Bernard and Anne Victorri

name of activist

Anne Victorri

unmarried name/alternative name of activist

Anne Lorenceau

date of birth of activist

4 May 1949

gender of activist

F

nationality of activist

French

date and place of interview

Paris, 28 May 2007

name of interviewer

Robert Gildea

name of transcriber

Nora Khayi

 

 

name of activist

Bernard Victorri

date of birth of activist

4 Oct 1946

gender of activist

M

nationality of activist

French

date and place of interview

Paris, 28 May 2007

name of interviewer

Robert Gildea

name of transcriber

Nora Khayi

 

If the embedded player does not work, download audio here

 

RG : Voilà, bon je vais commencer par vous demander tous les deux votre nom et date de naissance s'il vous plait

 

BV : Attendez

 

RG : Oui

 

BV : Est-ce qu'on ne peut pas faire, parce qu'elle va partir, tu vas partir dans…

 

AV : Ben écoute, une heure, ça va suffire ou pas, on verra bien

 

BV : Ce n'est pas mieux de l'interroger elle d'abord et puis moi après, non ?

 

RG : Euh, attendez je vais poser…

 

BV : Pour gagner la…

 

RG : Voilà alors je vais vous demander…

 

AV : A tous les deux notre date et notre lieu de naissance

 

RG : Votre date et lieu de naissance s'il vous plaît

 

AV : Donc moi qui suis la plus jeune je suis né le 4 mai 1949 à Paris, dans le 15ème 

 

RG : Dans quel quartier ?

 

AV : Dans le 15ème 

 

RG : Le 15ème

 

BV : Et moi je suis né le 9 octobre 1946 à Béni-Saf, BENI-SAF, en Algérie

 

RG : D'accord, et est-ce que vous pouvez me dire quelque chose sur votre, vos familles d'origine

 

AV : Moi je viens d'une famille, par mon père, petite bourgeoisie française, petite moyenne bourgeoisie française. Par ma mère, ma mère était Danoise et ils ont, ils ont été au Parti Communiste après la guerre, c'était ce qu'on appelle les intellectuels de gauche

 

RG : Oui

 

AV : Mon père a été résistant déporté et a adhéré au PC après la guerre - et ma mère aussi - et ils ont été très militants toute ma petite enfance jusqu'en 57. Voilà mon père

 

RG : Qu'es-ce qui s'est passé en 57 ?

 

AV : En 57 comme, c'était 56 ou 57, c'était pas tellement par rapport à Budapest. En fait c'était aussi essentiellement d'ailleurs sur ben la rupture qu'il y a eu à ce moment mais sur la thèse du PC, la prolifération enfin un désaccord. Bon j'ai pas tellement envie de m'attarder là-dessus

 

RG : D'accord

 

AV : Mon père écrivait dans Economique et Politique qui était donc cette revue française du PC  et donc ils sont partis comme énormément de leurs...enfin ils ont quitté le PC  à ce moment-là comme énormément de leur proches

 

RG : D'accord, et qu'est-ce qu'il faisait ?

 

AV : Qu'est-ce qu'ils faisait ? C'est ça, mon père était, mon père était normalien, donc il avait fait l'ENA, il avait fait deux grandes écoles françaises. Il a été au quai d'Orsay pendant un temps, il a fondé la cellule du Parti Communiste du quai d'Orsay avec des gens comme Claude Alphandery  et en fait il a quitté le quai d'Orsay dans les années 50 parce qu'on les, on les mettait au placard en fait. Et il est rentré, il a travaillé chez Renault pendant une dizaine d'années et ensuite dans une banque qui appartenait à des, à des gens de gauche en fait, voilà, qui avaient été au PC, je suis désolé j'ai pas…  

 

RG : Et votre mère ?

 

AV : Et ma mère a travaillé relativement, brièvement comme assistante sociale

 

RG : Oui

 

AV : entre 50 et 58 à peu près. Puis après elle a travaillé un petit peu dans l'édition et plus longuement comme technicienne du CNRS. C'est un peu une interruption pour élever ses enfants de quelques années

 

RG : D'accord. Et vous monsieur ?

 

BV : Alors mon père et ma mère donc ils sont tous les deux originaires, enfin des français d'Afrique du Nord

 

RG : Oui

 

BV : d'origine espagnole

 

RG : Oui

 

BV : Tous les deux dans la région d'Oran…Ben ma mère...mon père a fait des études jusqu'à une licence de droit. Il est devenu instituteur, puis directeur d'école. Et c'était aussi un militant de gauche donc en Algérie et donc il a été syndicaliste, et puis maire de son village, où il a pris en fait la succession de son père, son propre père qui était déjà maire du village

 

RG : D'accord

 

BV : et puis au moment de la, de la guerre d'Algérie donc il est, s'est distingué par une attitude politique de type Camus

 

RG : Oui

 

BV : qui était ni pour l'indépendance de l'Algérie ni pour le statut quo. Et il s'est retrouvé très vite donc -.il était conseillé général aussi à ce moment-là - 

 

RG : Oui

 

BV : donc très vite en point comme un des opposants à l'OAS. Et donc il a été condamné à mort par l'OAS - il a eu plusieurs attentats contre lui. Voilà alors après l'indépendance, il est resté en Algérie

 

RG : Oui

 

BV : Et il a continué à diriger une école, un collège d'enseignement agricole, enfin il a aidé à reconstruire les choses. Et puis, ils ont fini par rentrer en France, entre deux. Donc ils nous avaient nous, ses trois enfants, ils nous avaient envoyé en France pour continuer nos études

 

RG : Donc vous vous êtes arrivé en France à quel moment ?

 

BV : En 61, donc j'avais 15 ans à ce moment-là. C'était un an avant, avant l'indépendance, en plein...au moment le pire pour nous, pour mes parents parce qu'ils étaient menacés

 

RG : D'accord

 

BV : Par l'OAS

 

RG : Et qu'est ce que vous avez fait comme études?

 

BV : Euh moi ?

 

RG : Oui

 

BV : Vous ne voulez pas que je vous parle de ma mère d'abord ?

 

RG : Oui allez-y, votre mère, non, non votre mère…votre mère aussi

 

BV : Ma mère était postière, puis aussi institutrice et elle est avec mon père donc resté au village, elle est devenue directrice aussi d'école et puis de collège d'enseignement ménager. Bon voilà elle a suivi mon père dans cette trajectoire…moi je suis parti à 15 ans donc d'Algérie, et j'ai fini, j'ai passé mon bac en France

 

RG : Oui

 

BV : Et puis j'ai fait des tests préparatoires et suis devenu normalien en maths

 

RG : Et vous étiez au lycée à Paris ou en…

 

BV : A Paris, au Lycée Lakanal,  puis au lycée Louis-le-Grand 

 

RG : Oui, d'accord, et donc vous êtes à l'École Normale en quelle année ?               

 

BV : En soixante…

 

AV : six

 

BV : En 66

 

RG : Donc et vos études madame ?

 

AV : Moi j'ai fais une classe préparatoire en 67-68, et puis ben ça été le mois de mai donc ça a totalement interrompu mes études universitaires

 

RG : Oui

 

AV : Donc je m'apprêtais à rentré en khâgne, j'avais souhaité aussi préparer l'École Normale Supérieure, et en fait je suis partie moi à ce moment-là. J'avais 19 ans c'était 68 et on est parti en fait. Enfin on s'est trouvé dans le Nord, on en parlera peut-être tout à l'heure. Et donc en terme d'études, j'avais, j'ai fais un peu de philo mais vraiment très, très peu, et après j'ai repris des études en science de l'éducation, dix ans après de façon assez dilettante on va dire. Voilà, moi c'est vraiment, j'ai une trajectoire totalement interrompu par 68

 

RG : D'accord, mais avant 68 vous étiez au Lycée...

 

AV : J'étais au lycée Lakanal après le bac encore pendant un an. Bon dans ces classes, un peu, bon voilà, les classes pour préparer les grandes écoles           

                        

RG : C'était un, Lakanal, c'était un lycée mixte ?

 

 

AV : C'était un lycée de garçons où exceptionnellement en prépa, quelques filles étaient acceptées après le bac

 

BV : Les classes qui étaient après le bac étaient mixtes

 

RG : D'accord, d'accord

 

AV : Il y avait très, très peu de filles…d'où ce choix. Jai fait en fait les études au Lycée de filles Victor Duruy avant

 

RG : D'accord

 

AV : qui était un des lycées du 7ème arrondissement, très bourgeois où j'étais en classe avec Françoise de Panafieux et ce genre de gens

 

RG : D'accord, d'accord

 

AV : Beaucoup d'enfants de ministres dans ce lycée  

 

BV : Il y avait Servan-Schreiber

 

AV : Oui entre autres, beaucoup d'autres

 

RG : Alors, nous arrivons à votre engagement politique tous les deux. Comment ça s'est passé ?

 

AV : Alors, moi en fait je suis rentrée au Jeunesses Communistes à 15 ans. J'étais très, comment dire, très passionné, très, en fort désir d'engagement

 

RG : Oui

 

AV : Alors que mes parents ne l'étaient plus effectivement. Mais je baignais dans un milieu d'intellectuel de gauche où les idées, enfin les débats politiques étaient l'apanage de tous les repas, quasiment, familiaux

 

RG : Chez vous ?

 

AV : Chez nous, oui chez moi oui…chez moi mais aussi, enfin ma mère, mes parents étaient très amis avec, le frère de ma mère et la sœur de ma mère, ils étaient tous dans cette même mouvance politique

 

RG : Oui

 

AV : donc d'abord au PC. Mon oncle y est resté, et en tout cas tout leur amis baignaient là-dedans. Moi je suis rentré au Jeunesses Communistes où j'ai fondé la - avec deux amies - la cellule de Jeunesse Communiste de ce lycée très, très, très, bourgeois

 

RG : Oui

 

AV : et où j'ai, pfff je ne sais pas jusqu'à où il faut détailler parce que (rire) ça nous ramène tellement en arrière. Voilà euh c'était donc en 64

 

RG : En 64 déjà

 

AV : Oui

 

RG : Et donc c'était plutôt le milieu familial qui vous a, qui vous a poussé

 

AV : C'était le milieu familial et en même temps une espèce de reprise de flambeau si vous voulez

 

RG : oui d'accord

 

AV : parce que mon milieu familial était bien loin de, à cette époque-là, du Parti Communiste où moi j'ai choisi de rentrer. Pourquoi au Parti Communiste ? Parce que je pense que j'étais quand même oui très baignée dans une littérature...En même temps mes parents, j'allais dire mes enfants, mes parents m'avaient donnés beaucoup de livres à lire genre Un Homme véritable qui était une espèce de livre de l'homme soviétique, de l'homme soviétique. J'étais beaucoup, très, très baignée là-dedans

 

RG : c'est un livre soviétique ?

 

AV : Oui, entre autres, j'ai beaucoup lu. J'ai lu Les Communistes d'Aragon quand j'avais 14 ans. J'ai, je lisais Sartre, Les Chemins de la Liberté et tout ça. J'étais toujours du côté de ceux qui devaient...j'avais un fort désir de mettre en pratique ce que, ce que je pensais et ce que je vivais. Et je pense que tout ça relève beaucoup de la psychanalyse que de l'histoire (rire)

 

RG : D'accord, non mais pourquoi pas ?

 

AV : Donc là on rentre dans des choses qui seraient vraiment compliquées entre le regard que voilà que j'ai maintenant là-dessus  et le regard de l'époque, c'est très…

 

RG : On va revenir en revenir à la fin sur le regard de…

 

AV : très complexe évidemment mais disons que j'avais ça, cette soif d'engagement. J'étais une fille extraordinairement timide, renfermée. Voilà j'aurais aussi bien pu rentrer dans un, être très, très catho par exemple. C'était assez, ça relevait aussi pas mal de, j'ai toujours étais absolument athée mais j'en faisais une espèce de cheval de bataille. J'aurai pu aussi être, voilà si j'avais été catho je me serais, voilà j'aurais adhéré à...avec la même

 

RG : D'accord, d'accord

 

AV : la même virulence. Donc ça a duré deux, trois ans et puis après ce qui s'est passé en France c'est que, ben il y avait la guerre du Vietnam

 

RG : Oui

 

AV :  Il y avait donc l'opposition autour de, quoi penser de la guerre du Vietnam, les slogans 'paix au Vietnam', 'FLN vaincra'. Donc là je me suis retrouvée très, très...J'étais en contact avec, au lycée, avec une jeune, une camarade de classe qui était, était déjà prochinoise donc c'était en 66-67, qui a induit le doute dans mon esprit. Je ne faisais pas le sou de rentrer au PC - les Jeunesses Communistes et le PC ce n'étaient pas tout à fait la même chose

 

RG : Non

 

AV: Je faisais des stages l'été, j'apprenais à faire de tracts, il y avait le lien avec les grands dirigeants du Parti qui venaient nous, nous parler du Vietnam et je…

 

BV : Elle a fait un voyage en Yougoslavie

 

AV : J'allais en, oui j'allais en vacances avec un truc qui s'appelait Les Fovéales, qui était un organisme comme ça des Jeunesses Communistes et donc ce n'était pas non plus - enfin on ne peut pas dire - je n'y étais pas comme y étaient d'autres gens que je connais parce que leurs parents étaient encore au PC moi mes parents n'étaient plus du tout là-dedans donc ça c'était…

 

RG : D'accord, d'accord

 

AV : voilà et puis ben ce débat sur le Vietnam m'a laissé totalement indécise jusqu'au moment ou je suis rentré à Lakanal où là effectivement j'ai rencontré au lycée un, un groupe de, de garçons, parce que, en particulier qui étaient eux adhérant du UJC(ml) - donc ça c'était en 67-68 - et qui étaient dans les CVB, donc dans les  Comités Vietnam de Base, et où j'ai fini moi aussi par aller, par adhérer. Et donc en fait j'ai fais tout ce mouvement pendant l'année 67-68 et j'ai voulu adhérer a l'UJC(ml) en  68 au moment où il se dissolvait

 

RG : D'accord, et la fille qui vous a amenée vers…

 

AV : Oui, les prochinois

 

RG : les prochinois, c'était qui ?

 

AV : Une camarade de classe qui n'était pas spécialement une amie d'ailleurs

 

RG : D'accord

 

AV : d'un milieu plutôt modeste je me souviens

 

RG : Oui

 

AV : Je me souviens de son nom - je ne l'ai jamais revue après - Annick Lemoine, et elle avait rencontré un mec. Enfin c'est quand même voilà, son copain était, l'avait emmenée là et...Mais il n'y avait pas qu'elle, je pense à elle mais j'avais une autre amie, qui maintenant est bien, bien loin de tout ça, qui aussi avait été en contact par le milieu universitaire avec cette frange de…

 

RG : Oui d'accord

 

AV : de gens qui étaient plutôt du côté prochinois, du coté… 

 

RG : Et parmi le types il y avait quelqu'un en particulier

 

AV : Non moi j'étais amoureuse pendant toute mon, pendant toutes ces années-la d'un catho fervent

 

RG : Ah bon

 

AV : qui était lui, oui, qui n'habitait pas à Paris et qui militait à la JEC. Donc en fait j'ai des correspondances de voilà, terribles, ou, au sujet de l'existence de Dieu, qui ferait peut-être  (rire)  où nos sentiments non-déclarés passeraient  à travers

 

RG : Non mais il y a, il y avait quand même un, une convergence entre certains catholiques de gauche et certains gauchistes, non ?

 

AV : Oui mais la c'était surtout sur de positions, et même, même sur le sujet justement de la guerre du Vietnam où il défendait les Américains par exemple, j'ai encore des lettres entières. Donc il n'y avait pas convergence de vues, il y avait, ça se vivait dans la douleur, mais aussi c'était très platonique donc finalement voilà  

 

RG : Et vous monsieur votre engagement politique ?

 

BV : Oui donc moi j'ai, faisait des études de maths et tout ça au lycée Louis-le-Grand à ce moment-là

 

RG : Oui

 

BV : Je n'avais pas beaucoup de temps à penser a autre chose mais quand même, je... mon premier engagement politique - enfin j'avais évidemment tout l'arrière fond de ce que faisait mon père en Algérie qui restait et tout ça - mais mon premier engagement ça a été de, de me battre avec l'UEC a l'époque

 

RG : Oui

 

BV : Pardon avec pas l'UEC, l'UNEF - donc le syndicat étudiant  - sur le slogan 'une allocation d'étude pour tous'. C'est-a-dire l'idée c'était ce que défendait l'UNEF a l'époque, c'est que les étudiants devaient avoir tous une allocation qu'ils soient d'ailleurs de famille riche ou de famille pauvre parce que c'est le moyen pour les jeunes d'être indépendants et…

 

RG : Oui

 

BV : Et donc moi je militais. Je me suis pris à ce jeu la de militer donc voila d'essayer de convaincre mes camarades de lycée et tout ça qu'il fallait aller aux  manifs et tout ça sur ce slogan-là. Et donc des que je suis rentré a l'Ecole Normale, mon premier geste ça a été d'aller adhérer à l'UEC puisque j'avais découvert là des militants de l'UEC, que je trouvais que c'était très bien de militer comme ça. Et quand je suis allé voir la cellule de UEC donc de l'Ecole Normale en leur demandant d'adhérer, ils m'ont dit 'ah, pas de chance on est entrain de quitter l'UEC'

 

RG : Oui, oui c'est ça, ah oui

 

BV : C'était la, la scission des maoïstes a l'Ecole. Et donc j'ai dis 'ben je pars avec vous, ça m'est égal (rire de BV et RG)…où que vous alliez'. Voila, et donc je suis militant de l'UJC(ml) sans trop savoir ou j'allais quoi

 

RG : Oui et les camarades UJC(ml) à l'époque c'était qui pour vous ?

 

BV : Ah ben c'était toute la bande, pff enfin les noms, c'était qui, c'était Betrema, c'était…

 

AV : tiens ben il est à Toulouse lui

 

BV : comment il s'appelle…

 

AV : Vesbuche 

 

BV : non ben Vesbuche il n'y était pas

 

AV : ben Sam, Samuel Des..

 

BV : qui était, qui était

 

AV : Ben il y avait Robert Linhart en tout cas, il y avait tous ces gens-là

 

BV : Oui, il y avait, il y avait les grands chefs, mais les grands chefs je les voyais peu 

 

RG : Oui d'accord

 

BV : Je voyais donc les petits chefs de l'Ecole Normale

 

RG : C'est où vous avez….

 

AV : Les petits chefs…

 

RG : C'est là où vous avez connu Olivier Roland, Rolin ?

 

BV : Non, bizarrement Olivier Rolin, il y était pas encore, c'est ça hein ?

 

AV : Si, il est rentré en 67 mais d'abord il y avait un an de différence et puis il est entré en lettres et vous, vous étiez en maths

 

BV : Il est rentré un an, un an après moi, il était en lettres, moi un an après c'est vrai que j'étais déjà presque…

 

AV : parti

 

BV : presque parti oui

 

AV : On l'a rencontre après, Olivier, on l'a rencontré vraiment à la Gauche Prolétarienne

 

RG ; D'accord, d'accord…alors ça s'est passé comment, mai 68, pour tous les deux ?

 

AV : Ben moi j'étais donc dans ce lycée Lakanal et, enfin je ne sais pas jusqu'où vous voulez, ça s'est passé comment, c'est-à-dire ?

 

RG : Non mais c'est-à-dire que, au point de vue soit, soit de vos activités soit les contacts, soit votre trajectoire à travers…

 

AV : Alors déjà on était enfin on diffusait un journal qui s'appelait - comment ça s'appelait ? - La Cause du peuple déjà. Moi j'avais commencé à faire du porte à porte dans les bidonvilles de Massy. Ça je pense que c'est une expérience absolument...en fait quand j'ai, quand je suis rentrée au lycée, une des raisons que j'ai, qui font que j'étais très, très hésitante c'est que ce qu'on disait aux Jeunesses Communistes, c'était 'reste dans ton lycée bourgeois'. Moi j'avais donc quand je parlais des aspirations qui auraient pu être catholiques, c'est que j'avais une aspiration à vivre comme les pauvres on va dire

 

RG : Oui

 

AV : connaître les pauvres. J'avais l'impression d'être enfermée dans un milieu, malgré l'engagement  intellectuel de mes parents. Je naviguais entre le 7ème arrondissement et le 14ème, j'étais nourrie de toute une littérature que, que y compris d'une vision sociale quand j'étais toute petite, qui me faisait aspirer très profondément a connaître le monde et ses, aussi misérable qu'il était

 

RG :Oui 

 

AV : Et ça, enfin voilà pour moi ça a été quand même une des sources de mon engagement cette histoire là

 

RG : D'accord

 

AV : Et quand je disais je pense que j'ai été profondément perturbée par le fait que mes parents effectivement se gargarisaient - ça c'est mon point de vue de maintenant, ce n'était pas mon point de vue de l'époque - se gargarisaient de grandes idées et de, de grands sentiments, de bons sentiments

 

RG : Oui

 

AV : mais que en même temps dans leur vie quotidienne, voilà, ils vivaient vraiment tout à fait en dehors de tout ça et moi je voulais aller...je pense que c'est, c'est une des choses qui, qui me fondais, que j'ai trouvais à l'UJC(ml)

 

RG : D'accord

 

AV : en allant en particulier ou j'étais donc dans la région du sud, Chatenay-Malabry, a Massy etc. Quand le mouvement de mai a éclaté, bon ça je me souviens effectivement comme si c'était hier hein le 3 mai, on était - quand on est à Lakanal on est un peu loin de Paris, je n'étais pas a la Sorbonne mais on était quand même étudiants à la Sorbonne en même temps donc

 

RG : Oui

 

AV : Ça a éclaté comme un coup de tonnerre même si on avait vu les manifs du 22 mars et tout ce qui a précédé pendant l'hiver et, et moi j'ai été...on a occupé très vite me semble-t-il le lycée

 

RG : Oui

 

AV : J'allais a Paris, à la Sorbonne mais pas..En tout cas j'étais très, très d'accord avec le, la position de l'UJC(ml) qui était tellement contestée, qui était 'tous aux usines'. Pour moi effectivement je n'étais pas du tout sur la position, enfin, je pensais que les étudiants étaient tous de tout façon des privilégiés 

 

RG : Oui

 

AV : et qui m'intéressaient pas tellement le moins du monde. Ce qui m'intéressait c'était vraiment le monde ouvrier et cette idée qu'il fallait aller aux usines et qu'il fallait... que c'était que ça qui comptait. Ben je partageais ça tout à fait et c'est pour ça d'ailleurs que j'ai donc voulu rentrer à l'UJC(ml) à ce moment-là, voilà

 

RG : D'accord

 

AV : Après tout s'est passé très, très vite donc

 

RG : Alors votre contact avec les banlieues c'était par la, la vente de ce journal ou quoi, parce qu'il y avait aussi des établis à ce moment-là?   

 

AV : Alors la ligne d'établissement  ça a été discutée cet hiver-là. Il y a eu quelques établis à partir effectivement je crois que c'était 66-67, on les a connu après. A l'époque c'était quelque chose qui me séduisait énormément mais enfin je n'étais pas du tout prête ni à, à faire le pas et je…

 

RG : Non

 

AV : et je, j'en savais assez peu de chose puisque c'était quand même, étant donné que c'était très clandestin hein. C'est-à-dire que les établis devaient être totalement protégés par un grand secret donc je ne savais pas trop mais en tout cas c'est ce qui pouvait me, me séduire dans ce mouvement oui 

 

RG : D'accord, et vous ?

 

BV : Et bien moi donc après quand je suis rentré a l'UJC(ml), moi ça été une itinéraire vraiment droite ligne quoi

 

RG : Oui

 

BV : Je, j'avais l'impression que c'était aussi simple que des théorèmes de maths. On se mettait à crier 'FLN vaincra' sur la base de toute une analyse des rapports de force entre l'impérialisme et le reste du monde et tout ça

 

RG : Oui

 

BV : et puis, et puis effectivement il y avait la victoire, la victoire de Tet, etc. C'est-à-dire ce qu'on déclarait comme étant une espèce de, oui de slogan auquel peu de monde en France croyait finalement

 

RG : Oui, oui

 

BV : enfin que le FLN allait gagner, c'est pour ça que les gens criaient plutôt 'Paix au Vietnam'. Donc nous on criait ca sur la base d'une, d'une réflexion rationnelle

 

AV : d'une allée scientifique

 

BV : scientifique, du monde, et puis ça marche quoi. Et puis ensuite donc, moi je suis allé en Chine c'est-à-dire en 67 donc

 

RG : Ah oui ?

 

AV : Oui 67

 

RG : Avec toute l'équipe de…

 

BV : avec les associations franco-chinoises…

 

AV : Le premier voyage

 

BV : C'est-a-dire il y avait un voyage de chef, et un voyage d'une vingtaine de militants de base

 

RG : Ah oui

 

BV : qui devait…

 

AV : De base et moins de base

 

BV : et donc c'était beaucoup de normaliens effectivement (rire) parce que il fallait avoir un peu d'argent. C'est-à-dire qu'on, on avait payé le voyage sans savoir si on y allait hein. C'est l'idée c'est ceux qui pouvait payer payait et on voyait combien de personnes pouvaient partir et donc j'ai fait partie de ceux qui pouvait partir donc j'ai.. on a passé un mois en Chine etc., la Révolution culturelle et tout ça, on a découvert…

 

RG : Ça a fait quelle impression sur vous ?

 

BV : Ah c'était extraordinaire parce que, parce qu'on était complètement…

 

AV :  Manque absolue d'esprit critique

 

BV : Oui on était complètement enthousiasmé, l'idée..on voyait tout à l'aune de Pékin Information etc., donc on était, l'idée qu'effectivement enfin les intellectuels, les ouvriers, les paysans étaient réunis, faisaient les choses ensemble etc. On a eu deux, trois petits doutes quoi quand on allait dans une usine et qu'on voyait l'armée partout, on posait la question, 'mais pourquoi l'armée ?', 'mais l'armée, l'armée c'est les représentants du peuple', etc.(rire de RG) donc voila, on a manifesté en gueulant 'A  bas Liu Shaoqi ! A bas Deng Xiaoping!'. Enfin bref, on était complètement enthousiaste là-dedans, on a, on était dans une commune populaire, on a travaillé, on a été dans une usine, on a travaillé. Enfin bon, on est revenu complètement enthousiasmé de ça

 

RG : Oui

 

BV : Et puis voilà l'année 68 a commencée avec des, des grèves ouvrières très fortes et puis moi, comme c'était le mot d'ordre justement d'établissement, qu'il fallait aller vers les usines etc. Et effectivement les usines se mettaient en grève et donc quand mai 68 est arrivée c'était, pour moi c'était forcément parce qu'on était toujours dans la bonne, dans la bonne ligne et que effectivement on allait la faire la révolution. Donc moi j'étais, donc j'étais a l'Ecole Normale donc j'étais en plein Quartier Latin et donc j'étais dans les toute première barricades des le, des le 1er mai ou non, non même avant, c'était le 3 mai - ou enfin je ne sais plus enfin. Dès que ça a démarré j'étais dedans, on faisait des comités je ne sais pas quoi. Là il y a eut un petit, un petit problème avec notre direction

 

RG : Oui

 

BV : qui était elle totalement paranoïaque sur le fait que tout cela c'était fait pour, pour venir emprisonner tous les militants du UJC(ml) (rire). Alors donc nous, on était deux, trois à ne pas être pas du tout être d'accord et à trouver que c'était ridicule de ne pas...et on n'a obtenu nous l'autorisation d'aller nous battre

 

RG : Ah oui d'accord

 

BV : comme représentants de l'UJC(ml) dans les, dans les luttes étudiantes

 

RG : D'accord

 

BV : Et j'ai pu participer au 10 mai et tout ca, en pleine adéquation avec mon mouvement…

 

RG : Parce que pour la direction mai 68 c'était un truc 'petit bourgeois' ou un truc 'contre révolutionnaire', c'était quoi ? 

 

BV : C'était un peu plus compliqué que ça. C'était l'idée que le mouvement étudiant était entrain de rejoindre le mouvement ouvrier et ce qui était important c'est ce qui se passait dans les usines. Et le, l'agitation qu'on faisait dans les facs était en train de produire ces effets, c'est-à-dire que on allait de plus en plus bon. Mais les premiers jours de mai 68 le, enfin Linhart

 

AV : vous voyez qui s'est Robert Linhart

 

RG : Oui, oui, oui

 

BV : c'est Linhart qui l'a, qui l'a vécu comme ça hein, dans un, dans un truc un peu parano qui était de dire…

 

AV : qui était totalement délirant, pas un peu parano

 

BV : Pas encore complètement, était de dire bon voilà, 'Tout ça c'est une manoeuvre  de la…

 

AV : C'était le début d'un délire …

 

BV : des flics pour coincer les étudiants dans le Quartier Latin

 

RG : Oui

 

BV : les faire se battre à la Sorbonne alors que ce n'est pas là qu'il faut se battre. C'est dans les banlieues et donc nous, militants du UJC(ml), nous n'allons pas rentrer dans ce piège. Donc  nous n'allons pas participer à ce combat mais nous allons plutôt expliquer au étudiants qu'ils s'en aillent, qu'ils quittent le Quartier Latin'

 

RG : D'accord

 

AV : 'Tous a Saint-Denis !'

 

BV : Voilà, bon donc moi j'ai échappé à ça. J'ai pu vraiment vivre ça pleinement et puis donc, pour moi ça a été absolument extraordinaire évidemment. On était, ça faisait quand même deux ans que je militais, bagarrais pour que quelqu'un m'écoute et puis là on arrivait au bout du boulevard Saint-Michel. On commençait  à parler un peu fort, il y a avait 20 personnes, 30 personnes, 100 personnes, on disait 'allez. on va à  tel endroit'. On partait à  200, on arrivait on était 2000. Enfin c'était, c'était Le Cid, quoi (Rire de BV et AV). Et euh, non mais c'est vrai, ça avait un coté absolument magique de, de, de mouvement de masse comme ça et donc voilà on avait l'impression de participer à l'histoire

 

RG : Mais vous êtes parti  à Flins ou dans les banlieues, donc les usines après ?

 

BV : Alors évidemment quand le, quand le mouvement ouvrier a démarré, là on a repris - enfin tout  le UJC(ml) a repris son activité de façon extrêmement efficace quoi. Donc oui j'étais  à Flins, on a été a, enfin j'étais surtout dans l'usine à - ou d'ailleurs Linhart s'est établi un an plus tard - à Citroën-Choisy - , donc voilà, j'avais mon quartier etc.

 

AV : On avait tous des points de base

 

BV : On avait les, les ronéos qui tournaient à plein, on faisait toutes les grosses manifs. Voilà donc on a vécu tout 68 comme ça jusqu'à la fin donc du mouvement et là, la décision donc du UJC(ml) de faire ce qu'on a appelé les longues marches

 

RG : Oui

 

BV : Autrement dit donc de rester mobilisé tout l'été, l'idée étant que il fallait mobiliser les paysans puisque c'est ça qu'il manquait quand même (rire AV). Ben oui c'est important quand même les paysans, et donc il fallait que les paysans rejoignent les ouvriers qui à partir de là en septembre c'était reparti et là on allait vers la révolution

 

RG : Vous êtes allez à…

 

BV : Donc je suis allé dans le Nord parce que ça c'est quand même un des endroits où il manquait de monde. Et dans le Nord du côté d'Arras et là, d'abord dans un truc…

 

AV : En fait c'est qu'on s'est connus. Faut quelque  même raconter ça c'est important (rire)

 

BV : Là nos histoires se rejoignent…   

 

AV : Jusqu'à présent c'était séparé…

 

BV : puisque donc c'est dans ma, dans ma chambre à l'Ecole Normale que se faisait le, le dispatching…

 

AV : les affectations 

 

BV : pour la marche

 

RG : D'accord

 

BV : Donc c'est là qu'il y avait les responsables du UJC(ml) qui disaient à un tel, 'Toi où est-ce que tu veux aller ?'. Il y en a qui voulaient  aller à Biarritz (rire de BV et RG) d'autres à…

 

AV: à Palavas-les-Flots

 

BV : et donc, et puis voilà, et ben, 'Tu vas à tel endroit et on t'emmène à tel, dans telle adresse', etc. Et c'est comme ça que ça s'organisait et donc on a, dans la file on s'est retrouvé tous les deux et on est parti tous les deux dans le Nord et, on est parti dans la même voiture et…

 

RG : Oui d'accord

 

BV : Euh voilà

 

RG : C'est l'été de 68 ?

 

AV : Oui c'était tout début juillet. Moi j'étais déjà partie une fois à Dunkerque, ça c'était très mal passé d'ailleurs, avec des loubards. Oui j'étais partie avec des loubards de Chatenay Malabry parce que  la jonction avec le lumpenprolétariat s'effectuait déjà pas mal. Ils avaient commencé à piquer des voitures à Dunkerque

 

RG : Oui

 

AV : On faisait des rapatriés d'urgence donc c'était mon deuxième, mon deuxième départ. Moi je, je voulais bien partir l'été m'enfin j'étais encore dans ce, cette trajectoire de rentrer à Fénelon et de continuer mes études qui enfin me plaisaient. Donc on est parti en, et même temps on s'est effectivement vraiment par hasard retrouvé dans cette voiture où il..il y avait donc une logistique assez...qui nous prenait en charge à l'arrivée, qui nous répartissait sur les unités…

 

RG : Oui et qu'est-ce que vous avez fait pour contacter les paysans et quel genre de paysans ?

 

BV : Alors là…

 

AV : Alors là, ça ce n'était vraiment pas triste (rire)

 

BV : On s'est retrouvé dans une maison qui était la maison…

 

AV : Enfin toi, pas moi

 

BV : d'un parent d'un militant

 

RG : Oui

 

BV : et on…

 

AV: qui avait des attaches paysannes

 

BV : et on était une dizaine qui étaient là à …

 

AV: à glaner toute la journée

 

BV : dont le but était d'agiter les paysans. Alors ce qu'on essayait de faire, c'est d'aller au bistro le soir on discutait avec eux, faire une belotte de temps en temps. Mais on ne comprenait rien à ce qu'ils disaient parce qu'ils parlaient avec un très fort accent chtimi et eux de tout façon tout le village sauf les gens, les poivrons du bistro se méfiaient, considéraient qu'on était une bande de…

 

AV : hippies avant l'heure

 

BV : hippies qui couchaient tous ensemble etc., et ils nous regardaient vraiment comme des, comme des menaces et comme des étrangers…

 

RG : Oui, ils ont vu tout ça à la télé quoi

 

BV : Donc on était là complètement isolé de tout, de tout contact intéressant possible et…

 

AV: et on allait faire quelques sorties. Moi j'étais, j'étais pas avec lui à ce moment-là d'ailleurs, parce que quand on est arrivé, on est arrivé dans la même voiture mais on était dispatché différemment. Moi je me suis retrouvée à Douai - il y avait une grosse usine qui s'appelle Larebel qui était une usine de bagnoles, ou d'accessoires de bagnoles - et on faisait , on glandait dans des appartements où on tchatchait toute la journée sur la révolution. Mais en fait ce qu'on faisait c'est quelques  diffusions de tracts. Alors après il y avait aussi les mines - c'était aussi la région des mines - donc de temps en temps on allait aussi à 4-5h du matin diffuser des tracts au pied de mine, .mais  enfin c'était quand même…

 

BV : Mais à la fin…

 

AV: Et alors il y avait effectivement des établis quand même. Alors tout, tout ça c'était pour soutenir les gens qui, qui s'établissaient

 

RG : D'accord

 

AV : parce que  à l'arrivée voilà on décidait de...il y a ceux, il y avait oui ceux qu'on établissait et sur lesquels il fallait faire un espèce de cordon sanitaire pour qu'ils ne soient pas repérés etc., et puis -comment on appelé ça les sorties des, ça avait un nom mais j'ai même oublié ça quoi - les commandos d'extérieur quoi, les commandos de l'usine, les sorties d'usine, nous on était, et on a passé l'été comme ça…

 

BV : à préparer la rentrée. A la rentrée ce qui devait se passer c'est que à Arras on avait un établi qui était Jean Schaivo qui était un grand dirigeant de la Gauche Prolétarienne

 

RG : oui

 

BV : et Jean Schaivo avait une théorie très simple, il était lui dans une usine qui s'appelait…

 

AV : La Maille

 

BV : La Maille qui était une usine de textile

 

RG : oui

 

BV : et La Maille devait, faisait partie de la même, le même groupe d'entreprises que des usines lyonnaises, Rhodiaceta etc. Et donc l'idée c'était on fout en grève La Maille, ça met tout le, tout le secteur en grève et c'est repartie donc la révolution. C'est nous qui devions la redémarrer en (rire de AV)

 

RG : D'accord

 

BV : Parce qu'on n'allait pas réussi avec les paysans au moins on allait réussir ça. Et donc là, la question qui nous a été posée à Anne, à moi et à tout ceux qui étaient venus comme ça faire la longue marche l'été, c'était, 'il faut rester parce que  sinon on ne peut pas faire de révolution' (rire de AV)…

 

RG : Et les études entre temps ?

 

BV : Alors donc voilà, alors là il fallait prendre la décision : soit on restait, on devenait militants professionnels soit on revenait à Paris et on redevait…

 

AV : et on était des traîtres

 

BV : des étudiants petit-bourgeois  

 

AV : traîtres !

 

BV : Donc nous on a décidé de rester tous les deux. Moi…

 

AV : Enfin …

 

BV : Si

 

AV: On n'était pas ensemble hein ?

 

BV : On ne vivait pas ensemble

 

AV : On ne vivait pas ensemble et on n'était pas ensemble. Enfin il y avait, y'avait rien entre nous à ce moment-là, et donc Bernard lui était payé par l'Ecole Normale, donc en plus c'était…

 

BV : Et moi  

 

RG : Ah oui d'accord

 

BV : en tant que normalien j'avais déjà ma paie

 

AV : Donc en fait les salaires, le salaire d'une personne faisait vivre et l'essence et les tracts et les, les quelques apparts et les machins, on couchait les...enfin chez des sympathisants, si, tout l'été quand même c'est ça. On allait aux marchés, on faisait beaucoup, beaucoup de porte à porte, on avait des contacts…

 

BV : avec des ouvriers. On avait des contacts avec des ouvriers du PC  qui étaient depuis longtemps d'ailleurs en rupture avec le PC qu'ils trouvaient devenant trop social-démocrate

 

RG : Oui

 

BV : et donc on a, on a trouvé ce raison de contact et on allait tous les 2-3 jours discuter avec eux, de la situation critique…

 

AV : Et nos tâches

 

BV : On commençait à faire un petit réseau

 

AV : Les sympathisants, les…

 

BV : qui allait depuis donc les anciens résistants, des c'est, c'est

 

AV : Enfin on avait surtout deux…

 

BV : des journalistes de…

 

RG : c'était à Douai tout ça ?

 

BV : non à Arras

 

RG : à Arras

 

BV : voilà, c'est à Arras finalement qu'on s'est établi. Alors à Arras Anne et moi donc nous sommes, nous avons décidé de rester et nous avons loué un appart

 

RG : D'accord    

 

BV : et là a commencé…

 

AV : tu as loué un appart

 

BV : commencé à faire un, de l'agitation en septembre, octobre avec des lycéens pour avoir une petite force d'appui. Alors donc on a trouvé un petit groupe de lycéens anars qui avait fait mai 68 et qui avait envie de continuer

 

AV : qu'on a recruté

 

BV : et c'est la première cellule du UJC(ml), enfin de la Gauche Prolétarienne, qui est devenu la Gauche Prolétarienne

 

RG : Oui

 

BV : à Arras avec donc pour soutenir ce dirigeant-là qui était établi dans l'usine et pour garder les contacts avec ces ouvriers. Voilà donc on a commencé le travail là

 

RG : D'accord, et la Gauche Prolétarienne s'est organisé à partir de Paris, vous avez pris contact avec quelqu'un, comment ça s'est passé ?

 

BV : Alors ce qui s'est passé c'est que ce dirigeant-là en question était en plein dans les discussions justement de savoir la scission…

 

AV : avec Benny Lévy, avec…

 

BV : dans l'UJC(ml) entre ceux qui sont restés, qui sont passés au PCMLF après et puis ceux qui ont fondé la Gauche Prolétarienne

 

RG : Oui

 

BV : Donc lui était en plein dans ces discussions-là tout le temps. Nous, moi je suis allé une fois ou deux à des réunions etc., en fait on s'est, on n'y comprenait pas grand...enfin on n'y comprenait pas grand chose de plus. Ça nous paraissait évident qui allait rester, qui allait dans la Gauche Prolétarienne puisque les autres. Il y avait, il y avait un certain repli hein, des gens de, qui n'ont pas fait ce chemin-là…

 

AV : qu'on appelait les liquidos               

 

BV : C'est comme ça qu'on les appelait, les liquidateurs, c'est parce qu'ils disaient 'attendez là, arrêtons'

 

RG : Oui

 

AV : 'Construisons un parti'

 

BV : 'On s'en va dans le mur, il faut construire un parti, réfléchir, le centralisme démocratique ça réclame aussi qu'on ait une analyse de classe de la situation française etc.'. Donc un discours beaucoup plus raisonnable du point de vue communiste que nous, qui étions...on nous a appelé pas pour rien les mao-spontex hein, qui étions..'Arrêtons de…'

 

AV : 'Impliquons la ligne des masses, allons à la rencontre des ouvriers, c'est eux qui savent, c'est eux qui ont raisons, c'est eux qui ont…'

 

RG : C'était qui les liquidos ? C'était les anciens UJC(ml) qui sont partis ?

 

BV : Voilà

 

AV : Oui

 

BV : Qui ont arrêté, qui ont fondé ce PCMLF

 

RG : Oui, d'accord

 

BV : et qui ont donc arrêté de vouloir aller faire de l'agitprop dans les usines

 

AV : Enfin qui sont, ce qui est bizarre  c'est qu'ils étaient aussi établis quand on pense à Laurent Marty etc.                           

 

BV : Oui, oui c'était, mais c'était, c'est quand même une très grande différence de, de conception de, de ce qu'on devait faire, dans les, dans l'immédiat

 

RG : D'accord

 

AV : Oui la reprise…

 

BV : En gros c'était très clair mais c'est parce que aussi on était avec ce dirigeant-là et qu'on était dans cette ambiance-là. Pour nous c'était très clair que si on voulait continuer la révolution, il fallait rester là. Si on commençait à rentrer à Paris…

 

RG : La structure était assez décentralisée ?

 

BV : Assez enfin, ça n'a jamais été un parti hein, donc ça n'a jamais été une organisation où il y avait des cartes ou des membres ou des machins comme ça

 

RG : Oui

 

BV : Ça a toujours été un truc un peu flou mais il y avait une organisation centrale très fort, il y avait une dizaine de dirigeants qui étaient là, qui se réussissaient très, très régulièrement, qui formaient le bureau politique ou je ne sais plus comment on l'appelait, le comité central, non, enfin une espèce de comité exécutif

 

RG : Oui

 

BV : national, et dans chaque région il y avait le représentant de ce comité national qui avait fait autour de lui un petit groupe aussi de dirigeants de la région

 

RG : D'accord

 

BV : Donc par exemple moi j'allais, j'étais après responsable sur le coin, et puis j'allais en réunion à Lille où on recevait la parole qui nous arrivait de Paris

 

RG : D'accord

 

BV : parce qu'il y avait des grandes discussions  et tout ça

 

RG : Et ça a continué pendant combien de temps ?

 

BV : Et ben ça a continué pendant toute l'année 68-69, c'est ça ?

 

AV : Oui 68-69 avec…

 

BV : De septembre 68 jusqu'à juin 69

 

AV : Oui c'était la grande, en fait ça s'est transformé en grand réveil anti-autoritaire avec les lycéens

 

BV : Oui mais nous on était dans le Nord, ce n'est pas très

 

AV : Nous on était dans le Nord oui, ensuite on s'est établi

 

BV : Voilà, après ça été, donc on est passé…

 

AV : Enfin

 

BV : On a commencé à travailler à l'usine

 

RG : Oui, où ça ?

 

BV : Alors d'abord à Arras dans une usine, moi j'ai travaillé dans une usine de filature aussi

 

RG : Oui

 

BV : Ça n'a pas duré très longtemps. C'était un mois ou deux, parce qu'ensuite on nous a renvoyé à Cambrai donc qui était un autre coin, donc là nous on était ensemble déjà

 

AV : Ça c'était des, des décisions prises effectivement d'une façon tout à fait centrale, on nous a envoyé comme des pions ici ou là…

 

BV : Parce qu'il fallait, parce qu'il y avait un ouvrier

 

AV : il y avait un ouvrier, anciennement de Citroën

 

BV : Quand moi j'étais…on voulait s'établir tous les deux, l'idéale c'était qu'on aille à Cambrai pour être établis  à deux et donc…

 

AV : C'était la reprise en fait d'endroits où il y avait des choses importantes en 68, des grosses grèves en 68 et où des contacts avaient été pris mais souvent très, de façon très...Et là il y avait un contact et l'idée était de partir de ce contact pour créer une cellule à Cambrai comme il y en avait, en pensant qu'à Arras les autres pouvaient reprendre le relais, puisque Bernard y était quand même

               

RG : Vous avez été tous les deux à Cambrai ?

 

AV et BV : (brouhaha) Donc on a été tous les deux à Cambrai, moi je travaillais…        

 

BV : Pardon

 

AV : Moi je travaillais dans une chocolaterie avec des filles qui étaient typiquement... enfin des jeunes femmes avant mariage qui travaillaient. Bon c'était, c'est une usine qui travaillait de façon saisonnière, c'était, ça s'arrêtait quasiment pendant l'hiver, il fallait faire les chocolats pour Noël. C'était l'usine Lanvin ça n'existe plus, ça a disparu. Je suis retourné il n'y a pas très longtemps quand  ma fille a été nommée prof de philo au lycée Cambrai, tout à fait par hasard (rire de RG). C'est rigolo et voilà, ça ça été une expérience absolument fondatrice quand  même, même si elle n'a pas durée très longtemps. D'abord parce qu'on, on, c'était des filles qui venaient de toutes sortes de coins, de villages vraiment, qui parlaient des patois mais incompréhensibles et qui prenaient le bus le matin et…

 

RG : Qui n'avaient pas envie de faire la révolution ?

 

AV : alors qui n'avaient pas vraiment envie de faire la révolution mais...[pause] oui, non, enfin non…

 

BV : Pas du tout

 

AV : Mais avec qui… qui n'avait pas du tout envie non c'est clair. Mais avec qui, il y avait quand aussi des révoltées, beaucoup plus des...Je me souviens, moi je me souviens très, très bien  d'une petite brune là qui était drôle, non une petite blonde, je m'en souviens comme si c'était hier je pourrais presque la reconnaître sur la photo - qui était très drôle, qui faisait rire tout le monde. Moi j'étais hyper frustrée parce que  je la, je ne comprenais presque rien de ce qu'elle disait, mais elle était vraiment très, très marrante et en fait la façon dont...Nous notre rôle c'était quand même d'attiser évidemment les conflits, elles étaient quand même, enfin les conditions de travail on les connaît - mais c'était la pointeuse, speed, speed toute la journée, on était à la chaîne, il n'était pas question d'aller faire pipi, il n'était pas question de...Il y avait ces fameuses contredames, donc toute une espèce d'autorité de, et puis à ruer à la sortie. Donc l'idée c'était effectivement de commencer à s'appuyer, toujours appliquer la ligne de base donc de s'appuyer dans la mesure où l'on pouvait comprendre sur la moindre mécontentement qui pouvait, qui pouvait prendre de l'ampleur, donc quand même enfin moi je, je m'étais lié avec une fille qui pouvait pas être du coin - donc qui parlait un français à  peu près normal - qui le jour où j'ai eu quand même, je lui ai quand même confié que j'étais étudiante parce que je, avec ma détestation du mensonge, je trouvais que cette situation était un peu intolérable, qui n'a jamais voulu me croire mais, en me disant, 'si t'étais étudiante, si t'avais le bac tu ne serrais pas là, qu'est-ce tu racontes, c'est n'importe quoi'. Mais avec qui on a quand même fait un tract qui a été diffusé. Alors ma grande satisfaction quand je repense à ces mois d'usines c'est de, de voir ce tract diffusé par les copains et, et quand même lu et applaudi des deux mains. Enfin c'est-à-dire qu'effectivement

 

RG : Oui, qu'est-ce qu'il disait le tract ?

 

AV : rhoo je ne sais…

 

BV : 'A bas les petits chefs'

 

AV : Oui c'était ça (rire de RG). 'A bas les cadences infernales', c'était le grand mot d'ordre de l'époque, c'était les cadences et les petits chefs et c'était un peu partout comme à la Lainière, comme partout. Et on arrivait quand même à fermenter, des vrais...Alors je pense à José dans son...à Roubaix qui était sur l'usine mais des vrais, soit des vrais grèves soit des vrais combats des brides de cadences etc.

 

RG : Oui

 

AV : Et moi j'étais enfin heureuse parce que  je n'étais pas très heureuse, c'était quand même assez, c'était une vie quand même très, très, très, très dure mais en tout cas j'avais l'impression d'être au cœur de la, de la où il fallait

 

BV : Et moi donc de mon côté donc j'ai travaillais d'abord dans une sucrerie parce que  il fallait aussi se faire des, avoir une petite histoire ouvrière. On ne pouvait pas aller se faire embaucher chez...moi je voulais aller chez Citroën, qui était l'usine du coin, importante et donc il fallait passer par des étapes intermédiaires pour avoir un certificat de travail et montrer aux gens chez qui on voulait se faire embaucher

 

RG : D'accord  

 

BV : et donc j'ai travaillais dans cette sucrerie pendant un certain temps puis je me suis fait embauché a Citroën et là j'avais trouvé vraiment le boulot idéal

 

RG : Oui

 

BV : puisque j'étais magasinier, aide-magasinier c'est-a-dire que j'alimentais les chaînes donc stratégiquement c'était formidable hein. C'était l'endroit ou l'on pouvait parler à tout le monde dans les chaînes etc. Mais malheureusement je ne suis pas resté longtemps (rire) parce que au bout d'une semaine, dix jours que j'étais là, on est parti se marier a Paris, un week-end, un week-end de mariage…

 

AV : on est parti se marier chez Marty, alors ça, ça faisait parti des…

 

RG : Alors la on est a quel moment, a quelle date ?

 

AV : En septembre 69

 

RG : Septembre 69 d'accord

 

BV : Et donc je reviens de mon mariage et…

 

RG : Pas de voyage de noces ?

 

BV : Non, non

 

AV : mais alors le mariage ça c'était aussi….

 

BV : J'ai quand même eut trois jours pour me marier

 

AV : Non mais le mariage c'était  pour des raisons politiques  aussi

 

RG : Ah oui, bien sûr

 

BV : Et donc je…

 

AV : Enfin bien sûr

 

BV : je reviens et là je me fais refouler a l'entrée de l'usine

 

RG : Oui

 

BV : 'Vous êtes licencié'

 

RG : Ah oui d'accord

 

BV : Et donc là je, la quand même ça été mon plus beau titre de gloire ouvrier, c'est que donc j'ai gueulé etc., Les ouvriers se sont arrêtés et les ouvriers se sont mis en grève

 

RG : Ah formidable

 

BV : pour défendre mon, contre mon licenciement. Et donc il y a eu une grève qui a durée une demi-journée, et au bout de la demi-journée les syndicalistes qui sont allés négocier avec le patron sont revenus dans le réfectoire, là où étaient tous les ouvriers - moi j'étais toujours dehors - et, et on dit aux ouvriers 'on a gagné tout'. Ben ils avaient gagné effectivement toutes leurs revendications qu'ils avaient depuis plusieurs années

 

RG : Ah oui

 

BV : Et les types ont dit, 'Ah et Victorri il est réintégré ?'. Et là les types ont dit, 'Non, non, non Victorri non c'est une autre affaire c'est beaucoup plus compliqué que vous le croyait, ça va passer au Prud'homme etc.. On reste mobilisé là-dessus mais, mais, mais méfiance et tout ca'. Et en fait ce qui s'était passé c'est que le patron avait dit aux syndicalistes que les flics étaient venus dire que j'étais maoïste et donc les syndicalistes étaient totalement d'accord sur le fait que je sois licencié en tant que maoïste. Pour eux il n'y avait pas de soucis j'étais un agitateur étranger, il fallait bien me virer donc ils ont, ils ont réussit à arrêter la grève en obtenant ces sur des tas d'autres choses, voilà

 

RG : D'accord, mais parce que c'était des syndicalistes CGT ?

 

BV : CGT voila qui étaient, CGT essentiellement…

 

RG : Oui d'accord

 

BV : C'était le Parti Communiste qui était à l'œuvre…et donc voilà donc j'ai été, mon heure de gloire n'a pas durée très longtemps

 

RG : Il y a une petite chose que je ne comprends pas. C'est que comment vous les Parisiens avec la formation que vous avez, comment, comment vous avez fait pour vous faire passer comme ouvrier du Nord ?

 

BV : ben c'est assez simple en fait…

 

RG : vous n'étiez pas repérer tout de suite ?

 

BV : Ben c'est…

 

AV : On avait des histoires

 

BV : c'est assez facile. On arrive dans, a la sucrerie par exemple, c'est...il y a ce qu'on appelle la campagne de sucre, de betterave etc., et là pendant l'été c'est avant la campagne, c'est des entreprises de bâtiments en fait, de sous-traitant qui viennent remettre tous les taules, etc., enfin tout, tout réaménager l'usine pour la campagne

 

RG : D'accord

 

BV : Donc là, il y a une série de petites boites qui cherchent de la main d'œuvre, cherche de la main d'œuvre pour deux mois. Donc vous arrivez là et vous dites, 'je cherche du boulot', 'ben viens'. Il n'y a aucune..ça veut rien savoir, simplement faut pas avoir la trouille quand on monte sur les gros tuyaux

 

AV : Non mais des histoires qu'on racontait c'était effectivement…

 

BV : C'est tout (rire de RG et BV)

 

AV : D'abord c'était une période de super plein emploi enfin franchement

 

RG : Oui d'accord

 

AV : Il n'y avait pas…

 

RG : D'accord

 

AV : Et Bernard il racontait qu'il venait d'Algérie donc qu'il, son père avait un commerce. Moi je racontais que j'avais dû élever mes frères et sœurs enfin des trucs comme ça, enfin voila

 

RG : Oui d'accord

 

AV : Des fois on passait des tests, alors quand fallait passer les tests le plus dur c'était de ...il fallait quand même  les réussir assez  pour être pris mais pas trop pour ne pas montrer, voilà

 

RG : Oui, vous avez dit que vous n'aimiez  pas le mensonge ?

 

AV : Quand il est légitimé par...je n'aime pas le mensonge quand, voilà (rire de RG) quand c'était  contre l'ennemi effectivement je n'étais pas très, très bonne

 

BV : Mentir à l'ennemi c'est le régime

 

AV : Mentir à l'ennemi c'est comme…

 

BV : Enfin voilà, là, ça c'est terminé très vite cette, ce boulot et puis après qu'est-ce qui s'est passé ? Ben après j'ai été appelé…

 

AV : Ben après t'as été quand même assez vite en prison hein

 

BV : Non, non, non il y a quand même eu...non, non je me suis retrouvé à, à, de nouveau à la sucrerie mais la  pendant la campagne. Et la j'ai fais un boulot de pontonnier qui, où j'ai eu les trouilles de ma vie la, je…

 

RG : Qu'est-ce que c'est qu'un pontonnier ?

 

BV : Pontonnier, vous savez les grands ponts de l'usine qui se balladent avec des grandes grues dessus

 

RG : Oui

 

BV : Et il y a, moi j'étais au-dessus de la grue donc j'avais une petite cabine qui se baladait dans un mouvement aussi notoire avec un accélérateur dans un sens dans l'autre sens, se promenait comme ça sur un grand pont et on, on...et puis en bas il y avait des ouvriers qui mettaient des, des sacs de sucre qui allaient vers les camions enfin donc

 

RG : D'accord

 

BV : et ce boulot-la est un boulot très dangereux 

 

RG : Oui

 

BV : vraiment et c'est un boulot, ce qu'on appelait les quatre/huit, c'est-a-dire dire qu'on faisait 8h d'affilé pendant une semaine, ensuite on avait 8h de repos et on reprenait. Alors si on avait commencé le matin on reprenait de nuit, et pendant 7 jours, de nuit on faisait 8h et puis après on avait 8h de repos et on reprenait d'après-midi etc. Donc c'était un boulot absolument exténuant

 

RG : Oui

 

BV : surtout quand on faisait la nuit et une nuit je, les nuits je m'endormais hein sur mon truc et il fallait, j'ai vraiment faillit y passer je trouve. Et donc j'étais pas très, très content et heureusement la direction de l'UJC(ml), de la Gauche Prolétarienne, a décidé que il fallait que j'arrête de travailler parce qu'il fallait prendre en main la direction de…

 

RG : D'accord

 

BV : de tous…

 

AV : des cadres, des militants

 

BV : Donc je suis devenu cadre

 

RG : D'accord

 

BV : Et, et là j'ai…qu'est-ce qui s'est passé ?

 

AV : Après t'as repris, tu voulais toujours absolument t'établir, c'était la grande lutte parce que Bernard voulait travailler en usine et…

 

RG : Vous avez toujours votre…

 

AV : Pardon, Bernard voulait travailler en usine et la direction voulait que, voulait pas quoi

 

RG : Oui

 

AV : et puis après t'as travaillé à Thompson, t'as travaillé dans une brasserie, c'était toujours des expériences assez, assez courte finalement entre…

 

BV : Ah oui non mais attends ça c'est ça. Donc après Cambrai j'étais cadre et là, là, c'était assez infernal. On était, on distribuait des tracts partout, on faisait beaucoup de choses

 

AV : Il y avait énormément d'agitation, c'était l'année…

 

BV : C'est là qu'il y a eu les mines

 

AV : Oui

 

BV : Donc il y a eu un accident à Fouquières-lès-Lens

 

RG : Oui

 

BV : qui a tué….

 

AV : 16 mineurs  

 

BV : 16 ou 17 mineurs

AV : C'est l'avant-dernier gros accident des mines

 

BV : Et donc là

 

AV : il y a une grosse campagne de, on s'est tous mobilisé

 

RG : Oui

 

AV : On est venu de partout Lille, Douai, Arras, etc., alors que ce n'était pas les mines et…

 

RG : Pardon la mine c'était quel nom ?

 

AV : Fouquières- lès -Lens , maintenant ca s'appelle, non,  Hénin-les-Tars

 

BV : Hénin-Beaumont

 

AV : Et maintenant ca s'appelle Hénin-Beaumont, donc c'était un puis de mine dans lequel il y avait un coup de grisou

 

BV : Donc à Fouquières- lès- Lens il y a eu ce coup de grisou et donc là on a fait une grande campagne

 

RG : Oui

 

BV : sur le thème les…

 

AV : ce n'est pas… un accident…

 

BV : 'les houillères tuent les mineurs de sang froid'. Et effectivement c'était, c'était des accidents, ce qu'on appelait les accidents du travail de l'époque c'était quand même

 

RG : Oui

 

BV : beaucoup, beaucoup de négligence

 

RG : Oui sûr

 

BV : et donc là on avait fait une mobilisation énorme qui a très bien marchée mais qui a été réprimée sauvagement 

 

AV : C'était en 69-70, cet accident il date de, ben oui effectivement…

 

BV : Donc c'était réprimé sauvagement par les, par les flics qui nous avaient embarqués le jour de l'anniversaire de, le jour de…

 

AV : de l'enterrement

 

BV : de l'enterrement, ben on s'est…

 

AV : une cinquantaine…

 

BV : retrouvé au commissariat une cinquantaine. D'ailleurs on avait fait une espèce de révolte dans le commissariat, on s'était battu avec les flics dans le commissariat, enfin c'était assez violent et fort. Et quand on a vu qu'on n'arrivait pas à faire, à bouger les mineurs sur notre mot d'ordre on a décidé de faire un, une action violente

 

RG : Oui

 

AV : enfin violente…

 

BV : et donc on a lancé des cocktails Molotov par les bureaux des Houillères a Hénin-les- Tars en question

 

RG : Ah bon

 

AV : et c'est la qu'on a d'ailleurs rencontré Olivier Rolin qui…

 

BV : qui était venu nous organiser, parce que ça faisait partie de la Nouvelle Résistance Populaire

 

RG : Ah oui, d'accord, d'accord

 

BV : Et donc on a, on a fait ça, et puis, et puis voilà et puis ça continue, ça  n'a pas pas arrêté, et puis après il y avait, on faisait des actions de plus en plus violents aussi dans les, dans les boites. Donc moi je une fois je me suis retrouvé à Roubaix, donc, comme j'étais un des un des chefs la du Nord, l'idée c'était qu'il fallait toujours être au premier…

 

RG : Oui

 

AV : première ligne

 

BV : première ligne sur toutes les actions…

 

AV : Et c'était des actions d'éclats, pas des actions violentes hein on n'était pas en Italie quand même

 

BV : Non

 

AV : C'était des actions d'éclats symboliques, très symboliques comme de balancer des boites de peinture sur les contredames parce qu'on était en pleine année…

 

RG : Oui mais un cocktail Molotov…

 

BV : Non, cocktail Molotov …

 

AV : Cocktails Molotov…

 

BV : c'est le seul qu'on ait fait, c'est, d'ailleurs il n'a pas brulé grand-chose, et puis il aurait pu, il aurait du bruler toutes les mines 

 

RG : Oui non c'est, moi je m'en fiche mais c'est, il y a tout un discours des anciens maoïstes sur la non-violence

 

BV : Non pas la non-violence, sur le fait qu'on a jamais

 

AV : pris le risque de tuer…

 

BV : pris le risque de, même oui de blesser gravement quelqu'un

 

RG : D'accord

 

BV : par exemple pour ce truc des houillères c'est vrai que c'est une action, un incendie volontaire on peut tuer des gens puisque voilà

 

RG : Oui

 

BV : On a, on est allé en repérage

 

RG : Oui

 

BV : s'assurer qu'il y avait personne au cas, même pas un clochard etc., qui pouvait être dans les bureaux des houillères. C'est-a-dire on a pris beaucoup, beaucoup de risques pour être sûrs que l'incendie qu'on aurait aimé être plus spectaculaire, il a juste brulé un petit de parquet. Enfin c'était à deux doigts de bruler a rideau a coté qui aurait  tout déclenché oui bon  

 

RG : D'accord, d'accord

 

AV : d'être sûr qu'il n'y avait pas

 

BV : On n'espérait pas faire un grand incendie des houillères, que les houillères brûlent mais on, ce bureau-là on savait qu'il était vide la nuit

 

RG : Oui d'accord, d'accord

 

BV : Bon voila, l'autre action pour laquelle j'étais en prison aussi ça été le, le un pot de peinture

 

RG : Oui

 

BV : et une contredame, vous savez ce que c'est les contredames, c'est la même chose que les contremaitres

 

RG : Oui d'accord

 

BV : On les appelait les contredames que c'était des femmes, dans une usine d'ailleurs de textile La Lainière de Roubaix

 

RG : Oui

 

BV : c'était des cadences infernales et c'était des, des filles qui étaient très fachos, enfin vraiment un peu sadiques, qui empêchaient les ouvrières d'aller pisser quand elles avaient envie, etc. Enfin bon, il y en avait une qui étaient particulièrement odieuse

 

RG : Oui

 

BV : et donc…

 

AV : On avait quelqu'un qui travaillait à l'intérieur et donc on avait distribué les tracts à l'intérieur pour dénoncer ça et comme action d'éclat on a balancé un pot de peinture vert…

 

BV : On lui a balancé un pot de peinture jaune….jaune, c'était jaune

 

AV : Ah bon ?

 

RG : Sur sa tête

 

AV : Sur sa tête

 

RG : Sur sa tête devant, devant tout, devant les ouvriers qui sortaient

 

RG : Ah d'accord

 

BV : Donc on est arrivé en commando, on a balancé ce pot de peinture pour dire ça suffit, avec un tract disant…

 

AV : Donc d'accord c'est de la violence enfin…

 

BV : 'T'as encore fais chier telle ou telle ouvrière la semaine dernière, c'est impossible quoi, que ça continue'. Voilà donc et puis là, là, c'est devenu pour moi... c'était  devenu effectivement de plus en plus rude

 

RG : Vous êtes allé en prison vous dites ?

 

BV : Voilà, alors donc la moi il y a un moment donné, a ce moment-là j'étais redevenu assistant de fac

 

RG : Oui

 

BV : J'étais redevenu assistant de fac ?

 

AV : Ben oui

 

BV : Ben oui j'étais devenu assistant de fac

 

AV : Oui puisque à moment donnée c'était pareil enfin la c'est

 

BV : Après là, quand je suis devenu cadre là donc voilà, et donc là j'en avais…

 

AV : assistant de fac c'est quand même des postes titulaires de profs de fac hein

 

BV : tellement marre

 

AV : par ailleurs 

 

BV : J'en avais tellement marre de…

 

AV : et on voit maintenant comment…

 

BV : du rythme de militant etc., que je, j'ai demandé à aller en usine à nouveau 

 

RG : D'accord

 

BV : en me disant ca ne peut plus durer. Et puis c'était très dure avec Anne, puisque Anne était restée a Cambrai ou elle devait organiser à elle toute seule Cambrai. Et on commençait à avoir une vie qui était une vie très, très dure sur le plan personnel, on peut le dire, t'allais pas très bien

 

AV : Et bien dis donc, c'est bien la première fois que je t'entends dire ça, mon chéri (rire des trois), d'habitude c'est plutôt moi

 

RG : Non mais c'est la grande question, c'est comment vous avez organisé votre vie…

 

AV : personnelle

 

RG : de militant et vie personnelle ?

 

AV : Ben à l'époque il n'y avait pas de différence, enfin si non mais c'est vrai que c'était, une question extrêmement intéressante. On avait ce personnage enfin ce - malheureusement on s'est beaucoup éloigné de lui il n'y a pas si longtemps - Jean  Schiavo, vous en entendez encore peut-être  parler

 

RG : Oui

 

AV : C'est, c'est quelqu'un qui régnait un peu sur le Nord, qui avait une force de conviction très grande, avec des idées à la fois des idées de la GP mais aussi des idées extrêmement personnelles et en particulier sur la vie privée et qui - et il y a la chinoise - c'est-a-dire qu' effectivement il y avait, il défendait qu'il y avait des amours bourgeois et des amours prolétariens par exemple

 

RG : Ah oui d'accord

 

AV : Voilà, les amours prolétariens, c'était les amours  là chinoise ou l'on était prêt à se séparer à tout faire pour le parti etc., et les amours bourgeois voilà, c'était, je ne sais pas quoi, c'était quand même très, ces projections personnelle a lui. Mais c'est lui qui nous a marié entre guillemets puisque c'est lui où le jour il a décidé que - enfin il n'a pas décidé il a construit toute une thèse sur le fait qu'effectivement le fait de vivre sans être marié a l'époque en 69 canalisait un peu le regard des ouvriers,  que du coup le détournait de la vrai question qui était la question

 

RG : Oui d'accord

 

AV : je veux dire des classes, pour le détourner vers des questions qui n'étaient pas encore à l'ordre du jour sur le, qui sont venu un peu plus tard dans les…

 

BV : la liberté sexuelle  et tout ça

 

AV : la liberté sexuelle, le féminisme etc., et qui donc a convaincu Bernard en une nuit de la justesse de ses positions parce que ça se passait souvent comme ça, nuit au terme de laquelle il m'a dit ben finalement 'Alors qu'est-ce t'en penses, on se marie ?'. Voilà, c'était très romantique mais c'est comme ça qu'on s'est marié. Enfin ceci dit 38 ans après on est toujours marié et donc voilà on ne peut pas lui en vouloir (rire de AV) mais enfin c'était pas des années, mais donc

 

RG : Mais marié civilement - mais c'est lui qui l'a provoqué ?

 

AV : Voilà c'est ça, c'est lui qui a…

 

BV : Voilà, c'est ça

 

RG : Comme prêtre maoïste ou quoi

 

(rire de AV)

 

BV : C'est ça, il y a un coté, le Nord était connu par la Gauche Prolétarienne, il y avait quand même des régions qui étaient beaucoup plus…

 

AV : Des spécificités

 

BV : libertaires

 

RG : Oui

 

BV : et puis des régions qui étaient très…

 

AV : ascétiques

 

BV : Oui, puritaine comme le PC. Le PC aussi avait ce côté-là et donc nous on avait repris ce côté du PC On était très puritains bon, en même temps tout ce qui était, je ne sais pas quoi, même aller au cinéma, lire des livres, etc., c'était un peu contrôlé, c'était un peu   

 

AV : Tout, toute notre vie était totalement, totalement sous contrôle

 

BV : Si on avait un peu de temps on lisait Mao Tsé-toung, bon d'accord et puis…

 

AV : Moi qui était donc en études de lettres et qui ai lu, quand j'avais à peu près 14-15 ans je lisais trois-quatre livres par semaine, j'ai arrêtée de lire pendant, pendant 10 ans quoi

 

RG : Ah bon ?

 

AV : Ah oui complètement

 

BV : Et on était, on militait 24h sur 24

 

AV : Il n'était pas question de s'acheter un livre, il n'était pas question de, toute notre vie était rigide…

 

BV : Quand on avait un peu de temps, on aller au bistro pour discuter avec les gens, aller distribuer un tract, aller…

 

AV : Ou si on ne faisait rien, moi j'ai passé a Cambrai, j'ai passé des heures sur mon lit à déprimer aussi              

 

BV : Voilà

 

AV : Voilà, non moi j'ai vécu effectivement des années très, très sombres en même temps, très dures, très mais bon voilà, c'était l'esprit de sacrifice

 

BV : Enfin les choses se sont…

 

AV : Ce qui régissait…

 

RG : Sacrifice pour le peuple quoi ?

 

AV : Oui, et lui il avait ca, enfin voilà c'était la chinoise, l'esprit de sacrifice, c'est ce qu'on nous répétait, c'est un mot qui revenait dans notre vocabulaire constamment, constamment, constamment, constamment. Et donc notre vie personnelle était absolument pas dissociée de, de rien d'autre. Et alors a un moment donné j'ai - donc Bernard était a Lille, moi j'étais resté à Cambrai - on me demandait alors que je n'avais pas de permis que j'étais en plus d'une timidité totalement enfin extrême puis c'était impossible quoi  - il fallait que je, il y avait ce vieillot enfin cet ouvrier relativement vieux avec qui moi, comme jeune fille je ne pouvais pas franchement nouer quoi que se soit. Donc je n'ai pas fait grand-chose a Cambrai et à un moment donné je me suis un peu révoltée et en plus c'était les conditions de l'époque évidemment hein pas - non seulement pas de portable mais pas de téléphone - donc je ne passais ma vie à ...Bernard était sur les routes tous  trois jours, je vivais dans une terreur totale et continue  

 

BV : Je m'endormais sur la route la nuit, avec le brouillard, c'était l'horreur totale

 

AV : C'était, c'était le Nord, les routes verglacées, les deux-chevaux des voitures qui ne marchaient pas. C'était, bon...et à un moment donné j'ai, je me suis révoltée quand même. Bon je manifestais que ça n'allais plus, il y a eu un espèce de, un peu comme une séance d'autocritique hein

 

RG : Oui

 

AV : et la j'ai été convoquée chez ce Jean Schiavo - qui était devenu un grand ami, c'est le parrain de ma fille - et qui voulait m'envoyer comme fille, ce qu'on appelait filles des mines, filles des mines c'étaient des filles qui vivaient dans les mines, qui partaient a 3h du matin travaillaient dans les usine de textiles de Roubaix, donc en car, on mettait 2h a, et retournaient. Et c'était pas tant pour militer ou faire de l'agitation, c'était vraiment comme pour me punir

 

RG : Ah oui d'accord

 

AV : C'était vraiment de la punition, genre 'il faut en passer par', avec tout ce discours  et je m'en souviens la aussi comme si c'était hier…

 

BV : Ce n'était pas punir, c'est ce qu'on appelle la rééducation

 

AV : Voilà c'était de la rééducation en fait  

 

BV : C'est comme, comme en Chine hein les étudiants et tout ça qui se conduisaient mal…

 

RG : Oui, d'accord

 

BV : on les rééduquait à la campagne 

 

AV : Mon idéologie n'était pas bonne donc il fallait que j'en passe par des conditions de vie d'où je devais sortir purifiée et prête à l'emploi quoi voilà

 

BV : Et moi aussi  d'ailleurs donc, c'est une raison pour lesquelles, moi d'ailleurs de mon, j'avais même envie, j'en avais marre de mener cette vie de fou là, et donc j'ai demandé aussi à m'établir, a nouveau et donc la j'ai travaillé a Thompson

 

RG : Oui

 

BV : quand  même une des, enfin chaque fois j'avais trouvé (rire de AV) quand même les endroits impeccables, la Thompson c'était parfait, à nouveau j'étais, alimentant les chaines etc., un endroit absolument stratégique, c'était  

 

RG : Ah quel endroit ?

 

AV : A Lille

 

BV : A Lesquin, c'est a coté de Lille, ça fabriquait des appareils électroménagers donc…

 

RG : Oui, oui

 

BV : Et, et  vraiment j'étais, c'était parfait. Et un jour donc j'arrive à mon boulot et le contremaitre me dit 't'es convoqué au bureau là en haut, vas-y' et tout. Donc je vais dans le bureau et il y avait deux flics derrières la porte qui me mettent les menottes et tchack on m'envoie en taule et donc j'ai été mis en prison

 

RG : C'est à quelle époque ça ? 

 

AV : En mars, non février mars

 

BV : Non mars ou avril

 

AV : Non t'étais sorti le 6 mai, moi j'étais enceinte, je venais d'apprendre que j'étais enceinte en fait

 

RG : Ah bon…attendez quelle année ?

 

AV et BV : 70

 

BV : Oui mars-avril 70, donc je me suis mis en prison pour l'histoire du pot de peinture

 

RG : Ah oui d'accord

 

AV : C'est marrant ce que tu dis 'je me suis mis en prison' (rire de AV et BV)

 

RG : Vous êtes resté  combien de temps ?  

 

BV : Alors je reste un moi et demi où il y a le jugement qui est fait, le procès donc et là je prends trois mois de prison avec sursis 

 

AV : Il ressort 15 jours et au bout de 15 jours

 

BV : Je ressors 15 jours, on décide d'aller s'établir dans un autre coin

 

AV : Le bassin de la Sambre

 

BV : Le bassin de la Sambre…

 

AV : Enfin on décide, on nous envoie dans un autre coin

 

BV : oui, et la, 15 jours après tous les deux ont est arrêtés, Anne était enceinte déjà de…

 

AV : 4 mois et demi

 

BV : 4 mois et demi. Au retour du bassin de la Sambre on allait prospecter pour essayer de trouver un endroit où loger etc. Dans notre maison de Roubaix, on s'arrête et la les flics  arméés au point etc., nous arrêtent

 

AV : pour l'histoire en fait de, des mines

 

BV : pour l'histoire de, d'Hénin-les-Tars…

 

AV : Ils avaient ratissé larges, ils arrêtaient

 

BV : des cocktails Molotov

 

AV : une douzaine de militants

 

BV : Et la on reste, et la on est arrêtés, on reste, moi je reste en prison sept mois et demi jusqu'au jugement tandis que Anne reste en prison qu'un mois

 

AV : Moi je reste un mois mais j'avais des alibis en béton qui n'ont pas empêché la…

 

RG : Oui parce que vous étiez enceinte

 

BV : Non, non, non…

 

AV : Ce n'est pas parce que j'étais enceinte 

 

BV : L'alibi c'est qu'elle était a Paris le jour de la…

 

RG : Ah oui d'accord

 

BV : le jour où on a jeté les cocktails Molotov

 

AV : Je n'y étais pas…

 

BV : Elle y était pas et

 

AV : Non seulement j'y étais pas mais…

 

BV : Les types qui nous avaient vendus, puisqu'on a été donnés par deux

 

AV : deux types de Nouméenne XXXX prolétariat avec qui on adorait s'acoquiner faut le dire, on allait vraiment les chercher

 

BV : Et eux avaient raconté qu'Anne était à la réunion qui avait préparé tel truc, telle date…

 

AV : enfin il y avait eu confusion  de personnes etc. 

 

BV : ils se sont complètement plantés Anne était à Paris ce jour-là donc ça, ça a permis de la

 

AV : J'avais des alibis

 

BV : de la libérer tout de suite, enfin presque tout de suite. Finalement un mois ça a duré quand…tandis que nous, les autres donc, Jean Schiavo le premier, il était là hein ?, Jean Schiavo etc., à  peu près tous les dirigeants du Nord, on avait tous participé a l'opération

 

RG : Oui

 

BV : On s'est retrouvé donc en prison pendant, pendant sept mois et demi et jugé par la Cour Sûreté de l'Etat 

 

RG : a Paris ?

 

BV : a Paris, Jean-Paul Sartre et d'autres ont fait un tribunal populaire de Lens qui était destiné à condamner les houillères et qui était en écho à notre procès. Donc faut dire que

 

AV : C'était juste avant

 

BV : l'idée c'était quand même de soutenir les camarades qui avaient bon

 

RG : Oui

 

BV : et nous on a été

 

AV : Et surtout de condamner les houillères

 

BV : acquitté à la, après la Cour de la Sûreté de l'Etat. Donc on a été acquitté

 

RG : D'accord

 

AV : après quatre jours de procès

 

BV : après quatre jours d'un procès héroïque et tout

 

AV : d'un procès assez fabuleux parce qu'en fait c'était

 

RG : Toujours en 70

 

AV : Oui décembre 70, deux mois après mon accouchement, notre fille est née - qui est sur le point d'accoucher - a vu son père pour la première fois a la  prison de la Santé

 

RG : Ah oui d'accord

 

BV : Et donc là, on revient dans le Nord, enfin oui et on se remet à

 

AV : Au même endroit                      

 

BV : militer justement au, enfin

 

RG : Mais vous êtes récidivistes?

 

BV : Récidivistes, absolument

 

RG : Non mais vous n'avez pas, parce que vous avez dit que vous étiez aussi assistant au fac, aux fac de

 

BV : oui, fac de Lille

 

RG : au fac de Lille, mais vous aviez un enfant. Fallait pas devenir un peu sérieux non à l'époque ?

 

BV : Non

 

AV : Non pas du tout

 

(rire de RG)

 

BV : Pas du tout

 

AV : Non, non c'était pas du tout l'esprit qui nous animait. On avait eu un enfant, ça c'est vraiment compliqué mais

 

BV : Oui, oui on était dans, on était dans  le, c'était notre vie hein, on

 

AV : On avait 20 et 22 ans   

 

BV : ne se voyait pas vivre autrement

 

AV : On avait 20 et 22 ans, on était dedans, on ne se voyait, moi je me voyais assez bien vivre autrement faut pas exagérer mais si, si on se

 

BV : On ne se voyait pas le droit de…

 

AV : On se posait quand même...moi je te disais, 'si je rentre à  Paris, qu'est-ce que tu fais ?'. Ben le jour ou tu m'as dit, 'je viens avec toi', j'ai vécu ça comme la plus grande déclaration d'amour que je n'avais jamais eue. Non c'était, c'était très, on ne le vivait pas du tout de la même façon tous les deux, ça c'est clair. Et puis d'ailleurs on ne venait pas ni du même milieu, enfin on ne se ressemblait pas du tout mais en même temps partir c'était trahir. Enfin il y avait un, c'était, on était quand même, bon on s'appelait Nouvelle Résistance Populaire, on avait, on est quand même des enfants enfin issus de la génération enfin, en tout cas le modèle de la génération précédente

 

BV : de la Résistance

 

AV : de la Résistance, du sacrifice de notre vie etc., était présent, était prégnant

 

RG : Oui

 

AV : Et même moi qui effectivement je ne m'y retrouvais plus du tout en tant que femme, en tant que militante de base, en tant que, avec ce, ce Jean Schiavo, enfin ses dicta qui n'avaient aucun sens. Je sentais qu'on était complètement à la masse quoi, je pense qu'on, qu'on, que ça n'avait aucun sens cette vie personnelle. Bon, mais en même temps je ne me voyais en tout cas pas revenir dans mes anciennes traces

 

RG : Oui

 

AV : et je n'enviais pas du tout, je les enviais un tout petit peu en même temps. Mais je veux dire mes, mes camarades qui avaient continué leurs études, ma mère qui m'écrivait une telle est entrée a telle école, moi j'étais en plein dans autre chose et…

 

BV : Dans la vraie vie

 

AV : Et oui en quelque chose qui était plus de la vraie vie, qui était aussi - alors c'est vrai que Cambrai ça été une parenthèse horrible parce qu'en même temps il n'y avait pas que ça, j'étais coupé de tout, tout, tout. J'étais dans cette appartement,  mais après, quand on a été dans le basin de la Sambre où c'était très, très dur

 

RG : Oui

 

AV : on se retrouvait dans un endroit qui était, qui était comme Zola

 

RG : Mais vous étiez ensemble ?

 

BV : Pardon

 

RG : Vous étiez ensemble ?

 

BV : Oui, a la sortie de prison donc on retourne dans le bassin de la Sambre, l'endroit où

 

AV : là on était ensemble

 

BV : On devait militer avant la prison

 

RG : C'est quel endroit ? C'est Maubeuge  

 

BV : Alors

 

AV : Oui Maubeuge

 

BV : Maubeuge, Beaumont, Hautmont, bref

 

AV : On a d'abord habité dans un endroit qui s'appelle Berlaimont et puis après à Hautmont

 

RG : Oui

 

AV : Donc Hautmont c'est une ville

 

BV : Donc là, là on s'est vraiment installé avec notre enfant etc.

 

AV : On a même eu un espèce d'HLM

 

BV : On a, moi j'ai retrouvé mon poste d'assistant de la fac

 

AV : Bah grâce a un réseau de solidarité qui était énorme aussi, ça bougeait beaucoup dans les facs, je veux dire c'est

 

RG : Oui

 

AV : c'est voilà, c'était pas retrouvé comme ça 

 

BV : Et, et donc

 

AV : On a fait un deuxième enfant dans la foulée

 

BV : Oui, attends non comment ça s'est passé ?

 

AV : Quoi, qu'on est fait un deuxième enfant  dans la foulée, tu te souviens pas ?  (rire de RG)

 

BV : Non, non j'ai pas retrouvé, j'ai pas retrouvé la fac tout de suite

 

AV : Ton boulot de la fac, ben si

 

BV : Non, non c'est la que j'ai étais à la brasserie, j'ai travaillé

 

AV : oui t'as travaillé un peu à la brasserie mais pas longtemps, oui c'est vrai

 

BV : J'ai travaillais à

 

AV : Ça devait être l'été

 

BV : A la brasserie parce qu'à la grève de la faim que j'ai, qu'on s'est retrouvé là

 

RG : Quelle grève de la faim ?

 

AV : Ben c'est facile à cause de l'âge  des enfants, à cause de l'âge de Cécile, en 71 il y a eut un. En fait ce qui s'est passé à Hautmont c'est que l à , l à  vraiment on était, on se sentait lié aux masses, on a - alors qu'on débarquait complètement - qu'on connaissait personne, qu'on effectivement  ben autant qu'a Roubaix mais à Roubaix on était moins, on a moins habité nous, un prolétariat dans un état de misère, de conditions de vie, de conditions de tout. Et à la rentrée 71, moi je, j'avais pris un poste de prof dans un collège

 

RG : Oui

 

AV : et à trois avec un autre prof qui était plutôt lui sur des positions on va dire libertaires et puis militant de chez nous. On a été viré, nous deux pour motif politique parce qu'on avait repéré, qui on était, et lui à cause de son attitude parce qu'il faisait cours sur la pelouse avec ses élèves, qu'il y avait déjà des espèces d'insinuations tout à  faut infondées de - on ne disait pas pédophile mais enfin de draguer des élèves etc. C'était pas du tout vrai d'ailleurs, et donc on a entamé une grève de la faim

 

RG : Ah d'accord

 

AV : Et, dans l'église

 

BV : dans l'église d'Hautmont alors là ça a été tout un cirque

 

AV : Et là , ça été un grand mouvement populaire

 

BV : et c'est vrai qu'on

 

AV ; une espèce de mini mai 68 à Hautmont quoi, c'est- à -dire qu'il y a eu mille personnes sur la place en train de venir nous parler, en train de parler de l'école, entrain de se plaindre de l'école, entrain de remettre les choses en questions, en train de nous soutenir

 

BV : Ça a duré  une semaine hein

 

AV : Ça a duré plus que ça

 

BV : Le mouvement  qui est monté, monté, monté et le car de CRS                  

 

AV : Plus que ça, plus que ça   

    

BV : on avait prévu une grande manif, les cars de CRS sont arrivés mais vraiment comme une espèce d'armée d'occupation. Et finalement on a transformé la manif  en grand meeting et là, il y avait mille ouvriers dans la grande salle municipale d'Aumont venus nous écouter

 

AV : Mille, tu exagères, mille, non, non, pas mille, beaucoup ca beaucoup, plusieurs centaines

 

BV : On va regarder c'est écrit dans

 

AV : Dans quoi ?

 

BV : Ben comment ca s'appelle, cette revue

 

AV : Je vais juste vous montrer quelque chose

 

BV : Les Temps Modernes, c'est écrit toute cette histoire

 

AV : Je ne sais pas, je ne sais pas où il est, il doit être quelque part…donc là, là on avait…je remets mon truc…là on avait vraiment l'impression même si c'était dure de, enfin moi en tout cas d'être là pour quelque chose quoi

 

RG : C'était un peu votre apothéose ?

 

AV : C'était, oui un peu, en même temps, en même temps c'était aussi un moment ou l'on vivait tout à la fois parce que j'étais enceinte moi pendant ce, ce début de grève de la faim - j'étais enceinte de mon deuxième enfant - qui a fait d'ailleurs que j'ai arrêté quand même cette grève de la faim très, très vite et les fachos avaient pénétrés dans l'église

 

RG : Ah oui

 

AV : avaient, nous avait écrasé la tente enfin c'est, c'est là c'était  aussi violent - pas de notre faute d'ailleurs mais - alors violent mais pas mort d'homme non plus hein, encore que quelque fois on est passé, probablement souvent à deux doigts mais…

 

BV : Regarde 'Le meeting' hors que ce passe-t-il au meeting 'près d'un millier de personnes y viennent en majorité des ouvriers qui viennent souvent par groupe d'atelier'

 

AV : Mais c'est toi qui a écris l'article alors forcément

(Rire de RG)

 

BV : Non, non j'ai, non là-dessus tu ne peux pas dire, moi aussi le mensonge, il n'y avait pas de mensonge, non, non je me souviens que c'était vraiment énorme

 

AV : Oui c'est vrai

 

BV : Enfin bref voilà, ça été notre fait de, fait d'armes et qui fait qu'après on s'est installé…

 

AV : Non pas d'arme justement, pas notre fait d'armes justement

 

BV : On s'est installe donc dans cette pour…

 

AV : Notre fait de parole

 

BV : pour plusieurs

 

RG : Oui

 

BV : et on a vécu donc toute la fin de la Gauche Prolétarienne

 

RG : Oui

 

BV : sa dissolution avec Lip etc., là dans un groupe où

 

RG : qui est venu en 73 ou a peu près

 

BV : voilà donc toute cette période la on l'a vécu à Hautmont ou on avait, on avait un vrai réseau, une vraie cellule ouvrière, des, voilà on était implanté

 

AV : c'était au moment du Secours rouge, c'était au moment aussi du début du féminisme     

 

BV : en particulier on avait aussi des relations qui étaient devenu des relations extrêmement proches, agréables et respectueuses avec les gens du PSU

 

AV : Les Cathos de gauche

 

BV : Les Cathos de gauche justement et donc en particulier un type qui est devenu député ensuite, rocardien, et qui était formidable

 

AV :Typiquement un catho de gauche, enfin formidable    

 

RG : Et comment il s'appelle ?  

 

AV : Umberto Batiste, il habite à Ferrière-la-Petite dans le Nord

 

BV : et donc tout nos XXXcations militantes à partir de là en gros on les a faite, on les a faite avec eux, et, et donc là on avait, on avait quasiment une vie normale de militants communistes, de, traditionnel si vous voulez avec voilà, on faisait l'association des parents d'élèves, on faisait machin, on faisait le comité de locataires, du HLM 

 

AV : Tiens voila, ça c'est Bernard dans les manifs de 68 (elle montre une photo)

 

RG : Ah oui, très bien voilà (rire de AV et BV) ah il a plus de cheveux (rire de RG)

 

AV : Et voila la petite remarque qui tue

 

RG : Mais vous avez, vous avez fait allusion a, au féminisme là  

 

AV : Alors en fait pour moi ça été vraiment par le MLAC c'est-a-dire le MLAC

 

RG : Oui que vous avez rencontré à quel moment ?

 

AV : Je ne sais pas, les enfants étaient quand même déjà nés …

 

BV : C'était avant la dissolution ou après ?

 

BV : C'était presque en même temps, en fait ça nous a permis, en fait comme vous dans lesquels ont était aussi le MLAC que le MTA,  Mouvement des Travailleurs alge..Arabes etc., ont fait que pour nous ça s'est passé en douce. Alors le MLAC c'était quoi soixante...moi j'ai accouché en 72 d'Olivier, c'était plutôt 73 mais enfin. Non mais déjà j'avais pris contact avec le mouvement féministe pur et dure quand j'étais enceinte de Cécile déjà, Le Torchon Brule qui est devenu quand même MLF, bon j'avais été voir

 

RG : Qui était vos contacts ?

 

AV : Difficile à dire. Je sais qu'il y avait un local rue des Canettes et voilà  on se pointait rue des Cannettes et il y avait des réunions où moi j'étais, j'étais très, très regardée parce que j'étais enceinte donc c'était  (rire d BV  et RG)...Donc je me suis pas trop re-pointée là-bas parce que voilà...Mais, mais disons que ça m'intéressait énormément parce que bon évidemment, j'avais adoré celles que j'exècre maintenant. J'avais beaucoup, beaucoup lu Simone de Beauvoir, j'étais très, très, très pénétrée de ces idées-là que j'avais complètement mis sous boisseau  au moment de la GP. C'était plus, c'était plus l'essentiel, donc là  à  partir du moment ou il y avait eu, en particulier les journaux, Le Torchon Brule, ça commençait, ça nous donnait quand même des aspirations qui dans le, à la GP il y avait, ça discutait un petit peu, c'était pas, c'était pas complètement le débat. Donc en fait c'est surtout le MLAC, le Mouvement pour la Liberté de l'Avortement et de la Contraception qui s'est développé à partir de 72 à  peu près et qui a amené au fait qu'on pratique des avortements chez nous. Enfin moi j'ai, nous on était assez peu puisque le basin de la Sambre c'était très, c'était loin de Lille, c'était à 80 km de Lille qui était un peu l'endroit ou les choses se passaient

    

          

BV : avec la méthode Karman

 

AV: Ceci dit on a quand même ; on s'est formé à cette méthode

 

RG : C'est quelle méthode ?

 

AV : C'est une méthode…

 

BV : d'aspiration

 

AV : une méthode d'avortement par aspiration c'est pas très

 

RG : D'accord               

 

AV : Peut-être pas entrer dans les détails

 

BV : qu'on pouvait faire chez soi

 

AV : Oui voilà, enfin bon

 

BV : en prenant quelques précautions et à condition que ce soit quand même des, moins de trois mois

 

RG : Vous êtes devenus des 'faiseurs d'anges' comme on disait dans le temps

 

AV : Oui, alors moi j'amenais…

 

BV : mais c'était très militant hein, c'est, c'est

 

RG : Oui, oui bien sûr

 

BV : Toutes les filles du MLAC qui se réunissaient, les mecs gardaient les enfants, il y avait tout un côté…

 

AV : Et puis il y avait évidemment discussion pour savoir si vraiment

 

BV : Il y avait des discussions aussi pour savoir si elles voilaient vraiment

 

RG : C'était pas du tout du féminisme bourgeois

 

AV : Non

 

BV : C'était pas non plus le féminisme radical sous...il ne s'agissait de faire avorter les filles

 

AV : contre elles, contre leur gré

 

BV : contre, pour le plaisir si j'ose dire. Il y avait des discussions extrêmement sérieuses

 

AV : Non mais c'était des mouvements, le MLAC chez nous il a été très féminin, enfin féminin au sens constitué de femmes. Par exemple à Lille c'était des hommes, c'était des médecins qui nous ont enseigné  les méthodes, c'était pas un mouvement fermé aux hommes par exemple

 

RG : D'accord 

 

AV : Alors ça, il y avait une peu, et puis il y avait le, l'émergence des groupes de femmes, pour moi ça a été extrêmement important, très, très, très important. Donc des groupes de femmes comme il en a eu un peu partout ou justement enfin on a pu - je vous redonne du café froid, peut-être  pas ?

 

RG : Oui je veux bien…mais vraiment un brassage de femmes de tous les, de tous les milieux ?

 

AV : Non

 

RG : Non ?

 

AV : Non, non on ne peut pas dire, quand même c'était essentiellement des, des c'était essentiellement nous les sympathisants, des profs de fac, des instits. Il n'y a pas eu énormément de, les, les femmes de milieu ouvrier étaient…

 

BV : Jacqueline

 

AV : Ben non elle n'a jamais été là-dedans, non, non….les femmes de milieu ouvrier étaient, étaient assez loin de ça quand même, n'étaient  pas, non Jacqueline…

 

RG : Mais les avortements c'était pour le compte des, des femmes de la classe ouvrière qui voulaient…. (AV parle en même temps)

 

AV : Ah oui, alors ça si en revanche, non, non, non, ah oui, oui comment elles les avaient  nos contacts ca je ne savais  pas. Mais par exemple on a avorté une fille de 16 ans, enfin on a pratiqué l'avortement d'une fille de 16 ans, qui était une fille de forain, vous savez de, de marchand forain, qui vivait dans une misère absolument noire. Ça c'est horrible, horrible, et là oui alors j'ai pas, enfin nous dans notre région, alors on avait toujours recours derrière l'hôpital, aussi on prenait …

 

BV : On avait beaucoup…

 

AV : rendez-vous avec  le planning familial, la aussi comme dans le, dans le

 

BV : Mais on avait beaucoup de contacts de toutes sortes. Il y eu les petits commerçants aussi, on avait, on avait, on était devenu une force politique  du coin, une petite force politique  du coin. On était une espèce de, les gens nous connaissaient comme étant les militants ben oui du coin et donc…

 

AV : Et on faisait, quand on faisait ça, moi je me souviens par exemple, et encore une fois je disais que j'insiste sur le fait de cette timidité maladive. Mais la première  fois que j'ai vraiment pris la parole en public, enfin qui a été exacerbé par le militantisme de la GP parce que…

 

RG : Oui

 

AV : on a dû vous le dire ou on vous le dira, c'était quand même un mouvement éminemment macho, les dirigés, oui très, très, parole masculine, des paroles très, très autoritaires, très fortes, très où les femmes ne se retrouvaient pas du tout, du tout enfin

 

RG : D'accord

 

AV : et, et effectivement moi je me souviens que ma première prise de parole public c'était a l'hôpital - euh à ces propos, enfin a l'hôpital avec le planning familial pour demander donc effectivement…

 

BV : de l'aide

 

AV : la liberté de la contraception. Donc ça, ça a été très important, alors le MLAC et les groupes de femmes - moi je n'ai jamais été dans les mouvements féministes pure et dure comme il s'en est constitué a Lille, enfin un peu partout…

 

RG : Oui parce que l'hôpital dont vous avez parlé c'était…

 

AV : J'étais à Maubeuge, on était…

 

RG : Oui d'accord    

 

AV : Lille et Maubeuge c'est vraiment

 

RG : Oui, oui

 

AV : le bout du monde, c'est vraiment, la frontière belge c'est… (rire de BV) non mais vous dites oui mais franchement

 

RG : Non mais, c'est qu'on dit couramment, moi j'ai vécu pas mal de temps à Lille mais je ne suis mais je ne suis jamais allé  à Maubeuge

 

(rire de BV et RG)

 

AV : et encore maintenant  il y a des festivals de théâtre, il y a des cinémas, il y a ce festival incroyable là, ce...mais, mais à l'époque il y avait pas un cinoche, c'était, c'était la sidérurgie, c'était, c'était Germinal c'était Zola mais complément hein

 

BV : Oui

 

RG : Oui

 

BV : C'est ce qu'on écrit là (rire de BV)           

         

 AV : Et donc

 

RG : Et vous n'avez pas eu des ennuis avec la, les autorités parce que c'était toujours illégale l'avortement…

 

AV : C'était parfaitement illégale oui, c'était parfaitement illégale m'enfin bon

 

BV : Oui, oui mais  c'était la période ou justement ils avaient baissé les bras sur le…

 

RG : Oui 

 

AV : C'était quand même très peu de temps…

 

BV : C'était avant, c'était la loi Veil mais

 

AV : avant la loi, c'était très peu de temps avant

 

BV : mais il y a eu déjà le Manifeste des Salopes

 

AV : oui voilà

 

BV : des 300 Salopes ou je ne sais plus combien

 

RG : Oui

 

AV : 143, 147

 

BV : qu'il avait refusé, enfin renoncé à les poursuivre. Donc ils savaient que tout ça existait mais il avait décidé de pas les, pas réprimer

 

RG : D'accord

 

BV : Voilà et puis donc progressivement entre mouvement de femmes, mouvement de ceci, de cela, on est passé aux communautés. On a vécu en communauté pendant un an donc après, donc liberté sexuelle tout ça

 

RG : Oui

 

BV : On a vécu tout ça après le militantisme

 

RG : Toujours au même endroit ?

 

BV : Toujours au même endroit (rire)

 

RG : Avec quels genre de personnes quand même avec…

 

AV : Avec euh

 

BV : Des couples d'amis qui étaient…

 

AV : de la classe moyenne, qui n'étaient pas à la GP 

 

RG : Oui

 

AV : qui étaient des militants soit du PS d'ailleurs a l'époque soit des sympathisants justement du MLAC

 

BV : des amis

 

AV : des gens avec qui ont avait effectivement, qui étaient autour. Il y a eu des - on passe sous silence plein, plein de choses - il y a eu une grève par exemple, on a occupé une grève pendant un mois avec Olivier dans son berceau qui avait trois mois là

 

BV : les taules perfoles ( ?) XXX

 

AV : 3-4 mois alors ça c'est 72, une grève dure, dure, qui a duré longtemps et on occupait jour et nuit, on avait le berceau du bébé au milieu, les, la femme du cafetier disait 'mais attendez, je vais vous le monter dans la chambre' et tout

 

BV : (rire) oui c'était vraiment…

 

AV : et donc quand il y avait des choses comme, et puis il y a eu plein d'autres choses, avec le Secours Rouge. Il y avait, il y avait chaque fait divers entre guillemets qui pouvaient donner lieu a une…

 

BV : oui c'est vrai les Comités Vérité et Justice »    

 

RG : Ah oui

 

AV : Voilà, on était vraiment là dedans

 

RG : C'était pour les, les en prison c'est ça…

 

BV : Non, non, non c'était une…

 

AV : Non, ça aussi moi j'ai été au…

 

BV : remise en cause de la justice bourgeoise, ben il y avait eu le notaire de Bruyais

 

RG : Oui

 

BV : Voilà, toute cette, le faiseur de Bruyais on est allé nous aussi

 

AV : On n'a pas…

 

RG : Oui, mais Oliver Rolin a dit que c'était aussi une grosse faute de Bruyais

 

AV : Oui, oui non, énorme, énorme

 

RG : Vous êtes d'accord ?

 

BV : Mais tout ce qui est Comité Vérité et Justice » c'était très, très, très limite parce que l'idée que la justice bourgeoise doit être remplacée par une justice populaire bon. On sait très bien ce que ça donne, et là c'est vrai que on s'est heurté très, très vite à cette, a cette difficulté là hein, dès qu'on s'est mis, des qu'on s'est installé avec notre écriteau, notre pancarte 'Comité Vérité et Justice' on a vu débouler des tas de gens qui avaient des rancœurs, des

 

AV : démêlés

 

BV : des difficultés avec la justice ou avec d'autres gens etc., et on ne faisait que des conneries c'est-à-dire on

 

RG : Oui

 

BV : Il y avait des gens qui venaient nous voir en disant 'c'est injuste voilà on m'en enlevé ça, on m'a enlevé ce truc On commençait à lutter avec eux, puis  il pouvait y Avoir le militants d'un côté, de la ville d'a coté qui recevaient d'autres gens qui leur disait 'c'est injuste ça' et on se rendait compte que on avait les deux thèses (rire) 

 

RG : Oui, oui

 

BV : et qu'on était entrain de bon

 

AV : Enfin toutes ces histoire de justice c'est toujours complément….

 

BV : C'est horrible, en même temps c'est vrai aussi qu'il y avait, il y a eu des, des choses qui étaient, des vrai scandales judiciaires, Yvonne Urier par exemple donc le truc pour lequel on s'était battu….

 

AV : On ne va pas raconter ça en détail parce que…

 

BV : On ne va pas raconter en détail mais son fils a été, s'est suicidé pendant qu'elle était en prison pour avoir volé un, presque rien…

 

AV : Oui m'enfin même là

 

BV : On a eu, on a eu quand même beaucoup de…

 

AV : on intervenait sur tout les fronts et donc pour, chaque fois qu'il y avait comme ça des choses

 

RG : Oui

 

AV : il y avait, nous on était dedans, mais il y avait autour des gens qui se mobilisaient

 

RG : D'accord

 

AV : C'est un peu avec ces gens, et éventuellement s'étaient mobilisés autour que on a, qu'on a vécu en communauté Enfin c'était des petites communautés mais c'est une année où, autour de nous, militants ou pas militants les gens ont expérimenté d'autres formes de vie, ont, en particulier ont fait à peu près exploser tous  leur couples les uns après les autres. On vivait des vacances ensemble, on gardait, on s'échangeait énormément les enfants aussi, voilà

 

BV : Tout

 

AV : Tout

 

BV : On échangeait tout 

 

RG : Mais vous êtes restés ensemble quand même  

 

AV : Oui

 

BV : Oui

 

AV : Mais nous on est invincible…

 

BV : Non mais….       

 

AV : (rire de RG) on est les plus fort   

 

BV : Ça n'a pas été forcement facile mais ce qui s'est passé donc c'est que au, à la fin de l'année….

 

AV : 76

 

BV : 76, là on a, on a, on a dit que, on s'est dit que on avait plus rien à faire la

 

RG : Oui

 

BV : C'est-à-dire que, on ne militait plus du tout, ces histoires de communautés et tout ça, ça….

 

AV : On avait été jusqu'au bout, vraiment jusqu'au bout et puis effectivement…

 

BV : Oui et ça tournait à bon, des trucs qui n'avaient plus aucun intérêt et, et donc la on décide de partir mais on ne pouvait pas rentrer à Paris, c'était impossible

 

RG : Non, d'accord

 

BV : Donc on décide de partir loin dans un pays mais quand même francophone parce que Anne ne parlait pas anglais

 

RG : D'accord

 

BV : Donc on avait le choix, c'était ou le Cambodge (rire d'AV et RG) ou le Québec

 

RG : D'accord

 

BV : On a choisit le Québec (rire)

 

RG : Voila très bien

 

BV : C'était un an ou deux ans avant Pol Pot hein, c'était (rire) que on a vraiment eu du bol (rire de RG) et donc on s'est retrouvé au Québec et là on a, on a  vécu sept ans donc

 

RG : Avec cette histoire d'expulsion

 

AV : Oui

 

BV : avec oui, entre deux cette histoire de, on a failli se faire expulser  mais on a gagné on a fini par rester etc.

 

RG : D'accord, d'accord

 

BV : Voilà

 

RG : Et puis vous êtes revenus à Paris ? 

 

AV : Non, on est revenu à Caen

 

BV : On est revenu à Caen après

 

RG : Caen oui

 

BV : oui donc ça c'était en quatre-vingt… 

 

AV : on ne voulait pas, nos enfants ne voulaient pas revenir à Paris, on est revenu en 84…

 

BV : 84 oui

 

AV : on est revenu dans une ville ou il y avait une école parallèle, on avait mis nos enfants dans des écoles expérimentales

 

RG : Ah d'accord

 

AV : et on ne voulait absolument pas entendre parler de revenir encore une fois dans les traces et dans les..donc même encore dans les années quatre-vingt on était, oui on a, il y avait un lycée expérimentale à  Heronville Saint-Claire et on a choisit notre lieu de retour pour ça, on avait de tout façon pas de boulot donc entrait, on avait 35 et 38 ans, on n'avait pas de boulot

 

BV : Si, si quand même j'avais un boulot

 

AV : T'avais une promesse de boulot

 

BV : promesse de boulot, et voilà, et donc moi pendant quand je suis partie au Québec j'ai abandonné mon poste à la fac puisque j'ai, j'avais mon poste à la fac a Lille

 

AV : Moi j'étais devenu instit, j'ai démissionnée aussi de la fonction publique

 

RG : Vous étiez instit à cet endroit ?  

 

AV : à Maubeuge, enfin Hautmont oui dans cette région

 

BV : et donc là, je refais une carrière universitaire au Québec

 

RG : Oui

 

BV : Et puis j'e, on va quitter le Québec et je refais une carrière universitaire en rentrant

 

RG : Et vous êtes devenu linguiste ou…

 

BV : Je suis devenu oui informaticien linguiste, entre les deux, science du langage   

 

RG : D'accord

 

BV : Et je le suis encore aujourd'hui

 

RG : Voilà, voilà  (rire de BV)

 

BV : Voilà l'histoire

 

RG : Voilà c'est formidable

 

AV : Et moi j'ai démissionnée deux fois à la fonction publique, ce qui est quand même, je suis la seule personne que je connaisse qui ait démissionnée deux fois à la fonction publique française

 

RG : Comme institutrice et l'autre fois ?

 

AV : et l'autre fois quand je suis revenu, moi j'ai  fait des études de bibliothécaire. Je suis devenue une bibliothécaire et j'ai été employée donc la commune d'Héron-Saint-Claire et au bout de quelques années j'en ai eu marre et,  enfin je suis partie, enfin je suis maintenant à nouveau bibliothécaire d'ailleurs

 

RG : D'accord, d'accord

 

AV : Je m'occupe de, de bouquins pour enfants et de, en fait j'ai réinvesti, je travaille exactement comme je militais dans le temps, plus ca va plus je m'en rends compte, c'est drôlement intéressant quand même parce que ...[à Bernard] quelle heure il est ?

 

BV : [à Anne] Dis, il faut peut-être  que tu y ailles toi

 

AV : j'ai changé des idées sur vraiment beaucoup de choses, j'ai un regard critique évidemment sur beaucoup de choses mais en fait dans ma façon de, de…quelle heure il est ? 

 

BV : 4h mois 10

 

AV : [à Bernard] Tu ne voudrais pas…

 

RG : On, on est sur le point de terminer

 

AV : Oui

 

RG : La dernière question…

 

AV : [à Bernard] Non, non mais ce que tu pourrais faire - excusez-moi - ce que tu pourrais faire c'est téléphoner a Cécile, il pourrait nous appeler probablement aussi, téléphone pour savoir des nouvelles ou dis lui je vais venir hein  

 

RG : Je vais…on peut continuer comme ça ? …Est-ce que, est-ce que vous pouvez me dire en ce qui concerne la continuité ou le, le changement d'idées, quels sont vos, quels sont vos sentiments d'aujourd'hui sur cette période-la ?

 

AV : C'est, ça devient de plus en plus difficile de parler de ça quand même

 

RG : Oui, oui

 

AV : à la fois parce que ca me parait a la fois extrêmement proche quand on évoque tout ça

 

RG : Oui

 

AV : sûrement plus que pour quelqu'un comme Olivier [Rolon] qui a, qui n'a pas de mémoire il a du vous le dire hein…

 

RG : C'est ce qui m'a raconté mais ce n'est pas tout à fait vrai

 

AV : Si c'est quand même...enfin ce n'est pas tout a fait vrai puisque évidemment il a, non ce n'est pas tout à fait vrai mais c'est quand même quelqu'un de fait a quand même des pans entier de, de souvenirs qui ne sont pas là quoi. Moi j'ai vraiment l'impression parfois que c'était hier que je, que je suis dans la peau, je vous parle de Cambrai, je me vois encore dans cette appartement de Cambrai etc. Et puis après en même temps ça fait, ça fait bientôt 40 ans quand  même, ce qui fait qu'en fait les files, là je pense que je suis assez proche d'Olivier d'ailleurs, c'est un grand ami, je ne….je ne sais pas je dirais, je ne renie rien, j'aime, j'aime cette ce que j'ai été en même temps, j'aime cet engagement

 

RG : Oui

 

AV : Alors  évidemment je pense qu'on était totalement à la masse, qu'on s'est trompé sur a peu près tout, qu'il y avait des choses qui n'avaient pas de sens, que voil à, et puis bon politiquement, j'aimerai bien quelque fois avoir cette  espèce de naïveté que je pouvais avoir et de, côté manichéen, les bons les méchants, la gauche la droite. Mais bon voilà, il me semble  que j'ai une pensée a la fois plus complexe et du coup plus  difficile à énoncer

 

RG : Mais vous avez dit au début qu'il y aurait peut-être  une explication psychologique pour tout cela  parce que c'est...comment expliquer pour un, des gens comme moi de l'extérieur, comment expliquer ce….

 

AV : Cet engagement absolu?

 

RG : Cet engagement oui, oui jusqu'au fond pendant des années, c'est extraordinaire

 

AV : Alors d'abord pendant des années, c'est vrai que ca été très intense mais finalement pas si long que ça, il faut bien voir que ça correspondait, pour moi et pour d'autres, à notre extrême jeunesse

 

RG : Oui 

 

AV ; moi ce que je comprends mal, très mal, c'est Sartre, c'est des gens comme ça, c'est des intellos qui nous on soutenu quand même, ça moi je leur en, oui je leur en veux parce que je trouve ça incroyable, je trouve que quand on a, quand on a 15 ans 20 ans, vouloir changer le monde c'est, je continu à penser que c'est, voilà, je trouve ca plutôt bien, plutôt plaisant

 

BV : [à Anne] Il ne sort pas ce soir donc visiblement, il n'a pas encore les résultats du scanner tout ca mais ils ont entrain de lui chercher une chambre au 5ème, puisqu'il est en fait  dans les urgences toujours mais une chambre

 

AV : Bon mais je vais finir vite et puis je vais y aller

 

BV : Il faut, il faut y aller relativement vite

 

RG : Oui mais  deux, deux minutes

 

AV : Oui

 

RG : Votre point de vue d'aujourd'hui sur  ces événements-la ?                                   

 

AV : Et….

 

BV : Ben t'as répondu déjà ?

 

AV : J'ai répondu déjà (rire)

 

BV : Moi je, non, ce que je pense c'est que, moi je ne regarde absolument pas ce que, ce qu'on a vécu a ce moment-là et la manière dont on s'est impliqué parce que au fond on n'q jamais été dans le mensonge, c'est- à -dire ce que je, ce que je ne supporterais pas aujourd'hui c'est d'avoir fait de la politique 

 

RG : Oui

 

BV : surtout cette politique  violente, cette politique  qui était quand même, oui, qui a engagé des vies, des machins même si on a jamais été jusqu'a, jusqu'au assassinat

 

RG : Non bien sûr

 

BV : Mais oui on a, on a bouleversé un peu, donc je ne regret pas du tout parce que je l'ai fais en toute bonne fois, c'est- à -dire avec un idéal qui était constamment un idéal  auquel je n'ai toujours pas renoncé

 

RG : D'accord

 

BV : qui est un idéal voilà de bonheur, d'humanité etc., alors maintenant  très objectivement je dois reconnaitre qu'on a fait des choses très bien - par exemple le truc des mines, non seulement je ne regrets pas y compris le cocktail Molotov mais je trouve que on a contribué de façon décisive à une, à ce que l'idée qu'il n'y a pas de fatalité dans les accidents de travail est devenu maintenant…

 

AV : s'est imposée complétement c'est vrai

 

BV : non seulement s'est imposée mais maintenant on est un peu ulcéré par le, le l'autre coté c'est-a-dire on ne peut plus marcher sur un trottoir sans, enfin tomber d'un trottoir sans qu'il y ait un procès parce que le trottoir il était trop haut par rapport à...Bon donc, ça, ça nous, maintenant ça m'énerve un peu mais l'état dans lequel on était avant était absolument insupportable donc c'est

 

RG : Oui

 

BV : donc là je pense qu'on a joué un rôle positif sur un, c'est un exemple mais sur un…

 

AV : Mais sur le MLAC aussi, le MLAC aussi a joué un rôle extrêmement positif

 

BV : Le MLAC, voilà l'évolution d'un certain nombre de choses. Maintenant on a fait aussi des énormes, quelque chose d'énorme d'une certaine manière, on a donné a toute une, a toutes les générations qui nous ont suivies, parce qu'on a été quand même pendant un certain temps adulé par,

 

AV : Non pas adulé

 

BV : On a donne l'impression qu'effectivement il y avait encore un, une issue dans le communisme

 

RG : Oui

 

BV : C'est-à-dire que, on, on a été complètement trompé nous-mêmes par le Maoïsme et ce qui se passait en Chine, et donc voilà on a contribué aussi a ce que je trouve ce qu'il y a de pire dans la politique, a savoir le mensonge d'Etat, le fait que, bon voila, je suis très, très mitigé sur le, l'effet de nos luttes

 

RG : Oui

 

BV : parce qu'il y a eu des cotés positifs et des cotés très, très négatifs. Aucun regret personnel d'avoir participé à cette aventure et, et l'impression aujourd'hui que quand je, quand je dénonce certaines attitudes dites de gauche

 

RG : Oui

 

BV : Je ne suis pas un traître, je suis au contraire dans la droite ligne de ce que je veux dire c'est- à -dire une des choses qui me frappe le plus dans, dans notre génération qui a vécu 68, c'est que c'est qu'on trouve ce qu'on appelle les bobos

 

RG : Oui, oui

 

BV : donc c'est là qu'on trouve une grande partie de gens qui sont, qui ont dans les mêmes situations que moi, qui sont tout à fait capables, qui ont la même lucidité sur l'état de la France

 

RG : oui

 

BV : et qui continuent à être de gauche, voire d'extrême-gauche par fidélité

 

RG : Ah oui d'accord

 

BV : avec l'idée qu'ils vont trahir s'ils bon...Pourquoi ? Parce que c'est vrai que pendant toute la période 68, nous on a dit ça, on a dit, 'nos parent nous ont trahis, nos parents sont devenus des vieux cons hein, ils étaient des jeunes résistants etc., ils sont devenus des vieux cons'. Et donc la hantise de devenir vieux cons comme ses parents est quelque chose qui a beaucoup marquée notre génération

 

RG : D'accord

 

BV : Je ne pense pas que c'est la seule d'ailleurs

 

RG : Non, non

 

BV : Mais la nôtre ça a été particulièrement forte (rire) et ça explique beaucoup d'attitudes aujourd'hui de gens qui sont incapables par exemple de, de critiquer - je ne sais pas moi - le, la façon dont la gauche se conduit pour les retraites, pour des questions de cet ordre là Moi j'ai aucune, je suis complètement décomplexé par rapport à ça, je trouve qu'effectivement il y a des avantages, des acquis qu'il faut supprimer bon. Voilà, je suis de droite de ce point de vue la si vous voulez (dit ça en souriant) mais je, j'ai l'impression de garder toujours les mêmes idéaux de justice etc. Seulement quand on ne croit plus qu'il y a une solution du côté du socialisme et qu'on se résout à vivre dans un espèce de capitalisme qu'on espère le plus social possible etc., et bien on n'a plus le droit de, de penser que voilà, les ouvriers ont toujours raisons, les partons sont tous des, il faut les pendre par les couilles etc., c'est, c'est bon voilà ça n'a plus de sens tout simplement   

 

RG : D'accord, bon très bien, je vous remercie de votre témoignage.