions de coordination entre les comités et les paysans

 

PB : Ça a duré pendant sept ans. Tous les mois il y avait des représentants de tous les comités, presque tous - pas tous parce qu'ils y en avaient qui était à l'étranger alors - qui venaient sur le Larzac. On faisait ce qu'on appelait une coordination des comités et on se retrouvait à 200, 300, ça dépendait. A Saint-Martin, pour faire le point de la situation et voir ensemble, qu'est-ce que c'est qu'on peut faire - les comités aussi à ce moment-la nous disaient, « ben attention méfiez-vous, le Larzac on en entend plus, il faudrait faire quelque chose et tout ça ». Alors on discutait de tout ça, de la stratégie a moyen et long terme

 

CB : En fait on faisait en sorte toujours que, dans les media on parle du Larzac. Si tout d'un coup ça retombait, on sentait que ce n'était pas bon pour nous. Si dans les informations, il n'y avait pas d'informations bon ça voulait dire bon ben le gouvernement  il disait « bon ben ça y est, ils ont abandonné la lutte c'est terminé ». Plusieurs fois ils ont essayé de faire baisser la pression et puis, alors tout de suite on imaginait une autre action et puis on repartait quoi…on n'avait jamais de repos

 

RG : Alors pour vous les actions principales c'étaient quoi ?

 

CB : Il y en a eu, ben en 72…

 

RG : La Tour Effel a Paris ?

 

PB : Oui, Oui mais c'est, ça c'est une à eux

 

CB : Le jeûne était aussi une action principale

 

RG : Le jeûne

 

CB : parce qu'on n'avait jamais fait ça de notre vie et c'était, on a trouvé ça très fort

 

RG : Oui

 

CB : Après il y avait les tracteurs à Rodez, en juillet 72

 

RG : Oui

 

CB : Il y a eu 60 tracteurs

 

PB : Oui

 

CB : qui sont montés à Rodez. Après il y a eu les moutons, la même année les moutons sous la Tour Eiffel en octobre quand il y a eu l'enquête de l'utilité publique

 

RG : Oui

 

CB : On avait amené aussi…

 

PB : Non c'était avant

 

CB : au début de l'enquête, 1500 brebis, plus

 

PB : 2000 brebis

 

CB : 2000 brebis devant la mairie de La Cavalerie

 

PB : Ça c'est ce que je voulais dire, des paysans qui ont accepté, du village de la Cavalerie, tous mélanger les troupeaux

 

RG : Oui

 

PB : Il y avait plus de 2000 brebis

 

CB : sur la place de la mairie

 

PB : pour bloquer l'entrée de la mairie

 

RG : D'accord

 

PB : Ben je peux vous dire ça a mit…

 

RG : Pourquoi bloquer la mairie ?

 

PB : Parce que c'est là

 

CB : C'était l'enquête d'utilité publique

 

PB : Voilà, c'est la qu'il y avait le commissaire enquêteur

 

RG : Oui d'accord

 

CB : Et la, ça a durée combien, 15 jours, 10 jours, l'enquête de l'utilité publique

 

PB : 15 jours

 

CB : Et c'est la que…

 

PB : Oui, un mois, un mois

 

CB : une délégation dont on faisait partie, on est allée à Paris avec 60 brebis qu'on a fait amener sur le Champ de Mars

 

PB: sous la Tour Eiffel

 

CB : et c'est la que le Larzac a pris une ampleur nationale, à partir de cette action

 

RG : Oui

 

CB : parce que jusque là c'était resté dans le cadre local

 

PB : local oui

 

RG : Oui

 

PB : Je ne sais pas, vous n'avez jamais vu le CD sur la lutte du Larzac ?

 

RG : Non j'ai vu des photos mais pas le CD

 

CB : Il y a un CD

 

PB : Vous seriez, alors là, vous comprendrez, en voyant ça vous comprendrez certaines choses

 

RG : Oui

 

PB : quand vous parlez, quelles sont les actions ?

 

RG : Oui

 

PB : ben il y a eu des foules d'actions

 

CB : Après en janvier 73…

 

PB : des centaines d'actions…

 

CB : Donc on est reparti à Paris, enfin je dis « on », bien évidemment  c'est le Larzac parce que, en tracteur donc - et il y avait une seule  femme d'ailleurs - en plein hiver hein, en plein hiver du Larzac à Paris en tracteur, il y a avait 26 tracteurs

 

PB : puis…

 

CB : des actions comme ça, ça se prépare longtemps à l' avance

 

RG : C'est l'action qui a été bloquée à Orléans ?

 

CB and PB: Voilà    

 

PB: C'est ça

 

RG : Et c'est à ce moment-là que vous avez

 

CB : en 73…

 

PB : Bernard Lambert a trouvé

 

RG : le soutien de Bernard Lambert ?

 

CB : Oui

 

PB : Non, on l'avait déjà

 

RG : Vous l'aviez déjà ?

 

PB : Oui, oui

 

RG : D'accord

 

CB : Et il a annoncé donc

 

PB : qui a annoncé le rassemblement  en 73

 

CB : enfin il a proposé un rassemblement paysans/ouvriers pour l'été et…

 

PB : on en avait discuté quoi un peu

 

CB : Et donc ça c'est fait, ou il y avait 60 000 personnes et, avec des marches convergentes qui venaient d'un peu partout et…

 

PB : du sud, de l'ouest, du nord

 

CB : Et  ce qui est incroyable c'est que à chaque fois qu'on avait fait une action forte on était dans notre tête, dans notre cœur, on disait « on a gagné, cette fois ce n'est pas possible on a gagné »

 

RG : Ah oui

 

CB : et en faite on n'avait rien gagné, on continuait toujours

 

RG : Il fallait continuer

 

PB : Bien sûr

 

CB : Mais on avait le morale après chaque action, on disait « c'est extraordinaire tout ce soutien, on était vraiment persuadé que là on allait gagner quoi ». On a toujours eu cette foi

 

RG : Et après l'élection de Giscard, rien n'a changé ?

 

CB : Ben on avait toujours le champagne au frais, on buvait un coup quand même pour se remonter le morale et…

 

PB : Non mais je crois qu'en fait…

 

CB : Oui 74 ça a été difficile mais je crois justement, il y a eu un autre rassemblement où il y avait le double de personnes de l'année d'avant

 

RG : Oui

 

CB : par rapport à l'année d'avant

 

PB : Mais on n'a jamais cru, sous le gouvernement de droite, on n'a jamais pensé qu'ils abandonneraient le projet. Je crois que, et c'est vrai qu'on a, autant - bon aussi peut-être  parce que Mitterrand est venu en 74 sur le Larzac et il a failli y laisser sa peau, oui il s'en rappelle

 

RG : A quel moment il est venu ?

 

CB : Au rassemblement de 1974

 

PB : Soit après les, sa défaite…

 

CB : après sa défaite en fait

 

PB : de, aux élections

 

CB : aux élections présidentielles de mai

 

PB : et…

 

CB : de mai 74

 

PB : On lui a sauvé la vie. Ça a été, ça n'a pas été facile, il y avait une collusion, on n'avait, - ça aussi c'est la richesse du mouvement qui a soutenu le Larzac - on avait des gens qui ont trafiqué des postes, qui ont enregistré pendant tout le rassemblement toutes les conversations des flics, de la préfecture, de, bon des, des spécialistes

 

RG : Oui

 

PB : Bon c'était ça aussi le mouvement, et donc on a su que c'était une opération qui s'appelait l'opération Alfa

 

RG : Oui

 

PB : Ils allaient sauver Mitterrand pour faire passer le Larzac comme des gauchistes, et des terroristes même

 

RG : Ah bon

 

PB : Ah oui, oui, oui, et ça, on avait les enregistrements de ça

 

RG : D'accord

 

PB : Et bon, alors, et c'est vrai qu'on n'a pas trop voulu remuer parce qu'on espérait toujours qu'il y aurait une négociation, mais négociation vrai, une vraie négociation

 

RG : Oui

 

PB : alors on n'avait pas envie de jeter sur la place publique des histoires que, qu'on avait, qu'on aurait jamais dû entendre quoi, par exemple

 

RG : D'accord

 

PB : contre le pouvoir de l'époque

 

RG : Oui, oui…et à un certain moment, vous avez parlé de la non-violence, mais à un certain moment il y avait des confrontations avec, avec l'Etat, des, des bagarres, des ?

 

CB : Ben des bagarres sur le, euh sur le terrain ici, il y avait tout le temps des escarmouches. C'est-a-dire les militaires ils débordaient de leur limite du camp militaire…

 

PB : volontairement

 

CB : ou involontairement parce qu'ils se perdaient

 

PB : volontairement, non, non, non….

 

CB : et il fallait aller toujours sortir le notaire…

 

PB : c'était tâter le terrain

 

CB : Ils passaient dans les hameaux la nuit avec des engins blindés

 

PB : dans les fermes, partout oui

 

CB : Ils piétinaient les récoltes, ils passaient les hélicoptères très bas, ils effrayaient les troupeaux, il y avait tout le temps des actions sur le terrain. Il y en avait en permanence, et ça on les gérait entre nous 

 

PB : Vous êtes anglais ?

 

RG : Oui

 

PB : La BBC nous a rendu un service extraordinaire

 

RG : Ah bon ?

 

PB : à l'époque

 

RG : Qu'est-ce qu'elle a fait ?

 

PB : Et bien l'armée anglaise venait s'entraîner sur le Larzac

 

RG : Oui

 

PB : et bon entre parenthèse l'armée anglaise, bon pas davantage l'armée française, on ne les aimait pas, je peux vous le dire

 

RG : Bien sûr, mais pourquoi ?

 

PB : Parce qu'ils étaient odieux

 

RG : C'est normal

 

PB : Ils étaient odieux

 

RG : C'est normal

 

PB : Et la ils venaient s'entraîner sur, dans le hameau de la Blaquière, sur les maisons, pour aller à Belfast après

 

RG : D'accord

 

PB : maintenir l'ordre. Et ça c'est trouvé qu'un jour la BBC vient faire un reportage sur le Larzac et elle tombe à la Blaquière avec des Anglais qui étaient sur les toits des maisons, qui faisaient tomber des...et tout, alors qu'il y avait les habitants dedans. Un char qui essaie de rentrer dans les petits chemins qu'il y avait, il ne passe pas, ça failli toucher, il a fait tomber un mur. Il a été obligé, il y avait les enfants de la famille Giroux qui étaient tous devant et qui avec un bâton pour le, c'était dérisoire, mais si, effectivement on a dit qu'ils étaient menaçés

 

RG : Oui

 

PB : L'armée anglaise avait dit que des gamins de sept ans, huit ans, cinq ans même

 

CB : qui leur lançait des cailloux

 

PB : qui faisait reculer le char (rire) et la BBC nous a donné une copie

 

RG : D'accord

 

PB : de ça

 

RG : Oui

 

PB : et en France ça a fait un bordel. Il y a eu, c'est monté au gouvernement anglais, au gouvernement français. Que si c'était pour faire étendre le Larzac, le temps sur la Larzac et faire revenir l'armée anglaise et allemande pour s'entraîner, on n'avait pas besoin d'aux, on était tout ça. Il y a eu des excuses, enfin bon

 

RG : D'accord

 

PB : Mais c'est grâce à la BBC qu'on a eu ça

 

RG : Oui, formidable, oui

 

PB : Oui

 

RG : Et comment dirais-je, il y a aussi la question du plasticage de…

 

CB : Oui

 

RG : les Giroux ?

 

PB : Voilà cette famille-la

 

CB : c'était en 19…

 

RG : C'est cette famille-là ?

 

CB : 1975

 

RG : Oui

 

CB : le 15 mars

 

RG : Oui

 

CB : Il y a eu donc une charge de plastic qui a été placée devant la porte d'entrée de la maison de la famille Guiraud

 

PB : Dans un moyeu de roue de char, il y avait un moyeu de roue de char qui servait pour un pot de fleurs

 

RG : Oui

 

PB : et ils ont mis la charge là-dedans, et en fait c'est de l'explosif, c'était de l'explosif militaire. Ça les experts on était catégoriques, bon

 

RG : Oui

 

PB : et c'était fait pour tuer. Parce que c'était une maison en voûte - si c'était une maison traditionnelle comme ça. Il n'y avait plus personne c'était clair - mais la voûte c'est très lourde puisque c'est des pierres là, tout le toit. C'est soulevé, d'après les experts ça s'est soulevé de trois centimètres mais c'est retombé de son propre poids parce que il y avait plusieurs fenêtres où tout a explosé, les fenêtres et les volets. Donc le souffle a réussit à partir par là, ce qui a empêché que la maison tombe. Il y avait dix personnes dedans, et je peux vous dire quand on a, par-dessous on voyait le jour a travers la voûte, pour vous dire

 

RG : Oui

 

PB : on l'a soulevé en rechargeant, on a fait une coque de mortier quoi au-dessous pour tenir

 

RG : Et quand vous dites « ils » c'est des agents provocateurs, c'était l'armée ?

 

PB : C'était l'armée oui

 

CB : Ben il y a eu un non lieu

 

PB : Oui

 

CB : Il y a eu un procès, il y a eu un non-lieu

 

RG : Oui d'accord

 

CB : Donc ils n'ont pas voulu dire la vérité quoi

 

PB : Quand on ne veut pas trouver…

 

CB : bien c'est facile…

 

PB : on fait un non lieu

 

CB : Mais c'était une période difficile parce que on avait construit depuis deux ans, on avait commencé la construction de la bergerie de La Blaquière

 

RG : La bergerie, oui

 

CB :  qui était illégale

 

RG : Oui

 

CB : Donc on pensait qu'il y aurait des représailles par rapport à la bergerie mais jamais par rapport a une…

 

PB : à une famille

 

CB : à une famille

 

PB : Alors ça

 

CB : à une maison d'habitation, on n'a jamais imaginé ça parce que la bergerie était proche de la maison des Guiraud

 

RG : D'accord

 

CB : Puisque c'était pour les Guiraud cette bergerie

 

RG : d'accord

 

CB : les Guiraud et les Jonquet

 

PB : Mais vous savez la famille, elle en ait encore traumatisée de ça hein

 

RG : Oui

 

PB : Il y a un fils qui s'est suicidé

 

RG : Ah bon

 

PB : et bon alors, ce n'est pas pour ça spécialement, mais ça les déglingués…moralement….

 

CB : C'était très difficile après de, je pense qu'ils auraient, cette famille-là - en fait c'est vrai que la Blaquière c'était un peu le verrou du Larzac parce que le amont se trouve a la limite du, à la lisière du camp militaire

 

RG : Oui

 

CB : donc commencer par évacuer cet hameau, ben pour eux c'était gagner

 

RG : D'accord

 

CB : donc les tuer c'était gagner aussi quoi. Finalement ils ont, ils sont restés vivants hein, Dieu merci, c'est un miracle c'est vrai

 

PB : oui, oui, oui la

 

CB : Et après il a fallu les soutenir moralement parce que…

 

PB : et financièrement aussi

 

CB : S'ils nous avaient dit « on ne peut plus rester, on à envie de partir », personne n'aurait osé leur dire « si vous devez rester »

 

RG : Oui

 

CB : On les aurait laissé partir mais sans...c'est terrible pour les autres

 

RG : Oui bien sûr

 

CB : on l'aurait compris leur départ

 

RG : Oui

 

CB : et en fait ils ne sont pas partis, leur maison a été reconstruite

 

RG : Oui

 

CB : Voilà quoi mais ça été terrible pour eux  parce que la nuit ils entendaient toujours le bruit de la déflagration, pendant des années ils ont entendus ça

 

PB : Vous savez toutes les fermes, on en était arrivé à attacher les chiens devant, devant les portes

 

CB : Et le pire, c'est que…

 

PB : ou presque

 

CB : quand ça s'est passé, il a des clous qui ont été semés sur les chemins, des chemins des fermes pour pas que les secours arrivent

 

RG : Ah bon

 

CB : donc nous, on a été averti et en allant….

 

PB : nNn mais c'est surtout que c'est Elie Jonquet, un autre habitant de la Blaquière…

 

CB : qui était en GAEC avec Guiraud  

 

PB : Auguste Giroux

 

RG : Oui d'accord

 

PB : Ils sont venus, ils sont arrivés les quatre roues crevées par des clous

 

CB : Il y avait des clous partout, mais plusieurs fois on a eu des clous sur nos chemins

 

PB : Ah oui la…

 

CB : ça a été…

 

PB : ça a été très dur hein quand même faut pas croire

 

CB : continuel. On voyait scintiller des choses, on s'arrêtait, il y avait des clous, on ramassait les clous, on crevait sans arrêt

 

RG : Oui       

 

CB : sans arrêt

 

PB : Le matin on allait, tous les matins on allait regarder a l'entrée des chemins des fermes s'il n'y avait pas des clous et on ramassait des clous, il y en avait sur le bord de la route

 

RG : Oui

 

PB : aussi, bon

 

CB : Mais il fallait être très, très vigilant parce que d'un côté on avait le soutien ça nous rendait fort. De l'autre côté bon on était quand même voisin du camp militaire et puis il y avait aussi  les commerçants de La Cavalerie qui était eux pour l'extension du camp

 

RG : Ah d'accord

 

CB : parce qu'ils pensaient en retirer des bénéfices mais, bon, ils n'étaient pas trop méchants quand même…

 

RG : Et les gens de Millau étaient avec vous ou…

 

CB : Euh

 

PB : Oui, oui, au  début non, mais au début on leur a promis emplois…

 

CB : mais les ouvriers oui, les ouvriers oui

 

PB : Trois mille emplois, Millau qui était en train de vivre la crise de la ganterie

 

RG : Oui

 

PB : donc trois mille emplois, ben ça va on va pouvoir rester là, notre avenir est assuré

 

CB : mais six mois après il n'y en avait plus que trois cents emplois et finalement après ça se résumait à trente

 

PB : il y a eu trente emplois (rire de RG)

 

CB : Oui, promis…promis

 

RG : promis

 

PB : Oui il y avait, il y en a eu, si ils ont été, ils ont été quand il y a eu le règlement parce que ils ont été obligés de modifier un peu le, le fonctionnement du camp. Ils ont embauché trente emplois mais qui étaient, bon, enfin c'est qu'ils ont dit maintenant on n'a pas été le voir hein, peu importe

 

CB : Après comme grande action en 76, il y a eu la prison

 

RG : La prison ?

 

CB : La prison donc puisqu'il y avait des achats de, de terres, l'armée disait qu'ils achetaient des terrains à l'amiable…

 

PB : Non qu'ils achetaient plus, ils voulaient qu'on négocie, alors là, l'armée disait

 

CB : Ah oui

 

PB : « On a arrêté d'acheter le temps que durera les négociations ».  Et puis nous en même temps, alors bon seulement ces négociations ça se renvoyaient parce que il y avait toujours, c'était niet quoi, on nous proposait rien. Et un jour on entend que l'armée venait d'acheter deux grosses fermes

 

RG : Oui

 

PB : alors on a dit « bon il faut qu'on fasse quelque chose, il faut qu'on rentre dans le çamp, qu'on aille voir ce que l'armée achète pour, pour le dénoncer publiquement »

 

RG : Oui d'accord

 

PB : auprès de la population locale, et c'est ce qu'on a fait, on a fait, on a fait une action commando, on est rentré à

 

CB : vingt-deux

 

PB : vingt-deux

 

RG : Oui

 

PB : dans le camp pour prendre connaissant de tous les dossiers

 

CB : vingt hommes et deux femmes…

 

PB : dans le lieu de, de l'antenne, ce qu'on appelait l'antenne « génie-domaine » c'est-à-dire ceux qui était chargé de tous les achats des terres. Et là on a, on a pris connaissance, on a réussit a faire des photos et tout, bon on a été fouillé mais ils n'ont pas osé, ils n'ont pas tout trouvé, en particulier les pellicules. Bon toutes les dossiers qu'on avait pris ça ils nous ont tout pris, mais les pellicules on avait réussi à planquer des trucs, quand c'est passé après au tribunal a Millau, quand on a jugé en flagrant délit

 

RG : Oui

 

CB : le lendemain matin

 

PB : Et à la fin du procès, même pas, au milieu du procès, les photos qu'on avait prises donc de tous les dossiers ça avait été développé par un, on avait un grand militant la qui était photographe

 

RG : Oui

 

PB : et donc on a pu dénoncer tout ce que l'armée…

 

RG : Ah bien

 

PB : préparait alors que le préfet nous garantissait que ça n'existait pas. E donc c'est là où l'on a découvert,  les Millavois  ça les a rendu fous que Millau se trouvait exactement dans l'axe de tir, c'est-a-dire que …

 

RG : de tir de ?

 

PB : ben de canon, des canons de l'artillerie

 

CB : des canons du camp…Millau se trouvait en face…

 

PB : dans l'axe de tir, bon on sait que…

 

RG : Mais si le camp…

 

CB : si le camp s'était agrandit

 

RG : Ah oui d'accord, d'accord

 

PB : Oui

 

CB : dans le cadre toujours du projet d'extension

 

PB : Souvent ce qui se passe c'est que dans des camps on met une demi-charge ou une charge entière, c'est-à-dire quand on ne peut pas tirer trop loin pour les canons

 

RG : D'accord

 

PB : il y a, c'est des obus de demi-charge, et là c'était dans le cadre d'obus de demi-charge. Et c'est arrivé des dizaines de fois qu'ils se trompent, qu'ils mettent des obus de pleine charge et au lieu de s'arrêter ici, ils partaient de l'autre côté là-bas. Alors ça, ça les Millavois, qui savent qu'il y a des erreurs aussi de tir…

 

RG : Ils tiraient, ils faisaient des exercices de tir 

 

CB : Ah oui

 

PB : réels ?

 

CB : Ils en font toujours

 

RG : réels ?

 

PB : Oh non maintenant c'est du simulé. Maintenant oui, si,  ils en font mais, c'est des tout petit, c'est même pas au canon, il n'y a plus de canon

 

RG : D'accord, d'accord…et la vous avez été jugé, vous avez fait de la prison ?

 

CB : Oui, lui oui

 

PB : Oui

 

RG : Combien de temps ?

 

PB : Une semaine

 

RG : Une semaine ?

 

PB : Parce que…

 

CB : Parce qu'il était paysan et qu'il fallait - les vrais paysans ont été relâchés pour faire les moissons, c'est-a-dire qu'ils sont rentrés le lendemain de l'action c'est-à-dire le 30 juin et ils ont été libérés le 4 juillet

 

PB : six

 

CB : le 4 juillet

 

PB : Oui peut-être 

 

CB : Oui pour faire les moissons. Et normalement ils devaient retourner en octobre effectuer leur peine mais ils y sont jamais retournés

 

RG : Oui d'accord

 

PB : Non même les autres ont été libérés

 

CB : et ce qui est extraordinaire c'est que parmi les sept paysans il y avait deux paysans de la ferme des Truels

 

RG : Oui

 

CB : C'est-à-dire des, des non-violents, de la communauté de l'Arche

 

RG : Oui

 

CB : qui était aussi considérés comme des paysans alors qu'ils étaient quotidiennement menacés d'expulsion de leur ferme parce que c'était illégale leur occupation. Et là finalement on les considérait comme les autres paysans, on les a libéré pour effectuer les moissons sur les Truels, alors c'était paradoxale

 

PB : En fait ils ont sorti une loi parce que ça faisait du foin terrible là. Il y a, en France il y avait des gens qui voulaient foutre le feu aux Cévennes, c'était fou. Faut comprendre le climat qu'il y avait, après il y avait les trains qui, ils ont foutu le feu, il y en avait qui voulaient le faire dérailler et tout. Bon, alors il y a eu beaucoup de pression de Raymond Lacombe qui était président  sur Chirac qui était alors ministre de l'agriculture et là, ils ont tout fait, ils ont la justice indépendante. Ça a été surtout tous les paysans il faut les faire relâcher c'est le minimum. Et notre avocat qui était Maître Jean-Jacques de Félix, de Paris-là,  nous a dit que c'était la première fois dans son histoire d'avocat, dans son histoire de vie d'avocat

 

RG : Oui

 

PB : que, on met, le juge d'application met des gens en prison

 

RG : Oui

 

PB : ce même juge d'application des peines, dans l'heure qui a suivi, le moment où il a fait ce papier, il refait une, il refait un papier pour faire ressortir de suite les gens

 

RG : D'accord

 

PB : parce que tout était, mais vraiment c'était, à Millau il y avait quatre, cinq mille personnes qui étaient, qui allaient mettre la région...et puis c'était partout en France hein, des gens, des comités…

 

RG : C'était une grosse alerte en France

 

PB : Ah oui, oui

 

CB : C'était une action très, très forte. On était, les cars qui devaient emmener les prisonniers étaient sur la Place du Mandarou à  Millau, la place principale, et les manifestants empêchaient les cars de partir

 

RG : Oui

 

CB : parce qu'il fallait qu'ils aillent à la prison de Rodez, et les manifestants étaient devant les cars, ils empêchaient les cars. Et c'est nous les femmes, les, les parce qu'il y a, les, c'est un peu les principaux qui partaient en prison. On faisait pousser les manifestants en leur disant « mais laissez les partir, laissez les partir, ça ne sert à rien de les bloquer », c'était terrible, terrible, cette action

 

PB : Et on a, à l'arrivée a la prison de Rodez, après le jugement donc

 

RG : Oui

 

PB : le commandant de l'escadron de gardes mobiles, quand on est descendu du çar, tous, il y avait le commandant et son adjoint qui était à coté, et tous nous on serrait la main en nous disant, et pourtant le commandant il avait l'oreille arrachée-la

 

RG : Ah oui 

 

PB : pour dire, bon ça, il y en a qui ont perdu un œil….

 

CB : Il y a des manifestants qui ont renversé des poubelles, il y avait une haie d'honneur, enfin un service d'ordre donc des marches du tribunal jusqu'au car

 

RG : Ah oui d'accord

 

CB : et la il y avait des manifestants qui renversaient des poubelles sur les flics, qui étaient déchaînés

 

PB : Mais les flics…

 

CB : après  le verdict quoi

 

RG : Oui

 

PB : ils ne nous en ont jamais  voulu, ils nous ont remercié, ils ont dit « vous avez évité l'émeute à Millau »

 

RG : Ah d'accord

 

PB : Ah oui, oui, oui, non mais c'était plus que chaud

 

RG : Oui, plus que chaud

 

PB : Oui

 

RG : C'était le moment le plus chaud de la décennie ?

 

CB : Oui je pense

 

PB : Oui je crois

 

CB : Ça été l'action la plus dure oui

 

RG : Oui

 

CB : Bon après il y avait des actions sur le terrain, il y avait des…

 

RG : La marche sur Paris

 

PB : Si la marche sur Paris ça aussi là. On a eu peur quand même, il y avait autant de flics que de manifestants, et on était quand même 80, plus de 80 000 mille personnes. Toutes les rues qui étaient bloquées, on avait qu'un seul axe, et a mesure sur des étages, les flics nous balançaient des grenades lacrymogènes

 

RG : A Paris ça ?

 

PB : Oui, oui, à l'arrivée de la fameuse marche à pied

 

CB : C'était impressionnant cette arrivée de marche parce que…

 

RG : C'était en quelle année ?

 

CB : C'était en, ça a commencé le 2 novembre, le 8 novembre 78

 

PB : Oui

 

CB : et elle a durée jusqu'au 2 décembre, donc trois semaines parce qu'il y a 710 km d'ici à Paris

 

RG : Oui

 

CB : et je crois que c'était à la porte d'Ivry ou d'Evry

 

PB : Oui

 

CB : Je ne sais plus

PB : Euh porte d'Orléans on est arrivé et…

 

CB : à la porte d'Orléans il fallait jusqu'à…

 

PB : l'itinéraire qu'on avait négocié c'était porte d'Orléans, porte d'Italie

 

RG : D'accord

 

PB : parce que la…

 

CB : et à ce moment là il était...donc ce parcours était autorisé pour la manifestation et il y avait quand même 17 000 flics avec les casques et les boucliers, qui étaient tout le long du parcours

 

PB : tout le long

 

CB : tout le long du parcours

 

PB : Mais après il y avait tous ceux qui étaient planqués

 

CB : et au milieu des flics il y avait les manifestants…

 

PB : 75  à 80,000

 

CB : Il n'y avait pas un bruit, pas un slogan, le silence, on entendait que les marches comme ça (toc, toc, toc)

 

PB : les bâtons

 

CB : Je peux vous dire que c'était fort

 

PB : Quand c'était ?

 

CB : le silence ça a une force

 

RG : Oui, Oui

 

CB : incroyable

 

RG : Donc c'était prévu que la manifestation soit…

 

CB : et là on était toutes les familles…

 

PB : silencieuse

 

RG : Oui

 

CB : on avait les enfants avec nous et tout

 

RG : Oui

 

CB : ah oui on arrivait à Paris avec les enfants

 

RG : Parce que vos enfants avaient quel âge a ce moment-là ?

 

CB : Et ben notre fils Olivier avait trois ans   

 

RG : Oui

 

CB : et les filles, elles avaient huit ans, dix ans

 

RG : Oui

 

CB : On avait pris toutes les familles pour l'arrivée a Paris. En même temps on prenait des risques, on prenait de gros risques parce que ça pouvait mal se passer. D'ailleurs c'est ce qu'il racontait, quand on a reçu des grenades lacrymogène, après on était dans un nuage, moi je ne savais même pas ou il était, il était au milieu des flics, il essayait de faire, d'être, de faire respecter la non-violence. Mais il y avait, parce qu'il y avait des autochtones qui c'étaient infiltrés

 

PB : Non mais, des autonomes, des autonomes

 

CB : qui foutaient la pagaille…des autonomes, Oui pardon 

 

RG : Des autonomes oui

 

CB : Et donc, après on a fait partir les enfants. Il y en a qui les ont pris, parce que ça devenait dangereux

 

PB : En fait c'était...bon on a appelé ça des autonomes mais il y avait beaucoup de flics dedans

 

CB : en civile

 

PB : et nous, moi j'étais tout à fait devant

 

RG : Des agents provoçateurs ?

 

CB : Oui

 

PB : Oui mais des flics, des flics

 

RG : Oui

 

CB : Mais ils voulaient…

 

PB : et tous, ils étaient habillés en training, ils balançaient des trucs sur les flics, et après on les a suivis on les a photographiés et tout, et ils sont  repartis avec les flics

 

RG : Ah d'accord

 

CB : En fait ils voulaient nous pousser à la violence

 

RG : Oui, Oui

 

CB : Voilà quoi

 

PB : casser le mouvement

 

CB : ils voulaient casser le mouvement

 

PB : mais en permanence 

 

CB : notre image

 

PB : du Larzac. Voilà, parce que on était, c'était une lutte sympathique à l'opinion publique ou c'était l'Etat le grand méchant loup quoi. Nous on a rien demandé et l'Etat veut nous foutre dehors, donc c'est normal qu'ils se défendent. Mais même beaucoup d'officiers qu'on a rencontré aussi bien dans les gardes mobiles que dans les camps militaires, nous disaient « ben moi je serais à votre place, je ferais comme vous »…et c'est normal

 

RG : Oui

 

PB : Et bon alors, c'est vrai qu'on a toujours essayé de faire passer le Larzac comme gauchiste, des babas cool de mai 68 et gauchistes 

 

CB : Et là, le lendemain de l'arrivé de la marche, il y avait une, une entrevue au ministère et la c'est pareil. On attendait vraiment, vue l'ampleur de la marche, plus de 100 000 personnes arrivées à…

 

PB : Oui

 

CB : à la porte d'Italie, à la place d'Italie. On espérait que le lendemain vraiment l'entrevue allait bien se passer, et bien ça a rien donné de plus

 

PB : Non

 

CB : Donc, on est revenu chez nous en nous disant « bon ben, qu'est-ce qu'il faudra faire encore ? »

                                           

RG : Oui…mais quand vous dites que vous n'étiez pas des gauchistes, il y avait des gauchistes parmi vous, enfin des ?

    

CB : Oui, bien sûr

 

RG : des anciens maos, des gens de la GOP. Mais est-ce que la différence c'est que ils étaient, je vais dire plus ou moins sous vos ordres, ils ont obéi les consignes de la non-violence, c'est ça ?

 

CB : Ils respectaient oui

 

PB : Ça, écoutez vous pouvez, j'aimerai que vous rencontriez un gars comme Alain Desjardins, comme Alain Salmon, euh

 

CB : des gars du comité Larzac

 

PB : des gars de la GOP

 

RG : J'ai rencontré Pierre Vuarin

 

PB : Oui mais Pierre aussi oui

 

CB : Oui, il nous en a parlé. Oui

 

RG : Oui

 

PB : Et bien ces gens-la

 

RG : Oui

 

PB : nous l'ont dit, nous ont dit « de toute façon ce n'est pas nous qu'on a converti les paysans Larzac à la lutte armée, c 'est les paysans qui nous ont converti nous a la non-violence »

 

RG : Ah oui

 

PB : et c'est vrai, si la lutte avait durée un an ou six ans ou six mois, c'est sûr que le problème ne se serait pas présenté du tout de la même façon. Et la les gens ils ont bien compris tout de suite que s'ils voulaient continuer cette lutte du Larzac, la faire un peu aussi leur affaire, il fallait que les paysans ils restent. Donc si les paysans ils y restaient, il fallait que ce soit eux qui décident qu'est-ce qu'on pouvait faire et qu'est-ce qu'on ne pouvait pas faire

 

RG : D'accord

 

PB : Par contre à Paris, on leur disait - moi j'étais avec un copain des comités de Paris - négocié chez le préfet de police à l'époque, l'itinéraire

 

RG : Oui

 

PB : qu'est-ce que vous voulez que l'on dise ? Moi je n'avais rien à dire, je ne connais rien, je ne sais pas, je faisais confiance. Et j'ai fait totalement confiance aux copains, et on a, et je, ça a été très bien, parce que eux savaient

 

RG : Oui

 

CB : ils connaissaient Paris

 

PB : mais ici on ne savait pas

 

CB : On n'aimait pas les manifs à Paris

 

RG : Non

 

CB : on était perdu complètement

 

RG : Oui

 

CB : c'est terrifiant pour nous, c'est vrai on n'était pas habitué à

 

PB : Ah oui

 

CB : le métro. Après quand ça a commencé à bagarrer, les gens partaient dans tous les sens, c'était difficile quand même

 

RG : Oui, oui

 

CB : On n'aimait pas aller faire des actions à Paris, mais on savait que c'était nécessaire

 

RG : C'était le comité à Paris qui a, qui vous a poussé à faire ça ?

 

CB : Bien sûr

 

PB : Ah oui, c'est sûr, de faire des trucs, on savait très bien que le pouvoir, pourquoi on en parle

 

CB : il fallait

 

PB : il fallait faire des actions à Paris, c'est…

 

CB : ce sont des actions fortes

 

PB : même on parlait moins d'un rassemblement de 5000 personnes ici que des brebis sous la Tour Eiffel a Paris. Et pourtant c'est, les enjeux politiques derrières sont autrement importants avec un rassemblement de 5000 personnes que des brebis sous la Tour Effel

 

RG : Oui

 

PB : Mais les medias, mais qu'est-ce qu'ils veulent, le scoop

 

CB : et donc la phase juridique continuait toujours. Et en 1980, ben les ordonnances d'expropriation allaient être prises et on s'est dit « puisque on va nous chasser de nos terres, on va avec nos familles et on va cette fois camper sous la Tour Eiffel »

 

RG : Ah bon

 

CB : Donc on est allé camper…

 

PB : sur le Champ de Mars

 

CB : et on est resté douze jours quand même

 

RG : douze jours

 

PB : à Paris     

 

CB : pas douze jours sous la Tour Eiffel, on est resté cinq jours et cinq nuits

 

RG : Oui

 

CB : donc douze jours en décembre

 

PB : six jours et cinq nuits

 

CB : avec des gamins, il y avait des enfants, des bébés de deux mois et

 

RG : donc c'était décembre 80

 

PB : 80

 

CB : Oui

 

PB : Ça c'était un peu avant la fin de la lutte

 

CB : c'était un peu avant la fin

 

PB : parce que la on sentait que le rouleau compresseur avançait toujours

 

CB : et on nous a expulsé au bout du cinquième jour, une après-midi parce qu'ils nous surveillaient. Il y avait tous les jours des voitures des Renseignements Généraux qui surveillaient des va-et-vient des gens qui venaient nous soutenir, qui venaient nous rendre visite etc. Et puis à 5h de l'après-midi la ou il y avait le moins de monde sur le campement, parce qu'on avait installé des tentes et tout, on avait même crée une école

 

RG : Ah oui ?

 

CB : on était prêt à faire l'école la sous la tente en décembre. Et puis les, tout d'un coup 3trois ou quatre gardes mobiles sont arrivés et ils nous ont embarqués. Ils nous ont embarqués dans un foyer d'accueil, on a passé la nuit dans un foyer d'accueil et on s'est réinstallé sur une péniche sur la Seine et la on y est resté encore trois ou quatre jours

 

PB : une grosse semaine…

 

RG : Et vous étiez combien sur la péniche ?

 

CB : Oh ben on était sur la péniche, on était…

 

PB : la nuit on dormait à 70 dedans…

 

CB : mais on avait installé des tentes  aussi sur les quais de la Seine. Il y avait, sur les quai de la Seine il y avait des tentes aussi

 

RG : Ah d'accord

 

CB : sur la péniche on était  nombreux

 

PB : oui mais il y avait des gens qui couchaient à coté, qui allait…

 

RG : Oui bien sûr

 

PB : Mais vous voyez c'était rigolo parce qu'en fait, c'est là aussi la grande. Alors peut-être  vous vous pourrez expliquer ça parce que nous on n'a pas tellement d'explication, en tout cas je ne sais. Mais, comment on est arrivé à ce que... ? Je vous prends deux exemples

 

RG : Oui

 

PB : quand on était au Champ de Mars

 

RG : Oui

 

PB : Bon il se trouve que le patron de la Société des Bateaux Mouches c'est un gars qui est a la limite de, originaire a la limite du Lot et de l'Aveyron

 

RG : Oui

 

PB : ce sont deux frères, il s'appelle Bruel. Et quand on préparait justement cette occupation du Champ de Mars, on avait dit « il faudrait aussi faire un truc V Paris, une coordination des comités ». Mais une coordination des comités, s'il pleuvait il nous fallait un local. Alors un gars-là, Jean Chesneaux,  l'historien

 

RG : Oui, Oui

 

PB : a dit « bon ben il faudrait peut-être  voir avec Bruel, la Société des Bateaux Mouches. Et alors c'est lui qui s'est occupé de ce contact et les gars, qui sont des gens de droite mais plutôt même extrême droite, qui aime jouer des vacheries, qui aime faire des vacheries aussi  bien a la ville de Paris qu'au gouvernement. Ça s'est trouvé qu'ils ont dit, les deux , donc un des Bruel a dit « chez nous, s'ils sont de vrais paysans je vous ouvre »

 

CB : Non, « je …

 

PB : « je vous donne un bateau mouche gratuit pour toute la journée. On était 600 au moins, pour la réunion. « Je vous ouvre le snack, et je vous fais un tour de bateau mouche sur la Seine ». Le gars lui dit « attention, oui, oui ». On était à Paris donc, ils viennent nous voir, et c'est vrai que je parle patois, je parlais couramment le patois, et je me pointe donc avec lui, il me dit « fais gaffe, tu as intérêt à parler comme il faut parce que c'est quitte ou double ». Et effectivement je rentre bon je commence à lui parler en patois, « bonjour monsieur Bruel et tout ça ». Le gars il est, je parlais il était là il me regardait. « bon ben je me suis engagé, je le respecte ». Par contre il y avait son frère a coté, lui ne s'était pas engagé

 

RG : Oui

 

PB : et il ne voulait pas

 

RG : D'accord

 

PB : Quand on occupait toujours le Champ de Mars, on avait demandé le téléphone, l'électricité et tout. On avait des groupes électrogènes, et la mairie de Paris avait dit, euh non, le gouvernement niet 

 

RG : Oui

 

PB : La mairie de Paris, parce qu'il y avait des règlements de compte entre Chirac et Giscard, a dit « bon on va vous installer le téléphone ». Ils ont fait dire aux employés municipaux donner du bois pour qu'on puisse entretenir, c'était le mois de

 

CB : décembre

 

PB : décembre, entretenir le feu. Alors il y avait des règlements de compte politiques dont nous effectivement on bénéficiait

 

RG : D'accord

 

PB : Pourquoi le Larzac a pu rassembler des gens depuis l'extrême gauche jusqu'à l'extrême droite ?

 

RG : Oui

 

PB : Et vous auriez vu à la Blaquière en particulier au moment de la construction de la bergerie, quand des gens s'invectivaient entre eux, entre extrême droite et extrême gauche, c'était rigolo et on leur disait « ça c'est une manifestation, là vous avez tous les deux votre place, faites là, après vous pourrez discuter entre vous ». Et c'était quand même incroyable

 

CB : On a toujours dit que les extrêmes se rejoignaient

 

RG : Voilà, voilà. Bon deux petites questions de plus, alors sur votre trajectoire, tout cela était résolu  plus ou moins après l'élection de Mitterrand, mais par la suite…

 

CB : Oui

 

PB : Pfffff        

 

RG : ce n'est pas vrai ? Allez-y 

 

CB : si

 

PB : les problèmes fonciers oui

 

CB : fonciers oui

 

PB : mais la remise à plat en 81 ce n'est pas quelque chose qui a été simple

 

RG : D'accord

 

PB : Je vous conseillerais de voir Louis Jouanet

 

RG : Oui

 

PB : à Paris, euh je n'ai pas, qui vient de perdre sa femme là il n'y a pas longtemps

 

CB : il y a quinze jours

 

PB : il y a quinze jours

 

RG : Oui

 

PB : mais lui ça été le juriste chargé par Mitterrand de régler tous les problèmes d'ordre juridique du Larzac. Jamais une expropriation n'avait été menée aussi loin, c'est-a-dire qu'on n'était plus propriétaire, il y avait que l'expulsion qui devait être faite. Et il a fallu re-démonter  toute la machine juridique pour rendre la terre aux agriculteurs

 

RG : D'accord

 

PB : Donc tout ça pour vous dire que ça s'est pas fait sans pression quand même

 

RG : Donc il a fallu du temps, des années ? 

 

PB : Ça a duré, pour le règlement définitif ça a duré. La décision moins mais pour concrétiser sur le terrain ça a duré quatre ans

 

RG : D'accord

 

PB : entre trois et quatre ans

 

RG : Et il y a eu des ennuis ou des conflits ou ?

 

PB : Ce n'était pas des ennuis mais il fallait, il n'y avait rien juridique, il y avait un vide juridique

 

RG : D'accord

 

PB : pour pouvoir rendre la terre aux agriculteurs et le concrétiser officiellement, que tout soit clair

 

RG : D'accord

 

PB : enregistré au cadastre et tout…

 

RG : Mais politiquement ?

 

PB : La décision…

 

CB : Oui, Oui

 

RG : vous aviez la victoire

 

PB : Oui

 

CB : Oui…en fait on l'a eue en réalité le 3 juin 1981

 

PB : officiellement

 

CB : donc

 

RG : c'était un discours, un…

 

PB : un décret

 

CB : trois semaines après l'élection présidentielle

 

RG : D'accord…et Mitterrand a dit quelque chose à la télévision ou il y avait un communiqué de presse ?

 

CB : Non

 

PB : Si je crois, si

 

CB : le 10 mai 81 non ?

 

PB : non, non pas le 10 mai, après il a dit et j'ai décidé de rendre la terre aux agriculteurs, la terre sera rendue aux agriculteurs, ça il l'a dit

 

CB : Oui

 

PB : C'est passé à la télé, et la c'est en cours, enfin bon, mais c'était un engagement qui n'a pas été facile de concrétiser sur le terrain

 

RG : Oui d'accord je comprends

 

PB : parce que jamais je vous dis bien ça été aussi loin dans l'expropriation

 

RG : Et puis il y avait des tensions avec le ministre

 

PB : de la Défense

 

RG : de la Défense

 

PB : Oui, oui

 

RG : parce que lui c'était un dur

 

PB : le ministre de la Défense lui c'était mini extension, et puis Mauroy - qui a été aussi droit comme un lit - c'est Mauroy qui a été trouver Mitterrand et qui lui a dit « ou ta parole est respecté ou je démissionne »

 

RG : Oui

 

PB : et je dirais pourquoi, parce que on avait à Lille un très gros comité Larzac

 

RG : J'allais dire, Lille est loin d'ici

 

CB : Ah oui      

 

PB : Oui mais on a

 

RG : Il y avait un comité Larzac à Lille     

 

PB : voilà et qui était très actif

 

RG : D'accord

 

PB : et où les gens avaient fait des pressions sur Mauroy

 

RG : Il était aussi maire de Lille

 

PB : Il y a eu des jumelages entre des fermes

 

CB : Il était maire de Lille oui

 

PB : des fermes et des municipalités de gauche

 

RG : D'accord

 

PB : et donc des gens avaient travaillé au niveau du gouvernement, des gens des comités et ça a porté ces fruits

 

RG : Oui

 

PB : Je ne crois que rien…

 

CB : ça, ça été important aussi. On ne l'a pas dit mais au moment ou on a fait les jumelages avec les fermes et les hameaux du Larzac, les municipalités de gauche on leur demandait s'il voulait bien se jumeler avec…

 

PB : une ferme ou un village

 

CB : une ferme pour nous  soutenir moralement, financièrement, faire ce qu'ils pouvaient. Et ça a marché il y a eu…

 

RG : vous par exemple vous étiez…

 

CB : nous la ferme de l'Hôpital ?

 

PB : Chambéry

 

CB : était jumelé avec Chambéry

 

RG : Chambéry

 

CB : en Savoie

 

RG : Oui en Savoie

 

PB : Et il y avait une avenue qui s'appelait avenue du Larzac

 

CB : A l'époque ben après ça été

 

PB : Ben peut-être elle y est toujours hein

 

CB : Je ne sais pas

 

PB : puisqu'un jour on suivait un car…

 

CB : On essayait de demander aux municipalités de gauche par l'intermédiaire des comités Larzac, donc. Et après il y avait une rencontre, une cérémonie et donc voilà

 

PB : un jumelage officiel, des deux cotés

 

CB : chaque ferme accueillait sa ville, ou chaque hameau, des fois c'était des hameaux. C'était, ça renforçait le soutien

 

RG : Oui tout à fait

 

PB : Et puis c'était un soutien aussi qui s'est traduit financièrement. C'est-a-dire que par exemple nous Chambéry a pris tous les enfants du Larzac en classe de neige

 

RG : Ah d'accord

 

PB : gratuitement. Il y en a d'autres qui envoyaient des scientifiques faire des études ici sur le Larzac pour, en prévision d'un règlement du problème du Larzac. Il y a eu quand même des, bon il y a des municipalités qui ont juste signées, bon c'est très bien mais Lille était jumelé, enfin Villeneuve d'Ascq exactement

 

RG : Ah oui 

 

PB : Mais il y avait bon Toulouse, Albi, il y avait Avignon, il y avait Grenoble, Chambéry

 

CB : Nîmes…Montpellier

 

PB : Oui, il y en avait d'autres encore

 

RG : Et par la suite vous vous êtes engagés dans d'autres luttes ou vous avez ?

 

CB : Oui euh

 

RG : Vous avez participé à des  autres associations ?

 

CB : C'est-a-dire c'était le Larzac qui était  engagé en retour de solidarité avec tout ce qu'on avait reçu

 

RG : Oui

 

CB : comme soutien. Il fallait rendre cette solidarité la ou l'on nous le demandait, que ce soit sur des luttes locales ou inter…

 

PB : internationales 

 

CB : ou internationales comme

 

PB : les Kanaques, les  Tahitiens

 

CB : le Japon

 

PB : bon le Japon

 

CB : Après la victoire on a fait des rencontres internationales pour la paix, en août 81, on a fait des rencontres et

 

PB : C'est Pierre Vuarin

 

CB : C'est Pierre Vuarin qui avait organisé ça

 

RG : Oui

 

CB : Et donc on a reçu beaucoup  de délégations étrangères, et notamment des Japonais qui étaient venus à 17 et ils nous ont invité après a aller soutenir les paysans qui étaient en lutte dans l'arrondissement de l'aéroport de Narita

 

RG : Ah oui

 

CB : Et en 82 on y est allé, on était tous deux avec d'autres, on était huit ou dix du Larzac avec notre avocat François Roux, on est allé là-bas les soutenir

 

RG : Oui d'accord, oui

 

CB : Et puis bon, il y a eu après avec Tahiti, on est allé a Tahiti beaucoup plus tard après en 92

 

PB : Puis avec les Kanaques beaucoup, là, ça a été

 

CB : avec les Kanaques il y avait des liens très, très forts, ben il y en a toujours d'ailleurs

 

PB : Jean-Marie Tjibaou ou Oscar, tous les chefs de régions sont venus plusieurs fois sur le Larzac

 

RG : Oui

 

PB : Oui d'ailleurs le Larzac a donné un  coin de terre aux Kanaques et c'est sur le Larzac il y a une terre kanaque, qui appartient aux peuple kanaque

 

RG : Ah d'accord

 

PB : à côté du Cun là, oui, on a construit une caselle en pierre. Et c'est fou parce que tous les week-ends

 

CB : il y a eu des cérémonies là

 

PB : Ah oui

 

CB : c'est un lieu vraiment presque de…

 

PB : porteur

 

CB : porteur de, de quelque chose. On se sent bien dans ce lieu, on voit la caselle, on voit la flèche, il y a des drapeaux, il y a …et puis bon après il y a eu les morts là, il y a Jean-Marie Tjibaou. On a fait beaucoup de cérémonies, des choses de commémorations, et puis eux quand ils viennent avec la coutume et tout ça c'est, c'est très, très fort

 

RG : Oui

 

CB : Et puis là, il y a deux ans on a vécu la cérémonie du pardon…

 

PB : ça c'est alors vraiment

 

CB : c'est-a-dire que les familles de Yéwéné Yéwéné et de Jean-Marie Tjibaou ont pardonné à l'assassin - l'assassin de Jean-Marie Tjibaou et de Yéwéné Yéwéné a été tué par un flic

 

PB : Djoubeli Wali

 

CB : Djoubeli Ouea

 

PB : Ouea

 

CB : et le flic qui a tué Djoubeli Ouea, l'assassin donc. Il était là aussi à cette caselle dans ce lieu sur le Larzac, en même temps que Marie-Claude Tjibaou , la femme de Yéwéné et la femme de l'assassin. Toutes ces femmes étaient là et nous ont tout raconté

 

PB : raconté ce pardon

 

CB : Ça, on ne l'oubliera jamais

 

PB : et il y a un film qui vient d'être fait là

 

CB : c'est extraordinaire

 

RG : C'était il y a combien de temps ?

 

CB : Ça c'était en 2005, en juin, le 12 juin 2005

 

PB : Elles venaient de faire le pardon la, et le DVD il vient de sortir là cette année

 

CB : Quinze ans elles ont mit, quinze ans pour pardonner

 

RG : Oui

 

CB : C'est grâce aux églises évangéliques, aux églises, les protestants

 

PB : les catholiques

 

CB : les catholiques, les prêtres, les pasteurs allaient voir les familles et, parce que la femme de l'assassin qui était présente là, comment elle s'appelle ? Ouea elle s'appelle mais son prénom je m'en souviens plus - et elle, elle voulait, elle a essayé d'aller demander pardon pour son mari, parce qu'en fait son mari a été tué aussi sur le coup

 

RG : Oui, oui

 

CB : et elle ne savait pas pourquoi elle-même. Elle est restée sans réponse, sa question est restée sans réponse, pourquoi il a fait ça 

 

RG : Oui

 

CB : puisqu'il est mort tout de suite, tué par le flic. Et donc elle, elle a voulu essayé d'aller demander pardon aux familles mais elle s'est fait …   

 

PB : non ils n'ont pas voulu la recevoir

 

CB : ils n'ont pas voulu

 

PB : mais on comprend

 

RG : d'accord

 

CB : Et donc elle est restée enfermé dans son village, dans sa tribu pendant quinze ans. Ça a été très, très dur. Et petit à petit les familles, et puis la famille - c'était drôle de voir ça parce que Marie-Claude Tjibaou c'est une femme du monde, on voit qu'elle a vécu, elle est sortie

 

PB : et puis elle a beaucoup de culture

 

CB : les femmes Yéwéné c'était des femmes de chefs, alors que la femme de l'assassin c'était une, elle était dans, une villageoise quoi. Elle est restée tout le temps de, du, de l'échange

 

PB : ou de cet échange

 

CB : ils nous ont racontée, elle a parlée la dernière en plus la tête baissé, elle avait du mal à relever la tête, ce qui m'a frappée à la fin

 

PB : à nous regarder

 

CB : à la fin quand elle a parlé, il y a un rayon de soleil, du soleil qui est allé sur son visage, qu'il l'a illuminé, c'était mais pff

 

PB : on était 300 ou 400 personnes…

 

CB : Je ne vous dis pas le, tout le monde pleurait

 

PB: plus de la moitie a pleuré

 

RG : Ah oui

 

PB : ah oui hein

 

CB : C'était très fort. Ça a durée, parce qu'alors ça a durée déjà toute la journée. Elles sont arrivées le matin accompagnées, il y avait des enfants, leurs enfants, il y avait, leurs enfants qui sont adultes bien sûr, plus de trente ans, et puis après quand ils prennent la parole, c'est lent, c'est très lourd, c'est plein de respect. Le fils de Marie-Claude Tjibaou il disait mais moi je vous parle mais moi je ne suis pas important, c'est ma mère, c'est, il y a un respect, c'est, ils sont extraordinaires, vraiment, ils nous apportent beaucoup

 

PB : Ah oui, oui c'est, ils ont…

 

CB : et donc, il y a eu la coutume qui a durée longtemps. Il y a eu le pique-nique et après à  2 heures elles se sont mises ensemble et la elles ont commencé à parler mais pff  c'était, on se demande comment elles ont réussi à pardonner quoi

 

RG : Oui, oui

 

CB : et elles se sont embrassées devant nous, c'est, alors que leurs maris ne sont plus la quoi, c'est des veuves, c'est des…

 

PB : et puis c'est vrai que la…

 

CB : C'est pour dire que voilà il se passe des choses comme ça encore aujourd'hui sur le Larzac, dix ans après notre lutte

 

RG : Oui

 

CB : des choses fortes quoi, très, très fortes

 

PB : A Montpellier il y a une très grosse communauté kanaque

 

RG : Ah bon ?

 

PB : Ah oui, oui, de tout temps, et ils viennent mais tous les weekends, mais il y en a qui viennent sur le Larzac, c'est pour eux un lieu de référence cette caselle

 

RG : Oui d'accord

 

PB : Comment ?

 

RG : D'accord je comprends oui

 

PB : Oui et donc c'est…

 

CB : qui viennent régulièrement et la au mois de juin il va y avoir de nouveau un rassemblement des Kanaques ici, donc ils nous invitent, ils font des bounias, c'est un repas çanaque qui font cuire dans des feuilles de bananier, ils préparent un feu a 6h du matin 

 

RG : Oui d'accord

 

PB : puis à, aux pierres chaudes, chauffés quoi

 

RG : Oui d'accord…Donc dernière question, c'est une question bête vraiment, parce que quand je vous demande de réfléchir aux années 70 de maintenant, il est bien évident que vos vies ont été transformées et l'évidence de cette transformation est toujours là , c'est ça ?

 

CB : Tout à fait, bien sûr

 

PB : Enfin je ne sais pas si elle est là. Nous on a le sentiment qu'on a changé, pour beaucoup de choses mais,  on est plus sensible, on est plus ouvert aux problèmes du monde, et plus révoltés aussi, ça c'est, parce qu'il y a des choses qu'on ne peut pas supporter bon. Enfin on ne va pas en parler parce que ça durerait, on pourrait en parler des jours …Mais on s'aperçoit qu'on ne peut pas - bien sûr qu'on n'a pas le même courage qu'on avait donc on ne peut pas aujourd'hui avoir le même ressort qu'on avait pendant les années de lutte

 

RG : Oui

 

PB : alors c'est vrai que, bon limite ce qu'on doit faire, si… sinon je crois que presque tous les jours il y aurait une réunion, il y aurait quelque chose, mais tout, que ce soit le Larzac, Millau ou la région. Il y a une telle, il y a eu une telle évolution à  cause du Larzac soit par les gens qui sont venus ou autres, qu' il se passe beaucoup de choses

 

RG : Oui 

 

PB : et...mais on ne peut pas participer à tout…c'est vrai qu'aujourd'hui les OGM c'est quand même quelque chose, c'est un des combats d'aujourd'hui, parce que c'est un combat pour l'avenir aussi et puis pour la même, simplement la sécurité alimentaire des gens. Parce qu'on ne sait rien du tout et, c'est même très discutable plutôt, c'est très...on sait certaines choses qu'on  ne veut pas nous dire

 

RG : Oui

 

PB : mais bon, on ne peut pas avoir le même engagement mais ce qu'on a vécu nous a permis d'être où on en est aujourd'hui

 

CB : on est resté sensible à tout ce qui se passe qui concerne...oui tout ce qui est injuste en fait  

 

RG : Oui

 

CB : et si on peut, on milite. Mais bon en même temps nous on a des petites retraites et on est encore obligé de travailler donc on fait le ramassage scolaire parce que, pour arrondir les fin de mois comme on dit et…

 

PB : pour y arriver

 

CB : puis c'est vrai aussi que le militantisme ça coûte cher

 

RG : Oui bien sûr

 

CB : Je me souviens une fois on était à une réunion. On présentait la casette du Larzac il y a deux ou trois ans et il y a un monsieur qui était avec nous à la table là  et qui prenait la parole. Il disait ca coûte le militantisme et il a fait rire toute la salle parce que c'est quelque chose qui est vrai parce que ça coute de l'argent et donc ce n'est pas toujours facile, quand on était plus jeune on avait une vie économique un peu plus facile qu'aujourd'hui

 

PB : Oui

 

CB : et on n'est pas les seules, il y a beaucoup de jeunes aujourd'hui

 

RG : Oui

 

CB : qui sont obligés de…

 

PB : même en activité, qui souffrent

 

CB : qui sont en activité et qui souffrent et donc on ne peut pas être partout, et au travail. Nous on a fait ça pendant  dix ans parce qu'il fallait, on était directement menacé mais aujourd'hui bon aujourd'hui on peut choisir la lutte elle est mondiale, ce n'est pas loçal

 

RG :   Oui

 

PB : mais ce dont on s'est aperçu c'est que heureusement la lutte du Larzac est intervenue dans les années 68 c'est-a-dire après mai 68

 

RG : Oui

 

PB : dans un contexte économique des années glorieuses

 

RG : Oui…

 

PB : où tout nous réussissait au niveau agricole. Donc on n'avait pas à se préoccuper tellement de...d'abord on n'avait pas a se diversifier par rapport à aujourd'hui, aujourd'hui les paysans même dans des régions comme chez nous qui avait une masse de lait, lait de brebis donc production de Roquefort très forte

 

RG : Oui

 

PB : et ben sont obligés de faire autre chose ou de quitter Roquefort pour fabriquer d'autres produits que du Roquefort parce que Roquefort bientôt, pour les petits agriculteurs ça ne payera plus

 

RG : D'accord      

 

RG : il y a une telle évolution que la lutte arriverait aujourd'hui, je ne sais pas comment ça se passerait

 

CB : elle est arrivée au bon moment

 

PB : Oui…je raisonne

 

RG : Oui

 

PB : avec la mentalité de l'époque hein. C'est-a-dire qu'il ne faut pas aujourd'hui, il ya  des gens…

 

RG : Il y avait moins de globalisation à l'époque

 

PB : non, non, Oui il y avait beaucoup moins de globalisation mais avec la mentalité des gens  de l'époque, c'est-a-dire qu'aujourd'hui il y a beaucoup, les néo-ruraux 

 

RG : Oui

 

PB : sont, vont devenir majoritaires au Larzac

 

RG : D'accord

 

PB : donc c'est des gens qui ont choisi de vivre ici

 

RG : Oui

 

PB : nous on n'a pas choisi. C'était dans la tradition. On était paysan point. Aujourd'hui c'est des gens d'ailleurs qui viennent, qui ont un autre vécu et une autre formation que celle d'agriculteur et donc le problème ne se passerait certainement pas de la même façon. Il n'y a pas de ferme abandonnée aujourd'hui alors qu'a l'époque il y en avait

 

RG : D'accord…donc ils ont quelle perspective les néo-ruraux ?

 

PB : Ben c'est des gens qui réussissent très bien

 

RG : D'accord

 

PB : économiquement…

 

RG : économiquement ?

 

PB : Ah oui, oui, oui qui sont très pointus techniquement

 

CB : à condition qu'il n'y ait pas de grande  sécheresse  

 

PB : bon…voilà…

 

RG : Oui d'accord

 

CB : parce que ça c'est un problème

 

PB : bon il y en a, c'est comme partout hein, il y a des gens qui sont nuls bon

 

RG : Oui

 

PB : mais…

 

RG : et toujours les brebis, il n'y a que ça ?

 

PB : Oui brebis si, il y a des bovins aussi  

 

RG : Oui

 

PB : il y a des bovins et il y a maintenant beaucoup plus de transformations c'est-a-dire  de la vente fermière        

 

RG : Oui

 

PB : à notre époque il n'y avait rien, ça n'existait pas

 

RG : Oui….vous avez  vendu directement à l'industriel ?

 

PB : on vendait à un organisme, un groupement de producteurs, nous en l'occurrence c'était une coopérative qu'on avait

 

RG : Oui

 

PB : et le lait était vendu a Roquefort, aux différentes sociétés

 

RG : on devrait terminer c'est ça

 

CB : euh oui on a dix minutes encore

 

RG : Dix minutes

 

CB : jusqu'à quart mais pas plus, toi tu dois partir

 

PB : Oui

 

RG : Est-ce que vous avez des dernières réflexions peut-être ? Enfin par exemple on n'a pas parlé de, du rôle des femmes par exemple. Est-ce que les - on a parlé plutôt d'une vision de travail - est-ce que les femmes avaient un rôle particulier dans la lutte ?

 

CB : Ben on avait les taches qu'on pourrait appelé subalternes en rigolant

 

PB : Oui, Oui mais…

 

CB : mais en fait, peut-être  au départ c'était un peu difficile pour nous, enfin pour moi mais je pense que je n'étais pas la seule, parce qu'il s'agissait d'un camp militaire donc ça concernait un peu plus les hommes parce qu'ils avaient fait leur service  

 

RG : Oui

 

CB : ils comprenaient peut-être  plus rapidement. Bon et puis les femmes, on allait aux réunions, participaient à toutes les actions. Il n'y a pas eu tellement de différence au niveau de la participation, les femmes. Une seule fois il y a eu une action de femmes

 

RG : Oui

 

CB : Elles sont allées - enfin je dis elles parce que moi j'étais a la maternité, j'ai eu mon fils - donc elles sont allées déchirer des papiers d'un….

 

PB : des dossiers

 

CB : des dossiers…

 

PB : d'enquêtes…

 

CB : d'enquêtes parcellaires dans les communes

 

 

RG : dans les mairies

 

CB : dans les mairies. Il y a onze communes qui étaient concernées par l'extension du camp donc des femmes par groupes de deux ou trois sont allées déchirer des dossiers, et puis une autre fois aussi…

 

RG : Mais pourquoi les femmes ?

 

CB : Mais parce que on voulait faire une action de femme un peu pour…

PB : C'était après que les hommes ont renvoyé leur livret militaire

 

CB : Voilà parce que nous on aurait bien renvoyé notre livret militaire mais malheureusement on en avait pas. Donc on a joint une lettre avec les livrets de nos maris en disant qu'on était solidaire parce que si eux ils quittaient le Larzac nous on le quitterait aussi et nos enfants aussi. C'était une lutte de famille en fait

 

RG : D'accord

 

CB : et puis une autre fois il y avait aussi les fermes qui avaient été achetées par l'armée sur le Larzac, des fortins qui été occupés par les militaires  et ils passaient sur la route sans arrêt et notamment aux heures de ramassage scolaire, ils passaient en convois donc. Une fois on a fait une action de femmes uniquement

 

PB : une fois mais vous ne l'avez pas fait qu'une fois ….

 

CB : non mais c'est pour dire, on l'a fait plusieurs fois mais…

 

PB : non mais…

 

CB : mais quelque fois on voulait voilà 

 

PB : moi ça me gêne

 

CB : mais oui voilà, il n'y a pas eu de, non, vraiment c'était une lutte de famille

 

PB : de famille Oui…faut bien comprendre que si il y avait pas eu les femmes sur le Larzac il y aurait jamais d'affaire du Larzac

 

CB : bien sûr oui

 

PB : ça c'est clair, parce que les, quand elle dit, faut voir l'intendance qu'elles ont assurée

 

CB : voilà oui

 

PB : l'accueil des journalistes

 

CB : l'accueil des journalistes…

 

PB : ben je peux vous dire….

 

CB : Quand il y avait les assemblées générales des GFA, des Groupements Fonciers Agricoles, il y avait 350 personnes, ben il fallait préparer l'accueil  

 

PB : pour manger, pour boire

 

CB : et ça, c'était souvent mais bon…

 

PB: Non mais je crois qu'on ne peut pas  mélanger. La lutte du Larzac c'était par rapport a une lutte ouvrière - une lutte ouvrière les gens vont au boulot

 

CB : au boulot…voilà ici c'était dans nos maisons

 

PB : et c'est dans l'usine qu'ils occupent, qu'ils mènent l'action. Nous c'était dans nos familles 

 

RG : Oui d'accord

 

PB : la lutte…

 

CB : dans nos fermes, dans nos maisons

 

PB : voilà, dans les maisons surtout dans les maisons. Quand je dis dans les familles, c'est les enfants, nous on avait une fille, elle allait, donc l'aînée, elle demandait…

 

CB : tous les jours …

 

PB : quasiment tous les jours….

 

CB : « combien je mets d'assiettes pour mettre le couvert ? » (rire de RG )

 

PB : ben oui parce que il y avait toujours des gens

 

RG : Oui

 

CB : soit tu n'étais pas la, tu étais absent, tu étais en réunion

 

PB : Oui

 

CB : bon voilà Et puis par rapport aux femmes aussi, c'est vrai que selon notre situation familiale et notre âge parce que attention, nous on était jeune mais il y avait des gens qui avaient vingt ans plus que nous dans la lutte

 

RG : Oui, oui

 

PB : ou trente ans même

 

CB : donc selon l'âge que l'on avait, le dynamisme qu'on avait

 

PB : Oui, c'est normal

 

CB : les enfants. Moi c'est qu'à cause des enfants que je n'ai pas participé à tout, peut-être  comme Marisette [Tarlier]. Par contre il est arrivé que ce soit aussi je suis honnête, un refus pour moi parce qu'il y avait des actions qui me faisaient peur et j'étais bien contente d'avoir les enfants pour ne pas y aller, et d'autres fois je râlais parce que j'aurai aimé participer mais bon

 

RG : Oui

 

CB : mais on arrivait quand même à s'arranger entre  nous pour pouvoir participer quoi…

 

PB : non mais c'est…

 

CB : C'était difficile de mener de front la vie de, le métier agricole, la vie de famille et la vie militante, ce n'était pas facile

 

RG : Oui d'accord, je comprends oui

 

PB : Vous savez dans des…

 

CB : c'était très intense

 

PB : dans des conflits comme Lip par exemple

 

RG : Oui

 

PB : il y a eu beaucoup de divorces

 

RG : Oui

 

PB : bon le Larzac, de la lutte…

 

CB : à l'époque

 

PB : Il n'y a eu aucun divorce

 

CB : à l'époque

 

PB : pourquoi parce que c'était, effectivement c'était….

 

CB : Si, il y en a eu Pierre

 

PB : Non mais après, après

 

CB : après oui…mais pas pendant, pas pendant  

 

PB : pendant la lutte rien et puis, bon

 

RG : D'accord, oui

 

PB : parce que c'était les familles, la famille qui prenait en compte la lutte…et

 

RG : Parce qu'a Lip c'était, les gens étaient engagés  comme travailleurs

 

CB : Mais c'est-à-dire…

 

PB : voilà

 

CB : c'était celui qui travaillait soit l'homme soit la femme

 

RG : Oui

 

CB : ou les deux peut-être 

 

PB : tous les deux ne travaillaient pas  dans l'usine

 

RG : c'est ça, c'est ça oui

 

CB : Celui qui se retrouvait à recevoir les informations de son conjoint quand il rentrait dans l'usine pour dire ben ce qu'il se passe etc., il ne pouvait pas participer de la même manière. Alors que nous c'était, tout est imbriqué dans la ferme, les bêtes, et la famille, tout est, on vivait la même chose

 

PB : Charles Piaget, bon sa femme, bon ben elle est morte mais, elle lui reprochait

 

RG : Oui

 

PB : de se battre et de ne pas accepter un bon classement et puis, et c'est ça dans une...nous il n'y avait pas se problème

 

CB : non, ça c'est vrai

 

RG : Et pas de suicides ?

 

CB : Non

 

PB : non à ce moment-là

 

RG : de dépression nerveuse, de… ?

 

CB : non

 

PB : non, non, non. On était même je dirais bien équilibré, c'est fou hein mais

 

CB : mais ce qui était extraordinaire c'est….

 

PB : c'est après que…

 

CB : on était d'âge très différent en fait

 

RG : Oui

 

CB : C'est vrai il y avait des gens âgés, il y avait...Son père il se bagarrait comme et les jeunes de vingt ans arrivaient, ils lui tapaient sur l'épaule et l'appelaient Léon

 

PB : Léon

 

CB : et lui qui avait été un notable et qui disait « vous » à tout le monde…

 

PB : des jeunes de vingt ans qui tutoyait mon père alors ça (rire de RG et PB)

 

CB : et au début il disait « mais ils me tutoient ! », et lui il leur disait « vous » au début, et après il les a tutoyé mais….

 

PB : non papa il n'a jamais tutoyé les jeunes, non

 

CB : peut-être

 

PB : et c'était lui qui disait toujours oh mais, quand on faisait des grands rassemblements, eh « alors Léon comment ça va ? », bah- mon père- « le bon Dieu est avec nous » parce qu'il faisait beau…

 

CB : il fait beau, il fait beau il disait « le bon Dieu est avec nous »

 

PB : pour des grands rassemblements…

 

CB : et c'est vrai qu'on a eu toujours cette chance aussi, c'est incroyable

 

PB : et, et il y en avait des copains qui disaient, « Ah tiens j'ai vu le bon Dieu est avec nous » là, tant qu'on l'aura

 

RG : donc il n'y avait pas de conflit de générations ?

 

PB : non

 

CB : pas à ce moment-là parce qu'on en avait assez à se battre contre les militaires, contre le gouvernement donc….

 

PB : mais même, même en famille, il n'y a pas eu de conflit de….

 

CB : non

 

PB : génération

 

RG : Non mais ça veut dire qu'il n'y avait pas de différence de point de vue entre vous les jeunes et puis la génération de vos 

 

CB : Oui tout à fait

 

RG : de vos parents

 

CB : Oui

 

RG : vous étiez tous ensemble ?

 

CB : Oui mais enfin on était tous ensemble…

 

PB : Oui

 

CB : mais il y en avait quand même qui avait plus ou moins le moral

 

RG : Oui

 

CB : et il y avait justement les non-violents de la de communauté de l'Arche qui occupaient les Truels, la ferme des Truels. Il y en avait un, Roger Moreau qui passait dans les familles, on l'appelait le veilleur de moral, et il discutait….

 

PB : ça c'est aussi une stratégie

 

CB : il était prêt à discuter pendant des heures avec quelqu'un qui disait « oui mais de toute façon on a beau faire ça, on ne gagnera pas ». Il y avait des moments où il y avait des gens qui étaient vraiment dans le creux de la vague, ils ne savaient plus comment repartir et…

 

RG : Oui

 

CB : et il fallait les soutenir parce que, Jeanne Jonquet notamment, vous en avez peut-être  entendu parler à la Blaquière   

 

RG : Oui, oui

 

CB : c'est une dame qui a plus de quatre-vingt ans, à l'époque elle en avait cinquante et elle avait  trente ans de plus que nous. Donc des fois elle ne voyait pas l'issu de la lutte, puis elle était vraiment au bord du camp militaire

 

PB : et puis nous non plus on ne la voyait pas mais, mais c'est qu'on surveillait beaucoup comme on dit le moral des troupes, ça. Et Roger Moreau, de la communauté de l'Arche, c'était sa fonction à lui de...D'abord il faisait la coordination entre les gens du plateau mais, avec Pierre Molina aussi, un technicien agricole

 

CB : de Millau oui

 

PB : ils s'occupaient un peu de surveiller le moral des agriculteurs parce que …

 

RG : quand vous dites « surveiller », vous voulez dire remonter

 

CB : remonter le moral

 

PB : mais c'est- à -dire des fois ça, on le, ça se faisait à plusieurs

 

RG : Oui d'accord

 

PB : mais de voir comment les gens réagissaient…

 

RG : Un travail de psy en quelque sort

 

CB : Oui…

 

PB : voilà

 

CB : tout à fait, tout à fait.  Oui, oui se soutenir les uns les autres parce que ben c'est vrai que quand on a vingt-cinq ou trente ans, on a plus la pêche que quand on a, quand on est plus vieux

 

PB : et une des choses qui nous a aussi permit de garder un équilibre

 

RG : Oui

 

PB : C'est que chaque fois qu'on faisait une manifestation, après on faisait le bilan mais on faisait aussi la fête. On riait, on mangeait, on buvait, pas pour se soûler jamais - ces genres de choses ce n'est pas la peine que les gens se soûlent - mais on faisait toujours la fête

 

RG : Oui

 

PB : pour que - et c'était important - parce qu'il y avait des gens qui n'étaient pas venus à l'action

 

RG : Oui

 

PB : mais qui venaient faire la fête le soir parce qu'on leur dit aller faut venir 

 

RG : Oui d'accord

 

PB : de voir le moral qu'avait les autres. Celui qui n'était pas venu il disait, « oh la prochaine fois je vais y aller, ça avait un impact là-dessus »

 

RG : Oui

 

PB : et que, donc de sauvegarder toujours ce noyau, des fameux 103 pour qu'il n'y ait pas gens laissés pour compte sur le côté…et ça ce serment aussi, c'est, ça été la meilleure chose qu'on ait faite…enfin non, on a fait des bonnes choses mais…

 

RG : Oui

 

PB : ça a été une des bonnes choses

 

RG : Et est-ce qu'il y a des moments qui sont commémorés, enfin des dates particulières ou certaines actions ? Certains moments sont commémorés, par exemple le jour du serment ou je ne sais pas ?

 

CB : non, mais quand on a fêté les trente ans du Larzac - non on a fêté le rassemblement de 1973, ou l'a commémoré par un autre rassemblement celui de 2003 par  rapport aux OGM et tout ça sur le Larzac où il y avait 300 000 personnes, et on a, au départ c'était  trente ans après

 

PB : Oui

 

CB : trente ans après le premier rassemblement du Larzac voilà. Sinon non il n'y a pas de, on ne fait pas de commémoration comme ça

 

PB : Non mais ce n'était neutre pas là aussi que il y ait plus 300 000 personnes qui sont venus, même pour les OGM, ce n'était pas que pour les OGM, il y avait beaucoup de gens, nous on a revu des quantités de gens des anciens comités Larzac

 

RG : Ah oui

 

PB : qu'on n'avait jamais revu après

 

RG : Oui

 

CB : d'ailleurs il y en a même qu'on n'a pas reconnu (rire)

 

PB : Oui, on…

 

RG : ils se sont fait couper les cheveux ?(rire)

 

PB : non mais c'est…

 

RG : ils ont perdu leurs cheveux ?

 

CB : ils ont grossi (rire)

 

PB : L'impact, l'impact que le Larzac a quand même dans l'opinion

 

RG : Oui

 

PB : n'est pas simplement en France, et où des gens, pour beaucoup de gens, c'est devenu une référence. Bon qui est ce qu'elle est mais, c'est un combat qui a été gagné, même si c'est par un coup de poker

 

RG : Oui, enfin une élection

 

PB : Non mais bon j'appelle ça un coup de poker

 

CB : Oui mais bon…     

   

PB : Mitterrand aurait pu dire « j'abandonne le camp » et puis le faire quand il était élu

 

CB : On avait déjà gagné dans la durée. De toute façon on disait « même si on perd, on aura quand même gagné 

 

PB : Oui

 

CB : dans la durée puisqu'on avait gagné beaucoup de choses »

 

RG : Oui, oui

 

CB : la solidarité déjà c'était une victoire 

 

RG : Oui, oui

 

PB : c'est vrai c'était, et après que, cinq-six ans ans, on a dit « il faut qu'on dure, il faut durer, durer, durer ». Et c'est pour ça qu'on a jamais voulu rompre - ça des comités nous l'on reproché, de ne pas...de garder toujours des liens avec la FDSEA ou la FNSEA -  mais on a jamais voulu rompre ce lien-là parce que avoir le soutien de la FNSEA c'était avoir le soutien de tous les élus politiques du département, peut-être  pas le soutien de tous mais en tout ças de ne jamais avoir la condamnation

 

RG : Oui

 

PB : parce que la FNSEA, les politiques du département n'auraient jamais accepté d'aller à l'encontre de ce que pensait la FDSEA

 

RG : D'accord 

 

PB : C'était un poids, et c'était un poids aussi par le CMR, un poids au niveau de l'Église, beaucoup, les gens, on était au Larzac a l'époque on était 98% de catholiques pratiquants

 

RG : Oui

 

PB : bon aujourd'hui ça a changé mais, bon c'est comme ça

 

RG : Oui, oui d'accord

 

PB : mais on reste toujours, nous on ne renie pas nos origines chrétiennes, loin de la au contraire….

 

RG : au contraire, vous êtes toujours pratiquants ?  

 

PB : on en est fier mais…

 

CB : non on n'est pas des piliers d'Église

 

PB : non pas des piliers maintenant, non c'est vrai, on l'était, mais bon, ça après la hiérarchie on n'a…

 

CB : mais la foi et la religiosité c'est deux choses…

 

RG : Oui d'accord

 

CB : différente, on a la foi, la foi on l'avait pendant la lutte, et elle nous a permit de gagner…

 

PB : Oui mais c'est vrai que…

 

CB : la foi en l'homme, la foi en la vie, la foi en Dieu oui

 

PB : mais bon peut-être…

 

RG : Mais vous pensez que la foi et puis la ténacité des paysans, ces choses-la ont comptés pour vous ?

 

CB : Oui beaucoup

 

PB : pour nous oui

 

RG : Oui      

 

PB : Oui… vous savez il y en avait…

 

CB : ça a été le moteur je pense de départ

 

PB : des fois qui nous le disait…

 

CB : enfin pour nous, ça été notre moteur

 

PB : mais tu te ….

 

RG : la foi ?

 

CB : la foi

 

RG : d'accord

 

PB : Oui

 

CB : la foi, la foi qu'on avait en Dieu et puis la foi…

 

PB : dans ce qu'on faisait

 

CB : en la victoire, dans ce qu'on faisait, dans ce qu'on vivait, c'était, on avait cette foi c'est vrai

 

RG : Oui

 

CB : on y croyait sinon on n'aurait jamais lutté

 

PB : je crois que, honnêtement…

 

CB : on aurait abandonné dès le départ

 

RG : Oui

 

PB : on s'est situé dans le plat de Dieu, c'est vrai, ça paraît un peu…

 

CB : et on disait toujours « notre  cause est juste »

 

PB : Oui

 

CB : de toute façon on fait cette action parce que notre cause est juste, donc c'était lié à notre foi finalement

 

 

RG : c'était une sorte de croisade ou…comme on dit ?

 

PB : pas une croisade ah non, non

 

CB : on ne l'a jamais su en tout cas que c'était une croisade, nous on ne le vivait pas ça

 

PB : non, non, non

 

CB : maintenant avec le recul, Oui on peut dire ça

 

PB : ah non je ne dis pas ça du tout, on nous a agressés

 

CB : Oui 

 

PB : on a voulu nous priver de notre outil de travail

 

RG : Oui

 

PB : par des décisions de technocrates de Paris. Nous on a fait que se défendre, on s'est défendu en plus avec des moyens qu'on a choisi, non-violents

 

RG : Oui

 

PB : ce n'était pas, on n'a pas mené une croisade. Alors que beaucoup on dit la montée de Paris a pied ou avec les tracteurs, c'était, c'est la croisade du Larzac, il y en a beaucoup qui l'ont dit

 

RG : Oui

 

PB : mais ce n'était pas du tout une croisade. Nous on va dire à Paris ce que, et à  travers Paris à tous les Français, ce que le gouvernement ne veut pas entendre, ou ne veut pas dire. Mais c'est pas du tout dans cette idée de, comme, non parce qu'une croisade il y en avait quand même l'idée, c'était pour Dieu soit disant

 

RG : Oui

 

PB : bon nous on avait nos convictions, on n'a pas imposé à tout le monde de, d'aller derrière la croix du Christ, de monter à Paris quand même quoi. Ce n'est pas, je veux dire c'est l'esprit

 

RG : et c'était une lutte d'auto-défense ?

 

CB : voilà

 

PB : ah oui

 

CB : tout à fait oui

 

RG : avec de la foi

 

CB : Oui

 

PB : ah mais avec de la foi ça c'est sûr, mais la foi, il n'y a pas que ceux qui ont la foi…

 

RG : Oui

 

PB : en Dieu. Il y avait beaucoup de gens, beaucoup de gens qui ont découvert aussi la foi en quelque chose…

 

CB : la foi en l'homme Oui

 

PB : il y en avait qui était complément pff ils n'avaient plus confiance en rien… à travers le Larzac ils ont retrouvé de la confiance. Il y a des gens qui se sont reconstruit, qui étaient, je ne veux pas dire zonards, mais qui étaient mal dans leur peau et puis c'est tout

 

RG : Oui, oui

 

PB : et qui ont retrouvé une espérance avec le Larzac, avec la famille qu'avait constitué le Larzac, c'est

 

CB : ben oui parce qu'il y avait une telle solidarité entre les gens que ceux qui se sentaient seul, là ils retrouvaient une famille. Donc c'était très fort pour eux, ils avaient besoin de venir régulièrement pour se ressourcer en quelque sorte

 

PB : ah oui, oui, oui, ça c'est…

 

CB : vous allez vous y retrouver ?

 

RG : Oui…donc c'était une grande famille ?

 

CB : Oui tout à fait

 

PB : c'est toujours une grande famille

 

RG : c'est toujours une grande famille

 

CB : c'est toujours

 

PB : Oui, et pourtant on n'est pas tendre entre nous

 

CB : Oui, on s'est fait des fois…

 

PB : on sait s'engueuler

 

RG : ben c'est comme ça dans les familles (rire)

 

CB : Oui absolument   

 

PB : mais moi je n'aime pas m'engueuler avec ma femme (rire de RG)

 

RG : Bon je crois qu'on peut s'arrêter la, je vous remercie infiniment de votre témoignage, merci.